François Bégaudeau : « Les élections ne relèvent pas de la politique »
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Ce qui frappe, dans cette séquence électorale, et à rebours des commentaires éternels sur le « coup de tonnerre », c’est la stabilité des forces en présence. Cette stabilité étant elle-même l’effet d’une donnée essentielle, et qui n’est pas une donnée électorale mais politique, c’est à dire sociale. Les trois blocs qui soi-disant « se dégagent » sont en fait formés depuis très longtemps. Seuls des faux-semblants comme l’existence d’un PS prétendument de gauche les masquaient, avant que la saine clarification produite par le macronisme les dissolve.
Nous avons donc un bloc bourgeois libéral, invariablement vainqueur en République française, qui représente un quart des votants et 10 % de la population adulte. Un bloc libéral-national (Reconquête + RN), où se côtoient comiquement le pôle décadent de la bourgeoisie catholique réactionnaire, une bourgeoisie en voie de radicalisation néo-conservatrice, des segments du prolétariat blanc, une classe moyenne paupérisée, et les éternels « indépendants et artisans », dont la passion première est de se distinguer des forces sociales. Ces forces-là sont très stables depuis une cinquantaine d’années. Elles sont même pour une part la figuration contemporaine d’oppositions très anciennes. On voit ainsi perdurer la vieille opposition entre le prolétariat des villes, qui vote à gauche ou ne vote pas, et un prolétariat des campagnes (des « périphéries ») qui vote à droite comme la paysannerie votait contre les agitateurs socialistes de Paris sous le Second Empire.
Ces dernières années, il n’y a pas eu effondrement de la gauche, simplement beaucoup de gens qui se prétendaient à gauche ont franchement épousé la cause du bloc bourgeois auquel ils ont toujours appartenu. En somme le bloc de gauche véritable n’a jamais été beaucoup plus volumineux dans le périmètre électoral qu’il ne l’est aujourd’hui. Il faut peut-être se faire à l’idée que le camp de l’émancipation n’a jamais été plus fourni qu’aujourd’hui, et ne le sera jamais. L’enjeu n’est donc pas d’être majoritaire, ce qui n’arrivera pas, mais d’être forts, ce qui n’est pas la même chose.