Guerre à l’Ukraine, guerre à la drogue – Libération

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  • Guerre à l’Ukraine, guerre à la drogue | Guillaume Lachenal
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    en qualifiant les Ukrainiens de « Narkoman », Vladimir Poutine était parfaitement cohérent, dans la droite ligne des positions russes en matière de #drogue depuis deux décennies, en faisant une référence transparente à l’équation qui les guide : drogue = mal = sida = Occident = Ukraine. De ce point de vue, la guerre à l’Ukraine est aussi une guerre à la drogue, l’atrocité de l’une redoublant la bêtise de l’autre.

    #Russie et #Ukraine font face depuis les années 90 à une situation sanitaire dégradée par deux épidémies imbriquées, l’explosion de la consommation de drogues injectables provoquant, outre une forte mortalité par overdoses, une explosion des cas de VIH-sida, avec des chiffres sans équivalent dans le monde en dehors de l’Afrique (dans les deux pays plus de 1% de la population est porteuse du virus). Mais leur trajectoire diverge nettement depuis une dizaine d’années, l’Ukraine ayant adopté les stratégies de « réduction des risques » validées à l’échelle internationale, avec la mise à disposition de traitements de substitution comme la méthadone, qui permettent d’éviter overdoses et contaminations, alors que la Russie s’entête dans une stratégie de criminalisation, de sevrage forcé et de black-out concernant les données sanitaires, tout en militant activement sur le plan international pour faire passer les traitements de substitution pour des drogues illicites.

    Dans ce contexte, la Russie a développé une obsession pour la drogue en Ukraine. En 2014, des médias russes expliquaient ainsi que les manifestants pro-européens de Maïdan étaient tous sous l’influence de drogues, mises à leur insu dans le thé et les gâteaux distribués sur place (des fake news accusent même BHL en personne de s’en être chargé lorsqu’il était sur place). Viktor Ivanov, le chef du FSKN, le service antidrogue de la Fédération de Russie, faisait même de la politique ukrainienne de réduction des risques la cause de la révolution « Euromaïdan » de 2014 : d’après lui la méthadone, au lieu d’aider les personnes dépendantes, avait en fait rendu addicts une nouvelle génération d’Ukrainiens, les rendant vulnérables au lavage de cerveau par des « sectes » (il parlait des ONG d’aide aux usagers de drogue) qui les avaient recrutés pour aller servir de chair à canon dans les émeutes (qui firent plus de 100 morts).

    Dans les premières semaines suivant l’annexion russe de la Crimée en mars 2014, le même Viktor Ivanov fit de la guerre à la méthadone une priorité politique, annonçant la fermeture des centres de prise en charge des usagers de drogues dans la péninsule dès le 2 avril. Moins d’un an plus tard, le médecin français Michel Kazatchkine, envoyé spécial des Nations unies pour la lutte contre le sida en Europe de l’Est, estimait qu’une centaine de patients, contraints de retourner à la consommation d’opiacés de rue, étaient déjà morts d’overdose, sur les 800 suivis en Crimée avant l’interdiction des traitements de substitution. En décembre 2014, le FNSK fit un grand feu et y jeta devant les caméras les derniers stocks de méthadone de Crimée, achetés avec des subventions du Fonds mondial de lutte contre le sida.