Erreur 404 - Le Monde diplomatique

/MARIETTE

  • Et si la gauche avait raté le coche à Québec ? Pierre Mouterde
    https://www.ledevoir.com/opinion/idees/670992/manifestation-de-camionneurs-et-si-la-gauche-avait-rate-le-coche-a-quebec

    J’étais a priori, tout comme beaucoup de citoyens de la ville de Québec, passablement indisposé par l’idée d’une manifestation de camions sur la colline Parlementaire le samedi 5 février, surtout après celle d’Ottawa et tous les désagréments qu’elle continuait d’occasionner à maints citoyens de la capitale confédérale.


    Photo : Jacques Boissinot La Presse canadienne « Pourquoi cette indéniable manifestation populaire d’exaspération sociale a-t-elle été lancée par la droite et n’a-t-elle pas été le fait de la gauche, elle qui s’est pourtant toujours fait fort de défendre les classes populaires contre l’arbitraire des puissants ? » se demande l’auteur.

    Mais quelle ne fut pas ma surprise, cet après-midi-là, au-delà bien sûr des concerts assourdissants de klaxons et des ronronnements intempestifs des moteurs, de découvrir, tout près du parlement, des milliers de manifestants qui — drapeaux du Canada, du Québec et même des patriotes flottant au vent sous le froid soleil de février — venaient simplement dire « qu’assez c’était assez » et qu’il fallait en finir avec les mesures sanitaires. Et visiblement, ce n’était pas que des gens d’extrême droite qui étaient là, ou encore des chauffeurs de poids lourds tatoués emmenés par des fiers-à-bras à la Rambo et venus pour en découdre avec les pouvoirs publics. Non, c’était ni plus ni moins le peuple du Québec : des jeunes, beaucoup de jeunes, des familles entières, des enfants, des gens d’âge mûr, des retraités, du monde ordinaire, comme on dit ici.

    Mais bien sûr avec un narratif politique des plus simples (celui de la liberté individuelle et d’en finir avec les mesures sanitaires) et qui, comme tel, pouvait être (et était) facilement repris ou récupéré par les antivaccins ou encore par la droite dure à la Éric Duhaime. Mais de là à réduire tous les manifestants (et le ras-le-bol dont ils se faisaient l’écho) à des antivaccins ou à des fauteurs de troubles sans cause légitime, il y a un pas que beaucoup ont eu tendance à franchir. Un pas qui, pourtant, risque de passer à côté de l’essentiel et de nous faire oublier cette question de base : pourquoi cette indéniable manifestation populaire d’exaspération sociale a-t-elle été lancée par la droite et n’a-t-elle pas été le fait de la gauche, elle qui s’est pourtant toujours fait fort de défendre les classes populaires contre l’arbitraire des puissants ?

    Car si, au-delà des élucubrations délirantes des complotistes, l’ennemi sur lequel il faut concentrer ses forces est bien entendu, comme le disait le ministre Duclos, la COVID-19 et non pas les mesures sanitaires, il n’en demeure pas moins que la façon dont ont été mises en place au Québec les mesures sanitaires fait partie de l’équation et a aussi à voir avec ce ras-le-bol populaire que l’on découvre aujourd’hui ainsi qu’avec cette soif de liberté qui en découle.

    Redevenir ce « sel de la terre »
    C’est ce que, tout au long de la pandémie, il a été si difficile aux forces de gauche du Québec (et ici je pense à QS) de faire apercevoir : d’un côté, la nécessité de protéger une population entière d’une dangereuse pandémie, notamment en ayant recours à la vaccination massive ; et de l’autre, la nécessité de dénoncer sans ambiguïté les manières de faire qu’a imposées le premier ministre François Legault. Car ce dernier, tout en se refusant à tirer leçon des compressions néolibérales à répétition passées dans la santé, n’a fait que réagir au coup par coup, dans l’improvisation, sans s’appuyer sur le personnel de première ligne (les infirmières) ou les acteurs du milieu, préférant les manières autoritaires, bureaucratiques et paternalistes, privilégiant le statu quo et le maintien des hiérarchies institutionnelles paralysantes ainsi que la répression, tout en optant pour la perpétuation, au détriment du redéploiement d’une médecine préventive et communautaire, d’un modèle de santé biomédical profondément réducteur.

    Et, presque deux ans plus tard et une fois encaissé le drame des CHSLD du printemps 2020, ce furent le couvre-feu et l’interdiction brutale de rassemblements festifs à la veille du jour de l’An 2022 — symboles par excellence de ces politiques — qui ont mis le feu aux poudres. Pour bien des gens c’en était trop, mais point… pour la gauche, ou si timidement, ou si poliment qu’ayant mis en berne son esprit critique et contestataire, elle a dans cette affaire raté le coche, laissant ainsi tout le champ libre à la droite.

    N’est-ce pas là la leçon à retenir ? Pour que la gauche puisse faire échec à une droite chaque fois plus dangereuse ainsi qu’au populisme de droite qui lui sert d’habits d’emprunt, elle devrait apprendre à redevenir ce « sel de la terre » qu’elle a su être dans le passé, en ne craignant plus de se mettre au diapason des exaspérations et des peurs légitimes qui courent dans la société et, par conséquent, en n’hésitant pas à s’opposer ouvertement aux responsables du « désordre établi » d’aujourd’hui. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle pourra retrouver la légitimité qu’elle avait acquise par le passé et redevenir, en ces temps de pandémie et de crises multiples et récurrentes, ce ferment si nécessaire à la naissance de la société nouvelle dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

    #Gôche #gauche #Peuple #Liberté #Solidarité #manifestation #Canada #pass_sanitaire #Freedom_Convoy_2022 #crise #Camions