l’inquiétude de la Défenseure des droits

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  • Le recours aux services publics numériques peut vite devenir compliqué : l’inquiétude de la Défenseure des droits
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/15/dematerialisation-des-services-publics-l-alerte-de-la-defenseure-des-droits_


    Deux usagers en rendez-vous avec un agent d’un espace France services, à Ernée (Mayenne), le 20 janvier 2022.
    LOUISE QUIGNON POUR « LE MONDE »

    Le rapport de l’autorité indépendante critique la numérisation « à marche forcée » des services de l’Etat et plaide pour une solution alternative, à l’attention des personnes qui n’ont pas Internet ou n’en maîtrisent pas l’accès.

    Numériser les services publics, c’est « une chance », reconnaît Claire Hédon, mais, avertit la Défenseure des droits, il ne faut pas oublier ceux qui n’y arrivent pas.

    Chacun devrait pouvoir contourner Internet s’il le souhaite. Voilà, en substance, l’alerte lancée par le rapport publié mercredi 16 février par l’autorité indépendante chargée de veiller au respect des droits des citoyens.

    Le document est en réalité un rapport de suivi. Car l’institution avait déjà attiré l’attention du gouvernement, il y a trois ans, sur les risques liés à la dématérialisation des services publics. C’est un objectif constant du quinquennat d’Emmanuel Macron : numériser les 250 démarches les plus utilisées par les Français d’ici à la fin 2022. En 2021, 86 % l’étaient, selon le ministère de la transformation et de la fonction publique.

    Trois ans après, il y a certes eu « parfois des progrès ». « Depuis cette date, reconnaît Claire Hédon, les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience des risques que faisait courir à un grand nombre de nos concitoyens une dématérialisation engagée à marche forcée. » Elle rappelle l’effort consenti en faveur « des personnes en situation de vulnérabilité numérique », ou de l’ouverture d’espaces France services, rassemblant en un seul lieu les principaux services publics. Il y en a plus de deux mille, à ce jour.

    Il n’en reste pas moins, note-t-elle, que « le nombre d’alertes et de réclamations liées à la dématérialisation ne fléchit pas, voire augmente ». La Défenseure des droits ne cache pas son inquiétude : « On observe un éloignement des services publics du fait de la dématérialisation », souligne-t-elle. Les délégués de la Défenseure sur le territoire évoquent « des réclamants de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus désespérés, parfois même révoltés, par le sort que les administrations leur infligent ». Certains usagers sont particulièrement vulnérables : les handicapés, les personnes âgées, les détenus ou les étrangers, par exemple.

    Un « insidieux glissement »
    Quand tout se fait sur Internet, et qu’il n’est pas possible de joindre un fonctionnaire, le recours au service public peut vite tourner au casse-tête, voire au cauchemar. Il y a toujours, dans le pays, treize millions de personnes qui peinent avec le numérique ; selon l’institution, 22 % des Français ne disposent chez eux ni d’un ordinateur ni d’une tablette. Et près d’un quart d’entre eux considèrent qu’ils vivent dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics.

    Claire Hédon ne manque pas d’exemples. Elle cite le cas de ce monsieur de 80 ans qui n’avait pas de smartphone, et n’avait pas pu prendre de billet dans une gare sans agent. « Il a été considéré comme étant en fraude, raconte Claire Hédon, et a écopé d’une amende de 50 euros quand le billet coûtait 3,50 euros… » Elle évoque encore l’exemple d’une personne ayant perdu son revenu de solidarité active parce qu’elle n’avait pu effectuer sa déclaration trimestrielle de revenus dans l’espace France services, car celui-ci était fermé pendant l’été. « C’est fou qu’elle ait été rayée des listes sans que personne n’ait pris contact avec elle pour savoir ce qui se passait », s’insurge la Défenseure. Et les agents publics ne sont pas en cause, tient-elle à souligner. « Ils cherchent à bien faire, insiste Mme Hédon. Eux-mêmes sont en souffrance pour ne pas pouvoir bien répondre aux usagers. »

    • Le problème demeure, donc. Le fait que les démarches à effectuer pour obtenir une aide à la rénovation énergétique, MaPrimeRénov’, soient totalement dématérialisées est par exemple « un mauvais signal », considère Claire Hédon.
      Et, au-delà de ces cas ponctuels, la Défenseure des droits dénonce une tendance de fond, un « insidieux glissement » : on demande dorénavant à l’usager de s’adapter au service public, alors que ce devrait être l’inverse. La finalité de la numérisation, si elle permet certes de faire des économies, « c’est d’améliorer le service rendu aux usagers et pas de le compliquer », rappelle-t-elle, déplorant que les suppressions de postes de fonctionnaire entraînées par la dématérialisation aient été « trop rapides ».
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      Claire Hédon demande donc instamment qu’il soit toujours possible d’appeler ou de rencontrer un agent. Elle insiste sur « le maintien systématique d’un accès alternatif et la possibilité d’un accompagnement suffisamment proche, compétent et disponible », quitte à recourir à la loi si nécessaire.
      Car au-delà, la question, rappelle-t-elle, c’est « quel service public on veut ». « Et il y a un travail à faire sur la question du droit à la connexion », prévient-elle.

      #dématérialisation #services_publics