• « On ne négocie plus.

    On a mis un physio à la porte de la société.

    Tout le monde ne peut pas entrer.

    Il va s’agir d’en être.

    C’est ce que le “pass sanitaire” vient entériner. En douceur. Électroniquement. Tactilement. »

    Le conspirationnisme procède de l’anxiété de l’individu impuissant confronté à l’appareil gigantesque de la société technologique et un cours historique inintelligible. Il ne sert donc à rien de balayer le conspirationnisme comme faux, grotesque ou blâmable ; il faut s’adresser à l’anxiété d’où il sourd en produisant de l’intelligibilité historique et indiquer la voie d’une sortie de l’impuissance.

    On peut bien s’épuiser à tenter d’expliquer aux « pauvres en esprit » pourquoi ils se trompent, pourquoi les choses sont compliquées, pourquoi il est immoral de penser ceci ou cela, bref : à les évangéliser encore et toujours. Les médias peuvent bien éructer d’anathèmes. C’est le plus généralement sans effet, et parfois contre-productif. La vérité est qu’il y a dans le conspirationnisme une recherche éperdue de vérité, un refus de continuer à vivre en esclave travaillant et consommant aveuglément, un désir de trouver un plan commun en sécession avec l’ordre existant, un sentiment inné des machinations à l’oeuvre, une sensibilité au sort que cette société réserve à l’enfance, au caractère proprement diabolique du pouvoir et de l’accumulation de richesse, mais surtout un réveil politique qu’il serait suicidaire de laisser à l’extrême-droite.

    • Et si conspirer était une bonne idée ?
      https://reporterre.net/Et-si-conspirer-etait-une-bonne-idee

      On étouffe !

      On étouffe sous les ordres absurdes, les amendes à répétition, les contradictions et les oukases, les pseudo-experts, les mensonges et les vérités qui se transforment au cours du temps, l’impossibilité de discuter et de réfléchir. On étouffe après deux ans d’infantilisation, de déni de l’intelligence collective, d’injures de président, d’enrichissement des milliardaires. Alors qu’on agit face à la pandémie, parce que nous sommes des citoyens et non pas des sujets, nous étouffons sous la morgue de tous ces gens.

      Et c’est parce qu’on étouffe que cela fait un grand bien de lire le Manifeste conspirationniste. De même qu’ouvrir la fenêtre est la méthode efficace pour évacuer le virus possiblement flottant dans la respiration commune, de même ce livre est une porte ouverte pour aérer le débat et sortir de l’hébétude collective.

      Mais surtout, le Manifeste conspirationniste entend « raconter l’envers de l’histoire contemporaine » à propos du bouleversement créé par le Covid et la façon dont le monde y a fait face. Pour les auteurs, « le monstre qui s’avance sur nous depuis deux ans n’est pas un virus couronné d’une protéine, mais une accélération technologique dotée d’une puissance d’arrachement calculée. Nous sommes chaque jour témoins de la tentative de réaliser le projet transhumaniste dément de la convergence des technologie NBIC ». Les NBIC désignent les nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, appelées à fusionner dans l’avenir, selon un colloque pionnier de la National Science Foundation en 2001, et qui a contribué à lancer ce qui allait devenir le transhumanisme, ainsi que le concept de « quatrième révolution industrielle » décrit par Klaus Schwab, le fondateur de forum de Davos où conspirent chaque année les puissants de ce monde. Cette numérisation intégrale de l’économie, pour résumer ainsi le projet, constitue, selon les capitalistes, notre avenir.

      On apprend aussi, dans des chapitres bien informés et passionnants, comment les techniques de contrôle social, alias « psychologie sociale », « sciences comportementales » ou « behaviorisme » ont été mises en œuvre dans ces scénarios, mais élaborées dès la fin des années 1940, dans le contexte de la guerre froide, avec un soutien constant de la CIA, la principale agence d’espionnage des États-Unis. « L’hypothèse anthropologique de toute la psychologie sociale est que les humains n’agissent pas en fonction de ce qu’ils pensent et de ce qu’ils disent. Leur conscience et leurs discours servent uniquement à justifier a posteriori les actes qu’ils ont déjà posés. » Il s’agit ainsi de mettre en œuvre des techniques, telle celle du « pied dans la porte » par exemple, sur le port du masque en extérieur, qui n’a pas d’utilité contre la contamination : « Celui qui se soumet à une norme aussi dénuée de fondement aura tendance à accepter à sa suite tous les autres changements de normes, bien moins anodins, eux. » Les auteurs décrivent ainsi diverses façons de façonner le comportement humain élucidées par les sciences comportementales, tels « l’effet de gel », « l’effet d’ancrage », « la soumission à l’autorité », « l’effet de halo », etc.

    • https://seenthis.net/messages/944728
      https://seenthis.net/messages/946004
      https://seenthis.net/messages/948300

      À la demande de ses auteurs, nous relayons ce « Communiqué n°0 du #Comité-invisible »
      La Fabrique Editions

      La signification politique et morale de la pensée n’apparaît que dans les rares moments de l’histoire où « tout partant en miettes, le centre ne tient plus et la simple anarchie se répand dans le monde » ; où « les meilleurs n’ont plus de conviction, tandis que les médiocres sont pleins d’une intensité passionnée ». À ces moments cruciaux, la pensée cesse d’être une affaire marginale aux questions politiques. Quand tout le monde se laisse entraîner sans réfléchir par ce que le nombre fait et croit, ceux qui pensent se retrouvent comme à découvert, car leur refus de se joindre aux autres est patent et devient alors une sorte d’action.

      Hannah Arendt, Considérations morales

      Le Comité invisible est initialement une conspiration ouvrière lyonnaise des années 1830. Walter Benjamin note dans son Livre des passages : « Le Comité invisible – nom d’une société secrète à Lyon. » En février 2000, on pouvait lire à la fin de la Théorie du Bloom, publiée par La fabrique : « Le Comité invisible : une société ouvertement secrète / une conspiration publique / une instance de subjectivation anonyme, dont le nom est partout et le siège nulle part / la polarité révolutionnaire du Parti Imaginaire. » Le revers du même livre était politiquement plus explicite : il définissait le Comité invisible comme une « conjuration anonyme qui, de sabotages en soulèvements, finit par liquider la domination marchande dans le premier quart du XXIème siècle. » Par « Parti Imaginaire », nous entendions et entendons toujours l’ensemble de ce qui se trouve en butte – en guerre ouverte ou latente, en sécession ou en simple désaffection – à l’unification technologique et anthropologique de ce monde sous le signe de la marchandise. Nous nommions alors indifféremment « Empire » ou « monde de la marchandise autoritaire » le processus d’unification en question, par quoi la planète se constitue en un « tissu biopolitique continu ». On n’ignore qu’à ses dépens, en 2022, l’évidence de pareilles notions, ou en tout cas celle des intuitions que ces notions recouvrent. Dans ces conditions, le Parti Imaginaire forme à la fois le point aveugle et l’ennemi innommable d’une société qui n’admet plus que des erreurs à corriger dans sa programmation impeccable – en sus de quelques démons à écraser d’urgence. Lorsqu’à la faveur d’un coup d’éclat, le Parti Imaginaire fait tout de même effraction dans le Spectacle, on s’empresse de dénoncer l’action de quelque « minorité marginale ». On se garde bien de reconnaître que cette marge est désormais partout, et que cette société la produit à jet d’autant plus continu qu’elle prétend la résorber. Constamment renvoyé à l’irréalité d’un spectre, le Parti Imaginaire est la forme d’apparition du prolétariat « dans la période historique où la domination s’impose comme dictature de la visibilité et dans la visibilité. » (Tiqqun 1, « Thèses sur le Parti Imaginaire ») Et il est vrai que la sorte de désaffiliation intérieure dont cette société est frappée est le plus souvent si muette, si diffuse et si discrète que cela accuse en retour sa disposition à la paranoïa – cette maladie atavique et si souvent mortelle du pouvoir. « Dans un monde de paranoïaques, ce sont les paranoïaques qui ont raison », observions-nous alors.

      Malgré tous les efforts contraires, y compris les nôtres, les décennies écoulées se sont chargées de confirmer point par point ces thèses que l’on réputait alors alarmantes, folles voire carrément criminelles. En septembre 2001, le texte d’ouverture de la revue Tiqqun 2 se concluait par cette prémonition : « Les énoncés qui précèdent veulent introduire à une époque de plus en plus tangiblement menacée par le déferlement en bloc de la réalité. L’éthique de la guerre civile qui s’y est exprimée reçut un jour le nom de « Comité invisible ». Elle signe une fraction déterminée du Parti Imaginaire, son pôle révolutionnaire. Par ces lignes, nous espérons déjouer les plus vulgaires inepties qui pourront être proférées sur nos activités, comme sur la période qui s’ouvre. » (« Introduction à la guerre civile ») Comme prévu, les « plus vulgaires inepties » ne manquèrent pas d’être proférées, en novembre 2008, lorsqu’une dizaine de personnes furent arrêtées pour « terrorisme » sous la double accusation d’avoir commis une série de sabotages anti-nucléaires et d’avoir écrit un livre, L’insurrection qui vient, signé du Comité invisible. La presse fit alors une belle démonstration de la façon dont elle s’acquitte de sa tâche d’informer le public, en reprenant comme un seul homme les affabulations gouvernementales, et donc celles de la police antiterroriste. Elle se ridiculisa tout à fait, ce qui ne lui servit manifestement pas de leçon, ni quant à sa nature ni quant à notre endroit. Toute cette construction branlante finit par s’effondrer, non sans avoir induit un public plus large à lire le Comité invisible et causé quelques désagréments aux personnes mises en cause. S’il fallait absolument confirmer le caractère policier de la notion d’auteur – la nécessité de tenir un « responsable » pour toute vérité qui s’énonce en public –, toute cette affaire se chargea d’en administrer la preuve définitive. Au terme de dix pénibles années de procédure, le réquisitoire final du parquet revenait pesamment sur l’identité entre celui que l’on accusait des sabotages et que l’on suspectait d’avoir été la « plume principale » de L’insurrection qui vient. Les nécessités de la défense – depuis quand doit-on la vérité à ses ennemis ? – amenèrent à laisser l’un des inculpés, qui ne risquait rien en cas de procès et qui n’avait pas écrit trois lignes de L’insurrection qui vient non plus que des livres suivants, à revendiquer auprès de la juge la paternité de l’opuscule. Dans une époque où domine la mystification, il fallait s’attendre à ce que ce mensonge passe finalement pour une vérité, et que le menteur finisse presque par s’en convaincre lui-même, à force de passer pour tel. Ce garçon étant alors aussi le communicant des inculpés, il devait par la suite illustrer la tendance structurelle à l’autonomisation de la communication moderne, qui croit qu’il suffit de tenir un compte sur Twitter pour, seul derrière son smartphone, façonner le réel. Les gouvernants eux-mêmes ne cessent de se prendre les pieds dans ce tapis d’illusion. Au reste, on n’a jamais demandé à un communicant d’avoir une compréhension profonde de ce qu’il promeut ; cela peut même nuire à sa tâche.

      Le Comité invisible n’a jamais été un groupe, et moins encore un « collectif ». Nous sommes avertis de longue date contre les « communautés terribles ». Il n’est donc susceptible d’aucune dissolution, ni légale ni volontaire. La tragi-comédie des petits groupes, dont Wilfred Bion, avait déjà fait le tour en 1961, lui a toujours été épargnée. Les affres de la publicité, en revanche, ne lui ont pas été comptées. De combien de « membres du Comité invisible » avons-nous entendu parler, que nous n’avions jamais croisés ? Et combien de gens croisés qui doivent leur peu d’aura au mystère qu’ils entretiennent quant au fait qu’ils en « auraient été », voire qu’ils « en seraient » encore ? Cette vulnérabilité à l’usurpation et tout le régime de faux-semblants qu’il autorise constitue l’un des rares revers de l’anonymat, en ces sombres temps. Aussi bien, ce genre de supercheries ne trompe que les imbéciles. Le Comité invisible est une certaine intelligence partisane de l’époque. Cette intelligence se trouve éparpillée par éclats chez tous les irréconciliés de ce temps. On voit combien il s’agit peu d’en être, mais bien d’oeuvrer à rassembler ces éclats. De tenir, envers et contre toutes les manœuvres d’intégration, une position apparemment perdue dans la guerre du temps. « Qui changera, alors, le monde ? - Ceux à qui il déplaît. » C’était déjà la réponse de Brecht, en 1932, dans Kuhle Wampe.

      Le Comité invisible opère comme une instance d’énonciation stratégique. Celui qui écrit sous ce nom n’y parvient qu’au terme d’une certaine ascèse, d’un certain exercice de désubjectivation, où il se dépouille de l’ensemble des mécanismes de défense qui forment, en dernier ressort, le Moi : il tombe l’ego. À cette seule condition, il parvient à faire autre chose que « s’exprimer », pour exprimer plutôt ce qu’il trouve en suspension dans l’époque, et donc fatalement aussi en lui-même. C’est de ces poussières d’intuitions, d’observations, d’événements, de propos saisis au vol, d’expériences vécues ou menées, de gestes accomplis ou contrariés, de sensations confuses, d’échos lointains et de formules glanées que sont faits les textes du Comité invisible. Cela explique qu’il nous ait toujours été indifférent que l’un ou l’autre rédige une part écrasante de tel ou tel texte. Car qui écrit sous cette signature n’est littéralement personne, ou tous – tous les amis débattant de telle ou telle formulation unilatérale, de telle ou telle thèse, de telle ou telle perception, d’entre ceux qui tiennent la position schismatique du Comité invisible. Scribes de notre temps, en somme, c’est-à-dire du mouvement réel qui destitue l’état de choses existant. D’où l’absence effective d’auteur de ces textes. Il semble que la méthode ne soit pas si mauvaise : peu de gens peuvent prétendre n’avoir, après deux décennies, pas un mot à retirer de ce qu’ils disaient de leur temps, et pu tenir dans la durée une position si scandaleuse. « Se refuser à tenir pour valable l’état de choses, c’est l’attitude qui prouve l’existence, je ne dirais pas même d’une intelligence, mais l’existence de l’âme. » (Dionys Mascolo)

      La parution récente d’un livre réellement anonyme et parfaitement inacceptable pour l’époque, Le manifeste conspirationniste, a fourni l’occasion d’une remarquable tentative de revanche de tous ceux qui s’étaient sentis humiliés, à ce jour, par les « succès » du Comité invisible. Le signal du lynchage public fut donné à L’Express par des « informations » émanant de la police – une filature mal faite suivie de l’interception et de la destruction des correspondances visant un « prestigieux » éditeur parisien, filature que l’on n’ose attribuer, une nouvelle fois, à la DGSI. La valetaille journalistique suivit courageusement, sans se rappeler combien hurler avec les loups contre le Comité invisible lui avait peu réussi par le passé. Au point culminant de sa campagne, elle se flattait de ne rien comprendre audit Manifeste, non sans s’être préalablement plainte que le livre était trop informé dans trop de domaines pour pouvoir le contredire – pauvres choux ! Et quelle singulière époque ! Pour finir, on vit se joindre à la curée les vieux partisans négristes d’une « biopolitique mineure » voire d’une « biopolitique inflationniste » dont la défaite historique coïncide très exactement avec le succès de leurs idées du côté de l’Empire : c’est maintenant Klaus Schwab, du Forum Économique Mondial, qui est invité au Vatican pour deviser avec le Pape François de son philanthropique projet de revenu universel. Quant à la « biopolitique inflationniste », personne n’a plus besoin de dessin, après ces deux dernières années. « Parce que la plus redoutable ruse de l’Empire est d’amalgamer en un grand repoussoir – celui de la “barbarie”, des “sectes”, du “terrorisme” voire des “extrémismes opposés” – tout ce qui s’oppose à lui » (« Ceci n’est pas un programme », Tiqqun 2, 2001), nos spectres négristes en déroute et autres sous-foucaldiens d’élevage s’empressèrent de crier à la « confusion », au « fascisme », à l’« eugénisme » et pourquoi pas – tant qu’on y est – au « négationnisme ». Il est vrai, après tout, que le Manifeste en question fait un sort au positivisme. CQFD. Ceux dont le cours des choses invalide depuis les Gilets jaunes au moins toutes les certitudes, préfèrent se dire que ce sont les révoltes elles-mêmes qui sont confuses, et non eux-mêmes. Le « fascisme » qu’ils discernent partout est celui qu’au fond ils désirent, car il leur donnerait sinon intellectuellement du moins moralement raison. Quelque chance leur serait alors offerte de devenir enfin les victimes héroïques en lesquelles ils se rêvent. Ceux qui ont renoncé à combattre historiquement préfèrent oublier que la guerre de l’époque se livre aussi sur le terrain des notions – sans quoi, au reste, Foucault n’aurait pas arraché la « biopolitique » à ses concepteurs nazis et comportementalistes. Nous laissons à la gauche impériale la croyance qu’il existe une sorte de révolution qui soit drapée de pureté, et que c’est en multipliant les anathèmes moralisants, les mesures de prophylaxie politique et le snobisme culturel que l’on défait les contre-révolutions. Elle ne fait ainsi que se condamner, décomposée derrière ses cordons sanitaires et ses gestes-barrières, agrippée à ce qu’elle croit être son capital politique accumulé – se condamner à voir sa rhétorique tendre asymptotiquement vers celle des gouvernants.
      Pour nous, nous préférons de loin donner des coups, en prendre et en redonner.
      Nous préférons opérer.
      Nous ne nous rendrons jamais.

      Le 7 février 2022,

      Le Comité invisible