La hausse des prix des carburants plonge les services d’aide à domicile dans une situation « critique »

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  • La hausse des prix des carburants plonge les services d’aide à domicile dans une situation « critique »

    Pour les professionnels du secteur, la mesure gouvernementale qui va baisser à partir du 1er avril de 15 à 18 centimes le prix du litre à la pompe, ne suffit pas.

    Il y a celles qui écrivent des mails, celles qui déclinent les interventions éloignées, celles qui refusent les remplacements, celles qui démissionnent, celles qui n’ont même pas embauché… « A partir du 20 du mois, on a aussi des salariées qui nous disent “je ne peux plus travailler d’ici à ce que je touche ma paie” », constate Amir Reza-Tofighi, président de la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap) qui représente plus de 3 000 entreprises. « On est un peu en alerte générale, confie Marie-Reine Tillon présidente de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA), plus de 800 structures associatives ou publiques. Nous avons toujours eu des difficultés à recruter et des démissions, mais ces dernières semaines on constate une accélération. »

    Alors que 150 000 salariés manquent déjà dans le secteur, la hausse des prix du carburant met l’aide à domicile, où l’usage de la voiture est incontournable, dans une situation délicate. La plupart des salariées (plus de 400 000 en France, essentiellement des femmes) circulent en effet avec leur propre véhicule entre les logements des personnes en perte d’autonomie qu’elles assistent. Elles payent le carburant sur leur tout petit salaire, puis, selon les conventions collectives, sont remboursées de 0,22 à 0,35 euro du kilomètre, un montant censé couvrir l’amortissement du véhicule, l’entretien, l’assurance, et le prix du carburant. Cette indemnité n’a pas varié depuis dix ans. Elle ne prend donc pas en compte la récente envolée des prix à la pompe.

    « On est pris à la gorge », résume Amandine Batelier, aide à domicile, qui parcourt jusqu’à 800 km par semaine, sur les routes de l’Oise avec son diesel. Quatre pleins par mois avec un gazole à plus de 2 euros le litre c’est 400 euros à avancer sur les 1 250 euros net qu’elle gagne pour son temps partiel. « Maintenant quand on fait les courses, on y va avec la calculatrice ! Depuis vingt ans que je suis avec mon conjoint, ça ne nous était jamais arrivé », confie, effarée, cette mère de trois enfants de 4 à 10 ans.

    Elle a alerté ses responsables par mails et courriers. « On se bat à la hauteur de nos moyens. Je peux me mettre en grève sur mes heures de ménage, ce n’est pas vital. Mais je ne me vois pas renoncer à changer la couche d’un papy le matin. »
    La mesure gouvernementale qui va réduire d’au moins 15 centimes le prix du litre à la pompe à partir du 1er avril est pour elle « déjà une petite économie ». Mais cela effacera tout juste la hausse du gazole sur les deux dernières semaines.

    « Il est désolant que le gouvernement n’ait pas eu un geste spécifique pour notre secteur, regrette Eric Fregona de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Pour les pêcheurs, les routiers, les agriculteurs ou les travaux publics, des enveloppes de 30 à 550 millions d’euros ont été débloquées. « Encore une fois, nos salariées sont les oubliées », fustige Amir Reza-Tofighi. « Contrairement à d’autres nous n’avons pas la capacité de bloquer les routes ou les dépôts pétroliers », remarque Marie-Reine Tillon.

    « Situation critique »

    Pour faire face, « on bricole », dit-elle. Les structures qui le peuvent ont proposé des aides ponctuelles. C’est le cas du réseau de l’aide à domicile en milieu rural (ADMR), qui vient d’augmenter de deux centimes l’indemnité kilométrique jusqu’au 31 mai, avec effet rétroactif au 1er février. « On a fait nos calculs : on peut le financer pendant quatre mois, mais on ne pourra pas en faire une mesure pérenne », précise Laurence Jacquon, directrice adjointe de l’ADMR. L’employeur d’Amandine Batelier va aussi passer son indemnité de 0,35 à 0,37 euro du kilomètre, pour mars et avril. « Apparemment ils ne peuvent pas faire plus », soupire-t-elle.

    « Nous avons peu de marge de manœuvre. Les situations financières des entreprises comme des associations sont très difficiles car le secteur est sous-financé », rappelle Amir Reza-Tofighi. Il n’est pas possible d’augmenter unilatéralement le prix des prestations, dont les tarifs sont encadrés. Toute modification pérenne doit être agréée par l’Etat et pouvoir être supportée financièrement par les départements, acteurs principaux de l’aide à l’autonomie.

    « Les employeurs n’ont plus les moyens de retenir les professionnelles. La situation est critique », insiste Eric Fregona. « Le secteur est à bout de souffle, renchérit Amir Reza-Tofighi. Quand ça va exploser, il ne faudra pas nous dire que nous n’avions pas alerté. »

    Nul ne se berce d’illusion sur les chances d’obtenir d’engagement politique fort à dix jours du premier tour de la présidentielle. Au cabinet de la ministre déléguée chargée de l’autonomie, on indique que Brigitte Bourguignon a bien « identifié le sujet ». Et qu’elle invite les acteurs « en capacité » de le faire, à imiter l’initiative de l’ADMR.

    https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/31/la-hausse-des-prix-des-carburants-plonge-les-services-d-aide-a-domicile-dans

    « Il est temps de reconnaître le travail des aides à domicile » (22 septembre 2021)

    Un collectif d’universitaires et de féministes, dont l’écrivaine Annie Ernaux et la sociologue Dominique Méda, plaide, dans une tribune au « Monde », pour la création d’un grand service public de l’aide à l’autonomie ainsi que pour la revalorisation des salaires et des carrières de celles qui ont été les « grandes oubliées » du Ségur de la santé.

    Aides à domicile : la « révolution salariale » engendre des « différences de traitement »

    L’augmentation salariale annoncée en septembre ne s’applique qu’aux salariés du secteur associatif. Dans l’Aisne, 58 % des personnels ne sont pas concernés.

    https://justpaste.it/98zvk

    #travail #salaire #femmes

    • La vieille, avenir de l’homme : "Des femmes de 70 ans [postulent sur des postes d’auxiliaires de vie] pour compléter leur retraite"

      « A l’Ehpad, j’aurais décliné plus vite ! » : dans les Pyrénées, en tournée avec des auxiliaires de vie, Camille Bordenet (Vallées d’Aure et du Louron, Hautes-Pyrénées, envoyée spéciale)

      Dans les vallées d’Aure et du Louron, comme dans le reste du pays, le secteur de l’aide à domicile peine à recruter. Le métier est difficile, peu rémunéré, et pourtant essentiel pour les personnes âgées dépendantes.

      Au travers des dentelures de la chaîne des Pyrénées, les premiers rayons détourent des ombres portées sur les pâturages et les fermes coiffées d’ardoise. Chasuble bleue floquée du sigle de l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR), Fabrice Gaillard, auxiliaire de vie, n’a pas le loisir d’admirer les jeux de lumières sur les vallées d’Aure et du Louron, aux confins du pays.

      Son contre-la-montre, ou plutôt contre la badgeuse – une pointeuse avec GPS –, a commencé une demi-heure plus tôt en quittant son domicile, à plus de 20 kilomètres. Premier arrêt éclair au bureau de son employeur, l’ADMR d’Arreau et ses vallées, pour revoir le plan d’aide d’un bénéficiaire. Puis il file direction le village de Vielle-Aure (Hautes-Pyrénées).

      « Bonjour Marie-Thérèse ! » Dans son lit médicalisé, la vieille dame aux cheveux de neige sourit, heureuse de retrouver son auxiliaire de vie. Partenaire de longévité, pourrait-on dire : Marie-Thérèse Guilbaud aura bientôt un siècle. Elle le doit, estime-t-elle, au bonheur de vieillir sereine dans sa maison au creux de ses montagnes. « A l’Ehpad, j’aurais décliné plus vite », dit-elle en se repeignant dans son lit.

      Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), Fabrice Gaillard non plus n’a pas voulu y postuler, lorsqu’il a choisi le secteur de l’aide à domicile, après l’arrêt de son exploitation de canard gras, il y a deux ans. L’une de ses filles y travaille comme aide-soignante. « Je préfère l’usure de la route à celle de travailler à la chaîne. Au domicile, on a encore du temps pour être un soutien moral. » Fabrice veut offrir à ses bénéficiaires ce qu’infirmières et aidants de vie ont permis à son père, atteint d’une tumeur : rester chez lui, jusqu’au bout.

      « On continue pour eux »

      Treize kilomètres de zigzags escarpés plus haut, aux pieds de la station de Piau-Engaly et de la chapelle des Templiers, le village d’Aragnouet est le dernier avant l’Espagne. Gisèle Tabouni, 58 ans, blouse lilas, prépare la chambre de Justin Valencian, berger de 92 ans « né dans cette maison », puis file remuer la purée chez la voisine de la ferme d’en face, sous respirateur devant Cyril Hanouna, dans un intérieur modeste. Exploitant de vaches Casta en difficulté, son fils Eric Péclose aurait du mal à s’occuper seul d’elle, dit-il. « Non mais franchement, vous les voyez, tous, à l’Ehpad ? », demande Gisèle. Sept ans qu’elle monte « là-haut », là où il faut chausser les pneus neige l’hiver, rebrousser chemin parfois et laisser les bénéficiaires se débrouiller. « Faudrait leur fournir un hélico », plaisante à moitié Eric. L’ADMR d’Arreau couvre une superficie étendue : 46 communes, quatre secteurs, trois combes.

      Avant, Gisèle Tabouni tenait un bar-tabac avec son mari, dans le Lot-et-Garonne. « En arrivant, je pensais faire ce boulot un an. Puis on continue pour eux, malgré tout. » Malgré le manque d’effectifs, les plannings morcelés, la frontière des tâches pas toujours claires, les repas « dans la bagnole »… Malgré les 1 600 euros en temps partiel, dont 400 partent en essence, avec un litre à plus de 2 euros, plus ses trois crédits, dont un sur sa voiture achetée après que la précédente l’a lâchée en tournée. Son salaire a bien été augmenté de plus de 300 euros à l’automne 2021, de manière « inespérée » – les aides à domicile du secteur associatif ont bénéficié d’une revalorisation salariale de 13 % à 15 %. « Ça soulage sur le coup, mais c’est englouti en essence », dit-elle.

      Sur ce front-là, le gouvernement a annoncé une baisse de 15 à 18 centimes le litre, mais n’a pas fait de geste spécifique pour les aides à domicile. Sur préconisation de l’Union nationale de l’ADMR, la Fédération des Hautes-Pyrénées a augmenté leur indemnité kilométrique, d’ordinaire à 35 centimes – censés couvrir entretien, assurance et carburant –, de six centimes, pour quatre mois.

      Des compensations qui semblent maigres quand Gisèle, 1,54 mètre et 50 kg, évoque ses douleurs, les « couteaux » qui lui lacèrent le dos, les boutons de fièvre et l’ibuprofène « pour tenir ». Car elle les aime, ses anciens. Ses collègues aussi. Elle pense à « toutes les autres », ces femmes qui, pour un smic, portent à bas bruit et à bout de bras le vieillissement d’une population que l’on voudrait maintenir à demeure.

      Devant l’entrée de l’ADMR d’Arreau, un tableau d’écolier implore : « URGENT : l’ADMR recrute auxiliaires de vie. » Dans l’ensemble du pays, 150 000 salariés manquent au secteur. La petite association compose avec les arrêts de travail, les accidents, les démissions, les demandes de dossiers en souffrance et la surcharge de celles qui pallient… avant de s’épuiser à leur tour. Démuni, le président bénévole, Louis Anglade, un ancien de La Poste, a fait appel à un cabinet de coaching « pour tenter d’améliorer le bien-être de nos filles ». Il serait aussi question de les équiper de véhicules de fonction, mais la location, onéreuse, est repoussée… « Le secteur est sous-financé, les assos manquent de moyens », dit-il. Les « filles » d’Arreau s’estiment déjà « bien loties », avec une structure à l’écoute.

      Lutte pour la reconnaissance

      C’est plutôt ceux « d’au-dessus » qu’on pointe du doigt. « Notre revalorisation ? Du foutage de gueule, tranche Véronique Durrieu, 59 ans, dont dix dans le métier, en faisant goûter Serge, en fauteuil roulant. S’ils veulent recruter : salaire minimum de 2 000 euros à toutes, voiture de service, primes de pénibilité. » La voilà qui court faire les courses d’un autre. « Hop hop », re-voiture, re-escaliers, re-badge, emmener aux toilettes une autre, re-voiture, retour chez Serge pour le dîner.

      Ses enjambées souriantes masquent une sciatique depuis qu’un bénéficiaire de 160 kg lui est tombé dessus : un transfert du fauteuil roulant à la chaise percée, « j’avais pourtant tout bien manœuvré ». Une autre fois, elle a glissé sur du verglas. La profession est celle qui compte le plus d’#accidents_de_travail, devant le BTP. Après un mois d’arrêt, cette « Shiva » à plusieurs bras a renfilé sa blouse, gardant son vendredi pour de la rééducation,« sinon, les collègues et les bénéficiaires font comment ? ». Fabrice Gaillard déplore que les hommes soient trop rares, à cause du « cliché de la boniche, or ça demande de la force physique ».

      Après cinq mois de CDD, Typhanie Rouch, 21 ans, capitule. « Pas envie de finir avec le dos en compote », dit-elle en supportant, pour la dernière fois, les relents d’une cuisine jonchée de détritus et de vaisselle sale. « 7 h 30-19 h 30, pas le temps de voir mon copain, de faire mes courses. Et l’ingratitude de certains vous pousse à bout. » Elle est diplômée d’un bac pro de service à la personne. Pour la suite, elle a trouvé un CDD saisonnier. Ses collègues la regrettent déjà. « On va se retrouver qu’entre vieilles, mais à 20 ans je ne l’aurais pas fait non plus, à ce tarif », admet Gisèle Tabouni. Des femmes de 70 ans toquent à l’ADMR pour compléter leur retraite, « voyez la misère ? », dit Véronique. Sa retraite, elle l’attend, même si ça doit être 600 euros, « pour retourner en Grèce, ça suffirait ».

      En attendant, la lutte pour la reconnaissance continue, emmenée par un collectif national créé en 2020 – La force invisible des aides à domicile –, au sein duquel s’investit Christine Fourcade, vingt-six ans d’ADMR à Arreau et une épicondylite au coude. Cette ancienne a vu les cadences tripler, comme celle de son mari à l’usine. Notamment depuis la création de l’Aide personnalisée d’autonomie, en 2002. « On encourage le maintien à domicile, mais sans nous donner les moyens. » Moyens qui devraient aussi être adaptés aux territoires ruraux enclavés.

      La présidentielle ? Soupirs. Ils écoutent d’une oreille la télé, chez leurs bénéficiaires. Evoquent Nathalie Artaud (Lutte ouvrière), Fabien Roussel (Parti communiste), Marine Le Pen (Rassemblement national), Emmanuel Macron… « ou peut-être une rando ». De leurs blouses, ils n’entendent pas parler, ou si peu. « A part [François] Ruffin, mais il est isolé, regrette Fabrice Gaillard. Alors que sans nous, certains aînés seraient en train de dépérir en Ehpad. Ils ont travaillé toute leur vie pour se payer leur maison, ils ont le droit d’y vieillir dignement. »

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/01/a-l-ehpad-j-aurais-decline-plus-vite-dans-les-pyrenees-en-tournee-avec-des-a