« Striketober » & long déclin du mouvement ouvrier – Agitations

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  • « Striketober » & long déclin du mouvement ouvrier – Agitations
    https://agitations.net/2022/01/28/striketober-long-declin-du-mouvement-ouvrier

    Quel que soit le critère retenu, 2020 a été l’une des années les plus tumultueuses de l’histoire américaine récente. Nous avons, tout d’abord, assisté à une crise de santé publique internationale qui a entraîné la mort de millions d’individus à travers le monde – des centaines de milliers rien qu’aux États-Unis – et bouleversé la vie de dizaines de millions d’autres. Aux États-Unis, la démence manifeste du président n’a fait qu’exacerber ce chaos, avec le soutien d’une partie des médias sous sa coupe. La vie politique s’est bien souvent résumée aux débats enflammés pour savoir qui devrait porter le masque, les camps qui s’affrontaient en venaient régulièrement aux mains, dans les conseils d’administration des établissements scolaires, aux coins de rues et jusque dans les rayonnages des grandes surfaces. Des milices d’extrême-droite armées ont défilé à l’intérieur des parlements de plusieurs États, et ont planifié l’enlèvement et l’assassinat de gouverneurs. Le pays a connu ce qui est probablement le plus grand mouvement de son histoire récente, lorsque des millions d’Américains ont pris la rue, fin mai, après le meurtre de George Floyd ; ils ont participé par millions aux manifestations et aux émeutes, qui se sont poursuivies durant l’été, et dont les conséquences se font encore sentir dans le paysage politique et social 1. L’élection présidentielle a par la suite été contestée par le président en fonction et une foule dopée aux théories du complot QAnon a offert le bouquet final au mois de janvier. Des millions d’Américains ont été contraints au chômage par les confinements ordonnés suite à la pandémie ; d’autres se sont vus forcé de travailler dans des conditions drastiques et le plus souvent insupportables. Et pourtant, malgré ce contexte d’émeutes et de désordre, le Bureau of Labor Statistics a publié en février 2021 une étude confirmant que 2020 a été l’une des plus faibles en matière de mobilisation ouvrière dans l’histoire récente, et la troisième la plus basse depuis que ces données sont recensées (1947) : 8 arrêts de travail importants au total en 2020, mobilisant seulement 20.000 travailleurs sur une population active de plus de 160 millions de personnes2.

    Cette tendance semble avoir été contrecarrée ou, en tout cas, interrompue lors du mois d’octobre de cette année. Au cours du mois d’octobre et au début de novembre, les gros titres des journaux américains et de la presse d’affaires faisaient état du plus grand élan de mobilisation ouvrière aux États-Unis ces dernières années, voire de ces dernières décennies. Les tambours de la lutte se sont fait entendre sur les réseaux sociaux, sur lesquels des récits de grèves et de débrayages, souvent anecdotiques, ont été largement partagés, donnant naissance au hashtag #striketober. Le timing de ce phénomène est pour le moins significatif. Les deux années précédant la pandémie et le confinement ont été marqués par un retour notable et surprenant de la tactique de la grève à grande échelle parmi les travailleurs américains, particulièrement dans le secteur de l’éducation : la grève déterminée des enseignants du secteur public dans des États supposément conservateurs comme l’Arizona, la Virginie-Occidentale et l’Oklahoma a, semble-t-il, annoncé la renaissance d’un mouvement ouvrier américain assoupi depuis bien longtemps. Si le contexte exceptionnel de la pandémie a jugulé, un temps, une ère nouvelle bien que balbutiante de mobilisation ouvrière, les événements d’octobre laissent penser que le retour du mouvement ouvrier est toujours à l’ordre du jour. Mais là où l’agitation pré-pandémique était largement centré sur le secteur de l’éducation publique et, occasionnellement, celui de la santé, les conflits les plus visibles de ces derniers mois ont eu lieu dans le cœur industriel américain en perpétuel rétrécissement : les mineurs en Alabama, les travailleurs des usines Kellogg’s de plusieurs États, et, aux avant-postes, la grève de 10.000 ouvriers chez John Deere 3. En plus de ces actions aisément identifiables et massives – qui atteignent le niveau requis pour être légalement considérées comme « grèves » – nous avons également assisté à une prolifération d’arrêts de travail moins visibles, plus courts et restreints, à travers le pays, qui ont fait écho, de manière inarticulée, aux conflits plus formalisés. C’est précisément parce que ce type d’actions mobilise un petit nombre de travailleurs et sont plus fluctuantes et spontanées, que leur addition génère une forme de bruit de fond, une atmosphère et une humeur combative. Elles se déroulent pour la plupart dans le secteur privé, aux seins de lieux de travail non syndiqués. Ces évènements prennent ainsi sens au travers de leur accumulation : ils semblent émaner d’une classe ouvrière qui, historiquement sur les rotules, s’est redressée pour mener la bataille.

    #U.S.A #grèves