• A Shanghaï, des enfants séparés de leurs parents, parfois dès l’accouchement, au nom de la politique zéro Covid
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/04/07/covid-19-a-shanghai-des-regles-de-confinement-draconiennes_6120939_3244.html

    A Shanghaï, des enfants séparés de leurs parents, parfois dès l’accouchement, au nom de la politique zéro Covid
    Alors que la plus grande ville de Chine entre dans une deuxième semaine de confinement draconien, l’isolement d’enfants même très jeunes en cas de test positif suscite colère et anxiété. M. Peng est devenu papa d’un petit garçon le 1er avril. Il n’a toujours pas vu son fils. La mère, encore à l’hôpital, a été positive au Covid-19 juste avant l’accouchement. M. Peng (qui ne donne que son nom de famille pour ne pas être reconnu) et son fils ont été négatifs, mais l’enfant a été placé à l’isolement malgré tout. « Je pourrai le récupérer le 8 avril, mais je ne sais même pas comment je pourrai sortir de chez moi et rejoindre l’hôpital, alors que tout est confiné », s’agace-t-il. La mère et l’enfant se trouvent actuellement dans deux départements séparés de la clinique publique du district de Jinshan, dans le sud-est de Shanghaï. Le 2 avril, la publication d’une vidéo prise dans cet hôpital public montrait des dizaines d’enfants, souvent à cinq ou six dans des lits à barreaux de fer : beaucoup de nouveau-nés, certains en larmes, dépenaillés, ou la tête sous une couverture…
    Mardi, une pétition en ligne a circulé quelques heures sur la messagerie WeChat, demandant la fin de cette politique, avant d’être censurée. Le 31 mars, le consulat français de Shanghaï a officiellement protesté, au nom de l’Union européenne, dont la France assure la présidence. Mais l’objectif zéro Covid passe avant tout : les autorités chinoises ne veulent pas voir des parents positifs infecter leur enfant ou l’inverse.
    Après avoir tenté pendant plus de trois semaines de contrôler plusieurs foyers de Covid-19 avec des mesures ciblées, Shanghaï a fini par confiner toute la ville, en commençant par sa partie est, Pudong, le 28 mars, puis tout le reste de la métropole depuis le 1er avril. La ville a déclaré 17 077 cas mercredi, alors que la Chine enregistrait 20 582 cas, un record absolu depuis le début de la pandémie, il y a plus de deux ans, à Wuhan.
    L’arrivée de la vice-première ministre, Sun Chunlan, à Shanghaï samedi a marqué la détermination de Pékin à poursuivre une politique zéro Covid stricte. La vice-première ministre, qui est chargée de la coordination de la lutte contre l’épidémie depuis plus de deux ans, a notamment appelé la ville à mettre en place davantage de centres d’isolement. Shanghaï dispose actuellement de 47 700 lits pour l’isolement et le traitement des patients atteints du Covid, et 30 000 devraient être ajoutés « immédiatement », a déclaré mardi le vice-secrétaire général de Shanghaï. Ces derniers jours, 2 000 membres du personnel médical de l’armée chinoise et 38 000 professionnels de santé des provinces voisines sont arrivés en renfort.
    Mais les conditions de ce confinement suscitent de plus en plus de colère et de frustration parmi la population. Dans certains quartiers, des problèmes d’approvisionnement se multiplient : des résidents affirment avoir faim. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos montrent des résidents emportés de force en confinement par des hommes en combinaison blanche. Quant aux centres de confinement, ils concentrent les critiques : ce sont des gymnases ou des parcs d’exposition où sont alignés de simples lits de camp, parfois agrémentés de quelques cloisons, mais aucun d’entre eux ne dispose de douche et les sanitaires semblent systématiquement insuffisants. Les patients positifs y restent dix à vingt jours en moyenne.
    Le choc de la séparation des enfants vient s’ajouter à ce contexte tendu. Lors d’une conférence de presse lundi, les autorités sanitaires de Shanghaï ont défendu leur choix : « Les personnes infectées doivent être isolées des personnes non infectées », a rappelé Wu Qianyu, une responsable de la commission municipale de la santé de Shanghaï. La ville semble toutefois adapter cette politique, sous la pression combinée des citoyens chinois et des représentations étrangères. Mercredi, Wu Qianyu a indiqué que, « pour des enfants avec des besoins spéciaux positifs, des proches peuvent demander à les accompagner, après avoir signé une lettre reconnaissant les risques encourus », sans préciser ce qui constitue des « besoins spéciaux ».
    La veille, le journal officiel Shanghaï Daily rapportait que le centre d’isolement installé dans le Shanghaï New International Expo Center disposait désormais d’une section d’un millier de lits réservée aux enfants et à leurs parents, quel que soit leur statut : « Pour la petite quantité de patients négatifs, le personnel médical les autorise à rester avec leur enfant, après les avoir informés des risques », explique le journal.Mais, sur le terrain, la confusion règne : Mme Wu, 24 ans, a été positive le 31 mars, avec son mari et leur bébé de 3 mois. Après un bref passage à l’hôpital, la famille a été envoyée à l’isolement dans un hôtel. « J’espérais recevoir un traitement, mais on nous a redit ce matin que, si on était traités à l’hôpital Jinshan, le bébé serait traité séparément », confie-t-elle mercredi, donnant simplement son nom. Son mari a déjà été envoyé en centre d’isolement. « Je suis terrifiée ! Mon bébé a 3 mois, il reconnaît les gens et il ne peut pas me quitter… Je ne vois vraiment pas pourquoi séparer notre bébé si nous sommes tous les trois positifs, mais personne ne nous explique rien. » Ces derniers jours, les groupes de parents sur la messagerie WeChat s’échangent anxieusement des articles et des témoignages pour tenter de faire sens des différentes déclarations.
    L’inquiétude est largement partagée. Mathieu, un Français qui tient lui aussi à rester anonyme, vit à Shanghaï avec sa femme enceinte et sa fille de 19 mois. Lundi soir à 22 heures, ils ont entendu des coups frappés à leur porte : leurs tests, effectués le matin même, étaient « anormaux ». Mais en Chine, les tests de masse sont effectués en mélangeant 10 à 20 échantillons. En cas de résultat positif, le groupe doit être testé à nouveau. Son test est positif : il s’isole dans une chambre et attend. « On est très stressés : ma femme a une grossesse à risque, elle devrait se reposer, mais là, elle s’occupe toute seule de notre fille, qui déborde d’énergie. Il est possible qu’ils viennent me chercher à tout moment pour m’envoyer en centre d’isolement. Ma femme angoisse totalement, elle s’imagine qu’ils vont venir chercher notre fille au milieu de la nuit. C’est le principal problème pour moi : l’état physique et mental de ma femme, et surtout ma fille, envisager qu’elle puisse nous être retirée… Mais ça, c’est hors de question, on ferait tout pour les en empêcher : on ne sépare pas une gamine de 19 mois de ses parents ! »

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