Morts au travail : un scandale français

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  • Morts au travail : un scandale français

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    Alors qu’aujourd’hui est célébrée la Journée internationale de la sécurité et de la santé au travail, syndicats et associations dénoncent une situation déplorable en Europe et catastrophique dans l’Hexagone.

    En matière d’accidents et de décès au travail, la situation des travailleurs européens est peu reluisante. Quant aux salariés français, leur situation est la pire au sein de l’Union européenne (UE). C’est l’affligeant constat qui se dégage de plusieurs analyses rendues publiques aujourd’hui, une date symbolique puisque voilà maintenant dix-neuf ans que le 28 avril a été choisi par l’Organisation internationale du travail comme Journée internationale de la sécurité et de la santé au travail. Ce jour, qui commémore aussi depuis 1996 les travailleuses et travailleurs morts ou blessés au travail, est l’occasion pour la Confédération européenne des syndicats (CES) de tirer la sonnette d’alarme : si rien n’est fait pour rendre les lieux de travail plus sûrs, l’Union européenne aura à déplorer plus de 27 000 décès d’ici à 2029.

    1. Une tendance mortifère

    Cette confédération, qui regroupe la plupart des organisations syndicales européennes et les représente auprès des institutions de l’Union, dénonce avec inquiétude une situation mortifère qui pourrait perdurer « au moins trente ans » dans certains pays membres, si la dynamique suivie entre 2010 et 2019 se maintient telle quelle. La CES prévient, dans une étude publiée ce jeudi, que, à ce rythme, des pays comme le Portugal, l’Allemagne ou la République tchèque (avec respectivement 481, 3 143 et 851 morts enregistrés) pourraient tarder encore plusieurs années avant d’atteindre le seuil de zéro décès au travail par an. Soit respectivement encore huit, vingt-deux et trente ans.

    Quant à la France, seul pays européen où la tendance reste à la hausse (avec 7 800 accidents mortels recensés sur la période 2010-2019), l’horizon « zéro mort » paraît encore inatteignable. Dans son ensemble, l’UE (hors France et Espagne, où le nombre de morts ne diminue pas) n’atteindrait pas cet objectif avant trente-trois ans, c’est-à-dire en 2055. Encore faut-il que cet objectif soit fixé, ce qui n’est pas le cas. C’est le contraire qui semble se produire.

    2. L’irresponsabilité de certains employeurs

    « Personne ne devrait quitter la maison en s’inquiétant de savoir si il ou elle reviendra auprès de sa famille après une journée de travail, déclare Claes-Mikael Stahl, le secrétaire général adjoint de la CES, dans un communiqué. C’est pourtant la réalité pour de nombreux travailleurs en raison de l’irresponsabilité de certains employeurs, qui font des économies pour augmenter leurs bénéfices au détriment de la sécurité, et de politiciens qui, pour des raisons idéologiques, s’attaquent aux règles de bon sens en matière de sécurité et aux inspections du travail. » La confédération pointe notamment la chute préoccupante du nombre d’inspections de sécurité dans les lieux de travail effectuées en Europe (un demi-million de moins par rapport au début de la dernière décennie), ou encore l’exposition de millions de salariés à des substances cancérigènes. Un véritable « scandale » qui coûterait à lui seul « la vie à plus de 100 000 personnes chaque année ».

    « Ces morts, ces tragédies (…) ne sont pourtant pas inévitables ; il est grand temps de faire de la vie des travailleurs une priorité », conclut le syndicaliste, dont l’organisation publie en cette date anniversaire un « manifeste zéro mort au travail », sommant les leaders européens d’ « agir plutôt que (de) discourir pour sauver des vies ». Dans cette déclaration, plus d’une soixantaine de ministres, eurodéputés et experts en matière de santé et de sécurité au travail exigent publiquement la promotion d’actions concrètes menée par la Commission et le Parlement européens, notamment en matière de formation, d’inspection et de sanctions « pour mettre fin aux accidents mortels d’ici à 2030 ».

    3. L’« hécatombe » française

    « Le patronat français est le pire d’Europe en ce qui concerne la sécurité au travail », dénonce un groupe intersyndical et associatif qui organise aujourd’hui une journée d’action sur le thème « halte à l’impunité patronale » (1). Dans un communiqué dénonçant des accidents qui seraient le résultat de « pratiques patronales et gouvernementales concertées », les organisations fustigent « une hécatombe qui (…) décime le monde du travail »… Elles recensent en effet plus de 1 000 accidents mortels au travail et sur le trajet chaque année pour les seuls salariés du régime général. « (C’est) compter sans les accidents non rec ensés des fonctionnaires, des indépendants et autoentrepreneurs, des travailleurs détachés, des livreurs, chauffeurs et autres travailleurs des plateformes », ajoute le communiqué, tout en pointant des morts qui ne seraient pas « victimes de la malchance mais d’un système d’exploitation ».

    4. L’impunité des donneurs d’ordres

    Un système qui ne paraît guère se soucier des conditions de travail et tend à favoriser l’impunité des donneurs d’ordres : sous-traitance en cascade, recours abusif à l’intérim, travail détaché, gestion managériale nocive, mise à mal des instances de représentation du personnel, affaiblissement de l’inspection et de la médecine du travail, situation de non-droits pour les travailleurs étrangers, manque de sanctions pour les patrons hors la loi… C’est peu de dire que le panorama ne prête pas à sourire, d’autant plus avec la réélection d’un président dont les ordonnances de 2017 ont représenté « un recul de plus d’un siècle » en matière de droits d’intervention des salariés sur leurs conditions de travail. Et alors que le plan 2022-2025 de prévention des accidents du travail graves et mortels, présenté en mars par son gouvernement, tient plus de l’opération de communication que d’une volonté de changer structurellement la situation, syndicats et organisation sont conscients de ne pouvoir compter que sur la force de leurs mobilisations à venir pour arracher des avancées sociales en faveur des travailleurs.

    (1) Composé de diverses branches des syndicats CGT, FSU et Solidaires, ainsi que des associations Attac, Copernic, ­Cordistes en colère et Henri-Pézerat, le groupe de travail appelle à un ­rassemblement unitaire devant le ministère du Travail, à midi, et à une rencontre à la bourse du travail, à 15 heures, à Paris.

    • Le suicide d’un salarié après l’annonce de la fermeture d’un site peut être considéré comme un accident du travail

      Un suicide, intervenu au lendemain d’une telle annonce dans la région d’Angers, vient d’être reconnu comme un accident du travail. Une première.

      L’annonce de la fermeture d’un site peut avoir des conséquences désastreuses chez les salariés. L’affaire se passe dans la région d’Angers. Pendant de long mois, les salariés d’une société sont tenus dans l’incertitude sur leur avenir professionnel. Puis intervient enfin une réunion, au cours de laquelle la fermeture du site est annoncée au personnel. Tout le monde rentre chez soi. Et, le lendemain, comme le raconte l’agence de presse sociale et économique AEF, l’un des employés de la société passe à l’acte : il se suicide à son domicile. Pour la famille, ce drame est évidemment à porter sur le compte de l’annonce de la perte de son emploi.

      Pour l’employeur, qui nie, il n’existe pas un lien de causalité certain et exclusif entre l’acte du salarié et son activité professionnelle. L’employeur souligne d’ailleurs que le salarié n’a, au cours de cette dernière journée, jamais rien montré de la détresse dans laquelle il se trouvait. De plus, le salarié n’était plus sous la dépendance d’un lien de subordination avec son employeur au jour de son suicide, puisque le contrat de travail avait pris fin. Il ne peut donc s’agir d’un accident du travail.

      Pourtant, ce n’est pas ce que va décider la Cour de cassation. La chambre sociale, la plus haute juridiction en matière du droit du travail, confirme en cela ce qu’avait décidé la cour d’appel d’Angers : le salarié était demeuré dans l’incertitude quant à son avenir professionnel, ce qui l’a confronté à l’isolement et à l’incompréhension. Décrit par tous comme d’un naturel discret, il n’avait pas fait part de ses intentions et n’avait rien laissé paraître de la détresse dans laquelle il se trouvait.

      D’après les juges, c’est bien un accident du travail
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