Le « doomscrolling », ou l’ascenseur émotionnel sans fin des réseaux sociaux

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  • Le « doomscrolling », ou l’ascenseur émotionnel sans fin des réseaux sociaux
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/20/le-doomscrolling-ou-l-ascenseur-emotionnel-sans-fin-des-reseaux-sociaux_6122

    Histoire d’une notion. Dans les transports, dans la file d’attente du supermarché, dans l’ascenseur, dans le confort d’un canapé ou l’intimité d’un lit, les contenus défilent d’un mouvement machinal du pouce ou de l’index quasi automatique. Sur Facebook, Instagram, TikTok ou Twitter, ils s’égrènent inexorablement : images de la guerre en Ukraine, chiffres de la pandémie de Covid-19, articles déchiffrant le dernier rapport du GIEC, commentaires alarmés sur l’état du paysage politique. Le plus souvent, aucune émotion ne transparaît sur le visage de l’utilisateur ; mais, en son for intérieur, la curiosité ou l’ennui le cèdent parfois à l’appréhension, voire à l’angoisse la plus pure. Qu’importe : il continue. Cette consultation compulsive a désormais un nom : le doomscrolling, c’est-à-dire le fait – ou le sentiment – de ne pas pouvoir s’empêcher de faire défiler indéfiniment des contenus multimédias anxiogènes.

    Pourquoi cette incapacité à s’autoréguler semble-t-elle si partagée ? « Le modèle économique des entreprises type réseaux sociaux est basé sur le temps passé par les utilisateurs sur les plates-formes, car c’est cette durée d’attention qui sera valorisée auprès des annonceurs publicitaires, détaille Nicolas Nova, anthropologue du numérique. Celles-ci ont donc un fort intérêt à trouver, dans la conception des interfaces, des mécanismes incitant les utilisateurs à rester le plus longtemps possible. Cet intérêt explique le recours au format du scrolling infini, mais aussi le mécanisme de récompense variable (analogue à celui des machines à sous des casinos) mis en place par les algorithmes, ou le fait de survaloriser la répétition de certains types de contenus suscitant particulièrement l’intérêt, comme les informations négatives ou les titres racoleurs. » La sensation de doomscrolling naît ainsi de la rencontre entre la nature curieuse des êtres humains et les nouvelles interfaces produites par les entreprises numériques capitalistes.

    En ce sens, le doomscrolling séduit aussi par sa capacité à traduire le contraste démesuré entre une activité banale, quotidienne, anodine – le geste de scroller sur son téléphone – et la teneur alarmiste, voire apocalyptique, de certains contenus. « La notion traduit la façon dont ces nouvelles négatives font désormais irruption dans les moments les plus intimes et, si j’ose dire, les plus doux de nos vies, ceux où l’on se sent d’ordinaire à l’abri, comme l’heure du coucher », abonde Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine.

    « Nous sommes tous vulnérables face à ce phénomène : autoréguler sa consommation de contenus, qui est à l’heure actuelle la seule solution pour y remédier, est extrêmement difficile, insiste Mme Cordier. A ce titre, les enfants et adolescents bénéficient souvent d’une éducation à l’information qui les sensibilise à ces dangers ; ils apprennent tôt à réfléchir à leurs pratiques numériques. Ce n’est, en revanche, pas le cas de la génération de leurs parents, qui n’est pas ou peu accompagnée… » Mettre un mot sur ce tourbillon immobile, entre recherche délibérée de l’information, légitime inquiétude et pulsion morbide, représente sans doute un premier pas vers cette prise de conscience.

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