la Cour de cassation donne droit aux accusatrices de Pierre Joxe et Eric Brion

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  • #metoo : la Cour de cassation donne droit aux accusatrices de Pierre Joxe et Eric Brion
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    Dans deux arrêts rendus mercredi 11 mai, les relaxes d’Alexandra Besson et Sandra Muller, initialement condamnées pour diffamation, ont été définitivement confirmées.

    Près de cinq ans après la vague #metoo qui avait conduit à une libération de la parole de victimes de harcèlement, d’agressions sexuelles et même de viols, la Cour de cassation a tranché, mercredi 11 mai, le cas de deux affaires emblématiques.
    La première chambre civile a rejeté les pourvois que Pierre Joxe et Eric Brion avaient formés contre les arrêts de la cour d’appel de Paris relaxant de l’accusation de diffamation leurs dénonciatrices respectives, Alexandra Besson et Sandra Muller.
    Dans ces dossiers, la justice était appelée à établir une conciliation particulièrement délicate entre le respect de deux principes que tout oppose : le droit pour une victime d’exposer son cas et de contribuer ainsi à un débat d’intérêt général sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et le droit pour toute personne de ne pas être diffamée publiquement sans preuve.

    Dans son infinie prudence sur une matière aussi inflammable dans l’opinion, la Cour de cassation a choisi de ne pas faire de communiqué mercredi. Une façon de dire qu’elle s’est prononcée sur deux cas particuliers et qu’il ne faut sans doute pas en tirer hâtivement des conclusions sur ce que pourrait être sa position sur d’autres affaires présentant des similitudes. Il n’empêche, elle apporte une réponse là où les juges avaient semblé sans boussole.

    « Le bénéfice de la bonne foi » reconnu
    Il faut se replonger dans le contexte d’octobre 2017, alors que l’affaire Harvey Weinstein, accusé de multiples agressions sexuelles et de viols, avait provoqué un séisme aux Etats-Unis. Le 13 octobre, la journaliste Sandra Muller poste sur son compte Twitter un message pour inciter les femmes à dénoncer les personnes qui les auraient harcelées dans un cadre professionnel et crée le mot-dièse #balancetonporc. Joignant les actes à la parole, elle publie un second tweet quelques heures plus tard : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Eric Brion ex-patron de Equidia. » Le hashtag #balancetonporc est lancé, et rencontrera un immense succès sur les réseaux sociaux.

    En septembre 2019, le tribunal de Paris condamnait Mme Muller pour diffamation à verser 15 000 euros de dommages et intérêts à M. Brion à la suite de la plainte de ce dernier. L’ancien patron de la chaîne Equida avait reconnu avoir tenu des « propos déplacés » lors d’une soirée arrosée à Cannes (Alpes-Maritimes) en 2012. Mais il avait précisé s’être excusé dès le lendemain. Il a d’ailleurs publié un livre, en 2020, pour expliquer la « mort sociale » que lui a valu le déchaînement des réseaux sociaux contre le « premier porc » du versant français de la vague #metoo.
    Pourtant la cour d’appel de Paris, sur la base des mêmes faits, a jugé le 31 mars 2021 que si les propos tenus par Sandra Muller constituent bien une diffamation, elle devait bénéficier de l’excuse de la bonne foi car ils s’inscrivent « dans un débat d’intérêt général sur la libération de la parole des femmes ». Cette notion de débat d’intérêt général a été introduite par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour protéger le principe de liberté d’expression même si l’honneur d’une personne est mis en cause.

    La première chambre civile, présidée par Pascal Chauvin, a pris soin de rappeler mercredi que les juges sont censés examiner si l’auteur des propos diffamatoires s’est « exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression ». La Cour de cassation souligne dans son arrêt que la cour d’appel a considéré « à bon droit, que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et demeuraient mesurés, de sorte que le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme Muller ».

    « Base factuelle suffisante »
    L’affaire concernant Pierre Joxe est de nature différente, puisque c’est d’une infraction pénale, en l’occurrence une agression sexuelle, dont Alexandra Besson l’accusait, et il a toujours nié les faits.
    La fille de l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy Eric Besson a publié sur son blog en octobre 2017 le récit d’une agression subie sept ans plus tôt, à l’âge de 20 ans, lors d’une soirée à l’Opéra Bastille. Elle raconte un « vieux monsieur », assis dans le fauteuil voisin, qui avait exercé d’insistantes pressions sur ses cuisses et remontant à son entrejambe, jusqu’à ce qu’elle plante ses ongles dans la main baladeuse. Elle ne nomme pas son agresseur, mais donne suffisamment d’éléments pour qu’il soit rapidement identifié par L’Express.
    En première instance, là aussi, le tribunal de Paris condamne la jeune femme pour diffamation à 1 euro symbolique de dommages et intérêts. Les erreurs factuelles de son récit – elle mentionnait par exemple un entracte qui n’a pas existé – avaient convaincu le tribunal de « l’insuffisance de base factuelle » donnée au propos, ce qui écartait l’excuse de « bonne foi ».

    La cour d’appel de Paris avait donné tort à Pierre Joxe, le déboutant de sa plainte le 14 avril 2021, et aux juges du premier degré. Les juges d’appel ont estimé en effet que les erreurs de Mme Besson, qu’elle a ­reconnues à l’audience, « ne sont pas de nature à discréditer l’ensemble de ses propos, dès lors qu’elle les exprime plus de sept ans et demi après les faits, cette durée faisant également obstacle à la ­recherche de témoins directs ».
    L’arrêt de mercredi, signé du même président, M. Chauvin, donne raison à la cour d’appel qui avait estimé que « si les propos litigieux portaient atteinte à l’honneur ou à la considération de M. Joxe, ils s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes à la suite de l’affaire Weinstein ».
    Quant au débat sur la question des preuves matérielles, la Cour de cassation préfère retenir le fait que « Mme Besson avait confié avoir subi une agression à plusieurs personnes de son entourage, à savoir ses parents, son compagnon et un ami, que son compagnon et sa mère avaient contribué à la dissuader de déposer plainte ». Une « base factuelle suffisante » qui permet de retenir la bonne foi.

    D’autres batailles judiciaires à venir
    Ces deux arrêts prennent le contre-pied de l’avocate générale qui avait conclu à la cassation lors de l’audience du 5 avril. Sur la question de la « bonne foi », Blandine Mallet-Bricout avait proposé que la Cour de cassation insiste « sur la nécessité de démontrer, pour bénéficier de cette exception, une base factuelle suffisante, c’est-à-dire des éléments de preuve permettant de caractériser la vraisemblance des faits rapportés ». Il s’agissait selon l’avocate générale de préserver l’équilibre entre « la liberté fondamentale d’expression » et la protection des droits des citoyens « notamment au travers de l’action en diffamation ». Ce qui prouve que le débat n’est peut-être pas définitivement clos.
    D’autres batailles judiciaires sont à venir sur ce terrain. Notamment un procès en appel pour Coline Berry-Rojtman, condamnée le 14 avril en première instance pour avoir accusé son ex-belle-mère Jeane Manson et son père Richard Berry d’agressions sexuelles quand elle était mineure. Par ailleurs, plusieurs plaintes en diffamation ont été déposées par Patrick Poivre d’Arvor contre ses accusatrices.