• L’Histoire-prévention : de la fin de la pandémie et du futur de la santé (publique) - Laurence Monnais

    Révélatrice de l’état d’une société, une épidémie constitue une réalité multifactorielle, nécessitant par extension une santé publique interdisciplinaire, ouverte aux historiens. Or, si ces derniers ont bien été sollicités durant la crise sanitaire, on a – hélas – moins fait appel à leur compréhension du présent pandémique qu’à leurs supposées capacités divinatoires.

    On nous annonce avec un certain aplomb la fin de la pandémie de Covid-19. Les deux années qui viennent de s’écouler incitent pourtant à la prudence. Le conflit en Ukraine, qui gonfle rapidement le nombre de réfugiés et affaiblit les systèmes immunitaires, aussi. Et puis l’on ne s’entend pas sur ce que « fin » veut dire. Risque résiduel, individuel, que l’on peut autoévaluer sur une plateforme en ligne ? Passage à l’endémie, « endemic » pour « end » martèlent les conservateurs américains, que des dirigeants en quête de réélection actent dans un élan tant arbitraire que tactique qui enjoint de tomber ce masque devenu bien trop gênant ?

    Face à ces petits arrangements destinés à nous faire « vivre avec le virus », à résorber un épuisement pandémique diffus et à recouvrer la paix sociale, l’historien de la typhoïde Jacob Steere-Williams postait récemment sur Twitter que l’histoire du terme « endémie » en est une de détournements idéologiques incessants qui maintient les gestes barrières en impératif. Depuis le milieu du XIXe siècle, on associe épidémie, danger infectieux et tropiques colonisés tandis qu’endémie sous-entend modernité et bonne santé économique de l’Occident.

    Si les cycles coexistent constamment et partout précisait-il, recourir au registre de la seconde relève d’une justification néolibérale qui permet à des états de se dédouaner ou, pire, d’un fatalisme néo-darwiniste – il y a encore un prix à payer pour le « retour à la normale », plus de morts parmi les plus fragiles, implacablement invisibilisés. Les grands quotidiens américains refuseraient à l’unisson l’éditorial tiré de ses réflexions. Le chercheur passait pour un oiseau de mauvais augure, un empêcheur de tourner en rond, peut-être même un imposteur.

    Penser et repenser le passé des pandémies

    Les pairs de Steere-Williams ont, eux, eu tôt fait de reconnaître la légitimité de son propos. Une riche historiographie, en renouvellement depuis les années 1980 et cette fin annoncée des pathologies infectieuses dont l’échéance n’en finit pas de reculer, endosse leur lucidité. À l’éradication de la variole fait écho l’explosion des cas de VIH/SIDA qui donne toute sa valeur au concept de pathocénose déployé par Mirko Grmek, cette communauté de maladies qui tend à un équilibre naturel au sein d’une société donnée[1]. Aux côtés du travail pionnier de Charles Rosenberg ou de Patrice Bourdelais et Jean-Yves Raulot sur le choléra[2], c’est le SIDA justement qui stimule l’intérêt de la profession[3]. Le virus marque au fer rouge un « siècle pandémique »[4]. Entamé avec la fameuse « grippe espagnole », celui-ci menace de s’étirer, ponctué ces dernières décennies par l’émergence du SRAS et de Zika, les résurgences d’Ébola, de la grippe H1N1, les ravages, endémiques et épidémiques, de la tuberculose[5] et de la rougeole.

    L’engouement historien pour les épidémies a plusieurs vertus. Celles-ci ont bien évidemment toutes des régimes d’historicité distincts et certains rapprochements ne sont pas seulement stériles, ils produisent des angles morts et participent de cette « histoire immobile » contre laquelle Guillaume Lachenal et Gaëtan Thomas nous mettent en garde à raison[6]. Mais au-delà du drame en trois actes modélisé par un Rosenberg fortement influencé par sa lecture de La Peste d’Albert Camus, une poignée d’invariants mérite notre attention. Loin d’être une simple réalité biologique, ces événements sont des faits sociaux totaux[7].

    Ils réactivent sous l’aiguillon de la peur des stigmatisations à l’endroit des étrangers et des pauvres. Le danger de la contagion pousse à un repli sur soi, à l’intérieur de ses frontières, inutile, voire contre-productif. La bonne gestion des contaminations dépend toutefois largement de gestes pensés et posés au niveau local. Ces réponses, si elles ne doivent pas être simplement médicales, sont infailliblement politiques, voire autoritaires et populistes, en décalage par rapport à la réalité épidémiologique. Quant à leur acceptabilité sociale, elle prend temps et éducation et passe par la résistance, parfois jusqu’à la désobéissance civile. Elles n’en entraînent pas moins souvent des réformes porteuses.

    Les historiens de la santé contemporaine surtout le savent (Patrick Zylberman mentionne une « authentique productivité institutionnelle » post-1920[8]). Ils ont pris acte de la vitalité du champ de la santé publique. Ils ont mis en relief que la science, dont vaccinale, est une construction dynamique, et qu’elle ne suffit pas à éradiquer un pathogène, d’autant moins s’il est à l’origine d’une zoonose. Les dimensions écologiques de la maladie, avec lesquelles les spécialistes de la santé coloniale sont particulièrement familiers, contrarient la métaphore pasteurienne et la chimère d’une victoire inéluctable de l’homme sur une nature ennemie – utopie qui repose par ailleurs sur un mythe, construit dans les interstices d’une épidémiologie de modèles mathématiques standardisés, celui d’une possible « immunité collective »[9].

    Les historiens savent encore qu’une réponse adéquate à la menace dépendra de l’accès aux soins comme à une information étayée, même dans les pays où il existe des systèmes publics de santé fonctionnels. Ils s’entendent sur le fait que les traces d’un micro-organisme pathogène perdurent après les vagues et les pics de contagiosité, négligées par une biomédecine agnosique face aux séquelles, aux comorbidités et à la chronicité – handicaps chez les survivants de la poliomyélite, sclérose en plaques chez les porteurs du virus d’Epstein-Barr, Covid longs, problèmes de santé mentale.

    L’instabilité de ses bornes chronologiques n’empêche pas une pandémie de s’inscrire dans des futurs. Mais la saisir, c’est aussi remonter dans le temps. Le champ des disaster studies l’a admirablement montré au lendemain des tragédies de Bhopal et de Tchernobyl et de la canicule de Chicago de 1995 – dont la magistrale autopsie sociale d’Eric Klinenberg vient d’être publiée en français[10]. C’est revenir sur les origines d’un micro-organisme et le terreau de sa dissémination (l’hypothèse ne fait pas consensus dans le détail mais on parle dans le cas du VIH de l’Afrique centrale des années 1920, de la colonisation qui y chamboule les conditions de travail et les rapports sociaux, accroît les déplacements et vaccine frénétiquement avec des aiguilles non stérilisées[11]).

    C’est scruter des problèmes de logement, de pollution industrielle, d’accueil des migrants, la violence politique pour mieux saisir un embrasement. Une épidémie se nourrit des dérives de l’activité humaine, se faufile à l’heure d’un capitalocène et d’un thanatocène[12] dans toutes sortes de fissures et d’inégalités qu’elle va en retour, inéluctablement, amplifier. Le « moment critique » révèle des problèmes structurels qui resteront ceux de la « société qui vient »[13] mais l’Histoire offre une méthode pour l’appréhender autrement. Mieux.

    Le présent de l’Histoire et de l’historien

    Les historiens sont unanimes : ils ont été étonnamment sollicités par les journalistes dès le début de la pandémie. Au cours de la première vague, d’une épreuve énigmatique mais sans conteste « historique », on leur a demandé de partager leurs « leçons » de la grippe espagnole et de la Peste noire. Le virus installé, et la vaccination massive pointant, on a réclamé d’eux qu’ils jouent les devins : quand allait-on s’en sortir ? Le Covid-19 trouvera-t-il sa place sur les frises chronologiques ? Exhortés à regarder un passé révolu (celui d’hécatombes mémorialisées frappées d’une distance temporelle franche d’avec leur prise de parole) et à prédire un avenir de résilience et d’oubli, ces qualités qui siéent à notre temps pressé, ils ont servi d’anxiolytique à des publics hébétés. Mais on ne les a pas véritablement interrogés sur leur compréhension du présent pandémique. Le double exercice cathartique auquel on les a conviés les a dépossédés d’une fonction majeure : celle de donner sens à ce qui arrive.

    Le présent de l’historien de la santé, c’est bien sûr documenter la pandémie sur le vif. L’écriture du Covid-19 a commencé et le procédé n’est ni infondé ni inédit. En 1988, l’AIDS History Group, sur une initiative de l’Association américaine d’histoire de la médecine, voulait promouvoir et coordonner la collecte de données (notamment par le biais de l’histoire orale) et l’échange entre chercheurs concernés pour « bien produire » sur l’infection et informer au mieux le grand public. Depuis le tournant de 2020, on répertorie les discours sur l’état d’urgence sanitaire ; on agrège des statistiques d’hospitalisations ; on conserve des photos de masques jetés à terre et des tweets de vaccino-sceptiques, sans pour autant tenter de maîtriser un « déluge de données », pour le coup inusité[14].

    On s’assure de pallier l’amateurisme archivistique d’administrations trop occupées (et très discrètes sur l’ascendance de certaines décisions), de fixer des décisions fugaces, d’empêcher l’ensevelissement des voix anonymes – aides-soignantes racisées, familles de personnes âgées décédées en EHPAD, immunodéprimés terrés chez eux, orphelins du virus – qui ancrent la durée et l’incurabilité de l’expérience. On revisite enfin ses sources habituelles et ses épidémies de prédilection. La démarche itérative est historiographiquement salutaire. Le travail de fouille, de tri et de traduction aide à construire un appareil critique. Cela étant, il met du temps à sortir des cénacles universitaires, quand il le fait.

    On se serait attendu à ce que les historiens soient davantage sollicités pour apporter des éléments de réponse à une interrogation fondamentale : comment en est-on arrivé là ? La question est certes douloureuse, et c’est probablement là une partie de l’explication au fait qu’on ne leur a pas posée, parce qu’ils auraient répondu qu’on a la pandémie « qu’on mérite »[15]. Le caractère inédit d’un coronavirus auquel on ne pouvait pas « se préparer », conjugué à ce surplus de présentisme dont nous souffririons ensemble aux dires de François Hartog[16], a fait en sorte qu’on ne lui a prêté aucune généalogie autre que biologique, celle qui a consisté à une transgression des espèces sur un marché humide de Wuhan (l’hypothèse d’une manipulation en laboratoire P4 a, en son temps, fait le jeu du hasard). Or la mue du SRAS-COV2 en débâcle sanitaire mondiale aurait justifié une convocation du passé, ou plutôt de ses légistes.

    Révélatrice de l’état d’une société, une épidémie est toujours une réalité multifactorielle. Pour comprendre le Covid-19 en processus, nous avons évoqué ici l’indigence de la santé publique depuis les années 1970 et le tournant vaccinal de la santé mondiale. On peut surligner le poids du virage néolibéral qu’ont pris les systèmes publics de santé (qui consiste à la fois à couper drastiquement dans les budgets et les personnels hospitaliers, et à renforcer l’individualisation de la prise en charge), de politiques de préparation fictionnelles et dangereuses, accusant une approche en silos des problèmes de santé que le ressac infectieux conforte, et de ce « populisme médical » que le sociologue Gideon Lasco associe à une exagération scénarisée du moment et une fabrique de divisions[17].

    Il faudrait encore incriminer la défaillance du soin que l’on porte aux non-productifs, la surdité à l’endroit des changements climatiques, cette autre « crise » qui ne permet pas seulement à des virus d’arriver jusqu’à l’homme mais aux réfugiés de tomber plus malades que les autres, ce qu’énonce, dans l’indifférence, le dernier rapport d’évaluation du GIEC. Le SRAS-COV2 a si facilement circulé dans ces conditions entremêlées.

    Les attestations de cette multifactorialité délétère sont abondantes, chiffrables : morbidité affolante auprès des minorités et de leurs quartiers, surmortalité chez les personnes âgées, réduction du temps d’hospitalisation pour éviter la surchauffe des systèmes hospitaliers, non-vaccinations par défaut d’accessibilité confondues avec des refus entêtés. Ces données montrent qu’on ne fait pas face aux maladies infectieuses « de mieux en mieux ».

    La stupeur a entraîné le désordre préventif, des mesures contraignantes sur le mode du stop-and-go associées à un maniement plus ou moins adroit de la carotte et du bâton, des pratiques de triage relevant d’une nécropolitique confuse ou d’une pandémopolitique adossée à une vision myope de l’hôpital efficient[18]. Ces chiffres obligent dès lors à l’humilité avancent Anne-Marie Moulin et Damiano De Facci[19].

    L’indispensable modestie ancre une autre fonction de l’historien de la santé, plus directement prophylactique ; ce passé de la prévention qui n’est pas dépassé fournit des pistes d’intervention en amont. On l’a promptement oublié, quand on l’a su, mais les mesures de distanciation sociale imposées début 2020 l’ont été parce qu’elles avaient prouvé leur efficacité en réponse à la grippe de 1917-1920, par le truchement du travail historien[20]. Cordons sanitaires, quarantaines, hôpitaux de contagieux et couvre-visages ont été jugés anti-démocratiques mais leurs performances ont fait mentir ceux qui criaient à l’archaïsme. Le masque, porté pour échapper à la peste de Mandchourie de 1910, n’est plus un dispositif périmé, ni « culturel ».

    L’avenir de la prévention ou l’historien-expert en santé publique

    1986 : année du SIDA pour plusieurs médias européens de l’époque quand, rebaptisée VIH, l’infection ne touche plus « juste » les homosexuels et les toxicomanes. On est un an avant le premier traitement antirétroviral (AZT) et la naissance d’Act Up aux États-Unis. Le père de l’histoire de la santé « par le bas », Roy Porter, tisonne les décideurs en santé britanniques avec un éditorial au titre sans équivoque : « History says no to the Policeman’s response to AIDS »[21]. Porter n’était pas un activiste, mais en mobilisant sa connaissance de la syphilis à l’époque victorienne, il prescrivait de ne pas inclure l’infection sur la liste des maladies à déclaration obligatoire, une mesure à ses yeux contre-productive et néfaste. Nombre de malades risquaient en effet de se retrouver soumis à un régime de double peine avec pour conséquence une propension à cacher son état et à ne pas consulter un médecin[22].

    Spécialiste de l’histoire des substances illicites, membre du AIDS History Group, Virginia Berridge a maintes fois relayé les propos de son collègue ; enseignante à la London School for Tropical Medicine and Hygiene, elle a promu l’inclusion de l’Histoire dans la prise de décision préventive. Elle a également montré à quel point « l’avant » est instrumentalisé en deçà et au-delà d’un travail de spécialiste dans lequel on pioche au gré des dossiers et des désastres, une histoire-caution de dilettante.

    Et que le fait que l’Histoire fasse partie de ces sciences humaines et sociales promptes à la critique ne suffit pas à expliquer le pourquoi de cette mobilisation très partielle. En fait, ce n’est pas que l’historien ne veut pas de la santé publique, c’est la santé publique qui ne veut pas des historiens. La déconvenue de Jacob Steere-Williams en atteste : épidémiologistes et virologistes ont trouvé tribune pour déclarer qu’« endémicité ne veut rien dire ».

    Ça n’a pas toujours été le cas. Construite en champ de réflexion et d’intervention au fil du XIXe siècle – au sein duquel ingénieurs, chimistes, architectes, juristes, ensemble hygiénistes, prennent acte des transformations liées à l’industrialisation, l’urbanisation ou encore les migrations, forts de statistiques vitales qui créent en parallèle la discipline épidémiologique – la santé publique cherche à améliorer la santé du plus grand nombre, mais à l’échelle d’un quartier ou d’une ville et de ses besoins particuliers. Pour le bien commun, on joue à la fois sur l’environnement au sens large, les conditions de vie et les comportements individuels.

    Les grands chantiers, appuyés par des textes de loi, des instances et personnels ad hoc et des infrastructures sont bien connus : adduction d’eau potable, assèchement des marais, gestion des ordures, amélioration des conditions du logement ouvrier, sécurité alimentaire, éducation à l’hygiène à l’école ou à l’usine. L’affirmation de l’homme de science (médecin, préhistorien, biologiste, pathologiste) et politicien prussien Rudolf Virchow qui veut que les épidémies soient, somme toute, des événements bien peu médicaux, relevait de l’évidence ou presque.

    Cette santé publique inclusive va perdre de sa superbe à mesure que la théorie des germes gagne en consensus et les médecins en scientificité et professionnalisation, reléguant aux marges les autres spécialistes de la santé humaine. Avec le XXe siècle, ce siècle pandémique, l’attention à l’environnement, naturel comme social, va s’en trouver dénaturée au profit d’un centrage sur le laboratoire et la science, du microscope, de l’identification des micro-organismes et de la mise au point de vaccins, avant que l’hôpital et le médicament, au premier chef desquels l’antibiotique à partir des années 1940, et donc l’individu malade s’érigent en pierres angulaires de systèmes publics de santé. Il y a cent cinquante ans, la santé publique était synonyme d’interdisciplinarité et de réformes. En un siècle sa médicalisation à outrance l’a réduite à sa portion congrue, à la courte vue et au court terme.

    Interdisciplinarité, démédicalisation, réformes : la remise au goût du jour de ces trois principes ne paraît pas si farfelue après deux ans de pandémie. Elle pourrait habiliter l’historien. Elle autoriserait à « apprendre de nos erreurs » et à recycler sans embarras (et rapidement) des interventions en puisant dans un dense répertoire de preuves – sur l’importance, pour ne prendre qu’un exemple, de bien aérer les pièces grâce à des fenêtres qui s’ouvrent facilement, et ce pas juste pour faire face à un virus transmis par aérosol.

    Elle engagerait une réflexion sur l’éducation – à l’école, de tous les professionnels de santé – à ce qu’est la bonne santé et aux inégalités de traitement. Elle ranimerait ces approches communautaires[23], d’un soin de proximité, pensées à la Conférence intergouvernementale sur l’hygiène rurale de Bandung en 1937 ou actées dans le cadre des CLSC québécois des années 1970. Elle rouvrirait grand la porte à un dialogue sanitaire, entre épidémiologistes, psychologues, habitants des quartiers défavorisés, meurtris par les fléaux et l’indifférence.

    La proposition n’est pas candide mais elle est ambitieuse ; elle nécessite un soutien politique, budgétaire, institutionnel pérenne. Elle passe par une revalorisation de la discipline, des postes en histoire de la santé hébergés par des facultés qui forment les professionnels de santé, pas juste les médecins, et associés à des programmes et des laboratoires en santé mondiale et en « une seule santé ». Elle réclame l’embauche d’historiens auprès d’institutions de santé publique sur le modèle de ce qui se fait avec d’autres sciences sociales à l’Institut national de la santé publique du Québec et auprès du Service du médecin cantonal de Genève ou du WHO Collaborating Centre for Global Health Histories à l’Université de York.

    À cela doit s’ajouter le financement de projets qualitatifs menés par des équipes interdisciplinaires dont en recherche-action au-delà d’appels ponctuels ciblés (la covidisation de la recherche et l’obsession pour la préparation à la « prochaine maladie X » pourraient effectivement reproduire des traits et des biais que l’on a vus avec le VIH/SIDA, empêchant par défaut des pans entiers d’une réflexion estimée non avenue). Il faut enfin accepter que l’Histoire est une science empirique, « fondée sur des données probantes » qui réclame du temps et prend des détours. Quoique.

    Les pandémies sont porteuses de réformes et celles-ci s’enclenchent souvent en plein chaos. Au sortir du confinement du printemps 2020, le programme Covivre voyait le jour, soutenu par une fondation privée, signe de ce « rattrapage solidaire » qu’évoquait Jean-Luc Nancy[24]. Son objectif principal était d’atténuer des effets du Covid-19 dans les quartiers les plus vulnérables de Montréal. En quelques mois un gros pan du travail de son équipe (dirigée par une pédopsychiatre travaillant avec des jeunes réfugiés radicalisés, interdisciplinaire, exclusivement féminine) s’est tourné vers un accompagnement de la campagne de vaccination mise sur pied par le gouvernement québécois.

    On a fait appel aux bonnes volontés, dont la nôtre. Nous avons parlé d’historicité des mouvements anti-vaccination et des hésitations vaccinales avec des « brigades-Covid-19 » et le milieu communautaire en alerte ; nous avons reçu les préoccupations de groupes invoquant les traumatismes biomédicaux dont ils avaient été victimes ; nous nous sommes assurés que ceux qui voulaient recevoir leur première injection pouvaient se rendre à la clinique la plus proche – ou, à défaut, bénéficier d’opérations de vaccination mobile dont nous avons su vendre les succès antérieurs. L’histoire de la vaccination, de la colonisation et des inégalités de santé ont servi bienveillance, ajustements, encapacitement jusqu’à peut-être contribuer à éviter la taxe que le premier ministre François Legault voulait imposer aux non-vaccinés. Parce que l’Histoire dit « non » à l’obligation vaccinale[25].

    Le futur proche du Covid-19 s’égrène avec la crise ukrainienne et le risque d’une augmentation des cas d’autres maladies infectieuses en conséquence d’une chute dramatique des vaccinations de routine – deux réalités susceptibles de se croiser pour le pire : à la veille du premier cas officiel de SRAS-COV2, nous étions en pandémie de rougeole et l’Ukraine, en plein marasme politique, avait été parmi les premières nations à subir les ravages d’un autre virus très contagieux. Il nous faut arrêter de réinventer la roue préventive, de redécouvrir les inégalités de santé[26], de ne pas vouloir saisir que microbes et guerre vont de pair. L’heure n’est plus à l’obsolescence programmée ou à la bêtise[27] performative. Elle est à une santé publique recyclée, durable et souple de laquelle l’historien participe, sentinelle, clinicien, médiateur, réformateur.

    [1] Grmek, Mirko D. (1969), « Préliminaire d’une étude historique des maladies », Annales. Histoire, sciences sociales, 24 (6) : 1473-83.

    [2] Rosenberg, Charles E. (1987) The Cholera Years : The United States in 1832, 1849, and 1866, Chicago : Chicago University Press ; Bourdelais, Patrice et Jean-Yves Raulot (1987), Histoire du choléra en France : une peur bleue, 1832-1854, Éditions Payot.

    [3] Grmek, Mirko D. (1989), Histoire du sida. Début et origine d’une pandémie actuelle, Éditions Payot ; Rosenberg, Charles E. (1989), « What is an epidemic ? AIDS in historical perspective », Daedalus : 1-17.

    [4] Honigsbaum, Mark (2019), The Pandemic Century : One Hundred Years of Panic, Hysteria, and Hubris, New York et Londres : W.W. Norton & Company.

    [5] Krishnan, Vidya (2022), The Phantom Plague. How Tuberculosis Shaped History, New York : Public Affairs.

    [6] Lachenal, Guillaume et Gaëtan Thomas (2020), « L’histoire immobile du coronavirus » dans Christophe Bonneuil, Comment faire ?, Seuil, pp.62-70.

    [7] Gaille, Marie et Philippe Terral (2021), Pandémie. Un fait social total, CNRS Éditions.

    [8] Zylberman, Patrick (2012), « Crises sanitaires, crises politiques », Les tribunes de la santé, 1 (34) : 38-42.

    [9] Anderson, Warwick (2021), « The model crisis, or how to have critical promiscuity in the time of Covid19 » Social Studies of Science, 51(2) 169-70.

    [10] Klinenberg, Eric (2021), Canicule. Chicago, été 1995. Autopsie sociale d’une catastrophe. Lyon : Éditions 205 et École urbaine de Lyon

    [11] Pépin, Jacques (2019), Aux origines du sida. Enquête sur les racines coloniales d’une pandémie, Seuil.

    [12] Fressoz, Jean-Baptiste et Christophe Bonneuil (2013), L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Seuil.

    [13] Fassin, Didier (2022), « Introduction », La société qui vient, Seuil, pp. 8-9, 16.

    [14] Spinney, Laura (2020), « What are COVID archivists keeping for tomorrow’s historians ? », Nature

    [15] Anderson, Warwick (2020), « The way we live now ? », Isis, 111 (4) : 834-37

    [16] Hartog, François (2010), « Le présent de l’historien », Le débat, 158 : 20.

    [17] Lasco, Gideon (2020), « Medical populism and the COVID-19 pandemic », Global Public Health, 15 (10) : 1417-29.

    [18] Gaudillière, Jean-Paul, Izambert, Caroline et Pierre-André Juven (2021), Pandémopolitique. Réinventer la santé en commun, La Découverte, p. 48-72.

    [19] Moulin, Anne-Marie et Damiano De Facci (2021), « Peut-on tirer des leçons de l’Histoire pour la crise du Covid-19 », IRESP, Questions de santé publique, 41, mars.

    [20] Markel Howard et coll. (2007), « Non-pharmaceutical interventions implemented by US cities during the 1918-1919 influenza pandemic », Journal of the American Medical Association, 298 :644-54.

    [21] Porter, Roy (1986), « History says no to the policeman’s response to AIDS », British Medical Journal, 293 : 1589-90.

    [22] Berridge, Virginia (2020), « History Does Have Something to Say », History Workshop

    [23] Gaudillière, Jean-Paul, Izambert, Caroline et Pierre-André Juven (2021), op. cit., p. 226-56.

    [24] Nancy, Jean-Luc (2020), Un trop humain virus, Bayard Éditions, p. 24.

    [25] Monnais, Laurence (2019), Vaccinations. Le mythe du refus, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.

    [26] Kawachi, Ichiro (2020), « Covid-19 and the “rediscovery” of health inequities », International Journal of Epidemiology, 49 (5) : 1415-19.

    [27] Pour reprendre Guillaume Lachenal (2014, Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies, La Découverte).

    Laurence Monnais
    HISTORIENNE, PROFESSEUR TITULAIRE AU DÉPARTEMENT D’HISTOIRE ET DIRECTRICE DU CENTRE D’ÉTUDES ASIATIQUES (CETASE) DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL.

    https://aoc.media/analyse/2022/03/30/lhistoire-prevention-de-la-fin-de-la-pandemie-et-du-futur-de-la-sante-publiqu

    #covid-19 #pandémie #santé_publique

  • Des dérives sectaires - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2022/03/27/des-derives-sectaires

    C’est toujours quand les perspectives d’avenir s’assombrissent et quand la désorientation qui en résulte s’accroît, que les croyances les plus improbables surgissent. À ceux et celles qui ne savent plus à quoi ni à qui se fier pour imaginer ce qui les attend, elles offrent des repères de substitution, en dessinant un nouvel horizon. Alors que ces personnes pensent que les circonstances les ont dépossédées de leur destin, ces mêmes croyances leur offrent la promesse d’une guérison, d’un soin, d’un salut, qui leur permettent de se réapproprier leur existence : leur corps, leur esprit, leur avenir.

    • lundi 28 mars 2022
      Société
      Des dérives sectaires

      Par Marc Crépon
      Philosophe

      Notre temps abrite de plus en plus de pseudos « doctrines du bonheur », véhiculées par des escrocs, charlatans de la santé, faux sages et faux prêtres et autres messagers de l’apocalypse. Que font ces prophètes usurpés aux corps et aux esprits capturés ? Ces emprises sectaires, caractérisées par des processus de dépersonnalisation et de formatage de la conscience, constituent une forme de violence que la société se doit plus que jamais de combattre.


      C’est toujours quand les perspectives d’avenir s’assombrissent et quand la désorientation qui en résulte s’accroît, que les croyances les plus improbables surgissent. À ceux et celles qui ne savent plus à quoi ni à qui se fier pour imaginer ce qui les attend, elles offrent des repères de substitution, en dessinant un nouvel horizon. Alors que ces personnes pensent que les circonstances les ont dépossédées de leur destin, ces mêmes croyances leur offrent la promesse d’une guérison, d’un soin, d’un salut, qui leur permettent de se réapproprier leur existence : leur corps, leur esprit, leur avenir.

      C’est peu dire que, dans ces conditions, les temps qui sont les nôtres, avec une pandémie dont on ne voit pas la fin, une dégradation de l’environnement et du climat que rien ne semble pouvoir enrayer, offrent le terreau le plus favorable à leur apparition et leur multiplication. C’est partout que surgissent ces pseudos « doctrines du bonheur », avec des moyens de diffusion sans précédent, sous des formes diverses : ateliers et stages de remise en forme, leçons de bien-être dispensées par un « maître spirituel », etc.

      Faut-il s’en alarmer ? À supposer que certaines d’entre elles se distinguent par leur « dangerosité » et demandent à ce titre une vigilance accrue, quels sont les critères qui permettent de les distinguer des autres ?
      Une mainmise sur des corps et des esprits

      Si la question se pose, c’est que nous soupçonnons à juste titre certaines de ces croyances et des organisations qui en contrôlent le prosélytisme d’être une source de violence pour ceux et celles qui se laissent prendre dans leurs filets. Il y a deux façons d’analyser la violence : par ses causes et par ses effets. La méthode que l’on proposera ici est de commencer par les seconds, en se demandant donc ce que lesdites « organisations » font aux corps et aux esprits qu’elles capturent.

      Lorsqu’on parle de « dérive sectaire », en effet, ce n’est pas tant le contenu même de la doctrine, la croyance en elle-même, que l’on pointe du doigt, que les effets de son contrôle : la mainmise sur ces mêmes corps et ces mêmes esprits de ces mêmes « organisations » qui peuvent aussi bien être largement étendues, pyramidales, dotées de moyens considérables, que minimales, sinon réduites à quelques individus rassemblés autour de la figure d’un « maître spirituel ».

      Il y a « dérive », soupçonne-t-on, dès lors que loin d’assurer le bonheur, le bien-être, l’épanouissement personnel, loin d’œuvrer à cette réappropriation du corps et de l’esprit qu’elles promettent, c’est l’inverse qu’elles produisent, délibérément : leur désappropriation du corps et de l’esprit, à laquelle on donne le nom « d’emprise ».

      Or ce que cette désappropriation recouvre, c’est toujours un changement de propriétaire. Le corps et l’esprit ne sont effectivement « réappropriés » qu’en devenant la propriété d’un autre, auquel il s’agit de les soumettre, sinon de les asservir. On conçoit la difficulté de la question : elle est alors de savoir à partir de quand, selon quels critères ces termes s’appliquent. Que faut-il pour pouvoir parler d’emprise, d’appropriation externe, et d’« asservissement » ? Comment les décèle-t-on ?
      L’abolition de tout sens critique

      Déplaçons la question. À supposer que l’adhésion de ses membres au « mouvement », à « l’association », à « l’atelier », à la « secte », qui organisent et contrôlent l’affiliation à la croyance implique toujours une exploitation de leur crédulité, en quoi celle-ci est-elle illégitime ? En quoi la « crédulité » ou « l’incrédulité » des uns et des autres cesse-t-elle d’être une affaire privée ? N’est-ce pas empiéter sur la « liberté de conscience » de chacun que de vouloir protéger les individus contre leur disposition à croire, c’est-à-dire contre eux-mêmes ?

      La crédulité, assurément, est une faiblesse. Elle l’est dès lors qu’elle abolit tout sens et tout jugement critique, annihilant notre capacité de faire le tri entre les énoncés. Elle est une faiblesse quand elle ne permet plus de distinguer les intérêts cachés dont ces énoncés sont porteurs (idéologiques, commerciaux, financiers), ou encore de repérer, parmi leurs assertions, les propositions dogmatiques, les manifestations d’autorité qui relèvent d’une manipulation de l’esprit, mais tout autant des affects, comme celles qui se nourrissent du discrédit de la science, du savoir en général et refusent toute procédure d’établissement de la vérité.

      Pour autant, peut-on parler systématiquement d’abus de faiblesse, dès que cette crédulité fait l’objet d’une exploitation ? Les êtres humains assurément sont affaiblis de façon très inégale. La « faiblesse » susceptible de les rendre « vulnérables » est fonction de leur histoire intime, de la façon dont leur passé propre s’entrelace à une histoire collective ; elle est la résultante du tissu de relations dont est faite l’existence de chacun, de leur succession, de leur disparition ou de leur persistance.

      Pour autant nul ne se connaît suffisamment soi-même et ne maîtrise assez son destin pour se prétendre invulnérable. Parce qu’il arrive aux failles de l’existence d’être enfouies et de rester secrètes, on n’est jamais à l’abri de se découvrir ou de découvrir chez les autres, une faiblesse susceptible d’être abusée. C’est si vrai que l’abus a souvent pour premier effet de révéler celle de celui qui en est la victime à ses proches qui ne la soupçonnaient pas, ou n’avaient pas mesuré sa gravité. Il est donc impossible de soutenir de quiconque que toute faiblesse lui serait étrangère. On ne connaît jamais assez un autre, pas plus qu’il ne se connaît lui-même, même le plus proche, pour pouvoir l’affirmer.

      Voilà pourquoi, par précaution, la faiblesse doit être présupposée, chaque fois que les signes de l’exploitation sont décelés. Sans doute il est des critères objectifs qui permettent de l’établir : l’âge, à commencer par celui des enfants et des vieillards, la maladie, les traumatismes hérités du passé. Mais, pour les raisons qu’on énonçait à l’instant, ces critères ne sauraient être tenus pour exclusifs. La société ne se laisse pas diviser entre des « faibles » et des forts, suffisamment forts pour qu’aucun abus de faiblesse ne puisse les concerner.
      Les signes de l’emprise ?

      Il en résulte que ce sont d’abord et avant tout les signes de l’exploitation qu’il importe de savoir repérer et de mettre en évidence, pour que celle-ci puisse être stoppée et sanctionnée. Ils sont multiples et de nature diverse. La difficulté de leur identification vient de ce que celle-ci ne peut venir que d’un tiers, le temps que dure l’exploitation. Parce qu’elle est soutenue par une croyance, ces victimes sont, en effet, la plupart du temps et durablement les dernières à vouloir la reconnaître pour ce qu’elle est et donc à être capable de la dénoncer, sinon a posteriori.

      Cette difficulté est du reste la première caractéristique qui permet de la désigner sous le nom d’emprise. L’exploitation, la manipulation se traduisent dans les signes d’une emprise. Toute la difficulté alors est de savoir quand et comment une telle emprise peut-être avérée et démontrée, alors même que ses victimes en dénient l’effectivité.

      Qu’est-ce donc qu’être sous emprise ? C’est se trouver dans une situation où sa propre volonté est annihilée, phagocytée par la volonté d’un autre. C’est être progressivement pris en otage par cette volonté extérieure, avec ce que celle-ci comporte de désirs, d’ambitions, d’intérêts, de calculs y compris financiers, et du même coup se retrouver dans l’incapacité de lui résister. Rappelons-le : un corps et un esprit sous emprise sont un corps et un esprit qui ne s’appartiennent plus – parce qu’un autre se les est appropriés.

      Aussi les signes de l’exploitation sont-ils d’abord des signes de cette appropriation. On en décrira cinq, sans prétendre ici à une liste exhaustive.
      L’isolement

      S’il est vrai tout d’abord que notre existence est entièrement relationnelle, qu’elle est faite du réseau des relations que nous avons entretenues au cours du temps (et continuons à entretenir) avec des êtres, des objets, un espace, l’appropriation constitutive de l’emprise consiste toujours à briser ces relations, en y introduisant le ver d’un soupçon, d’une défiance, contraires à cette forme de confiance minimale que ces mêmes relations requièrent pour se perpétuer dans le temps.

      De ce point de vue, la stratégie des organisations sectaires est la même que celle des prédateurs pédophiles et des parents incestueux. Elle s’attache à couper leurs proies de leur entourage, en les persuadant au mieux qu’il ne les comprend pas, au pire qu’il leur est néfaste : la famille, les amis, les collègues de travail. Quelque forme qu’elle prenne, l’emprise ainsi est toujours synonyme d’une manœuvre d’encerclement et d’isolement.

      On sait combien une telle stratégie peut prendre des formes dramatiques et destructrices en induisant chez ceux et celles qu’elle entend s’approprier, qu’elle a entrepris de posséder, corps et âmes, de faux souvenirs traumatiques. On disait plus haut qu’être sous emprise – celle d’une secte et de son gourou, d’une société secrète, d’une association, d’une pseudo-école de bien-être – se manifeste dans le fait, pour celui ou celle qui succombe à son pouvoir, de ne plus s’appartenir, en étant progressivement dépossédé de la capacité de juger par soi-même, avec elle de son esprit critique et pour finir de sa liberté d’action. En d’autres termes, une emprise sectaire, quelle qu’elle soit, se traduit toujours dans le parti-pris d’extorquer l’identité de celui qui tombe sous son joug.
      L’effacement de la langue commune

      Le deuxième trait distinctif de l’appropriation a trait au langage. L’emprise se caractérise toujours par l’assimilation et la répétition mécanique par celui qui tombe sous le joug d’une autorité sectaire, d’une langue que seuls ceux et celles qui la partagent avec lui comprennent. Aussi est-elle une organisation délibérée et systématique de l’incompréhension et de l’incommunicabilité.

      L’encerclement et l’isolement qu’on soulignait un peu plus haut ne se construisent et ne se produisent pas autrement que dans l’effacement de la langue commune. Des mots les plus ordinaires qui pourraient encore la rattacher au monde d’avant, la victime de l’emprise se voit dépossédée, de telle sorte que plus rien ne la relie à ceux qui le partageaient avec elle.

      Nul doute que, pour les proches, les familles, cet effondrement de la langue d’avant (qui ruine toute possibilité de rompre le cercle magique de la langue sectaire par la persuasion et le langage de la raison, aussi bien que de l’attachement et des émotions) manifeste le plus insoutenable des enfermements. Il voue de fait à l’impuissance les proches qui s’épuisent encore à vouloir sortir de ce cercle infernal, de sa spirale ou de son gouffre, ceux et celles qui n’ont plus d’oreille que pour leur langue d’emprunt.

      Disons un mot de cette langue ! Son habileté redoutable consiste à semer le doute et la confusion dans l’esprit de ses « sectateurs » en inversant le sens des mots – et ainsi à accentuer la désorientation, privant ses victimes de la ressource qu’offre ordinairement la disposition d’un langage commun. Les mots vidés de leur sens (le bien et le mal, le juste et l’injuste, le sain et le toxique) se prêtent dès lors à toutes les manipulations.
      L’exploitation des ressources matérielles

      La troisième forme de l’appropriation concerne les biens matériels. L’extorsion, en effet, n’est pas seulement celle de l’identité, mais au moins autant de la propriété. Aussi l’une des formes les plus ordinaires de l’abus de faiblesse est-elle l’exploitation jusqu’à l’épuisement des ressources financières. Elle livre les victimes des dérives sectaires à la merci de l’organisation qui exige leur appropriation.

      Tout se paye, autrement dit, pour espérer atteindre le « bien-être », la « santé », ou le « bonheur » promis : les formations et autres initiations, les stages, les ateliers, auxquels la participation, loin d’être aléatoire, libre et volontaire, fait l’objet d’une injonction et de pressions qui finissent par la rendre addictive. C’est peu dire que l’accaparement, la ruine constituent dans cette perspective, le vecteur le plus efficace et le plus redoutable d’une dépossession qui a tout d’un asservissement et d’une aliénation.
      La maltraitance corporelle

      Quant à la quatrième, elle touche au corps, à sa force et à son intégrité. Elle recouvre des formes de maltraitance multiples : l‘épuisement au travail, la malnutrition, le défaut de soins médicaux et hospitaliers, et par-dessus tout, le viol des corps. L’abus de faiblesse, l’exploitation de la crédulité se mue alors en abus sexuel. Et ce qu’il faut souligner aussitôt, c’est qu’un tel abus ne touche pas seulement les adultes, mais au moins autant leurs enfants.

      Dès lors que la prédation des dérives sectaires ne concerne pas seulement des individus isolés, mais des familles entières, il arrive, en effet (il arrive trop souvent) que l’allégeance des parents se pervertisse dans la livraison du corps de ceux auxquels ils doivent assistance pour la satisfaction des besoins matériels et sexuels du « maître ». Rien au demeurant n’avère davantage la destruction des repères moraux et sociaux qui caractérise ces dérives.

      Quand les enfants en sont les victimes, cela signifie que l’appropriation sectaire de la volonté de leurs parents s’étend, comme dans les familles incestueuses, à l’extinction de la responsabilité qui les enjoint de les protéger. Au regard de l’évolution de la loi, au moins dans ce cas, la question d’un pseudo-consentement ne se pose pas. Elle tombe d’elle-même sous le coup de l’interdiction des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de quinze ans. Aussi constitue-t-elle la dérive que la société devrait être le plus à même de réprimer – la répression alors ne concernant pas seulement les maîtres qui abusent, mais au moins autant leurs disciples suffisamment aveuglés et envoûtés pour leur abandonner le corps de ceux et celles dont ils ont la charge.

      Maintenant que dire des adultes abusés, pris en otage de leur allégeance, au point d’être dépossédés de la libre disposition de leurs corps ? Comment démontrer que, sous emprise, le consentement est nécessairement contraint, quand bien même sur le coup, la victime refuserait de l’admettre ? Faut-il que l’emprise cesse pour que l’abus sexuel apparaisse comme un abus de faiblesse ? Il faudrait reconnaître alors que, dans l’établissement de la preuve, c’est la parole d’après qui devrait être privilégiée, de telle sorte que les prédateurs apprennent à la redouter.
      La dépersonnalisation

      La cinquième forme de l’appropriation résume et rassemble toutes les autres. Un mot suffit à la définir : la dépersonnalisation. Son évolution suit toujours les mêmes étapes. Il suppose d’abord un temps de séduction : le repérage, l’approche, l’entraînement des « victimes « potentielles que leur fragilité, leur vulnérabilité, ou leur désorientation semblent désigner comme futures « recrues ». Vient ensuite le temps de la destruction des repères et des attaches qui pourraient faire obstacle à l’embrigadement, la déconsidération des proches, de la famille, des amis, des collègues, sinon leur incrimination. Cette destruction, c’est aussi celle des occupations, des loisirs, des distractions qui échappent à l’emprise.

      La dernière étape découle de l’horizon dégagé par les deux premières. Elle est à l’image de ce que tant de fables totalitaires ont décrit, à commencer par 1984 de George Orwell ou Nous autres de Evgueni Zamiatine : rien de moins que la reconstruction d’une personnalité standardisée.
      Comment conjurer cette violence ?

      Il faut dire un mot de ce processus – car il permet in fine de comprendre en quoi l’emprise sectaire est une violence que la société se doit de combattre. On a dit plus haut qu’il importait de penser ses dérives à partir de leurs effets sur les corps et les esprits. Il y a deux critères pour définir la violence de cette façon.

      Des relations qui font le tissu de l’existence, il faut d’abord souligner qu’elles ne permettent à une existence singulière de se construire et de se projeter dans l’avenir que si elles font l’objet d’un crédit minimal quant à leur continuité, en d’autres termes résistent au temps qui passe. Que serait une vie, dont les relations avec les êtres et les objets qui la définissent ne dureraient qu’un instant ? Ce que fait la violence, de quelque ordre qu’elle soit, où qu’elle fasse irruption, au sein d’un couple, dans une famille, une communauté de travail, une cité est alors aisé à comprendre : elle compromet, sinon brise ce crédit minimal – et par là même détruit la relation.

      Telle est la fonction de l’emprise. Sa violence sourde se manifeste tout d’abord dans la façon dont elle entend faire table rase de ces relations en les rendant suspectes. Mais ce n’est pas tout. Car ce premier critère ne suffit pas à définir ce que la violence fait aux corps et aux esprits. D’où la nécessité d’un second critère.

      Subir une violence, c’est en effet, dans le temps où la confiance se fissure, se voir réduit à l’état de matériau sur lequel une force extérieure s’applique, indépendamment de notre volonté. C’est se trouver du même coup transformé en une « chose » indéfiniment manipulable, dont la force qui agit sur elle n’a que faire de la singularité. Le terme couramment utilisé pour décrire cette réduction est celui de réification. Il correspond à la troisième étape du processus qu’on vient de décrire.

      La reconstruction normative que poursuit la dépersonnalisation sectaire, le formatage de la conscience, l’asservissement de l’individu qu’elle vise à priver de sa singularité par tous les moyens sont à comprendre comme sa chosification.

      *

      À qui profite-t-elle ? Il faut bien à la fin s’interroger sur le pivot de ses dérives : le « maître », le gourou ou le « guide », quel que soit le nom qu’on lui donne, qui apparaît comme le moteur de l’emprise. Si celle-ci s’apparente, en effet, à une servitude volontaire et sacrificielle, c’est moins à des idées, un corps de doctrine qu’elle fait allégeance qu’à la figure qui les incarne.

      À qui donc les amis, la famille, les biens, l’indépendance de l’esprit, la libre disposition de son corps et de son temps doivent-ils être sacrifiés ? Qui est responsable des formes de maltraitance que signifient ces sacrifices : les régimes, les corvées, le viol du corps, qui les impose et les sanctionne ? Les différentes formes d’appropriation du corps et de l’esprit qu’on a relevées précédemment supposent un sujet qui en fait sa propriété, qui les met au service de ses intérêts, de ses pulsions de domination qui sont aussi parfois des pulsions sexuelles, en d’autres termes qui en tire profit.

      Il existe une grande variété de figures de cet ordre, de profils variables : escrocs, charlatans de la santé, faux sages et faux prêtres, pseudo-philosophes, messagers de l’apocalypse que distingue la plupart du temps leur charisme, leur personnalité autoritaire et leur mégalomanie. L’exploitation, autrement dit, est ordonnée par une structure pyramidale, au sommet de laquelle se retrouve celui auquel la croyance suppose une allégeance sans limite.

      La désorientation qu’on soulignait au début de ses réflexions introductives, mais aussi les nouvelles technologies du savoir et de l’information, grâce auxquelles quiconque est capable d’en user à son profit peut se croire (et du même coup se voir) investi d’une autorité, à partir de rien, favorise l’éclosion de personnalités de cet ordre. Comment les combattre ?

      On aimerait conclure ses réflexions par un appel à l’éducation. La puissance des fausses promesses de guérison, de salut ne saurait être combattue sans l’éveil d’un sens critique, à l‘image de celui que porta jadis la philosophie des Lumières. La raison des dérives sectaires repose sur les séductions de l’obscurantisme. Ce sont elles qu’il s’agit de contrer – et c’est à l’École d’apprendre à s’en défier. Si elles ne donnaient lieu à tant de situations dramatiques, si elles ne masquaient tant de violence, on se laisserait aller à souhaiter qu’on apprenne, qu’on réapprenne, partout, avec ironie, à rire aux éclats des gourous, des faux sages et des faux prophètes, des charlatans et de leurs charlataneries.

      Marc Crépon

      Philosophe, Directeur de recherches au CNRS

  • https://aoc.media/analyse/2022/03/20/guerre-en-ukraine-comment-en-est-on-arrive-la



    Trois principaux facteurs expliquent le cheminement vers le conflit. Premièrement, la Russie n’a jamais accepté l’indépendance de l’Ukraine et l’idée que la Russie puisse devenir un État européen « normal ». Deuxièmement, le « dilemme de sécurité » a rendu difficile la résolution des points de vue contradictoires entre Ukraine et Russie. Troisièmement, la diffusion de la démocratie est devenue une question géopolitique.

    Alors que la séparation de l’Ukraine et de la Russie en 1991 fut qualifiée de « divorce civilisé », 30 ans plus tard, la Russie entreprend une invasion majeure de son voisin. Comment en est-on arrivé là ? Et comment ce conflit régional a-t-il provoqué ce que beaucoup qualifient de nouvelle guerre froide ? Il est inévitable d’essayer d’attribuer des responsabilités, mais il est également nécessaire d’examiner aussi objectivement que possible ce qui s’est passé et la raison pour laquelle cela est advenu, même si nous savons impossible une totale objectivité. Dans mon livre Ukraine and Russia : From Civilized Divorce to Uncivil War (Cambridge, 2019), je retrace le chemin parcouru depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 jusqu’à la guerre qui a commencé en 2014, et qui connaît à présent une escalade dramatique.
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    Une grande partie de la propagande entourant le conflit consiste à tenter d’avancer des interprétations d’événements datant d’il y a des décennies, voire des siècles, pour justifier des revendications politiques en 2022. Au cœur de la discussion se trouve une question d’une simplicité trompeuse : l’Ukraine doit-elle être un État indépendant ou doit-elle faire partie de la Russie ?

    Il importe de comprendre que, dès l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, une grande partie de l’élite russe a rejeté l’idée que l’Ukraine puisse, ou doive être, un État totalement indépendant. Cette insistance, qui fait suite à des siècles de pensée nationaliste russe, est antérieure à l’expansion de l’OTAN, à la guerre en Irak et aux autres mesures américaines ou occidentales qui font l’objet de tant de récriminations. La pertinence et le caractère moral des décisions de l’Occident concernant la Yougoslavie, l’Irak, l’OTAN et bien d’autres sujets méritent largement d’être examinés. Mais ils n’expliquent en rien ni ne justifient l’invasion russe de l’Ukraine.

    L’Ukraine et la Russie sont entrées dans l’ère post-soviétique avec des conceptions très différentes de leur histoire commune. Pour une grande partie de l’élite ukrainienne, l’histoire de l’Ukraine est celle d’une colonie : exploitée, réprimée et brutalisée. Même si beaucoup cherchaient à maintenir des liens économiques étroits avec la Russie, le soutien à l’indépendance était très fort : lors du référendum sur l’indépendance organisé en décembre 1991, 90 % des Ukrainiens ont voté pour l’indépendance. Même à Donetsk et à Louhansk, les régions de l’est de l’Ukraine revendiquées par la Russie, le vote en faveur de l’indépendance était de 78 %. En Crimée, il était de 54 %.

    La Russie, quant à elle, n’envisage pas cette histoire comme celle d’une colonisation, mais comme celle de deux « nations fraternelles », où les « petits Russes » (les Ukrainiens) sont choyés par leurs « grands frères » russes. Pendant des siècles, le mythe fondateur de la Russie a été centré sur l’affirmation selon laquelle l’empire qui s’est développé à partir de Moscou depuis le XIVe siècle était l’héritier de la Rus de Kiev, une entité antérieure, centrée à Kiev, où les Slaves orientaux avaient accepté le christianisme sous la houlette du prince Volodymyr/Vladimir le Grand en 988. En revendiquant le titre d’héritière de Kiev, la Russie légitimait le pouvoir des tsars sur la base de motifs dynastiques et religieux, et étayait leur revendication selon laquelle tout le territoire qui avait fait partie de la Kiev médiévale, ou qui était peuplé de chrétiens orthodoxes orientaux, appartenait à la Russie.❞ (...)

    #Ukraine #Russie #occupation #guerre #colonialisme #colonisation #impérialisme #empire_russe

  • Un texte long, complexe dont certains points mériteraient d’être discutés mais qui propose une intéressante perspective historique et permet d’analyser la guerre en Ukraine de manière comparatiste.

    https://aoc.media/analyse/2022/03/14/la-guerre-dukraine-passage-tragique-de-lempire-a-letat-nation

    En rêvant de la réunification des pays de l’ex-URSS, Vladimir Poutine entérine le passage d’un monde d’empires à une constellation d’États-nations, lesquels sont fondés sur le mythe d’un peuple unifié – peuple qu’il convient de créer en niant sa diversité (...)
    Il nous faut penser ensemble trois ordres de processus que nous avons l’habitude d’opposer, sur le mode d’un jeu à somme nulle : à savoir l’intégration croissante du monde dans ses différentes facettes – financière, marchande, technologique, scientifique, religieuse, artistique, etc. –, l’universalisation de l’État-nation comme forme légitime de domination territoriale, et la généralisation de consciences politiques et culturelles de type identitariste, d’orientation plus ou moins ethno-religieuse, à l’échelle aussi bien globale que nationale ou locale.

    Ces processus, eux-mêmes hétérogènes et nullement linéaires, constituent une synergie, au lieu de s’exclure ou de se contredire les uns et les autres comme nous le postulons généralement. Le lecteur comprend que je m’inscris à rebours de la plupart des interprétations qui ont cours sur la scène publique et même dans les débats universitaires.
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    En outre, je situe cette synergie à la lumière du passage d’un monde d’empires à un monde d’États-nation, au cours des 19e-21e siècles. Non qu’il s’agisse d’une succession en bonne et due forme de deux modèles de domination, au sens où l’entendrait l’évolutionnisme. Bien au contraire, ces derniers peuvent coexister, se superposent souvent et se compénètrent volontiers, ne serait-ce que dans l’imaginaire politique ou culturel. Il s’agit plutôt d’un basculement, d’un moment d’historicité qui donne matière à des configurations politiques complexes et à des recompositions permanentes, indissociables de la mémoire historique, plus ou moins traumatique, des combinatoires impériales des Anciens Régimes : en l’occurrence ceux de la Russie, de l’Autriche-Hongrie et des Reich allemands successifs qui se sont affrontés pendant deux siècles sur leurs confins respectifs, une fois disloqué, au 18e siècle, l’État polono-lituanien qui englobait Kiev.

    La destinée de la Crimée est emblématique de ces combinatoires impériales. Le nouvel Empire russe la ravit à l’Empire ottoman à l’issue des guerres de 1787-1792, tout en admettant l’autorité spirituelle du sultan-calife sur les Tatars musulmans de sa nouvelle possession et en obtenant réciproquement un droit de regard sur les orthodoxes des Balkans. En 1853-1856, la Russie perdit la guerre de Crimée face à la coalition anglo-franco-ottomane, humiliation sans conséquences territoriales qui ouvrit la voie à de grandes transformations politiques et sociales tant du côté russe que du côté ottoman. En 1918 le traité de Brest-Litovsk entre l’URSS et l’Allemagne reconnaissait la souveraineté de celle-ci sur la Crimée, une disposition que la défaite allemande rendit caduque quelques mois plus tard. En 1954 Khrouchtchev attribua la péninsule à la république soviétique d’Ukraine. Vladimir Poutine a donc beau jeu de présenter son annexion, en 2014, comme une simple « réunification », selon sa conception nationaliste de l’histoire.

    L’Ukraine, cas d’école

    De tous ces points de vue l’actuelle guerre d’Ukraine est un cas d’école. Elle nous rappelle d’abord que l’État-nation n’est pas soluble dans le marché. Comme en 1848, lorsque le triomphe du libre-échange était allé de pair avec le « Printemps des peuples », comme en Yougoslavie après la mort de Tito, la conversion de l’espace soviétique au capitalisme et son intégration au marché mondial sont allées de pair avec la naissance d’un système-régional d’États-nations. D’ailleurs le capitalisme dont il est ici question est d’État, par le truchement d’une poignée d’oligarques qui sont les fondés de pouvoir des dirigeants politiques, et n’a rien à voir avec l’économie de marché. Il est inutile de gloser sur l’intensité des sentiments nationalistes qui animent les dirigeants comme les peuples concernés. Ce nationalisme est pétri d’un imaginaire identitariste, en l’occurrence d’orientation religieuse, ce qui ne préjuge en rien, au demeurant, de son orientation politique.

    Moscou instrumentalise son Église orthodoxe au service de sa politique expansionniste en jouant sur la confusion entre Rus’ (l’obédience culturelle et religieuse orthodoxe) et Russie (l’État-nation, territorialisé), voire sur une sensibilité teintée de millénarisme. Kiev s’appuie sur une Église orthodoxe d’Ukraine, autocéphale, fondée en 2018 et reconnue par le patriarcat de Constantinople, schismatique aux yeux de l’Église orthodoxe ukrainienne assujettie au patriarcat de Moscou, afin de mettre en valeur la spécificité nationale dans une perspective démocratique et « européenne » qui laisse place au pluralisme religieux, notamment à l’Église uniate de rite grec catholique, principalement implantée dans l’ouest du pays, l’ancienne Galicie[1]. Mais, dans les deux cas, la puissance de l’imaginaire culturel et religieux est à l’œuvre, au prix de nombreuses simplifications historiques[2].

    Chose fascinante, la nation se forge in vivo sous nos yeux : par exaltation militariste de la grandeur russe à l’initiative de Vladimir Poutine et du patriarcat de Moscou, indifférents aux protestations d’une partie de l’intelligentsia russe ; par dé-russification linguistique et religieuse de l’Ukraine et mobilisation armée de nombre de ses citoyens face à l’envahisseur. Simultanément le système régional d’États-nations se reconfigure : l’Union européenne serre les rangs, l’Allemagne opère une mue diplomatique et stratégique radicale sous la houlette de son nouveau chancelier, la Finlande et la Suède sont tentées de tourner le dos à leur neutralité et caressent l’idée d’adhérer à leur tour à l’OTAN. Vladimir Poutine, meilleur serviteur de la nation ukrainienne et de l’Alliance atlantique – ainsi va l’Histoire, dans sa légendaire ironie (...)

    #Ukraine #Russie #guerre #empire #impérialisme #état-nation

  • En finir avec le mythe des « deux Ukraines » - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2022/03/09/en-finir-avec-le-mythe-des-deux-ukraines

    Par Hervé Amiot GÉOGRAPHE
    Si le Kremlin semble à ce point surpris par la résistance ukrainienne et par la condamnation unanime de l’assaut, c’est aussi parce que Poutine et son entourage avaient largement exagéré la composante russe de l’actuelle Ukraine. Une erreur qui s’enracine dans le mythe tenace de la coexistence de « deux Ukraines », l’une intimement russe, l’autre nationaliste – un mythe qui ne résiste pas à une analyse géographique du pays.

    Le 24 février au matin, Vladimir Poutine a annoncé le début d’une « opération spéciale » visant à « démilitariser et dénazifier l’Ukraine », dans le but de « protéger le peuple sujet de l’agression et du génocide perpétrés par le régime de Kiev depuis huit ans ». Si l’opposition à l’extension de l’OTAN vers l’Est est un facteur important, c’est bien la « libération » du peuple ukrainien d’un pouvoir brutal et illégitime, argument central du discours politico-médiatique russe depuis la révolution de Maïdan[1], qui est mise en avant.

    Après deux semaines d’intenses combats, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions de cette guerre sur le plan militaire. Néanmoins, il semble que l’offensive russe se heurte à une résistance, non seulement de l’armée ukrainienne – bien équipée par ses alliés – mais aussi de la population. Même si elles ne disent pas l’ampleur de ce phénomène, de nombreuses images d’Ukrainiens insultant des soldats russes, tentant d’arrêter des colonnes de chars ou faisant la queue aux bureaux de recrutement militaire pour recevoir des armes ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias.

    Les autorités russes avaient-elles anticipé cette réaction ? On peut raisonnablement penser qu’elles s’attendaient à moins d’opposition, surtout dans les régions orientales, comme à Kharkiv, deuxième ville du pays, où l’armée russe ne parvient pas à établir son contrôle. Les populations russes et russophones de l’Est du pays sont en effet fréquemment dépeintes, non seulement à Moscou mais aussi par bon nombre de médias occidentaux, comme attachées à la Russie et peu enclines à se battre pour la défense de la souveraineté de leur État.

    Or, cette analyse se base sur une vision englobante et fixiste des identités politiques en Ukraine, et notamment de celles des Ukrainiens résidant dans les régions orientales et méridionales du pays.

    Une observation fine des dynamiques internes à l’Ukraine depuis l’indépendance montre à l’inverse que cette fraction de la population – illustrée de manière idéaltypique par le président Volodymyr Zelensky, issu d’une famille juive russophone de Kryvyï Rih, grande ville industrielle du Centre-Est – a progressivement basculé dans une position ferme de défense de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale, à partir de 2014. Bien plus que les « révolutions » successives qui ont émaillée la vie politique ukrainienne, ce sont les actions de Vladimir Poutine qui lui ont aliéné une grande partie de l’ « Ukraine de l’Est ».

    Des divisions régionales surestimées
    L’Ukraine indépendante est marquée par une grande diversité, héritée de l’histoire particulière de ses différents territoires. Alors que les régions orientales de Donetsk et Kharkiv ont été très précocement intégrées à l’Empire russe, la région de Kiev fut sous le contrôle de l’État polono-lituanien, avant de connaître un État cosaque indépendant au XVIIe siècle ; la Galicie, correspondant aux régions occidentales de Lviv, Ternopil et Ivano-Frankivsk, n’a jamais fait partie de l’Empire russe, passant de l’Autriche-Hongrie à la Pologne, avant d’être intégrée tardivement à l’Ukraine soviétique (1945).

    Cette géohistoire complexe a produit des différences régionales notables en termes de structures économiques et sociales[2]. Les régions orientales, plus industrielles, ont gardé davantage de liens avec les pays de l’ex-URSS. La part des russophones et des personnes auto-identifiées comme « russes » y est supérieure à la moyenne nationale[3], et de nombreuses familles possèdent des membres en Russie.

    La Galicie est une région bien plus rurale, marquée par l’importance de la pratique religieuse, de la langue ukrainienne et des mobilités de travail vers la Pologne. Les différences régionales se traduisent en termes de positionnement politique : le vote pour les candidats nationaux-démocrates et pro-européens est plus répandu à l’Ouest, tandis que les grandes villes de l’Est se sont davantage prononcées en faveur des élites postsoviétiques et du maintien des liens avec la Russie[4]. Le clivage concerne enfin le rapport au passé et à l’identité nationale : alors qu’en Galicie, l’époque soviétique est largement perçue comme une période de domination étrangère, les monuments à Lénine sont préservés dans de nombreuses villes de l’Est, dans les années 1990 et 2000.

    Ces différences ont été instrumentalisées et renforcées dans des stratégies propres aux acteurs du champ politique ukrainien, au début des années 2000 : Viktor Iouchtchenko, leader du bloc national-libéral, et Viktor Ianoukovytch, chef du Parti des Régions, s’accusent mutuellement d’être des extrémistes, ne représentant que la Galicie ou que le Donbass[5], contribuant à consolider l’image de deux Ukraines irréconciliables. À partir du milieu des années 2000, la Russie joue également un rôle dans le renforcement de ces divisions, en présentant les régions de l’Est et du Sud de l’Ukraine comme appartenant à un « monde russe », basé sur une unité culturelle, linguistique et spirituelle[6].

    L’issue de la révolution de Maïdan – fuite du président Ianoukovytch et vote par l’Assemblée de la suppression de la loi sur les langues régionales de 2012[7] – suscite des mouvements de rejet dans certaines localités du Sud et de l’Est de l’Ukraine. Ceux-ci aboutissent, en Crimée, à un vote du Parlement régional ouvrant la porte à l’annexion par la Russie. Cependant, dans les régions orientales et méridionales, présentées par Moscou comme une « Novorossiya » souhaitant un rattachement à la mère-patrie, l’agitation séparatiste ne prend pas[8]. Seule une partie des régions de Donetsk et Louhansk est prise. Kharkiv, Odessa, Dnipro et les autres grandes villes ne sont pas tombées, par manque de soutien au séparatisme de la part de la population et des élites politiques et économiques locales.

    Les séparatistes et les Russes ont en effet surestimé les clivages régionaux en Ukraine, sur trois plans.

    D’une part, le discours sur les « deux Ukraines » réifie un « Ouest » et un « Est », en leur attribuant les caractéristiques de villes emblématiques de ces divisions (Lviv, Donetsk). Or, en descendant à l’échelle régionale, on constate que Dnipro ou Zaporijia sont très différentes de Donetsk quant à leur histoire et leurs structures socio-économiques. À un niveau encore plus fin, le Donbass lui-même n’est pas homogène : le Nord de l’oblast de Louhansk, autour de Starobilsk, est bien plus rural et ukrainophone que le reste de la région.

    Ensuite, d’autres facteurs complexifient les différences régionales. L’âge est peut-être le plus emblématique : toutes choses égales par ailleurs, les jeunes générations, nées et éduquées en Ukraine indépendante ont davantage d’aspirations européennes que leurs aînés.

    Enfin, et c’est l’élément décisif, attachement à la Russie ne signifie pas volonté de remise en cause de l’unité nationale. Entre 2005 et 2014, la majorité des Ukrainiens du Sud et de l’Est se sont opposés à la politique des nationaux-libéraux, ont continué à se référer à bon nombre de mythes soviétiques, à entretenir une grande défiance vis-à-vis de l’UE et de l’OTAN, voire à s’auto-identifier comme « russes ». Pour autant, aucun mouvement séparatiste d’ampleur ne s’est développé dans ces régions.

    Crimée et Donbass : ciments d’une nouvelle majorité pro-ukrainienne
    Le basculement décisif de ces populations russophones de l’Est et du Sud de l’Ukraine dans le camp pro-ukrainien n’est pas fondamentalement lié à la révolution de Maïdan. Si l’événement déclencheur de celle-ci est le refus du président Ianoukovytch de signer l’accord d’association avec l’Union européenne, le 21 novembre 2013, ce sont les vagues de répressions successives qui font du « Maïdan » un mouvement de masse et dirigé vers des questions de politique intérieure : rétablissement de l’État de droit, fin de la corruption et, au fur et à mesure des violences, destitution du président[9].

    L’enjeu du détachement de l’Ukraine de la sphère d’influence de la Russie est secondaire pour beaucoup de manifestants. Les manifestations de soutien au Maïdan organisées par la diaspora ukrainienne à Paris en offrent une bonne illustration. Alors que les membres historiques de la diaspora, descendants d’immigrés galiciens des années 1930 et 1940, étaient prompts à adopter une attitude de défiance voire d’hostilité vis-à-vis de la Russie, un grand nombre de jeunes Ukrainiens originaires de Kiev et des villes de l’Est souhaitait recentrer la mobilisation sur les questions de politique intérieure et bannir les slogans hostiles à la Russie et aux Russes[10].

    Ce sont les événements postérieurs au Maïdan qui entraînent une large reconfiguration des positionnements politiques, et particulièrement de ceux des Ukrainiens de l’Est et du Sud. Le basculement d’une grande partie de ces derniers vers des positions pro-ukrainiennes se fait en plusieurs temps, de mars 2014 à février 2015.

    L’annexion de la Crimée est d’abord un choc pour de nombreux Ukrainiens : la Russie, vue par beaucoup comme un pays ami, s’est emparée d’une partie du territoire national et menace l’Ukraine continentale. Cet événement entraîne une première vague d’engagement dans les bataillons de volontaires visant à défendre l’intégrité territoriale[11].

    Le deuxième temps est celui de l’agitation séparatiste dans le Sud-Est de l’Ukraine. Des manifestations « anti-Maïdan », demandant l’autonomie voire le rattachement à la Russie, aboutissant dans certains cas à la prise de bâtiments administratifs. Alors que bon nombre de résidents de ces grandes villes orientales et méridionales se posaient peu la question de leur appartenance nationale, au vu des liens étroits qu’ils entretenaient avec la Russie, ils sont à présents poussés à se positionner pour ou contre le séparatisme.

    Certains, touchés par les violences dont ont été victimes certains militants « anti-Maïdan » – comme à Odessa le 2 mai 2014[12] – radicalisent leurs positions pro-russes. Mais, hors de certaines localités du Donbass, la majorité des habitants se range autour de positions pro-ukrainiennes. À côté des mouvements ultranationalistes comme Azov ou Praviy Sektor, des mouvements d’autodéfense pro-ukrainiens se mettent en place à Kharkiv, Dnipro ou Zaporijia pour s’opposer aux manifestants pro-russes et défendre les points stratégiques. Ceux-ci sont souvent le fait d’individus entretenant un rapport distancié à la politique, voire une identification nationale floue, et qui étaient parfois sceptiques vis-à-vis de l’Euromaïdan.

    Le dernier temps du basculement des Ukrainiens de l’Est vient avec l’intensification de la guerre du Donbass, à l’été 2014, et les premières évidences d’une intervention directe de la Russie, notamment lors de la très meurtrière[13] bataille d’Ilovaïsk (24-30 août)[14].

    Les batailles de l’aéroport de Donetsk et de Debaltseve clivent de manière définitive la population. Une majorité d’Ukrainiens de l’Est (hors Donbass et Crimée) rejoint le reste du pays autour de positions pro-ukrainiennes, identifiant clairement la Russie comme partie directe ou indirecte au conflit. Une minorité se réfugie dans une position pro-russe claire, niant toute possibilité de réintégration du Donbass à l’Ukraine. La constitution d’une vaste majorité pro-ukrainienne, regroupant Ukrainiens de toutes régions, est visible dans l’émergence d’un grand mouvement d’engagement bénévole visant à équiper l’armée ukrainienne, prendre soin des militaires blessés et de leurs familles[15]. 

    De profondes reconfigurations identitaires en huit ans de guerre
    Les interventions directes et indirectes de la Russie en Ukraine au cours de l’année 2014 ont eu un impact majeur sur les identités politiques. Elles ont poussé un bon nombre d’Ukrainiens de l’Est à prendre rapidement et clairement position contre le séparatisme et à revendiquer leur appartenance à une nation ukrainienne au sens civique du terme, fondée sur la loyauté envers l’État et la non-remise en cause de l’intégrité territoriale. Mais la prolongation de l’occupation de la Crimée et de la guerre du Donbass a engendré une reconfiguration plus profonde des identifications nationales. Celle-ci se déploie à un rythme plus lent et touche plus inégalement les individus, mais elle n’a cessé de se renforcer au fil des huit années de guerre.

    Il s’agit de l’adoption progressive par une fraction des Ukrainiens russophones de Kiev, de l’Est et du Sud d’une conception ethno-nationale de l’identité ukrainienne, traditionnellement cantonnée aux régions occidentales ou aux élites nationales-libérales.

    Cette identité est basée sur un ensemble d’éléments, au premier rang desquels se trouve l’usage de la langue ukrainienne. Au cours de mes recherches, tant en Ukraine que dans l’immigration, j’ai rencontré de nombreux russophones qui étaient « passés » à l’ukrainien, dans la majorité de leurs interactions en dehors de la sphère intime et dans leur communication publique, sur les réseaux sociaux par exemple. Soutenu par une politique nationale et par les intellectuels, le mouvement d’ « ukrainisation » rencontre certes des résistances, mais gagne aussi un nombre conséquent de soutiens, notamment parmi les jeunes ayant grandi dans des familles russophones[16].

    Ces reconfigurations identitaires touchent également au passé et aux symboles nationaux. Des références jusque-là cantonnées aux mouvements nationalistes ou aux régions occidentales, et perçues avec beaucoup de méfiance à l’Est, ont acquis une popularité notable dans l’ensemble du pays depuis le début de la guerre du Donbass. La figure de Stepan Bandera, tout comme les slogans et symboles[17] de l’Organisation des nationalistes ukrainiens[18], jusque-là facteurs de division, sont devenus des forces de rassemblement pour une grande partie des Ukrainiens[19].

    Il faut toutefois garder à l’esprit que ces reconfigurations ethno-nationales suivent avec du retard les reconfigurations de l’identité civique ukrainienne. Par rapport à la masse des Ukrainiens russophones ayant exprimé sa fidélité à l’État ukrainien, le nombre de ceux ayant adopté ces référentiels ethno-nationaux est plus faible. Par exemple, l’attachement à la fête du 9 mai – commémorant la victoire soviétique dans la « Grande guerre patriotique » – est encore vivace, même chez ceux qui rejettent entièrement l’annexion de la Crimée et le séparatisme du Donbass.

    Si l’action de la Russie depuis 2014 en est le catalyseur, cette identité ethno-nationale se diffuse sous l’effet de deux forces. D’une part, l’action de l’État : les gouvernements post-Maïdan ont mené des politiques d’ukrainisation et de décommunisation bien supérieures à celles de Viktor Iouchtchenko en son temps[20]. D’autre part, la socialisation par les pairs : celles et ceux qui ont participé de près ou de loin au conflit du Donbass (combattants, mais aussi bénévoles dans l’aide à l’armée ou aux civils) ont eu tendance à développer des positionnements patriotiques plus radicaux, qui ont infusé dans leur entourage. Le prestige acquis sur le champ de bataille ou dans le travail bénévole a donné aux « volontaires » une grande autorité morale au sein de la société ukrainienne.

    Ces entrepreneurs politiques, qu’ils soient institutionnels ou non, ont construit l’idée que l’héritage russo-soviétique colonise le quotidien des Ukrainiens (pratique de la langue russe, appétence pour la littérature ou le cinéma russe, célébrations de fêtes soviétiques…) et que seule la diffusion de cette identité ethno-nationale permettra d’aboutir à la libération de l’Ukraine de l’influence de son voisin.

    L’Ukraine définitivement perdue pour la Russie ?
    Depuis 2014, la diffusion d’une identité civique, basée sur la loyauté envers l’État ukrainien, et d’une identité ethno-nationale ukrainienne, fondée sur la rupture totale avec le « monde russe », a donc fait perdre à la Russie de Poutine le peu de soutien qui pouvait lui rester en Ukraine, hors de la Crimée et du Donbass séparatiste.

    À l’aune de cette analyse, l’invasion russe visant à « libérer » le « peuple frère » apparaît extrêmement aventureuse. L’armée russe, qui ne s’attendait pas à une telle résistance, est probablement touchée dans son moral ; les oppositions à la guerre de la part des Russes sont pour l’instant contrôlées, et ne menacent pas le pouvoir, mais jusqu’à quand ? Et en cas de victoire militaire, comment la Russie imposera-t-elle un régime fantoche à une population ukrainienne qui lui est largement hostile ? Pour les Ukrainiens, il est extrêmement délicat de prédire de quoi sera fait l’avenir. Mais il est probable que cette guerre cimente définitivement l’identité ethno-nationale en construction depuis huit ans.

    Hervé Amiot
    GÉOGRAPHE, DOCTORANT À L’UNIVERSITÉ BORDEAUX-MONTAIGNE

  • Gender backlash - AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2022/03/07/gender-backlash

    Une réflexion passionnante sur la raison pour laquelle les masculinistes et les néo-dictateurs marchent main dans la main dans le refus des théories du genre.

    Ces dernières années, la condamnation violente des études féministes et de genre s’est fait sentir aussi bien de la part de dirigeants autoritaires que dans des pays en apparence plus progressistes. Ce retour de bâton a de quoi inquiéter, mais il témoigne aussi du fait que le travail de dénaturalisation des normes de genre opéré par ces études est perçu comme une véritable menace par les ennemis du changement social.

    #Genre #Féminisme #Politique #Masculinisme