COVID-19 : des travailleurs contraints de payer leur quarantaine

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  • Des travailleurs de la santé contraints de payer leur quarantaine Jean-Louis Bordeleau
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    Les employés du réseau de la santé infectés par la COVID-19 doivent bien souvent payer eux-mêmes leur quarantaine, faute de pouvoir prouver qu’ils ont contracté la maladie sur leur lieu de travail. Cette directive instaurée pour la cinquième vague n’a rien pour aider la rétention de personnel dans un système déjà affaibli de 12 000 travailleurs.


    Photo : Jacques Nadeau archives Le Devoir Cette histoire, le « Devoir » l’a entendue de plusieurs travailleurs de la santé de régions différentes.

    « Chaque personne que je connais qui a eu la COVID-19 dans le dernier mois est dans la même situation », confie au Devoir Benoît, un travailleur social de Longueuil qui souhaite taire son vrai nom pour ne pas attirer l’attention sur lui. Ayant reçu récemment un résultat positif à un test COVID-19, il a dû lui-même s’isoler. Quelques jours plus tard, il a reçu par la poste une mauvaise nouvelle. Il ne recevra aucun salaire pour toute la durée de sa quarantaine. Ou sinon, il doit utiliser sa banque de congés personnels pour compenser — des congés qu’il a déjà dépensés après des mois de travail intense.

    « Ils nous envoient une litanie de papier pour dire qu’il faut rester chez soi pendant dix jours et tout, mais ne nous disent pas que votre paie va être amputée de 4-5 quarts de travail après, se désole ce travailleur. Si on tombe malade, on tombe dans une bureaucratie ridicule. On n’est pas payé. Ce n’est rien pour nous aider. Si je tombe malade, vous me laissez tomber ? Ça fragilise le lien d’emploi. »

    Cette histoire, le Devoir l’a entendue de plusieurs travailleurs de la santé de régions différentes. Ce problème nouveau a émergé des énormes quantités d’infections, conséquences de la cinquième vague. Les CISSS et les CIUSSS remboursaient auparavant les salaires de leurs employés en quarantaine en transférant automatiquement leur dossier à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Un seul test PCR positif équivalait à un diagnostic médical, puis une « présomption » établissait que l’employé avait contracté la maladie au travail.

    Désormais, le nombre de contaminés est tel que l’on demande aux gestionnaires d’analyser au cas par cas la source de l’infection des travailleurs. Si l’on juge que le contact s’est produit en dehors des murs d’un centre de santé, la COVID-19 est traitée comme n’importe quelle autre maladie.

    Ces enquêtes minent la confiance de beaucoup d’employés, avance Benoît, étant donné la difficulté de prouver que la contagion vient du travail. « On nous demande de remplir un papier au début de notre isolement, où on inscrit nos contacts, nos déplacements et tout. On se dit que c’est pour retracer les contacts. Dans le fond, c’est pour se donner des preuves que j’aurais pu contracter la maladie à l’épicerie ou ailleurs. On le remplit honnêtement. Mais si je l’avais su, j’aurais dit que j’étais chez nous, isolé. Tu veux être honnête, mais l’employeur est malhonnête. C’est désolant. »

    « J’ai un loyer à payer »
    Marie, qui préfère aussi taire son vrai nom par crainte de représailles, travaillait comme infirmière à temps partiel dans un hôpital de Montréal avant l’arrêté ministériel 2020-007 décrété il y a quelques semaines. Depuis lors, elle travaille obligatoirement à temps plein sans les congés payés qui viennent avec ce surcroît de tâches. Ce changement a pris un autre poids lorsqu’elle a appris qu’elle était un « cas contact ».

    « Ils nous ont demandé de nous rehausser à temps plein, mais on n’a pas les avantages du temps plein, explique-t-elle. C’est-à-dire qu’on me demande d’être en isolement, mais je ne suis pas payée pendant 7 jours. »

    Elle pourrait se tourner vers la CNESST pour être remboursée, alors que son unité de travail classée « zone froide » a été frappée par une éclosion de COVID-19. « L’employeur disait : “vous travaillez en zone froide, vous n’avez pas pu attraper la COVID-19 sur votre lieu de travail” », s’indigne Marie.

    Asymptomatique, elle a bien tenté de se porter volontaire pour travailler en « zone chaude », mais sans succès. Elle songe à celles qui pourraient être tentées de cacher leur maladie après avoir contracté la COVID-19 hors des murs d’un établissement de santé par crainte de manquer un chèque de paie. « J’ai un loyer à payer, j’ai deux enfants à charge. J’ai besoin d’avoir une rentrée d’argent. Je veux travailler. »

    Prouver la contamination
    « La plupart des CISSS et des CIUSSS fonctionnent comme ça, confirme Judith Huot, vice-présidente de la FSSS-CSN, qui représente des milliers de travailleurs de la santé. Il s’agit d’employeurs voyous. Le ministre [du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale] Boulet devrait intervenir à cet effet-là. On a demandé au ministère. Ça ne suit pas. »

    Elle enjoint les employés à réclamer un dédommagement auprès de la CNESST, bien consciente « des tracas » que cela peut causer. En date de juin dernier, pour 45 000 travailleurs infectés de la COVID-19, seulement 25 000 dossiers avaient été ouverts à la CNESST, selon la FSSS-CSN.

    « Pourtant, les employeurs, ça ne leur coûte rien de plus. En général, plus il y a des accidents de travail, plus ta cotisation coûte cher, mais durant une pandémie, c’est mis sur la glace », argumente Mme Huot.

    Elle note que cet isolement aux frais des employés concerne également le réseau des CPE. « Ils sont tous dans cette situation, voire pire. »

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