Au « Canard enchaîné », une cellule syndicale jette un pavé dans la mare

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  • Au « Canard enchaîné », une cellule syndicale jette un pavé dans la mare (Le Monde, 26/04/2022) https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/04/26/au-canard-enchaine-une-cellule-syndicale-jette-un-pave-dans-la-mare_6123782_

    (…) « Crime de lèse-majesté »

    Si l’entreprise était dans l’obligation légale de se doter d’un CSE depuis le 1er janvier 2018, rien ne laissait présager l’apparition d’une section syndicale. « La direction vit cette cellule comme une déclaration de guerre, assure l’un des nouveaux syndiqués. On dirait qu’on a commis un crime de lèse-majesté. »

    Non seulement elle heurterait la culture d’indépendance du Volatile envers toute obédience, mais l’étiquette choisie par les encartés a du mal à passer. « Le SNJ-CGT, ça nous rapproche du Syndicat du livre, c’est sympa », ironise, aigre-doux, le président des Editions Maréchal, Michel Gaillard. Le SNJ-CGT a beau n’avoir rien à voir avec le syndicat historique des ouvriers de la presse (contrairement à Info’com-CGT et le SGLCE), réputé pour ses coups de force, son existence fait l’effet d’un chiffon rouge au 173, rue Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement parisien.

    Le pas a été franchi fin 2021. Un jour, dans la foulée d’une conférence de rédaction, un rédacteur et un directeur se sont volé dans les plumes avec plus de vivacité que d’habitude. Un poing a été levé – qui n’est, heureusement, retombé sur personne. Au cours de la même période, deux salariées « n’ont pas apprécié d’être traitées avec un peu de rudesse », raconte l’un de leurs confrères. « Nous les vieux, on a le cuir épais, décrypte-t-il, en référence au ton souvent « rugueux » des échanges entre les plumitifs. Mais il faut arrêter, et changer cette façon de s’adresser au personnel. »

    Au Canard pourtant, « tout le monde s’entend plutôt bien, il y fait bon et chaud », décrit l’un de ceux qui ont pris leur carte. « Il y a un côté familial », confirme Hervé Liffran, arrivé dans la maison il y a plus de trente ans. « Peut-être trop familial, trop paternaliste, comme cela se passe dans des boîtes à petit effectif », reconnaît Jean-François Julliard, l’un des deux rédacteurs en chef avec Erik Emptaz.

    (…) « Avec la cellule syndicale, on assiste à l’apparition d’un contre-pouvoir au Canard, donc à un tournant de son histoire », assure l’un de ses membres. « Si Le Canard arrive à un tournant, c’est parce qu’une génération s’apprête à partir », rétorquent les non-syndiqués.

    Entré au journal en 1972, administrateur délégué depuis 1991 et directeur de la publication depuis 2017, Nicolas Brimo, 71 ans, prévoit en effet de raccrocher la plume d’ici « un, deux ou trois ans ». Même horizon du côté de son prédécesseur et alter ego, Michel Gaillard, entré en 1966, membre du conseil d’administration depuis 1976, nommé directeur en 1992, puis président en 2017. « Je pense beaucoup, depuis longtemps, à mon départ », assure le vrai-faux retraité de 77 ans. Depuis décembre 2021, il s’interroge : pourquoi les protestataires ne sont-ils pas venus discuter avec lui dans son bureau, plutôt que lui opposer des instances ?