Pourquoi ne parle-t-on quasiment plus des morts du Covid ?

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  • Pourquoi ne parle-t-on quasiment plus des morts du Covid ? | Laure Dasinieres
    http://www.slate.fr/story/223140/pourquoi-parle-quasiment-plus-morts-du-covid-indicateur-politique-medias-salom

    Aujourd’hui, alors que Covid Tracker rapporte une moyenne de 264 décès hospitaliers chaque jour causés par le Covid et que neuf enfants sont morts des suite de l’infection ces six derniers mois, la mortalité du virus semble invisibilisée. On a l’impression que les médias, les instances de santé et le gouvernement n’en parlent plus, à l’instar de Jean Castex lors de sa conférence de presse du 20 janvier 2022 où les termes « morts » ou « décès » n’ont pas été prononcés. Il en va de même pour les derniers avis du Conseil scientifique.

    Pourtant, comme le martèle l’épidémiologiste et biostatisticienne Dominique Costagliola, directrice de recherches émérite à l’Inserm et membre de l’Académie des sciences : « On ne peut pas dire qu’il ne se passe rien. Nous sommes face à un excès de mortalité depuis plusieurs semaines en France. En outre, le nombre de décès reste un indicateur pertinent, même si c’est un indicateur tardif. » Car le Covid, qui a déjà causé 130.000 décès en France, n’a vraisemblablement pas dit son dernier mot.

    Que s’est-il passé ? Sommes-nous devenus insensibles ou cyniques ? Nous sommes-nous habitués à ce que l’équivalent des passagers d’un airbus décède quotidiennement des suites de l’infection virale ?

    [...]
    Incontestablement d’autres phénomènes rentrent en ligne de compte. Le Dr Christian Lehmann, médecin généraliste et écrivain, auteur du « Journal d’épidémie » dans Libération avance : « Il y a une habituation, sinon un mithridatisation face à l’annonce des décès quotidiens. Trois cents par jour est une sorte de “new normal”. Et puis, les gens en ont marre de la situation et sont déboussolés. Quand on ne dénombre pas les morts, c’est plus facile de les oublier. »

    Un autre élément est également venu changer la donne : la vaccination, en faisant baisser le taux de mortalité. « Avoir le Covid aujourd’hui n’est pas pareil que d’avoir le Covid il y a dix-huit mois. Pour les personnes vaccinées non immunodéprimées, les risques d’en mourir sont quasi nuls. Elles ne se considèrent plus comme en danger. Et les antivax non vaccinés estiment qu’il n’y a pas de morts. Alors ce n’est plus un problème. La mort est loin, elle est pour les vieux et les malades. Seules les personnes emphatiques [empathiques !?] y portent encore un intérêt », estime Christian Lehmann.

    Dominique Costagliola abonde dans son sens. « Nous avons un rapport à la mort complexe, détaille la membre de l’Académie des sciences. Quand elle est à distance, elle indiffère. Les gens finissent par trouver normal que des personnes âgées ou fragiles décèdent. “Ce n’est pas si grave, elles seraient mortes de toute façon” semblent-ils penser. Il y a une forme de cynisme et d’individualisme là-dedans : nous ne sommes plus là pour nous protéger les uns des autres. » Et de fait, la protection offerte par les vaccins n’est qu’individuelle.

    Pour Christian Lehmann, il y a également une volonté politique d’invisibiliser les morts : « Les morts d’aujourd’hui sont les morts de la vague Blanquer. Ils témoignent d’un réel échec du politique. Compte tenu des échéances électorales, mieux vaut ne pas en parler. »

    En outre, selon le généraliste, les morts du Covid n’arrangent personne, ni à droite, ni à gauche. « Pour la droite, et dans une logique productiviste, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, autrement dit, on ne pourrait pas relancer l’économie sans dommages collatéraux. Et, à l’extrême gauche, il existe chez certains une forme de négationnisme comparable à celui des rouges-bruns des années 1980-90 qui niaient la Shoah. Nier les morts permet de servir un projet politique. »

    Pour répondre à notre question, nous avons également contacté Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, qui n’a pas donné suite.

    #covid-19 #mortalité