Guerre : comment peut-on lire Louis-Ferdinand Céline aujourd’hui ?
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Or, en faisant de Céline un pacifiste traumatisé, on l’absout de toute la violence que son écriture produit sur les êtres qu’elle vise. Comme le reste de l’œuvre, Guerre, tout en étant un puissant récit de convalescence, est un texte de haine et sa haine n’est pas seulement liée à l’expérience du front (nombre de témoins de l’époque s’en sont passés). C’est une haine autorisée, qui a ses cibles favorites, le plus souvent les plus vulnérables et les plus dominés. Ici, ce ne sont pas encore les Juifs, mais beaucoup les femmes. Entourant Ferdinand alité après une blessure à la tête, elles servent une administration militaire qui a besoin de satisfaire ses hommes. « Rombières », « gonzesses » ou « pucelles », l’infirmière (« la » L’Espinasse) ou la prostituée Angèle sont réduites, dans un récit en grande partie occupé par des scènes de sexe, à des rôles de « branleuses » et à des corps à disposition, jetées en pâture à une agressivité rendue acceptable, qu’elle prenne la forme des coups (l’ultime scène de prostitution est une véritable mise à mort, observée avec délectation par le narrateur) ou des injures qui ont remplacé toute communication : « Je l’injuriais comme ça parce que je savais pas quoi dire. Et que ça venait du dedans, et que c’était pas le moment d’avoir du sens ».