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    Une nuit en garde à vue pour avoir alerté d’une confusion possible avec l’homonyme de Sandrine Rousseau
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/14/une-nuit-en-garde-a-vue-pour-avoir-alerte-d-une-confusion-possible-avec-l-ho

    Une nuit en garde à vue pour avoir alerté d’une confusion possible avec l’homonyme de Sandrine Rousseau
    Alors que deux candidates portant le même nom se présentaient dans la 9e circonscription de Paris, un homme a été interpellé par la police pour « clameur » devant le bureau de vote nº 13.

    Par Stéphane Foucart
    Publié aujourd’hui à 14h45, mis à jour à 15h57
    Temps deLecture 3 min.

    L’histoire est connue : dans la 9e circonscription de Paris, face à Sandrine Rousseau (Nouvelle Union populaire écologique et sociale – Nupes) le Mouvement de la ruralité (LMR, anciennement Chasse, pêche, nature et traditions) a parachuté une novice en politique portant utilement les mêmes nom et prénom que la candidate écologiste. Après avoir failli être abusé par l’homonymie, l’historien d’art Patrick de Haas, fraîchement retraité de l’enseignement supérieur (université Paris-I), a tenté de prévenir les autres votants, à l’extérieur du bureau de vote, de la confusion possible. Il a été arrêté, dimanche 12 juin, et placé en garde à vue au commissariat du XIIIe arrondissement pour des « clameurs » susceptibles d’avoir troublé le déroulement du scrutin. Interpellé en fin d’après-midi, il n’a été libéré que le lendemain vers midi, après avoir pu échanger avec un avocat commis d’office.

    C’est en arrivant dans le bureau de vote nº 13, place Jeanne-d’Arc à Paris, que M. de Haas et sa compagne remarquent que, sur la table de décharge, le premier bulletin disposé au nom de Sandrine Rousseau, « sans photographie de la candidate », dit-il, n’est pas celui de la candidate écologiste investie par la Nupes. « Les bulletins de la candidate de la Nupes se trouvaient à l’autre bout de la table et j’ai été abusé par cette disposition, raconte-t-il. Il était évident que des votants allaient se tromper et prendre le premier bulletin au nom de Sandrine Rousseau sans réaliser qu’il s’agissait de la candidate investie par le Mouvement de la ruralité. »

    L’historien demande alors de meilleures indications aux assesseurs et au président du bureau de vote. Une signalétique spéciale est refusée au motif qu’elle serait irrégulière, risquant de créer un régime de faveur pour les deux Sandrine Rousseau. Choqué, M. de Haas décide alors de prévenir les votants à leur arrivée au bureau de vote, que deux piles de bulletins au nom de Sandrine Rousseau sont disposés. « Je ne suis pas militant politique, je n’ai, à aucun moment, dit à quiconque quoi faire ou comment voter, explique-t-il. Tout se passait dans le plus grand calme. J’avais le sentiment d’accomplir un devoir citoyen en avertissant les autres de la situation. »

    Pas de plainte formulée
    Dans l’après-midi, une voiture de la police nationale s’arrête devant le bureau de vote. Trois gardiens de la paix lui intiment de s’éloigner. « Je leur ai demandé s’il m’était possible de me mettre à une cinquantaine de mètres du bureau et ils n’y ont pas vu d’inconvénient », raconte-t-il. Mais, alors qu’il s’est éloigné et qu’il continue à alerter les personnes qui se dirigent vers le bureau, les trois gardiens de la paix changent d’avis.

    « Ils sont revenus vers moi un quart d’heure plus tard pour me dire qu’ils s’étaient trompés et que même à 50 mètres du bureau de vote je n’avais pas le droit de prévenir les gens, poursuit-il. Je n’ai pas protesté, ni même discuté, et je suis rentré chez moi, à 150 mètres de là. » Les trois mêmes gardiens de la paix, changeant manifestement une nouvelle fois d’opinion, le retrouvent au pied de son immeuble, le cueillent et lui disent qu’il doit passer devant un officier de police judiciaire (OPJ). « Une fois au commissariat, je n’ai alors pas pu dire un mot, j’ai eu le sentiment d’être traité comme un criminel de guerre. [L’OPJ] a refusé de m’entendre et m’a signifié que j’étais placé en garde à vue pour des faits de “clameurs, attroupement et menaces”, raconte l’historien. Tout cela étant complètement faux, j’ai refusé de signer le procès-verbal. »

    Au matin, après une nuit de garde à vue et une demi-heure d’entretien avec un avocat commis d’office, M. de Haas est entendu par un autre OPJ qui ne conserve que les faits de « clameurs », prévu par l’article L98 du code électoral, qui punit « les atteintes à l’exercice du droit électoral ou à la liberté du vote ».

    Selon deux membres du bureau de vote nº 13 interrogés par Le Monde, plusieurs personnes ont signalé la présence de M. de Haas à l’extérieur des locaux au cours de l’après-midi, certaines manifestant un certain mécontentement, d’autres s’étonnant de la candidature de deux Sandrine Rousseau. En dépit de certaines protestations, selon les assesseurs interrogés, aucune plainte pour propagande politique ou menaces n’a été formulée.

    Consigné sur le PV des opérations de vote
    En milieu de journée, le député sortant, Buon Tan (La République en marche), passe dans le bureau de vote : il signale, lui aussi, la présence d’une personne sur la voie publique alertant les votants du piège homonymique. Mécontent, le parlementaire demande que l’information soit consignée dans le procès-verbal des opérations de vote. M. Tan n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Craignant une irrégularité, le président du bureau appelle alors le service ad hoc de la Mairie de Paris pour s’informer sur la marche à suivre. Il lui est conseillé de contacter la police nationale, pour demander une intervention.

    Plus tard dans l’après-midi, alors que M. de Haas vient d’être placé en garde à vue, le président du bureau de vote est convoqué au commissariat du XIIIe arrondissement pour livrer sa version des faits. Selon nos informations, une représentante de la commission de contrôle des opérations de vote passe alors dans le bureau de vote, en l’absence de son président. Selon l’un des assesseurs interrogé par Le Monde, elle est informée de l’incident mais n’y voit pas un trouble à l’ordre public de nature à perturber le scrutin.

    Contactée lundi 13 juin en début d’après-midi, la préfecture de police de Paris n’avait pas donné suite, mardi en fin de matinée, aux sollicitations du Monde. De son côté, M. de Haas attend les suites de l’affaire.