• Papi et Mouloud à la Porte d’Orléans
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    On retiendra du quinquennat Macron qu’il est le premier président de la Vème République à avoir engagé les blindés pour rétablir l’ordre dans Paris. C’est dire son absence de vertu à rendre la paix sociale possible.

    Certains, qui défendent le « convoi de la liberté », regrettent que le ministère de l’Intérieur positionne ses blindés devant l’Arc de triomphe plutôt qu’à Saint-Denis... Plutôt que de jauger leurs propres forces à la mesure de celles qui leur sont opposées, ils préfèrent désigner d’autres « méchants » à leurs maîtres. Ce faisant, non contents de mettre en évidence l’infantilisme victimaire qui leur tient lieu de politique, ils démontrent qu’ils n’ont pas bien compris l’état des forces en présence.

    Ce qui importe au pouvoir, ce n’est que très secondairement l’"ordre public" au sens où l’entend le Français moyen. La grand-mère qui se fait arracher son sac en pleine rue est une icône, un effet d’estrade, un attrape-mouche électoral. Mais ça n’empêche pas Darmanin de dormir, bien au contraire. Ce qui importe au pouvoir, c’est que les populations soient assignées chez elles, sans possibilité de faire jonction ni de menacer les lieux centraux à partir desquels le pays est tenu. Il n’est qu’une seule exception consentie jusqu’à présent par les autorités, parce qu’ils n’ont aucune profondeur sociologique et parce qu’on peut sans risque les laisser épouvanter le XVIème arrondissement en attendant leur « coming-out » macroniste : ce sont les auxiliaires de police, dits aussi « black blocs ». De ce point de vue, aussi longtemps qu’elles sont tenues en lisière par les BAC et par le trafic de drogue, les banlieues sont un modèle d’"ordre républicain".

    Cependant, la même logique d’encasernement était à l’œuvre dans les campagnes périurbaines de la « France périphérique », à grands coups de zones pavillonnaires et de crédits immobiliers - le crédit constituant, avec le trafic de drogue, le dernier accès à la liquidité des catégories dominées depuis le début des années 2000. Cette logique aurait pu continuer de produire les mêmes effets si une partie de la population, prise à la gorge par la hausse des carburants, n’avait commencé à sentir le contact avec ses chaînes. Son réflexe, très politique, consiste alors à se réapproprier son territoire par le contrôle, d’abord statique (2018), puis mobile (2022), des nœuds de circulation (ronds-points, péages, routes nationales). Et voici que l’État lui répond, comme en écho à ce qui se hurle dans certains meetings : « vous n’êtes pas chez vous ! » Aux portes de Paris, on assiste à des scènes qui renvoient à la vie ordinaire des « quartiers populaires » : contrôles d’identité sauvages, fouilles de coffre aléatoires, confiscations arbitraires. Soudain, Papi qui débarque à la capitale avec son camping-car pour « aller chercher Macron » ne pèse pas plus lourd que Mouloud sur son scooter.

    Si, demain, les populations de banlieues, excédées par des méthodes d’administration néo-coloniales qui ont pour fonction de les maintenir en situation de minorité politique depuis quarante ans, venaient à faire mouvement et à opérer une convergence avec la « France périphérique », le pouvoir tremblerait pour de bon. Mouloud sur son scooter n’inquiète pas le pouvoir. Papi dans son camping-car n’inquiète pas le pouvoir. Mais la rencontre de Papy et de Mouloud... c’est une autre paire de manches. Ce n’est plus aux vieux blindés rouillés de la gendarmerie qu’on aurait à faire ce jour-là, mais aux chars Leclerc. Dans une France qui serait en passe de se libérer elle-même, les jours du pouvoir seraient comptés et tous les rêves d’avenir seraient de nouveau permis. Hélas, pour l’instant, l’horizontalisation des luttes entretenue par le spectacle électoral renvoie cette perspective aux calendes grecques.

    Demeure une hypothèse, à laquelle les comportements oligarchiques de ce dernier quinquennat donnent un certain crédit : que l’État national, pris à la gorge par des contradictions qui sont sur le point de le faire basculer dans les poubelles de l’Histoire, ne soit tenté de jouer lui-même la carte du désordre pour resserrer les rangs de ceux qui continuent de voir en lui le bras armé de leurs intérêts de classe. A ce point de bascule, une alternative se dessine : ou bien le peuple refait unité et prend son destin en main ; ou bien il s’offre en masse de manœuvre pour liquider les derniers vestiges du passé et, selon la « sage maxime » de Talleyrand - « l’agiter avant de s’en servir » - il tiendra lieu de marche-pied au futur régime d’oppression