« On travaille davantage et on gagne moins », les travailleurs de l’économie informelle frappés par l’inflation

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  • « On travaille davantage et on gagne moins » : les travailleurs de l’économie informelle frappés par l’#inflation en #Argentine :

    Afin de repousser le risque d’explosion sociale et de limiter les effets dévastateurs de l’inflation sur les foyers les plus fragiles, le gouvernement de centre gauche a annoncé une aide exceptionnelle, le 18 avril. Les travailleurs de l’économie informelle – aussi nombreux que les personnes déclarées –, les petits autoentrepreneurs et les employées domestiques percevront 18 000 pesos (146 euros) en deux fois, s’ils en formulent la demande. Les retraites les moins élevées recevront un coup de pouce de 12 000 pesos. Une enveloppe qui s’élève à 200 milliards de pesos (1,62 milliard d’euros), confirment des sources gouvernementales au Monde, afin de « préserver le pouvoir d’achat et de garantir un cap d’équité économique et sociale », a déclaré le ministre de l’économie, Martin Guzmán, le 18 avril.

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    • « On travaille davantage et on gagne moins » : les travailleurs de l’économie informelle frappés par l’inflation en Argentine

      Le gouvernement a annoncé une aide pour atténuer l’impact de la hausse des prix, qui pénalise particulièrement les travailleurs non déclarés.

      Par Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)
      Publié le 28 avril 2022 à 15h00, mis à jour hier à 17h07

      Temps de Lecture 5 min.

      Les effluves graisseux de steak haché à l’huile se mêlent au refrain d’annonces criées de toutes parts à la foule compacte : « Le sandwich, 100 pesos [81 centimes d’euro, au taux officiel] le sandwich », « escalope, escalope ! » Aux abords de Retiro, l’une des principales gares de Buenos Aires, les vendeurs ambulants multiplient les offres à l’heure du déjeuner, en jonglant avec une inflation qui ronge chaque jour un peu plus leurs marges.

      L’envolée des prix, mal chronique argentin, a connu dernièrement une accélération, sous l’impact notamment de la guerre en Ukraine et de la hausse des tarifs sur les marchés de l’énergie et de l’alimentation. Selon le dernier bilan de l’Indec (institut de statistique argentin), l’inflation a atteint 6,7 % en mars. Du jamais-vu depuis vingt ans. Sur l’année glissante, la hausse des prix s’élève à plus de 55 %.

      Trois alfajores, ces biscuits traditionnels argentins, pour 100 pesos, trois paquets de guimauve pour le même prix : le stand imbattable d’Estefania, 34 ans, attire sans cesse les chalands. « Le grossiste augmente ses prix, mais je ne le suis pas, sinon je ne vends plus rien », explique celle qui vit juste à côté, comme beaucoup de ses clients, dans la Villa 31, le quartier précaire le plus connu de la capitale : une poche dense de pauvreté, à quelques encablures d’immeubles huppés d’inspiration haussmannienne.

      Risque d’explosion sociale

      « Il y a dix ans, en vendant dans la rue, je pouvais dégager 100 % de marge sur un produit. Aujourd’hui, j’en suis à 20 % ou 30 % », calcule-t-elle. Sa voisine commerçante, Maria Concepcion, 41 ans, acquiesce, avec son chariot chargé de sandwichs enserrant des escalopes de viande. « On travaille davantage et on gagne moins. Ça fait plus de dix ans qu’on s’enfonce toujours un peu plus », déplore cette mère de deux enfants. « Le bœuf, le poulet, les fruits, les légumes, le pain, les œufs, tout augmente ! Ça ne va pas. »

      Afin de repousser le risque d’explosion sociale et de limiter les effets dévastateurs de l’inflation sur les foyers les plus fragiles, le gouvernement de centre gauche a annoncé une aide exceptionnelle, le 18 avril. Les travailleurs de l’économie informelle – aussi nombreux que les personnes déclarées –, les petits autoentrepreneurs et les employées domestiques percevront 18 000 pesos (146 euros) en deux fois, s’ils en formulent la demande. Les retraites les moins élevées recevront un coup de pouce de 12 000 pesos. Une enveloppe qui s’élève à 200 milliards de pesos (1,62 milliard d’euros), confirment des sources gouvernementales au Monde, afin de « préserver le pouvoir d’achat et de garantir un cap d’équité économique et sociale », a déclaré le ministre de l’économie, Martin Guzmán, le 18 avril.

      Le gouvernement assure mettre en place un système de filtre, sur la base du patrimoine entre autres, afin d’éviter l’effet d’aubaine pour les travailleurs non déclarés aux revenus confortables. Le plafond a été fixé à deux salaires minimaux, le salaire plancher s’élevant à 38 940 pesos au mois d’avril. Un revenu minimal qui, pour une « famille de référence » – avec deux adultes travaillant et deux enfants –, ne permet d’ailleurs pas de dépasser le seuil de pauvreté, rehaussé à 90 000 pesos au mois d’avril.

      Si, selon les chiffres officiels, les salaires ont rattrapé l’inflation, à la faveur des négociations sectorielles, en fin d’année 2021, de nombreux Argentins, les plus vulnérables, ne bénéficient pas de telles revalorisations. Au début d’avril, les mouvements sociaux ont mis sous pression le gouvernement en organisant, pendant quarante-huit heures, des campements en plein cœur de la capitale, les manifestants réclamant davantage d’aides et des emplois.

      Discorde au sommet de l’Etat

      « Cette aide n’est pas solide. Pour résoudre le problème de l’inflation, il faut… baisser l’inflation, estime Jorge Colina, économiste et président du centre de recherche Idesa. Cela implique un projet crédible pour diminuer le déficit budgétaire, avec des mesures qui ne sont pas populaires, comme la réduction du nombre de fonctionnaires. » L’accord avec le Fonds monétaire international, portant sur la restructuration d’un prêt de 45 milliards de dollars (41,7 milliards d’euros) – accordé sous le précédent gouvernement, celui de Mauricio Macri (2015-2019, centre droit), en 2018 – et définitivement scellé le 25 mars, inclut un contrôle du déficit budgétaire. Il doit être ramené à 2,5 % du produit intérieur brut en 2022, puis à 1,9 % en 2023. Par ailleurs, la discorde au sommet de l’Etat « assombrit les perspectives », juge Jorge Colina.

      Une mutuelle santé (liée au travail en Argentine), des cotisations sociales, des congés payés… Maria Concepcion aspire à un emploi déclaré, même si, depuis le début de sa vie active, elle a choisi le secteur informel. « Quand tu cherches un boulot, si tu finis par trouver quelque chose, on te paie une misère. Et il faut ajouter le coût des transports. » Grâce à la vente de sandwichs, confectionnés à domicile, à quelques pas de là, dans la Villa 31, elle parvient à dégager environ 50 000 pesos par mois (405 euros), plus que le salaire minimum. « Avec ça, on survit », relève-t-elle. La mère de famille, qui partage sa location avec sa nièce et son frère, compte par ailleurs sur une série d’aides publiques : l’allocation familiale, un bon alimentaire (revalorisé de 50 % en avril), et les couches pour son fils d’un an, distribuées par la mairie de la capitale (centre droit).

      Maximiliano non plus n’a jamais signé de contrat de travail. « Je ne veux pas perdre une journée de boulot à chercher un emploi déclaré. Et puis, bon courage pour le trouver ! Mais je ne me plains pas, je me débrouille », balaie ce menuisier de 29 ans, employé à la journée, fier de dégager environ 65 000 pesos chaque mois. Il est éligible à l’aide du gouvernement, mais il n’en fera pas la demande. « Il y en a d’autres qui en ont plus besoin. »

      Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)

    • Au #Brésil aussi :

      « Les gens achètent de moins en moins, et les fournisseurs vendent de plus en plus cher » : le retour de l’inflation au Brésil

      Selon les données officielles, la hausse des prix a atteint 1,62 % au mois de mars, du jamais-vu pour cette période depuis 1994. Les produits alimentaires sont les premiers touchés.

      Par Bruno Meyerfeld(Rio de Janeiro, correspondant)
      Publié le 28 avril 2022 à 16h00, mis à jour hier à 07h25

      Temps de Lecture 4 min

      Sur le marché public du Largo do Machado, au cœur de Rio de Janeiro, les masques sont tombés, mais les mines demeurent inquiètes. Car au Covid-19, qui marque un reflux, a succédé un autre mal, tout aussi angoissant : l’inflation. « Tout a tellement augmenté ces derniers temps. On doit faire attention à tout ce qu’on achète », se plaint Elaine, une cliente quinquagénaire, déambulant cabas à la main entre les étals et les arbres tropicaux. Certains prix, comme ceux des carottes ou des tomates, ont doublé en quelques semaines. « J’achète le minimum, je ne laisse rien se périmer. Et, malheureusement, j’ai dû arrêter la viande rouge », confie-t-elle.

      « Cette semaine, je n’ai pu me payer qu’une seule carotte », lâche en passant une autre consommatrice, le regard soucieux. Sur le Largo, la détresse des commerçants est également perceptible. « Les gens achètent de moins en moins, et les fournisseurs vendent de plus en plus cher. Résultat, mes bénéfices ont chuté de 30 % à 40 % ces dernières semaines », raconte Bruno, jeune vendeur de fruits et légumes, vêtu d’un tablier vert. Il se montre fataliste quant à l’avenir : « Que faire ? Il ne me reste que Dieu, la prière et l’attente… »

      Effectivement, la situation est alarmante : selon les données officielles, l’inflation a atteint 1,62 % en mars, du jamais-vu pour cette période depuis 1994. Ce taux, qui peut paraître modeste, ne rend pas compte de la hausse affolante des prix des biens de première nécessité, en particulier dans l’alimentation : + 19,51 % pour les papayes, + 27,22 % pour les tomates, + 33,12 % pour les poivrons ou encore + 31,47 % pour les carottes, dont la valeur au kilo a augmenté de 166,17 % sur un an.
      Plans de stabilisation inefficaces

      Ces chiffres ont été qualifiés de « terrifiants » par une partie de la presse et des économistes, volontiers alarmistes. Le Brésil demeure en effet traumatisé par un cycle d’hyperinflation, qui, entre les années 1980 et 1990, a vu les prix s’envoler jusqu’à 2 000 % par an. Après une quinzaine de plans de stabilisation inefficaces et cinq changements successifs de monnaie, le pays est parvenu à juguler le phénomène en 1994, grâce à un cocktail de mesures baptisé « Plano real », élaboré par le ministre de l’économie d’alors, Fernando Henrique Cardoso, élu président la même année.

      A ce stade, les experts écartent le risque d’un retour de l’hyperinflation. « Notre économie est aujourd’hui mieux structurée, avec des réserves financières importantes et une meilleure crédibilité à l’échelle internationale », insiste André Braz, économiste à la Fondation Getulio Vargas. L’inflation actuelle est d’abord le résultat de facteurs externes : la crise due au Covid-19, qui a ralenti la production, mais aussi et surtout la guerre en Ukraine, qui a renchéri le prix du blé, du gaz, et en particulier du pétrole, essentiel au fonctionnement d’une économie très dépendante du transport routier. En mars, la hausse des prix des combustibles a atteint 6,95 %, et jusqu’à 13,65 % pour le diesel.

      Toutefois, il existe aussi des facteurs spécifiquement locaux à cette flambée des prix. « Le pays a traversé ces derniers mois une sécheresse historique, avec des précipitations extrêmement faibles, ce qui a eu des conséquences tant sur les récoltes que sur la production d’énergie hydraulique », observe André Braz. Des produits-phares de l’agronégoce ont ainsi été durement touchés, parmi lesquels le soja, la canne à sucre et le café, dont le Brésil est l’un des principaux producteurs et exportateurs mondiaux.
      « Une arme inadéquate »

      Face à cette situation, les pouvoirs publics paraissent mal préparés, voire désarmés. Le 11 avril, le président de la banque centrale, Roberto Campos Neto, s’est lui-même déclaré « surpris » par des chiffres de l’inflation jugés « vraiment très hauts ». Il s’est engagé, le cas échéant, à réajuster à la hausse le taux directeur du pays, aujourd’hui fixé à 11,75 %. Du côté du gouvernement de Jair Bolsonaro, on se contente de sorties bravaches. « Nous sommes convaincus que nous allons vaincre [l’inflation] avant beaucoup de nations avancées », est allé jusqu’à soutenir le ministre de l’économie, Paulo Guedes, ultralibéral assumé et adepte du laisser-faire.

      « L’inflation des combustibles touche le monde entier », a pour sa part balayé le président, rétif à toute intervention sur les marchés, au grand désarroi de nombreux experts. « Contrairement à ce que dit Bolsonaro, le gouvernement brésilien dispose de nombreux outils pour réguler les prix. Il y a la Compagnie nationale d’approvisionnement, la Conab, qui en théorie dispose de stocks d’aliments pour les coups durs. Ou encore Petrobras [l’entreprise pétrolière à majorité publique], qui a des marges pour réguler les prix. Mais le pouvoir se refuse à agir et se limite à la hausse des taux d’intérêt : une arme inadéquate, qui risque d’entraîner une récession », remarque Guilherme Mello, économiste proche du Parti des travailleurs de Luiz Inacio Lula da Silva.

      Candidat au scrutin présidentiel d’octobre 2022, l’ancien chef de l’Etat, de gauche, a d’ailleurs décidé de placer la question du pouvoir d’achat au cœur de sa future campagne. D’estrades en plateaux de télévision, il promet « un petit barbecue et une bière du dimanche » pour tous les Brésiliens, prône un contrôle accru des prix et une reprise en main vigoureuse de Petrobras, accusée de reverser ses bénéfices « aux actionnaires minoritaires à New York ». Un message qui pourrait faire mouche, à six mois de l’élection. Selon un sondage de l’institut Datafolha, trois Brésiliens sur quatre rendent le gouvernement de Jair Bolsonaro responsable de l’inflation.

      Bruno Meyerfeld(Rio de Janeiro, correspondant)

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