Alors sans totalement assimiler les deux situations, on peut tout de même constater que les mêmes qui édulcoraient Al-Nusra en Syrie ressortent des arguments très similaires pour les groupuscules extrémistes en Ukraine. On a même ici le désormais classique « en fait c’est surtout Poutine qui a besoin d’eux », comme on avait auparavant « c’est surtout Assad qui a besoin d’Al-Nusra ». Dans deux semaines on pourra nous soutenir qu’en fait c’est Poutine qui a fabriqué les extrémistes en Ukraine.
Et ces discussions ignorent assez systématiquement des points tels que :
– Quel est le magistère moral de l’Occident qui, dans absolument toutes les guerres, recourt à des escadrons de la mort sous une forme ou une autre ? Cela ne justifie pas pour autant les crimes du camp d’en face, mais ça devrait tout de même limiter les postures totalement moralistes, surtout que les mêmes experts ont la tendance lourde à traiter, justement sur la base de postures morales, toute forme de real politik ou d’anti-impérialisme comme de la pure traîtrise.
– Ces groupes extrémistes qui sont dans notre camp se livrent systématiquement à des crimes de guerre. (Sans, encore une fois, excuser les crimes de guerre du camp d’en face.) Les crimes des groupes ukrainiens ont déjà été documentés, il y a quelques années, par les ONG occidentales. Et ces crimes sont des éléments extrêmement déstabilisants qui perpétuent les guerres civiles et accentuent l’escalade guerrière. (Et aussi point précédent : ça devrait interdire les postures morales.) Une conséquence de ces exactions est le soutien d’une partie des populations (Donbass par exemple) pour le camp d’en face. (Ce qui permet ensuite aux commentateurs d’expliquer qu’en fait, ah ben dites donc, c’est le dictateur d’en face qui ont besoin de ces groupes.)
– À force d’être soutenus par l’Occident, sur la durée, les différents fascistes dans notre camp finissent toujours par influer lourdement sur la lecture médiatique que nous avons des conflits. Les droites et extrême-droites chrétiennes libanaises ont, encore de nos jours, un poids démesuré dans les médias français et dans notre monde politique, on finit toujours par se heurter à leur lecture toute particulière du monde (même pour notre élection d’ici, on a encore eu droit au cirque des droites et extrêmes-droits françaises qui sont allées faire leurs génuflexions identitaires sur le thème des Chrétiens d’Orient). Traditionnellement les cubains de Miami les plus extrémistes ont une influence massive sur les médias états-uniens. Sur la Syrie, je pense qu’on a souvent toléré en France des lectures très religieuses de la situation, pas éloignées de la promotion de la haine religieuse (même plus sobrement, les appels à la hijra, les analyses par des « experts » proches du salafisme, ont été, à un moment, très bien tolérés en France). Etc. Est-ce que l’extrême-droite ukrainienne a une influence sur la lecture occidentale du conflit ? Franchement je ne sais pas : c’est parfois suggéré sur touiteur, mais je ne sais.
