• General Electric : 800 millions d’euros transférés de France vers des paradis fiscaux
    https://disclose.ngo/fr/article/general-electric-800-millions-euros-transferes-de-france-vers-des-paradis-

    Depuis le rachat de la branche énergie d’Alstom, en 2015, la multinationale américaine aurait mis en place un vaste système d’évasion fiscale entre son usine de Belfort, la Suisse et le Delaware. Selon nos estimations, le manque à gagner pour le fisc français serait de 150 à 300 millions d‘euros. Lire l’article

    • https://www.ladn.eu/nouvelle-economie/disclose-general-electric-optimisation-fiscale
      https://www.lemonde.fr/polar/article/2018/04/11/dominique-manotti-s-attaque-a-l-affaire-alstom_6002204_5470928.html

      Le romancier policier n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il s’inspire d’une réalité immédiate et palpable. Nous ne le soulignerons jamais assez. À cet égard, les livres de Dominique Manotti sont exemplaires. Qu’ils s’agissent de « Nos fantastiques années fric » (2001), « L’honorable société » (co-signé avec Doa, 2011), de « L’or noir » (2015), pour ne citer que quelques-unes de ses plus belles réussites, elle s’inspire d’une actualité concrète (les ventes d’armes pendant les années Mitterrand, un meurtre étrange entre les deux tours d’une élection présidentielle, les réseaux de drogue à Marseille, etc.) et en démonte les ressorts à l’aune d’une fiction tout aussi noire que redoutablement efficace.

      Agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire économique du XIXe siècle, cette ancienne militante de la CFDT ne s’est mise au roman policier qu’en 1995, après avoir douloureusement constaté l’échec d’un certain nombre de ses engagements. Fortement marquée par le cinéma américain des années 50-60, celui des films de John Huston, Howard Hawks ou Billy Wilder, ainsi que par les livres d’Ed Mc Bain ou de Chester Himes, elle opte à ce moment-là, avec « Sombre sentier », son premier roman sur des travailleurs immigrés turcs, pour une sorte d’« extension du domaine de la lutte » qui passe par une littérature sans fioriture, cash et clash, où règne, au niveau du style, une esthétique du sec, propre aux pères fondateurs représentés par Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Depuis, avec énergie et talent, Dominique Manotti poursuit dans cette voie escarpée du polar politique…

      « Racket », le petit nouveau, ne contrevient pas à cette règle qu’il réussit même à transcender d’une façon époustouflante. Dans « Racket », tout est vrai et tout est faux. Vrai, parce que le point de départ du livre est la vente par Alstom en 2014 de sa filière Energie à General Electric, une entreprise américaine. Les conditions en furent étranges, puisque le PDG de l’époque, Patrick Kron, fut sans doute victime d’un chantage de la part de la justice américaine et qu’un haut cadre d’Alstom, Frédéric Pierucci (il se nomme François Lamblin dans « Racket ») est toujours en prison aux Etats-Unis sans que l’on connaisse les véritables raisons de son incarcération. D’aucuns parlent même de scandale d’Etat et pensent y voir une manipulation américaine pour s’emparer d’un fleuron stratégique de l’industrie française. Arnaud Montebourg, à l’époque ministre de l’Economie, et Emmanuel Macron, conseiller économique à l’Elysée, comptèrent parmi les acteurs de cette très étrange affaire. Ils apparaissent d’ailleurs, sous des noms d’emprunts, dans le roman de Dominique Manotti. Et n’en sortent pas vraiment grandi, l’un, par sa légèreté, l’autre par son machiavélisme.

      En même temps, tout est faux dans « Racket ». Parce que le personnage principal s’appelle Noria Ghozali, une ancienne inspectrice de la DCRI, mutée d’office aux Renseignements Généraux, lorsqu’elle s’est aperçue qu’un de ses frères avait rejoint Daesh en Syrie. Noria, les lecteurs assidus de Manotti l’ont déjà croisée dans « Nos fantastiques années fric », jeune fliquette de vingt ans, puis dans « Bien connu des services de police », où elle a quarante ans. Aujourd’hui, elle en a quarante-cinq ans et, amère, se demande si la police représente bien son avenir. Il y a aussi Nicolas Barrot, l’assistant à tout faire et aux dents longues du PDG d’Orstram (l’équivalent fictif d’Alstom), sorte de Rastignac aux petits pieds, adepte de massage naturiste, qui, propulsé dans les méandres des manipulations des services secrets américains, va y perdre ses illusions. Sans oublier, Steven Buck, mi-banquier mi-mafieux, amateur de sexe brutal avec des travestis (à noter une scène hallucinante au Bois de Boulogne). Bref, une jolie petite comédie humaine, où des flics obstinés et sans véritables moyens tentent, en vain, de lutter contre un hold-up mené en toute légalité par le gouvernement américain, au nez et à la barbe de l’exécutif français, qui a décidé qu’il était urgent de ne rien faire, pour ne pas fâcher un allié historique…

      Pourquoi agitez-vous les mots de chantage, d’extorsion, de corruption, de forfaiture ? Allons donc ! Vous y allez fort. La vérité ? Tout s’achète. C’est bien connu. Le silence. Comme l’acquiescement. Il suffit d’y mettre le prix. Ou d’organiser une petite disparition.

      « Racket » est terrifiant. Parce que, dans un style sec et sans apprêt, il regarde le monde en face, sans subterfuge, sans romantisme, sans psychologisation excessive. Il parle d’argent, de pouvoir et de sexe. Cela glace le sang.

      . Dominique Manotti, « Racket », Equinox, 512 p., 18 euros.

      Yann Plougastel