un collectif saisit la justice pour détournement de fonds publics

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  • Rénovation de la gare d’Austerlitz : un collectif saisit la justice pour détournement de fonds publics
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    France Nature Environnement, SOS Paris et InCOPruptibles contestent l’acquisition par l’Agence française de développement de 50 000 m2 de bureaux à construire, une opération jugée démesurée.
    Par Emeline Cazi

    Pendant longtemps, le projet de rénovation de la gare d’Austerlitz, dans le 13e arrondissement de Paris, a peu souffert de contestation. C’en était même étonnant, alors qu’il comportait les mêmes ingrédients du très contesté dossier de la gare du Nord : un grand paquebot commercial – 100 000 m2, dix étages – allait être érigé entre la grande halle du XIXe siècle et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
    Mais la levée de boucliers, au nord, qui a conduit à l’abandon définitif du projet géré par la SNCF et la foncière immobilière du groupe Auchan, a donné des ailes aux détracteurs de celui qui se profilait au sud de la Seine. Pétitions, manifestations, vœux en Conseil de Paris, recours administratif, projet alternatif : tout a été tenté pour exiger la révision d’une opération à 1 milliard d’euros, jugée « d’un autre temps », « en contradiction » avec les accords de Paris et la « lutte contre le dérèglement climatique » que portent la Semapa, Altarea-Cogedim avec l’architecte Dietmar Feichtinger et le promoteur Kaufman & Broad. Jusqu’à cette dernière carte brandie le 20 mai : une plainte contre X pour détournement de fonds publics adressée au Parquet national financier.

    Derrière cette action, les motivations sont les mêmes que celles formulées depuis deux ans : le bâtiment de 300 mètres de long, en béton et en verre, qui remplacera d’anciens locaux de la SNCF sur l’îlot A7A8a est démesuré, trop volumineux, trop dense, selon France Nature Environnement, SOS Paris et InCOPruptibles, les trois associations à l’origine de cette plainte. Le programme, avec ses 50 000 mètres carrés de bureaux, 16 000 mètres carrés de commerces, quelque 140 logements sociaux et intermédiaires et 80 studios étudiants, créera « un gigantesque îlot de chaleur », augmentera les allées et venues, et donc la pollution, estiment-ils, malgré la bonne desserte du site.

    Appel à la vigilance du Sénat

    Ce dossier est aussi celui d’une nécessaire rénovation de gare, avec le public qui a besoin du privé pour financer les travaux, et SNCF Gares & Connexions qui valorise son foncier, qui vaut de l’or, pour rénover le bâti. Gare du Nord, des commerces à foison et une salle de spectacle faisaient partie de la solution. Rive gauche, ce sont les bureaux. Pour autant, il fallait un autre angle d’attaque pour saisir le juge pénal, et c’est donc l’acquisition par l’Agence française de développement (AFD) de 50 000 mètres carrés de bureaux à construire qui est visée.

    En janvier 2020, cet organisme chargé de financer des projets de développement à l’étranger obtient l’autorisation de son conseil d’administration de regrouper en un seul lieu l’ensemble de ses équipes et celles de ses filiales Proparco et Expertise France – 2 500 personnes au total, 2 800 d’ici à 2025 – et de passer 20 % d’entre elles en flex office.

    Deux sites sont envisagés, un à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), au nord de Paris, un autre à Austerlitz, à dix minutes du siège actuel de l’AFD, situé gare de Lyon. « Dans les deux cas, le vendeur proposait des espaces supérieurs à ce dont l’AFD avait besoin », soit quelque 10 000 mètres carrés de plus, précise Bertrand Walckenaer, le directeur général adjoint de l’AFD. Il est proposé de créer « une cité du développement durable » en cédant ces surfaces à des organisations qui travaillent sur le climat ou sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Le site d’Austerlitz, plus cher que celui de Saint-Ouen (678 millions d’euros), est retenu, la promesse de vente signée. Coût total de l’opération : 924 millions d’euros.

    Or, la plainte, dont Le Monde a pu prendre connaissance, s’appuie sur des documents, et notamment des avis du Conseil immobilier de l’Etat (CIE) et du Sénat, qui s’étonnent précisément du coût et de la démesure de l’opération. Ainsi le CIE souligne-t-il le « hiatus entre la posture environnementale de l’Agence et la solution immobilière retenue, dont la frugalité n’est pas la principale qualité de par son surdimensionnement manifeste ». « L’Agence fait le choix d’un bien à construire, aux dépens de biens existants », ajoute-t-il. De son côté, en amont du projet de loi de finances 2021, le Sénat appelle à suivre cette opération « avec la plus grande vigilance pour s’assurer que les intérêts financiers de l’Etat sont bien préservés ».

    Des fonds prévus pour le développement durable

    Dans le code pénal (article 432-15), le détournement de fonds est « le fait (…) de détruire, détourner ou soustraire un acte, ou un titre, ou des fonds publics ou privés (…) qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission ». Or, dans ce cas précis, « le détournement des fonds alloués à l’AFD pour un montant total de 924 millions a pour conséquence de réduire d’autant son action en faveur du développement durable à l’étranger, d’utiliser à mauvais escient des fonds privés et publics (…) prévus pour le déploiement des objectifs de l’accord de Paris », expliquent les avocats Jérôme Karsenti et Mélanie Adrien.

    Pour la défense de l’AFD, Bertrand Walckenaer rappelle que l’« établissement financier assure son équilibre économique et fonctionne sans subventions de l’Etat ». « Le projet a été validé par notre conseil d’administration, dans lequel siègent des représentants de l’Etat », ajoute-t-il. Par ailleurs, si le site d’Austerlitz a été préféré à celui de Saint-Ouen, c’est parce que « l’espace supplémentaire était inférieur, le risque de commercialisation était donc moindre ». « Et le bâtiment était plus facilement divisible. »

    La justice dira quelle suite elle donne à cette plainte. Si celle-ci prospérait, elle empêcherait toutefois difficilement la tenue du projet. Le début des travaux est en revanche toujours suspendu à une décision du Conseil d’Etat sur un ultime recours. La fin du chantier, qui achèvera l’aménagement de la pointe nord de Paris Rive Gauche, est estimée à l’horizon 2025.

    #Paris