• Une économie des communs négatifs
    par Alexandre Monnin- AOC media
    https://aoc.media/opinion/2022/11/28/une-economie-des-communs-negatifs

    L’écologie ne peut se penser comme un retour à la nature (ou à une époque antérieure, post industrielle, post-civilisationnelle, etc.) sous peine de porter avec elle un arrière-plan malthusien ou exterminisme.

    Son défi est désormais d’être une écologie des milieux impurs dans lesquels une part grandissante de l’humanité évolue qui cherche à négocier un passage étroit entre deux écueils : l’abandon brutal et immédiat des infrastructures, technologies et modèles – ce que j’appelle des communs négatifs – dont cette part croissante de l’humanité dépend un peu plus chaque jour, ce qui ne saurait se faire à très court terme, et le maintien de ces mêmes réalités à moyen terme.
    [...]
    La tentation est grande en effet, au-delà même des cosmologies, de puiser dans les savoirs du Sud générés en réponses à des situations de crises, situations dès lors valorisées au-titre d’une anticipation d’événements dramatiques à venir au Nord (hausse du niveau de l’eau, des températures, tropicalisation du climat, etc.).

    Les peuples autochtones ou les habitants d’Haïti seraient ainsi les éclaireurs des peuples du Nord, prenant les risques dont ces derniers entendent se préserver en observant la capacité d’adaptation des premiers.
    [...]
    Ceux qui pointent la responsabilité des pays du Nord ont tendance à rejeter le mot « Anthropocène » et à lui en substituer d’autres : Capitalocène, Anglocène, Androcène, etc. Il en existe mille et une variantes. On peut accepter cette responsabilité historique sans céder à l’ensemble des arguments des promoteur-ices de la notion de Capitalocène. Un point nous semble pourtant décisif : loin d’être une avant-garde, il faut penser le Nord Global comme le porteur et le témoin des futurs obsolètes, qui n’ont d’ailleurs, comme le souligne l’écrivain Amitav Ghosh[6], jamais eu vocation à advenir à l’échelle du Globe. L’échange écologique inégal, ainsi nommé par l’anthropologue Alf Hornborg[7], a vocation à le rester.

    Nul artifice ne permettra une généralisation à la population entière du mode de vie californien sans doute l’un des plus marketé à l’échelle du globe en dépit de sa nocivité fondamentale – pour prendre un exemple hélas aussi archétypal que caricatural. Si ces futurs sont obsolètes, il s’agit alors d’hériter à la fois de leurs matérialisations passées et des projets qui adviennent encore chaque jour en leur nom, les « ruines ruineuses » du présent et de l’avenir, à démonétiser symboliquement de toute urgence. Hériter du passé comme de l’avenir, dans un même geste.
    [...]
    Partant du principe qu’aucune transition ne pourra s’accomplir simplement en verdissant l’existant et que tout ne pourra être maintenu en garantissant les conditions d’habitabilité sur Terre, la redirection écologique pose la nécessité de procéder à des arbitrages démocratiques. Qui ne seront pas les mêmes partout et pour tout le monde car nous héritons collectivement des infrastructures de ce que le philosophe Olúfẹmi O. Táíwò[8] appelle the Global Racial Empire, qui opère une distribution des richesses, des biens de première nécessité ou des opportunités, tout à fait inégale.
    [...]
    comment faire changer la trajectoire de modèles (économiques, distributifs, juridiques, managériaux, etc.), d’infrastructures, de technologies non seulement vectrices d’inégalités mais qui détruisent l’habitabilité du monde ? Pour ce faire, il s’agit de les reconnaître pour ce qu’ils sont, de véritables communs négatifs ouvrant sur une nécessaire réappropriation collective à de multiples échelles. Surtout, il convient d’éviter un écueil majeur : les populations attachées, volontairement ou involontairement à ces réalités sont de plus en plus nombreuses, au Nord mais aussi dans le Sud Global, en dépit de l’immense hétérogénéité des situations, ne peuvent s’en extraire et s’en départir du jour en lendemain. En même temps, le business as usual est exclu à moyen terme. Tout l’enjeu consiste donc à emprunter une ligne deux crêtes entre ces deux écueils, qui sont aussi deux positions implicitement exterministes.
    C’est ici que doit s’affirmer le devoir historique des nations et peuples du Nord. Car il s’agit bien de prolonger le fil ouvert par les révolutions industriels et le régime métabolique minier[9] qui a consisté à tirer du sol de nouvelles sources d’énergie qui sont devenues à leur tour la matrice de nouvelles technologies, de nouvelles infrastructures et d’une nouvelle civilisation marquée par des modalités de subsistance impossible à congédier ou à prolonger.

    Des modalités de subsistance qui n’appellent pas nécessairement à passer uniformément sous les fourches caudines des limites planétaires mais à négocier précisément ce à quoi il faut renoncer et qu’il faut tâcher de maintenir pour que la recherche de capacités nouvelles de subsistance ne soit pas un eugénisme masqué des corps sains, enfin libérés des entraves de la Technosphère et rendu à une Nature accueillante.
    [...]
    Face à la dégradation de l’habitabilité, il s’agit d’opérer les nécessaires fermetures pour libérer des espaces où des milieux désormais impurs, comportant des poches de technicités mises par exemple à profits pour perpétuer des soins aux corps le nécessitant, pourront subsister.
    [...]
    Tirer le fil, donc, pour se positionner en arrière-garde d’un monde à venir, composant avec de multiples milieux interlopes.

    Ce rôle d’arrière-garde est généralement échu aux populations indigènes ou aux Nations en passe d’être engloutis par les flots ou sacrifiées pour le maintien du statu quo extractiviste. Têtes de ponts des changements induits par l’Anthropocène, privées d’avenir, et en même temps, avant-garde résiliente, malgré elles, au service des nations du Nord avides de mettre à profit les leçons ainsi glanées. Le statut d’arrière-garde doit être assumé. Prises dans un passé, un héritage, auquel elles se confrontent, les nations du Nord ont vocation à permettre à d’autres pays de représenter l’avant-garde de demain et de négocier avec cette modernité impossible selon leurs propres termes, en s’inspirant à leur guise des savoirs et des arts de la fermeture qu’il est impératif d’expérimenter aux Nord.

    Pour ne pas demander à d’autres d’être nos poissons-pilotes, pour ne pas attendre mais susciter ces bascules, à la fois politique et techniques, pour qu’un premier exemple, coupé de l’attente d’un retour sur investissement ou d’un avantage concurrentiel, ouvre la brèche nécessaire.
    [...]
    Au Nord, désormais, la vie bonne est celle qui prendra en charge les communs négatifs, qui travaillera à les démanteler proprement, avec soin. Premier exercice concret et constructif de réparation[10]. Manière d’assumer une responsabilité historique.

    #décroissance #post-croissance #anthropocène #effondrement

  • Huit milliards d’humains : trop sur Terre ? - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2022/11/16/huit-milliards-dhumains-trop-sur-terre

    Lorsqu’on regarde plus en détail ces projections on s’aperçoit que la croissance future devrait avoir très majoritairement lieu en Afrique intertropicale (excluant l’Afrique du nord et du sud), le reste du monde se dirigeant vers une stabilisation ou une décroissance légère de sa population. Ce n’est pas un hasard, la natalité est la plus forte dans les pays les plus pauvres, moins avancés dans leur transition démographique. Alors, quel effet sur l’environnement ? Cela dépend : cette croissance peut avoir des conséquences écologiques locales importantes, mais elle reste négligeable pour des enjeux globaux comme le climat. Ainsi, les pays avec un taux de fécondité au-dessus de trois enfants par femme représentent seulement 3,5% des émissions de CO2 mondiales, pour 20% de la population.
    [...]
    Sur les 20 dernières années, les émissions par habitant ont stagné en Afrique. Si l’on prolonge la croissance du PIB par habitant sur cette période, il faudrait 70 ans à l’Éthiopie pour rattraper la France (au rythme, très rapide, d’avant sa guerre civile), ou 250 ans pour le Nigeria.
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    Non seulement cette crainte de la croissance de la population mondiale brouille les pistes des responsabilités du réchauffement climatique, mais elle fait aussi détourner le regard de cette injustice criante : ce sont ces pays, pauvres et à la natalité élevée, qui en sont aussi les principales victimes et les moins bien armés pour y faire face, alors qu’ils en sont les moins responsables !
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    Aujourd’hui, c’est Emmanuel Macron qui répète à l’envi qu’il ne sert à rien d’aider des pays avec 7 enfants par femme. On ne sait la part dans ces affirmations de rapport de force avec les pays du Sahel et celle de la politique nationale : la crainte de la croissance de la population en Afrique est souvent associée à celle, chère à l’extrême droite, de migrations massives et incontrôlées. Force est de constater qu’aujourd’hui ces migrations restent marginales, « l’appel d’air » un mythe dangereux et les migrations climatiques une source sans fin de fantasmes. On touche ici un deuxième écueil du débat sur la population : voir les individus d’abord sous le prisme du nombre alimente une déshumanisation qui finit toujours mal. C’est particulièrement le cas sur cette question des migrations, qui donne déjà lieu aujourd’hui à une violence et un déni de droits de l’Homme institutionnalisés.
    On peut estimer souhaitable d’aider de toute façon à l’éducation ou au planning familial dans les pays les plus pauvres, ce qui contribuerait à la baisse de la natalité, mais il ne faut pas non plus en attendre de miracle sur le plan écologique. Ces mesures contribuent au développement économique (qu’on peut, lui aussi, juger souhaitable dans ces pays) et peuvent donc contrebalancer la baisse de la population, pour aboutir à un résultat final légèrement négatif pour le climat.
    [...]
    Qu’en est-il dans les pays plus riches, où la natalité est plus faible mais le poids écologique par personne beaucoup plus élevé ? La situation y est contraire à celle des pays à forte natalité quant au désir d’enfants : les gens ont globalement moins d’enfants qu’ils le souhaiteraient et il n’existe plus de mesure consensuelle qui baisserait la natalité.
    [...]
    En Chine, la politique de l’enfant unique s’est traduite par un taux de fécondité décroissant lentement de 2,5 à 1,5 enfants par femme, avec de nombreuses exceptions et tolérances introduites très rapidement pour limiter les pires abus. La politique la plus coercitive qu’on puisse imaginer ici, celle de l’enfant unique strict, bien plus dure qu’en Chine, aboutirait à un taux de fécondité autour de 1,1 enfants par femme. On peut pousser l’expérience de pensée et calculer les effets de cette mesure sur la population, puis sur les émissions et enfin le réchauffement climatique.

    La population diminuerait très progressivement, il faudrait attendre près de 2100 pour qu’elle soit divisée par deux par rapport au scénario à fécondité constante. L’effet sur les émissions annuelles serait plus lent car la consommation des plus jeunes est bien plus faible que la moyenne. Enfin, l’effet sur les émissions cumulées, qui déterminent le réchauffement, serait encore plus lent car les émissions par personne sont déjà sur une trajectoire descendante. Au rythme actuel (et insuffisant) d’une réduction de ces émissions autour de 2% par an, l’enfant unique réduirait les émissions cumulées en 2100 de 11%. Au rythme de 6% par an, nécessaire pour tenir les objectifs de l’accord de Paris, ce ne serait qu’une réduction de 3% en 2100.
    [...]
    On peut ici aussi proposer une expérience de pensée : que se passerait-il si la moitié de la population mondiale disparaissait instantanément, comme dans le film Avengers (2018) ? La moitié des puits de pétrole ou mines de charbon ne seraient pas fermés, cela dépendrait du rapport entre coût marginal de production et prix de vente. Ce prix baisserait, ce qui stimulerait la demande. La diminution de la densité de population réduirait l’efficacité énergétique. Il y aurait probablement un rebond de la natalité. Tous ces effets pourraient se combiner à moyen et long terme pour aboutir à une trajectoire très différente de l’actuelle. Comme exemple, on peut observer les différences de poids écologique allant du simple au double entre l’Europe et les États-Unis, pour un niveau de vie et de technologie très proches. Enfin, et plus fondamentalement, aucun des mécanismes qui causent la crise écologique et la faiblesse de l’action ne serait changé : intérêts divergents et déséquilibres de pouvoir entre États, entre riches et pauvres, pouvoir des entreprises qui en tirent des profits, culture consumériste… Sans toucher à ces déterminants fondamentaux, l’effet final d’une réduction même importante de population serait probablement faible.
    [...]
    Serait-il vraiment souhaitable d’imposer une mesure drastique (un enfant unique bien plus dur qu’en Chine) pour une réduction marginale du réchauffement ? On entend souvent qu’il faut contrôler la natalité car « il faut tout faire » pour le climat. Ce n’est pas le cas : il faut d’abord s’interroger sur la faisabilité, les risques, les coûts et bénéfices de différentes mesures. Si l’on pousse la logique jusqu’au bout, l’action la plus efficace est la disparition de l’humanité. Pas grand monde ne la souhaite.
    [...]
    Pire que seulement une rhétorique de déni, la crainte de la surpopulation nous éloigne d’un monde plus égalitaire et coopératif qui sera nécessaire pour résoudre la crise écologique sans tomber dans la barbarie.

    #surpopulation #écologie #changement_climatique

  • Métavers, vers l’exploitation virtuelle - AOC media
    https://aoc.media/analyse/2022/10/18/metavers-vers-lexploitation-virtuelle/?loggedin=true

    Un article fabuleux sur l’économie politique du metavers.
    Par Dominique Boullier et Guillaume Guinard

    Sur la plateforme vidéoludique Roblox, des enfants de 13 ans gagnent des dizaines de milliers de dollars en programmant des expériences ou en spéculant avec de l’argent virtuel. Ce métavers qui existe déjà laisse présager la nature de celui, bien plus ambitieux, que développe actuellement la firme Meta : un espace de pseudo-liberté en vase clos, exploitant ses utilisateurs, où se déploie le pire du capitalisme dérégulé.

    Lorsque Facebook s’est lancé dans un changement de nom et dans la promotion d’un métavers générique, cela fut critiqué comme une opération de diversion face aux problèmes de réputation que l’entreprise devait subir depuis Cambridge Analytica et les Facebook Papers de Frances Haugen. Le flou de l’offre rendait pourtant difficile de savoir exactement quelle stratégie se cachait derrière cette annonce, même si l’insistance sur la performance technologique avec le casque 3D (Meta possède aussi la firme Oculus Rift) restait mise en avant en toutes occasions.
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    Nous avons insisté (dans Médiapart et AOC) sur une dimension rarement mise en avant, la prétention de Meta à devenir le système d’exploitation de l’internet mobile, contre la rente actuellement imposée par Apple (via iOS) et Google (via Android) sur toutes les applications. Cette frustration est régulièrement mise en avant par Zuckerberg mais elle va au-delà d’une question financière. Dans un livre blanc consacré à sa vision pour le métavers, Nick Clegg, responsable des affaires internationales de Meta et ancien Premier ministre adjoint du Royaume Uni, oppose ce modèle à celui des applications sur Internet, où les utilisateurs d’Apple et de Windows évoluent dans l’écosystème respectif de chaque entreprise.

    Il s’agit bien pour Meta de devenir le point de passage obligé de tout l’internet mobile, celui des objets, grâce à la 5G, et cela à travers la promotion d’un nouveau standard d’interopérabilité que serait le métavers, non réduit à des casques de réalité virtuelle fort incommodes mais avec des lunettes de réalité augmentée et à terme des hologrammes (déjà programmés dans la roadmap de la 6G).

    Il reste néanmoins difficile d’imaginer comment pourrait fonctionner un tel univers d’offres, qui devront rester multiples (comme le sont les magasins d’applications) car les projets Horizon développés par Meta ne pourront répondre à toutes les propositions de métavers, déjà existants pour nombre d’entre eux (Fortnite, SandBox, Minecraft, Decentraland, Second Life…). Certes, Meta s’est bien gardé de convoquer un consortium pour normaliser tout cela et encore moins d’utiliser les instances existantes de normalisation. Il a cependant constitué un groupement d’intérêt (XR Association) qui doit assurer un minimum d’interopérabilité technique.

    Dans tous les cas, l’enjeu pour Zuckerberg est de revenir au centre du jeu du nouveau réseau et de monétiser tous ses services autrement que par la seule publicité. Comment peut-il s’y prendre ? Comment attirer tous les créateurs comme c’est le cas pour les développeurs sur les app stores, et pour prélever une rente sur toutes leurs opérations tout en offrant une qualité de prestations qui rende l’offre de Meta incontournable ?

    Il se trouve qu’une forme de banc d’essai existe déjà, Roblox, petit monde virtuel devenu déjà grand et qui expérimente la captation totale d’un public de joueurs/créateurs dans un monde aux multiples « expériences » que les participants créent eux-mêmes. Nick Clegg considère que Roblox constitue un métavers à un « stade précoce ».

    #Métavers #Metaverse #Economie #Roblox #Travail

  • Le droit à l’avortement à l’épreuve de l’algorithme - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2022/07/19/le-droit-a-lavortement-a-lepreuve-de-lalgorithme

    Au lendemain de la décision de la Cour suprême, on semble redécouvrir que les promesses des applications de grossesses, et de ce que la journaliste Lucie Ronfaut nomma la « MenstruTech », ne sont que l’incarnation d’un cauchemar dans lequel chaque donnée rattachée au cycle menstruel devient un stigmate faisant du corps de chaque femme une cible. Cible pour les lobbies « pro-vie » ; cible pour les stratégies publicitaires des plus offrants ; cible pour des actions de harcèlement auprès de celles ayant déjà eu recours à l’avortement ou l’envisageant. Et le tout à partir de données, vendues ou achetées auprès de courtiers de données (DataBrokers), alimentant d’une main des régies publicitaires auxquelles ils s’abreuvent de l’autre.

    Chaque fait en lien avec une situation de grossesse choisie ou non, chaque intention, chaque mot-clé déposé sur un moteur de recherche, chaque commentaire ou chaque émoticône lâchée sur un forum ou un réseau social, chaque déplacement vers ou à proximité d’un centre du planning familial, d’un hôpital ou d’une clinique pratiquant des IVG devient une preuve sans justice, une sentence sans jugement, une condamnation sans contradictoire. Une donnée parmi d’autres qui auront beau jeu de venir la corréler pour permettre à ceux qui le souhaitent d’y projeter leurs fausses causalités. Bruno Latour rappelait qu’on serait mieux avisé de parler « d’obtenues » que de « données » tant le mot-valise et l’anglicisme générique de « data » ne sert aujourd’hui qu’à masquer et à travestir les stratégies politiques qui réclament le déploiement de dispositifs toujours plus massifs et indistincts de collecte.

    Le cycle menstruel devient un cycle industriel comme les autres. Rien désormais ne peut échapper à cette dynamique de la trace ; comme le sang des règles que pendant si longtemps l’industrie publicitaire chercha à rendre bleu ou totalement invisible, chaque fait menstruel est aujourd’hui disponible dans un régime paradoxal de visibilité où l’on prend prétexte d’une discrétion et d’une singularité de la collecte pour mieux la mettre à disposition d’acteurs discrétionnaires de sa publicitarisation (principalement les courtiers de données dont nous parlions plus haut). Et l’on parle aujourd’hui de « chalutage » de données. Littéralement une pêche au chalut, c’est à dire sans se préoccuper de la diversité, de la taille ou de l’âge de ce que l’on ramènera mais avec le seul objectif d’en ramener le maximum possible en une seule fois, en un seul passage.

    La première loi bioéthique en France date de 1994. Nous avons eu besoin d’inventer ces lois de bioéthique pour anticiper et contrôler, sur un plan scientifique et philosophique, les évolutions des questions liées au fait de donner la vie et d’être en capacité de manipuler les embryons. Mais en 2022 nous en sommes réduits à constater que la simple détention de données pourtant triviales d’un trajet Uber effectué par une femme en direction d’une clinique pratiquant l’avortement représente, pour elle d’abord et pour la société toute entière ensuite, un danger finalement bien plus grand, bien plus imminent et bien plus incontrôlable par la puissance publique, que la mobilisation de connaissances scientifiques de haut-niveau nécessitant elles-mêmes des équipements et des investissements lourds.

    Nous commençons à peine à réfléchir au coût environnemental du numérique et des données qu’il agrège et collige. Mais la réflexion sur le coût social de ces données est pour tout dire encore indigne d’une société développée. Et s’il existe – heureusement – des travaux universitaires pionniers (on citera par exemple Alain Supiot, Antoinette Rouvroy, Antonio Casilli, Jen Schradie…) ceux-ci ne trouvent presqu’aucun écho dans un champ politique entièrement obstrué par les « recommandations » de cabinets de conseil ou de think-tanks qui sont en effet à l’activité de penser ce que les chars d’assaut sont à l’activité de promenade.

    « Don’t Be Evil ». Telle fut pendant longtemps la devise de l’entreprise Google (aujourd’hui Alphabet) avant d’opter en 2015 pour le plus neutre « Do The Right Thing ». Il n’existe pas d’entreprise du numérique qui ne mette en avant le projet d’une technostructure de la bienveillance ou du « care » : chaque service, chaque application, chaque interface est à chaque fois présentée –dans sa dimension marketing – pour « augmenter » ou « enrichir » notre expérience. De la relation (à soi, aux autres, à ses pairs) dans sa dimension la plus symbolique, à la réservation (d’un train, d’un repas, d’un logement, etc.) dans sa dimension la plus triviale, tout cela contribuerait à notre bien, et parfois même carrément au bien commun. Mais il n’est aucune entreprise du numérique qui ne conçoive ses produits et services autrement que par le déploiement d’une infrastructure de la surveillance. Or une technostructure, fut-elle celle de la bienveillance, reposant sur une infrastructure de la surveillance, ne sera ni de deviendra jamais rien d’autre qu’un projet politique autoritaire créant les conditions du maintien de son emprise totale sur nos vies.

    Presque 50 ans plus tard, la honte, la solitude et l’angoisse des poursuites font leur retour dans au moins 8 États des USA. L’anonymat, lui, est devenu presqu’impossible. Impossible pour les femmes aujourd’hui et … demain pour qui d’autre ? Après l’arrêt Roe v. Wade, le juge Clarence Thomas entend désormais s’attaquer à l’arrêt Lawrence v. Texas, ce qui rendrait de fait l’homosexualité illégale dans un certain nombre d’États (sensiblement les mêmes que ceux qui ont immédiatement suivi l’interdiction de l’avortement).

    D’abord les femmes. Puis les homosexuel.le.s. Il faut imaginer aujourd’hui les nouveaux moyens de traque qui sont à disposition de toutes les folies discriminatoires. Nous vivons dans des démocraties où les droits des femmes, puis des minorités, au prix de luttes incessantes, apparaissaient enfin et au moins en partie garantis et protégés comme jamais ils ne l’avaient été jusqu’ici dans l’histoire des sociétés développées. C’est précisément ce moment que l’histoire choisit pour nous rappeler que ces droits n’ont jamais été aussi fragiles et dépendants de la décision de quelques êtres obsessionnels qui ne calculent le devenir de l’humanité qu’à l’aune de leurs propres névroses. Ce qui est en soi, la meilleure définition possible d’un algorithme.

    Olivier Ertzscheid

    Chercheur en sciences de l’information et de la communication, Maître de conférences à l’université de Nantes (IUT de La Roche-sur-Yon)

    #Olivier_Ertzscheid #Avortement #Surveillance

  • https://aoc.media/analyse/2022/03/20/guerre-en-ukraine-comment-en-est-on-arrive-la



    Trois principaux facteurs expliquent le cheminement vers le conflit. Premièrement, la Russie n’a jamais accepté l’indépendance de l’Ukraine et l’idée que la Russie puisse devenir un État européen « normal ». Deuxièmement, le « dilemme de sécurité » a rendu difficile la résolution des points de vue contradictoires entre Ukraine et Russie. Troisièmement, la diffusion de la démocratie est devenue une question géopolitique.

    Alors que la séparation de l’Ukraine et de la Russie en 1991 fut qualifiée de « divorce civilisé », 30 ans plus tard, la Russie entreprend une invasion majeure de son voisin. Comment en est-on arrivé là ? Et comment ce conflit régional a-t-il provoqué ce que beaucoup qualifient de nouvelle guerre froide ? Il est inévitable d’essayer d’attribuer des responsabilités, mais il est également nécessaire d’examiner aussi objectivement que possible ce qui s’est passé et la raison pour laquelle cela est advenu, même si nous savons impossible une totale objectivité. Dans mon livre Ukraine and Russia : From Civilized Divorce to Uncivil War (Cambridge, 2019), je retrace le chemin parcouru depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 jusqu’à la guerre qui a commencé en 2014, et qui connaît à présent une escalade dramatique.
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    Une grande partie de la propagande entourant le conflit consiste à tenter d’avancer des interprétations d’événements datant d’il y a des décennies, voire des siècles, pour justifier des revendications politiques en 2022. Au cœur de la discussion se trouve une question d’une simplicité trompeuse : l’Ukraine doit-elle être un État indépendant ou doit-elle faire partie de la Russie ?

    Il importe de comprendre que, dès l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, une grande partie de l’élite russe a rejeté l’idée que l’Ukraine puisse, ou doive être, un État totalement indépendant. Cette insistance, qui fait suite à des siècles de pensée nationaliste russe, est antérieure à l’expansion de l’OTAN, à la guerre en Irak et aux autres mesures américaines ou occidentales qui font l’objet de tant de récriminations. La pertinence et le caractère moral des décisions de l’Occident concernant la Yougoslavie, l’Irak, l’OTAN et bien d’autres sujets méritent largement d’être examinés. Mais ils n’expliquent en rien ni ne justifient l’invasion russe de l’Ukraine.

    L’Ukraine et la Russie sont entrées dans l’ère post-soviétique avec des conceptions très différentes de leur histoire commune. Pour une grande partie de l’élite ukrainienne, l’histoire de l’Ukraine est celle d’une colonie : exploitée, réprimée et brutalisée. Même si beaucoup cherchaient à maintenir des liens économiques étroits avec la Russie, le soutien à l’indépendance était très fort : lors du référendum sur l’indépendance organisé en décembre 1991, 90 % des Ukrainiens ont voté pour l’indépendance. Même à Donetsk et à Louhansk, les régions de l’est de l’Ukraine revendiquées par la Russie, le vote en faveur de l’indépendance était de 78 %. En Crimée, il était de 54 %.

    La Russie, quant à elle, n’envisage pas cette histoire comme celle d’une colonisation, mais comme celle de deux « nations fraternelles », où les « petits Russes » (les Ukrainiens) sont choyés par leurs « grands frères » russes. Pendant des siècles, le mythe fondateur de la Russie a été centré sur l’affirmation selon laquelle l’empire qui s’est développé à partir de Moscou depuis le XIVe siècle était l’héritier de la Rus de Kiev, une entité antérieure, centrée à Kiev, où les Slaves orientaux avaient accepté le christianisme sous la houlette du prince Volodymyr/Vladimir le Grand en 988. En revendiquant le titre d’héritière de Kiev, la Russie légitimait le pouvoir des tsars sur la base de motifs dynastiques et religieux, et étayait leur revendication selon laquelle tout le territoire qui avait fait partie de la Kiev médiévale, ou qui était peuplé de chrétiens orthodoxes orientaux, appartenait à la Russie.❞ (...)

    #Ukraine #Russie #occupation #guerre #colonialisme #colonisation #impérialisme #empire_russe

  • Un texte long, complexe dont certains points mériteraient d’être discutés mais qui propose une intéressante perspective historique et permet d’analyser la guerre en Ukraine de manière comparatiste.

    https://aoc.media/analyse/2022/03/14/la-guerre-dukraine-passage-tragique-de-lempire-a-letat-nation

    En rêvant de la réunification des pays de l’ex-URSS, Vladimir Poutine entérine le passage d’un monde d’empires à une constellation d’États-nations, lesquels sont fondés sur le mythe d’un peuple unifié – peuple qu’il convient de créer en niant sa diversité (...)
    Il nous faut penser ensemble trois ordres de processus que nous avons l’habitude d’opposer, sur le mode d’un jeu à somme nulle : à savoir l’intégration croissante du monde dans ses différentes facettes – financière, marchande, technologique, scientifique, religieuse, artistique, etc. –, l’universalisation de l’État-nation comme forme légitime de domination territoriale, et la généralisation de consciences politiques et culturelles de type identitariste, d’orientation plus ou moins ethno-religieuse, à l’échelle aussi bien globale que nationale ou locale.

    Ces processus, eux-mêmes hétérogènes et nullement linéaires, constituent une synergie, au lieu de s’exclure ou de se contredire les uns et les autres comme nous le postulons généralement. Le lecteur comprend que je m’inscris à rebours de la plupart des interprétations qui ont cours sur la scène publique et même dans les débats universitaires.
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    En outre, je situe cette synergie à la lumière du passage d’un monde d’empires à un monde d’États-nation, au cours des 19e-21e siècles. Non qu’il s’agisse d’une succession en bonne et due forme de deux modèles de domination, au sens où l’entendrait l’évolutionnisme. Bien au contraire, ces derniers peuvent coexister, se superposent souvent et se compénètrent volontiers, ne serait-ce que dans l’imaginaire politique ou culturel. Il s’agit plutôt d’un basculement, d’un moment d’historicité qui donne matière à des configurations politiques complexes et à des recompositions permanentes, indissociables de la mémoire historique, plus ou moins traumatique, des combinatoires impériales des Anciens Régimes : en l’occurrence ceux de la Russie, de l’Autriche-Hongrie et des Reich allemands successifs qui se sont affrontés pendant deux siècles sur leurs confins respectifs, une fois disloqué, au 18e siècle, l’État polono-lituanien qui englobait Kiev.

    La destinée de la Crimée est emblématique de ces combinatoires impériales. Le nouvel Empire russe la ravit à l’Empire ottoman à l’issue des guerres de 1787-1792, tout en admettant l’autorité spirituelle du sultan-calife sur les Tatars musulmans de sa nouvelle possession et en obtenant réciproquement un droit de regard sur les orthodoxes des Balkans. En 1853-1856, la Russie perdit la guerre de Crimée face à la coalition anglo-franco-ottomane, humiliation sans conséquences territoriales qui ouvrit la voie à de grandes transformations politiques et sociales tant du côté russe que du côté ottoman. En 1918 le traité de Brest-Litovsk entre l’URSS et l’Allemagne reconnaissait la souveraineté de celle-ci sur la Crimée, une disposition que la défaite allemande rendit caduque quelques mois plus tard. En 1954 Khrouchtchev attribua la péninsule à la république soviétique d’Ukraine. Vladimir Poutine a donc beau jeu de présenter son annexion, en 2014, comme une simple « réunification », selon sa conception nationaliste de l’histoire.

    L’Ukraine, cas d’école

    De tous ces points de vue l’actuelle guerre d’Ukraine est un cas d’école. Elle nous rappelle d’abord que l’État-nation n’est pas soluble dans le marché. Comme en 1848, lorsque le triomphe du libre-échange était allé de pair avec le « Printemps des peuples », comme en Yougoslavie après la mort de Tito, la conversion de l’espace soviétique au capitalisme et son intégration au marché mondial sont allées de pair avec la naissance d’un système-régional d’États-nations. D’ailleurs le capitalisme dont il est ici question est d’État, par le truchement d’une poignée d’oligarques qui sont les fondés de pouvoir des dirigeants politiques, et n’a rien à voir avec l’économie de marché. Il est inutile de gloser sur l’intensité des sentiments nationalistes qui animent les dirigeants comme les peuples concernés. Ce nationalisme est pétri d’un imaginaire identitariste, en l’occurrence d’orientation religieuse, ce qui ne préjuge en rien, au demeurant, de son orientation politique.

    Moscou instrumentalise son Église orthodoxe au service de sa politique expansionniste en jouant sur la confusion entre Rus’ (l’obédience culturelle et religieuse orthodoxe) et Russie (l’État-nation, territorialisé), voire sur une sensibilité teintée de millénarisme. Kiev s’appuie sur une Église orthodoxe d’Ukraine, autocéphale, fondée en 2018 et reconnue par le patriarcat de Constantinople, schismatique aux yeux de l’Église orthodoxe ukrainienne assujettie au patriarcat de Moscou, afin de mettre en valeur la spécificité nationale dans une perspective démocratique et « européenne » qui laisse place au pluralisme religieux, notamment à l’Église uniate de rite grec catholique, principalement implantée dans l’ouest du pays, l’ancienne Galicie[1]. Mais, dans les deux cas, la puissance de l’imaginaire culturel et religieux est à l’œuvre, au prix de nombreuses simplifications historiques[2].

    Chose fascinante, la nation se forge in vivo sous nos yeux : par exaltation militariste de la grandeur russe à l’initiative de Vladimir Poutine et du patriarcat de Moscou, indifférents aux protestations d’une partie de l’intelligentsia russe ; par dé-russification linguistique et religieuse de l’Ukraine et mobilisation armée de nombre de ses citoyens face à l’envahisseur. Simultanément le système régional d’États-nations se reconfigure : l’Union européenne serre les rangs, l’Allemagne opère une mue diplomatique et stratégique radicale sous la houlette de son nouveau chancelier, la Finlande et la Suède sont tentées de tourner le dos à leur neutralité et caressent l’idée d’adhérer à leur tour à l’OTAN. Vladimir Poutine, meilleur serviteur de la nation ukrainienne et de l’Alliance atlantique – ainsi va l’Histoire, dans sa légendaire ironie (...)

    #Ukraine #Russie #guerre #empire #impérialisme #état-nation

  • Gender backlash - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2022/03/07/gender-backlash

    Une réflexion passionnante sur la raison pour laquelle les masculinistes et les néo-dictateurs marchent main dans la main dans le refus des théories du genre.

    Ces dernières années, la condamnation violente des études féministes et de genre s’est fait sentir aussi bien de la part de dirigeants autoritaires que dans des pays en apparence plus progressistes. Ce retour de bâton a de quoi inquiéter, mais il témoigne aussi du fait que le travail de dénaturalisation des normes de genre opéré par ces études est perçu comme une véritable menace par les ennemis du changement social.

    #Genre #Féminisme #Politique #Masculinisme

  • La guerre nucléaire qui vient - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2022/02/27/la-guerre-nucleaire-qui-vient-2

    Lors de la conférence de presse qui a suivi sa rencontre avec Emmanuel Macron le 7 février à Moscou, Vladimir Poutine a fait allusion au risque d’escalade nucléaire, ce que la presse française n’a pas vraiment bien traduit, évoquant une menace plutôt qu’une mise en garde. Cela n’a pas échappé au philosophe Jean-Pierre Dupuy, dont nous avions publié, il y a tout juste trois ans, cet article important qu’il nous a semblé essentiel de reprendre aujourd’hui.

    Le (presque) non-dit de la crise actuelle est que nul ne peut écarter le risque d’escalade jusqu’à l’extrême, c’est-à-dire une guerre nucléaire. Poutine y a fait allusion pour la première fois lors de la conférence de presse qui a suivi sa rencontre à Moscou avec Macron. La presse française, négligence ou post-vérité, a très mal traduit ce qu’il a dit alors, qui ressemblait moins à une menace qu’à une mise en garde. En voici une traduction littérale : « Bien sûr, les potentiels de l’organisation conjointe de l’OTAN et de la Russie ne sont pas comparables. Nous le comprenons, mais nous rappelons également que la Russie est l’une des principales puissances nucléaires, et en termes de modernité de certains composants, elle est même en avance sur beaucoup d’autres. Il n’y aura pas de vainqueurs, et vous vous retrouverez entraînés dans ce conflit contre votre volonté. Vous n’aurez même pas le temps de cligner des yeux lorsque vous allez mettre en œuvre l’article cinq du traité de Rome. » [Avec une belle confusion, distraction ou voulue, entre le traité de Rome et celui de Washington qui régit l’OTAN.]

    Il y a exactement trois ans, le mardi 26 février 2019, AOC publiait mon premier article pour ses colonnes sous le titre « La guerre nucléaire qui vient ». J’y réagissais à un double événement très important pour la stabilité de l’Europe : la dénonciation par Trump le 1er février 2019, et le lendemain par Poutine, du traité dit INF (pour « Intermediate-Range Nuclear Forces », soit forces nucléaires de portée intermédiaire) datant de 1987, par lequel les États-Unis et l’Union soviétique s’engageaient à éliminer tous leurs missiles de croisière et balistiques lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5 500 km. Beaucoup d’experts considèrent que ce traité, signé par Gorbatchev et Reagan, a contribué à assurer la paix en Europe pendant toute cette période (donc, de 1987 à 2019).

    5 500 km : Poutine peut atteindre de Moscou le nord de l’Écosse et le Portugal. La dénonciation du traité INF n’a pas fait grand bruit il y a trois ans. Aujourd’hui, nous pressentons ce qu’il comporte de menaces terrifiantes.

    Jean-Pierre Dupuy, le 26 février 2022

    #Guerre #Nucléaire

  • Biens publics ou biens communs mondiaux ? - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2022/02/08/biens-publics-ou-biens-communs-mondiaux

    La manière dont la pandémie de Covid-19 a jusqu’ici été gérée au niveau mondial témoigne plus que jamais de la grande tragi-comédie des biens publics mondiaux : proclamer haut et fort que tel ou tel bien est un bien public mondial consiste en réalité dans le respect du marché et dans ses interstices, à inclure autant qu’il est possible des dispositifs qui permettraient de pallier certaines de ses défaillances.

    En regard, la notion des biens communs mondiaux offre une voie nouvelle, encore en gestation, pour que s’organise de façon solidaire et équitable la lutte contre la pandémie en cours et celles à venir. Il ne s’agit plus de fabriquer des dispositifs permettant seulement de pallier certaines défaillances du marché, mais de créer les conditions de mise hors marché du bien.

    Ce texte a pour ambition de commencer à rendre explicite la différence profonde entre les notions de biens publics et de biens communs mondiaux et les enjeux qui s’y nouent. Si la première est une notion stabilisée qui trouve ses origines dans le courant de l’économie néoclassique essentialisant la nature des biens et postulant la suprématie des règles de marché, la notion de bien commun quant à elle, en cours d’élaboration, vise à renverser entièrement cette logique pour ouvrir sur une autre manière de penser et conduire la lutte contre les pandémies.

    #Communs

    • Biens publics ou biens communs mondiaux ?

      Par Benjamin Coriat, Fabienne Orsi, Jean-François Alesandrini, Pascale Boulet et Sauman Singh-Phulgenda
      Économiste , Économiste, Consultant, Juriste, Économiste

      Au moment où se multiplient les appels à ériger les vaccins, masques ou médicaments essentiels en biens publics ou biens communs mondiaux, il est urgent de mettre un terme à la confusion entre ces deux notions, qui empêche de saisir les enjeux politiques et intellectuels sous-jacents. La première s’inscrit dans la science économique mainstream et la seconde pense à l’inverse les conditions d’une mise hors marché et d’un autre mode de gouvernance.l

      Avec la pandémie de Covid-19, la notion de « biens publics mondiaux » a retrouvé de l’aura, celle-là même qui avait été propulsée sur le devant de la scène au moment d’une autre pandémie, celle du VIH/sida. À ses côtés cependant est apparue la notion de « biens communs mondiaux ».

      On ne compte plus les appels à constituer des biens publics mondiaux ou des biens communs mondiaux par des acteurs variés, aux horizons de pensée parfois diamétralement opposés : Président de la République française, femmes et hommes politiques de droite et de gauche, militant.e.s pour l’accès universel aux vaccins contre le Covid-19, organisations internationales, panels d’experts… Dans les discours ou dans les textes des uns et des autres ces notions apparaissent souvent comme synonymes, on les emploie l’une pour l’autre, on les amalgame. Tout se passe en réalité comme si ces notions étaient des mots, dont le sens exact importait peu, leur contenu tout autant. Leur signification, sans profondeur réelle, serait simplement là pour indiquer une direction dont on ne saisirait que très peu la finalité concrète.
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      Or pensons-nous, il est urgent de mettre un terme à cette confusion qui n’est pas seulement d’ordre sémantique. Elle empêche de saisir les enjeux conceptuels et politiques majeurs qui se jouent et avec eux la compréhension à la fois de l’impasse dans laquelle nous sommes arrivés.

      La manière dont la pandémie de Covid-19 a jusqu’ici été gérée au niveau mondial témoigne plus que jamais de la grande tragi-comédie des biens publics mondiaux : proclamer haut et fort que tel ou tel bien est un bien public mondial consiste en réalité dans le respect du marché et dans ses interstices, à inclure autant qu’il est possible des dispositifs qui permettraient de pallier certaines de ses défaillances.

      En regard, la notion des biens communs mondiaux offre une voie nouvelle, encore en gestation, pour que s’organise de façon solidaire et équitable la lutte contre la pandémie en cours et celles à venir. Il ne s’agit plus de fabriquer des dispositifs permettant seulement de pallier certaines défaillances du marché, mais de créer les conditions de mise hors marché du bien.

      Ce texte a pour ambition de commencer à rendre explicite la différence profonde entre les notions de biens publics et de biens communs mondiaux et les enjeux qui s’y nouent. Si la première est une notion stabilisée qui trouve ses origines dans le courant de l’économie néoclassique essentialisant la nature des biens et postulant la suprématie des règles de marché, la notion de bien commun quant à elle, en cours d’élaboration, vise à renverser entièrement cette logique pour ouvrir sur une autre manière de penser et conduire la lutte contre les pandémies.
      La lutte contre le Covid-19 ou le visage de Janus des biens publics mondiaux mise à nue

      La notion de bien public mondial a été forgée par extension de celle de « bien public » élaborée par la théorie économique néoclassique[1]. Selon cette théorie, les biens publics sont ceux qui combinent par nature la double propriété d’être « non-rivaux » et « non excluables ». On peut en donner pour illustrations emblématiques le phare installé à l’entrée d’un port et son signal ou la connaissance scientifique.

      Il s’agit alors de situations considérées comme exceptionnelles, caractérisées par des « échecs de marché » car l’incitation à produire ces biens de manière privative est nulle alors que leur utilité pour la société est certaine. En effet, dans ces situations (de non-rivalité et de non-excluabilité), chacun attendra que le voisin se « lance » dans la production du bien pour en bénéficier gratuitement. Le bien est sujet à des comportements opportunistes désignés comme des comportements dits de « cavalier libre » (free rider). Il en résulte que ce bien ne verra le jour que s’il est produit sur des fonds publics et une réglementation publique est au minimum requise et indispensable pour rendre possible la production et l’accès à ce type de bien.

      C’est à partir de ce concept, de facture entièrement « néoclassique », qu’a été élaborée et proposée la notion de bien public mondial (BPM). Elle partage en effet les mêmes fondements avec ceci en propre qu’elle a une dimension « globale » et « transgénérationnelle ». La notion de BPM apparaît au début des années 1980. Elle est alors liée à l’extension de la mondialisation à la montée d’enjeux transnationaux : biodiversité, santé, changement climatique nécessitant une coopération transnationale. Kindleberger en propose une première définition en les caractérisant comme : « l’ensemble des biens accessibles à tous les États qui n’ont pas forcément un intérêt individuel à les produire[2] ».

      Cette notion sera ensuite développée par Kaul, Grunberg et Stern qui vont lui donner son statut canonique[3]. L’ouvrage publié par ces auteurs va alors susciter un large débat tant sur le plan académique que dans les grandes instances internationales, débat qui va tourner autour de la question de savoir comment, à l’échelle globale, fabriquer des « biens publics », sachant que le marché est incapable de le faire et qu’il n’existe pas d’instance supranationale capable de le faire non plus.

      Pour autant, malgré la création de nouvelles formes d’organisations supranationales dans les années 2000 (par exemple dans le domaine de la santé le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme), les BPM n’ont jamais été autre chose que des « injonctions » ou des « proclamations » sans que celles-ci s’accompagnent de changements institutionnels dans les modes de production et d’administration dominants de ces biens.

      Les BPM ont surtout servi de socle à l’élaboration d’un nouveau « grand récit » en matière d’aide au développement, venant masquer l’allégeance aux règles de marché et à une gouvernance mondiale défaillante. On peut déclarer que la santé est un BPM tout en laissant le monde comme il est, c’est à dire ravagé par des maladies endémiques et les épidémies.

      Proclamer haut et fort que tel ou tel bien est un BPM consiste en réalité dans le respect du marché et dans ses interstices, à inclure autant qu’il est possible des dispositifs qui permettraient de pallier certaines de ses défaillances.

      La manière dont la pandémie de Covid-19 a jusqu’ici été gérée au niveau mondial témoigne plus que jamais de la grande tragi-comédie des BPM : les produits de santé indispensables à la lutte contre le virus partout dans le monde – masques, tests de dépistage, oxygène, médicaments essentiels et vaccins – ont été massivement soutenus par de l’argent public. Qu’il s’agisse de leur fabrication, de leur mise en marché accélérée, de leurs achats… Tout a été, la plupart du temps, garantis par des contrats publics.

      Dans nombre de cas, la responsabilité des risques sanitaires des produits de santé des firmes pharmaceutiques a même été transférée vers les États. Tout cela pour ensuite offrir ces biens à la toute-puissance du marché et au pouvoir de monopole des firmes. S’est ainsi créé un niveau de profits pour les compagnies pharmaceutiques qui bat des records historiques cependant que l’échelle des inégalités d’accès aux produits de santé entre les pays riches et les pays pauvres atteint des sommets.

      Le coup de projecteur éclaire en grand le visage de Janus des BPM : une logique éperdument marchande d’un côté, celle de la charité de l’autre. Engagés dans une course folle au nationalisme sanitaire, ignorant les appels répétés de l’OMS à la solidarité entre nations, les États les plus riches ont regardé de loin se fabriquer des mécanismes internationaux tels que le dispositif ACT-A (« dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre le Covid-19 ») et surtout la « facilité » d’accès aux vaccins COVAX souvent du fait d’organisations ou de fondations privées telles que la Gates ou le Wellcome Trust[4] avec, dans les faits, un pouvoir de contrôle très faible de l’OMS sur ces dispositifs.

      Ces mêmes États se glorifient chaque jour des donations de doses de vaccins aux pays les plus pauvres, sans qu’à aucun moment aucune règle ou accord ne vienne contraindre les logiques de marché. Les acteurs prépondérants en ces matières s’accommodant fort bien d’un modèle basé sur la charité qui ne vient en rien contrevenir à leurs très lucratives activités. Le refus des pays riches de soutenir la proposition de l’Inde et de l’Afrique du sud (dite du waiver) devant l’OMC de suspendre, le temps de la pandémie, les différents droits de propriété intellectuelle sur les produits de santé indispensables à la lutte contre le Covid-19 est sans nul doute la plus belle et la plus visible expression de la duplicité à laquelle conduit le discours sur les BPM.
      Les biens communs ou l’inversion radicale des fondements des biens publics mondiaux

      C’est à un renversement radical de logique et de démarche auquel nous invitons les lecteurs désireux de cheminer sur la voie des biens communs pour esquisser des pistes de réflexion pour gouverner véritablement contre les pandémies. Il s’agit de partir de la praxis, saisir des faits et des initiatives qui comportent en eux les germes d’un autre horizon et d’inscrire leur analyse dans un cadre conceptuel radicalement différent de celui des BMP.

      Ce n’est pas le lieu pour rendre compte de l’ensemble des différents concepts ainsi que l’histoire qui est au fondement de notre démarche et qui permettrait pourtant d’en mesurer pleinement le sens et les implications. Indiquons toutefois nos deux sources principales d’inspiration que sont les travaux de l’économiste et politiste Elinor Ostrom sur les Commons ainsi que ceux initiés en Italie par le juriste Stefano Rodotà à propos des Beni Comuni[5].

      Certes, aucun des deux auteurs n’a travaillé sur les pandémies. Néanmoins les éléments conceptuels qu’ils nous offrent ainsi que les pistes qu’ils ont ouvertes chacun de façon complémentaire sont une source d’inspiration féconde. Les réflexions conduites par ces auteurs permettent tout d’abord de rompre avec l’approche par les biens publics, en en renversant entièrement les fondements. Il ne s’agit plus de définir un bien à partir de sa nature intrinsèque mais par un processus instituant, c’est à dire par décisions et élaborations de règles partagées par la communauté concernant la production et l’usage d’une ressource donnée.

      Dit autrement, les biens communs ne deviennent et ne sont reconnus tels que si un régime de propriété et un ensemble de dispositions d’institutionnelles bâtis autour d’eux, permettent d’assurer à la fois leur production et leur accès au plus grand nombre. Dès lors un vaccin par exemple n’est par nature ni public, ni privé.

      En pratique cependant, les vaccins contre le Covid-19 sont actuellement des biens privés car propriété exclusive des détenteurs de droits de propriété intellectuelle et soumis aux règles du marché qui ont été construites, définies et donc instituées par la communauté internationale. Il en est ainsi des normes en matière de propriété intellectuelle qui se sont imposées à l’ensemble des membres de l’OMC lors de son institution en 1994.

      En conséquence, toujours pour prendre l’exemple du vaccin, il ne pourra devenir commun que lorsque qu’il sera institué comme tel sur la base de règles formulées par la communauté auquel il est destiné, c’est-à-dire qu’il sera soustrait au marché par décision politique, qu’il sera produit pour cela selon des modalités qui ne sont pas celles du marché capitalistique fondé sur la propriété privée exclusive et qu’il sera distribué selon un mode de gouvernance qui assurera son accès au plus grand nombre de façon égale.

      Il ne s’agit donc plus ici de fabriquer des dispositifs permettant seulement de pallier certaines défaillances du marché. Non, il s’agit de créer les conditions de mise hors marché du bien, cela à partir d’un ou de plusieurs processus instituant et ce à plusieurs niveaux qui vont de la fabrication du bien jusqu’au mode de gouvernance internationale permettant sa distribution. On comprend dans ces conditions comment peuvent se lire les débats et controverses suscités par la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud de lever temporairement la propriété intellectuelle, soutenue désormais par plus de 100 États de pays à bas et moyens revenus. Si cette décision était prise, elle marquerait une rupture avec le modèle des BPM et ouvrirait une voie déterminante pour aller vers la fabrique de biens communs.

      Alors que l’OMC ne cesse de tergiverser, d’ores et déjà des initiatives pour lutter contre la pandémie se sont déployées, et n’ont jusque-là suscité que très peu d’attention de la communauté internationale. Elles partagent les mêmes objectifs de découvrir et produire autrement des traitements efficaces et de les rendre disponibles sans entraves au plus grand nombre.

      Sans pouvoir présenter de façon détaillée ces initiatives, citons le Consortium ANTICOV, une plateforme collaborative de recherche clinique promue par DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative) et ses alliés. Elle regroupe treize pays africains et un réseau international d’institutions de recherche associées dès avril 2020 pour lancer une étude clinique en Afrique pour des nouveaux traitements destinés à être proposés à des prix abordables pour les populations atteintes par des formes légères ou modérées de Covid.

      Dans le même esprit, a pris son essor le projet Covid Moonshot initié par un collectif de scientifiques né sur Twitter et travaillant en toute transparence pour lancer un essai préclinique en open source d’un traitement antiviral contre le Covid-19. Ces traitements qui seront libres de tout droit de propriété intellectuelle ou mis à disposition dans une démarche non exclusive selon les cas, sont conçus en priorité pour les patients du sud et devront obéir à des conditions de stockage et d’administration simplifiées.

      Plus récemment encore, le 28 décembre 2021, le Texas Children’s Hospital et le Baylor College of Medicine ont annoncé la mise au point d’un nouveau vaccin ainsi que l’obtention d’une autorisation d’utilisation d’urgence des autorités sanitaires indiennes afin que sa production puisse être engagée à grande échelle par des fabricants indiens, et par la suite en Indonésie, au Bangladesh et au Botswana. Le vaccin est libre de brevet, adapté aux contraintes logistiques des pays à bas et moyens revenus et l’accord prévoit une collaboration étroite avec un transfert de technologie et de savoir-faire.

      Enfin, concluons sur le modèle du vaccin Oxford/AstraZeneca proposé à prix dit « cost+ » (prix coutant + une faible marge de profit) et basé sur un réseau de licences d’exploitation conclues avec des producteurs installés sur tous les continents permettant tout à la fois d’assurer une diffusion internationale en vaccins produits localement à bas prix, et de préserver les droits du concepteur. Même si ce modèle présente certaines limites sur lesquelles nous ne pouvons revenir ici, il revêt une forme typique de « commun ».

      Certes ces initiatives sont encore émergentes, fragiles car évoluant dans un contexte qui privilégie les logiques de profits plutôt que la santé publique. Elles ont cependant l’immense mérite de montrer qu’une voie qui conduit à faire des produits de santé de véritables biens communs est ouverte.

      Il est plus que temps de sortir de la confusion dans laquelle les mots nous ont enfermés. Penser les biens communs : c’est penser les formes de leur institutionnalisation. La lutte contre la pandémie en fournit déjà et en fournira toujours plus fortement l’opportunité. Saisissons-là !

      NDLR : Cet article est le fruit d’une recherche en cours menée par les auteurs, coordonnée par Benjamin Coriat. Il fait écho par ailleurs à un épisode du podcast Public Pride, « Vaccin, bien public ou bien commun ? », dans lequel intervient Fabienne Orsi.

      Benjamin Coriat

      Économiste , Professeur émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord

      Fabienne Orsi

      Économiste, Chercheuse à l’IRD et au LPED, Aix-Marseille Université

      Jean-François Alesandrini

      Consultant, Ex-directeur des affaires publiques de DNDi

      Pascale Boulet

      Juriste, Responsable de la propriété intellectuelle de DNDi

      Sauman Singh-Phulgenda

      Économiste, DNDi

      Notes :

      [1] Elle trouve son origine dans une « typologie des biens » qui a notamment été formulée par Paul A. Samuelson, « The pure theory of public expenditure », Review of Economics and Statistics, 1954, v. 36, p. 387-389.

      [2] Charles Kindleberger, « International public goods without international government », American Economic Review 1986, vol. 76 n°1, pp. 1-13

      [3] Inge Kaul, Isabelle Grunberg, Marc Stern, Les biens publics mondiaux et la cooperation internationale au XXIe siècle, Economica, 2002 (traduit de : Global Public goods : International Cooperation in the 21st century, New York : PNUD, Oxford University Press, 1999).

      [4] Dès le départ l’ambition et les objectifs d’ACT-A et de COVAX ont été fixés par un petit groupe d’organisations internationales et de fondations privées qui n’ont pas permis que soit mis en place un dialogue véritable entre les pays à bas et moyens revenus et les pays à haut revenu. La plupart des pays pauvres n’ont ainsi pas eu voix au chapitre pour déterminer qui produit quoi, où et selon quels tarifs et conditions d’accès. Ce processus de prise de décision « à huis clos » dans des cercles restreints est ainsi marqué par une absence de transparence pour nombre de pays à faible pouvoir de négociation ou d’influence. Notons également que ni la Chine ni la Russie n’ont été invités à la table.

      [5] Les références sont nombreuses, voici quelques repères : Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boeck, 2010 (traduit de : Govering the commons, Cambridge University Press, 1999, par Lauren Baechler) ; Stefano Rodotà, « Souveraineté et propriété au XXIe siècle », Tracés, hors-série n°16, 2016, p. 211-232 ; Benjamin Coriat, La pandémie, l’Anthropocène et le Bien Commun, Les Liens qui Libèrent, 2020 ; Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld, Dictionnaire des biens communs, PUF, 2021 pour la deuxième édition.

  • Les primaires sont-elles compatibles avec la culture sociale et écologique ? - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2022/02/01/les-primaires-sont-elles-compatibles-avec-la-culture-sociale-et-ecologique

    Tout ce texte est fort intéressant, et j’en partage une large partie. C’est en tout cas une voie intéressante pour repenser la relation mouvements/citoyens/partis et redonner aux partis un véritable rôle politique, mais aussi idéologique (culturel) et de sélection des porteurs de voix. Sans pour autant en faire l’alpha et l’oméga de la politique.
    J’apprécie aussi l’idée que le fonctionnement interne des groupes, associations, partis et alliances, le respect mutuel qui s’y exerce, sont en fait des préfigurations du monde que l’on souhaite, et ce faisant sont le seul moyen de re-investir les gens dans l’activité politique.

    Alors que la primaire populaire vient de se conclure par le choix d’une candidate de plus, il convient d’interroger la cohérence de cette démarche avec les valeurs sociales et écologiques, ouvertement plébiscitées par les porteurs de cette initiative. En continuant de se focaliser sur la sélection d’une personnalité et d’affaiblir in fine les partis, ce format apparaît comme une impasse. Pourquoi ne pas, plutôt, renouer avec la gauche plurielle en s’inspirant des shadow cabinets britanniques ?

    #Politique #Primaires #Refondation