un enjeu central pour la gauche de rupture – CONTRETEMPS

/abstention-enjeu-gauche-classes-populai

  • L’abstention : un enjeu central pour la gauche de rupture
    https://www.contretemps.eu/abstention-enjeu-gauche-classes-populaires-jeunesse


    Contretemps – Si, comme tu le dis, l’abstention n’est pas systématique et la participation électorale peut prendre un caractère intermittent, notamment dans les plus jeunes générations, l’abstention y est-elle compensée par d’autres formes de participation ou d’engagement ?

    Tristan Haute – Oui, au sein des jeunes générations, l’abstention s’articule davantage que dans le reste de la population avec le recours à d’autres formes de participation politique plus « protestataires », qu’on pense aux marches pour le climat ou aux mobilisations contre le racisme et les violences policières. Pour autant, c’est aussi dans ces plus jeunes générations que la part des citoyennes ne participant pas politiquement, par le vote ou par d’autres moyens, est la plus importante.

    Ces différences correspondent en réalité aux segmentations sociales de ces jeunes générations, d’où l’importance d’articuler une approche « générationnelle » avec une approche attentive aux rapports sociaux de classe, de genre et de race, ce qui permet d’éviter de tomber à la fois dans un mépris anti-jeunes médiatiquement très présent et considérant l’abstention et la non-participation politique comme révélatrices d’un jemenfoutisme individualiste et, à l’inverse, dans un jeunisme décontextualisé qui consisterait à attendre que le renouvellement générationnel fasse son œuvre sans se soucier de ce qui se joue, au sein des jeunes générations, en termes par exemple de confrontation (différenciée) à diverses formes de discriminations, d’accès à l’éducation ou encore de conditions de travail et d’emploi.

    Contretemps – À l’approche des élections de 2022, les partis qui ont peu de chances de gagner voient dans les abstentionnistes l’enjeu majeur qui pourrait créer la surprise. Comment analyses-tu les tentatives politiques et militantes en direction des abstentionnistes ?

    Tristan Haute – À l’approche de l’élection présidentielle de mars 2022, une vérité semble s’imposer médiatiquement : la « droitisation », attestée par les mauvais résultats de la gauche dans les urnes et par ses performances désastreuses dans les enquêtes d’opinion interrogeant les intentions de vote en vue du scrutin d’avril prochain. Attention à l’illusion d’optique car, si la gauche enregistre des défaites électorales et reste à la peine dans les sondages, c’est parce qu’elle a construit ses succès sur la mobilisation des classes populaires et des jeunes générations, celles qui aujourd’hui sont les plus promptes à s’abstenir. Certains partis ou candidats ont dès lors adopté une position de renoncement, préférant aller convaincre celles qui votent encore en adaptant leurs discours et leurs programmes.

    Néanmoins, cette stratégie, si elle a pu leur permettre de garder le contrôle de certaines collectivités locales, s’est révélée pour l’heure, à l’échelle nationale, à la fois inefficace et destructrice pour la gauche. L’enjeu pour la gauche est bien de remobiliser dans les urnes les classes populaires et les jeunes générations et de très nombreuses militantes s’y emploient. Cependant, si cet exercice est peut-être moins ardu lors d’une élection présidentielle, il est peu probable que cette remobilisation puisse se faire sur le temps court d’une campagne. En effet, le problème fondamental n’est pas seulement un problème programmatique ou un problème de représentation.

    Il relève, d’une part, d’un travail politique de terrain qui s’est affaibli, a fortiori avec la crise sanitaire, alors que la mobilisation électorale dépend fortement des interactions sociales D’autre part, le problème est moins lié à la matérialité du vote, les expériences du vote par procuration, par correspondance ou par Internet montrant que celles qui se l’approprient sont celles déjà les plus prédisposées à participer, qu’à sa nature elle-même. Le vote est un acte de plus en plus perçu dans l’ensemble comme inefficace, dont on peut tout à fait se dispenser et dont la réduction à une technologie de désignation et de remise de soi est de plus en plus contestée.