A l’Agence nationale de l’habitat, les consultants privés de Capgemini font la loi

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  • Cabinets de conseil : Capgemini, le coûteux prestataire dont l’Etat ne sait plus se passer

    L’Etat a confié au moins 1,1 milliard d’euros de missions à Capgemini en cinq ans. L’omniprésence du cabinet fait grincer des dents au sein de l’administration, où des voix dénoncent missions coûteuses, projets ratés, opacité et de conflits d’intérêts.

    C’est un puissant cabinet de conseil privé qui gagne des milliards d’euros grâce à de lucratives missions publiques. Une usine à consultants à qui les ministères externalisent un nombre croissant de tâches, au point de développer vis-à-vis de ses experts une dangereuse dépendance. Une entreprise qui entretient des liens étroits avec l’appareil d’Etat. Il n’est pas question ici de la firme McKinsey, mais de Capgemini, un cabinet français qui semble disposer d’un poids bien supérieur à ses confrères américains sur la conduite des affaires de l’Etat.

    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/02/cabinets-de-conseil-capgemini-le-couteux-prestataire-dont-l-etat-ne-sait-plu


    Etienne Grass, patron de la branche « #services_publics » de Capgemini Invent, lors d’une convention sur la #santé, à Paris, le 2 octobre 2021. GABRIELLE FERRANDI / CHAM

    https://justpaste.it/5y61t

    #Cabinets_de_conseil

    • L’embarrassante mission secrète du cabinet de conseil Capgemini pour les douanes françaises

      Des consultants privés de l’entreprise ont eu accès à des données couvertes par le secret fiscal dans le cadre d’un projet informatique, suscitant des remous au sein de l’administration.

      Le sentiment du devoir accompli, Boris G. part en congés. Son algorithme a repéré une possible fraude à la TVA concernant deux jets privés Falcon 7X, pour lesquels l’importateur aurait omis de payer plusieurs millions d’euros lors de leur livraison sur le territoire français. Voilà une excellente nouvelle pour son employeur, les douanes françaises, qui ont parié sur l’intelligence artificielle pour cibler les fraudes à l’importation, en mettant sur pied, quelques mois plus tôt, un « service d’analyse de risque et de ciblage » (SARC). Sa mission : croiser des bases de données pour y détecter, grâce à des algorithmes sophistiqués, des anomalies statistiques menant à de possibles irrégularités.

      Un détail étonne toutefois dans la signature du courriel que Boris G. envoie, le 27 juillet 2017, pour faire part de ses résultats : ce spécialiste de l’intelligence artificielle, qui travaille sur des données ultrasensibles couvertes par le secret fiscal, n’est pas un fonctionnaire des douanes, mais un consultant privé de Capgemini.

      Malgré les risques, le SARC a en effet externalisé une partie de son projet de détection automatique des fraudes au géant français du conseil informatique, en 2017 et 2018. D’après les éléments recueillis par Le Monde, le projet consistait à mettre en place un « puits de données » rassemblant plusieurs fichiers provenant des douanes et de l’administration fiscale, sur lequel les consultants privés pourraient ensuite se brancher pour mener leurs analyses. Sur ce serveur informatique figuraient des données sur l’ensemble des marchandises franchissant les frontières françaises, y compris des biens sensibles comme le matériel de guerre. Mais également des informations très précises sur les opérations de contrôle menées par les douanes.

      « Des prérogatives régaliennes de l’Etat »

      Certaines de ces données ont-elles pu être extraites des serveurs des douanes par des consultants de Capgemini peu scrupuleux ? Un document suggère en tout cas qu’aucun garde-fou n’était prévu, puisqu’une consultante a pu faire une copie sur son ordinateur d’une partie du fichier Banaco, qui contient des informations aussi précises que le nom de l’entreprise contrôlée par les douanes et le résultat du contrôle. Or, l’arrêté de déclaration de ce fichier est clair : il ne doit être accessible qu’aux douaniers.

      Le Monde a également appris que le directeur du SARC, Perry Menz, avait informé plusieurs consultants de Capgemini que l’importateur des jets Falcon 7X identifiés par leur algorithme était déjà dans le viseur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Une information ultraconfidentielle, puisque l’entreprise visée, Dassault Aviation, n’était à l’époque pas au courant elle-même. Cette imprudence étonne d’autant plus que Dassault Aviation était par ailleurs à l’époque client de Sogeti, une filiale de Capgemini.

      « C’est un problème de confier à un prestataire privé des données sensibles, qui relèvent des prérogatives régaliennes de l’Etat », réagit Fabien Milin, représentant du syndicat Solidaires Douanes. « Pour un projet aussi sensible, on ne ferait jamais appel à un cabinet extérieur », assure une source à la direction générale des finances publiques, une autre administration qui utilise des techniques informatiques similaires pour le contrôle fiscal, sans faire appel à des prestataires privés.

      Une plainte déposée au PNF

      Au sein des douanes, la mission de Capgemini a fait grincer des dents. D’autant qu’une équipe d’agents publics travaillait en parallèle sur le même projet et que les résultats de Capgemini étaient « décevants », comme l’a reconnu elle-même la direction du SARC, lors d’une rencontre avec les syndicats. Lors de cette réunion, organisée en mars 2018, des représentants syndicaux ont interrogé en vain leur hiérarchie sur le coût de cette prestation, et se sont émus des « risques d’une telle opération, de par la sensibilité et la confidentialité des données, ainsi que les éventuels conflits d’intérêts ».

      Le patron de la douane en personne, Rodolphe Gintz, a été destinataire à la même période d’une note d’alerte d’un agent des douanes. Mis en difficulté par sa hiérarchie, puis contraint au départ, ce fonctionnaire a par la suite déposé une plainte pour violation du secret fiscal auprès du Parquet national financier (PNF), en novembre 2021, qui n’a pour l’instant donné lieu à l’ouverture d’aucune enquête. « Je suis indigné de voir une telle inertie judiciaire face au courage de mon client lanceur d’alerte, qui dénonce des faits d’intérêt public incontestables », s’étonne son avocat, Me Pierre Farge.

      La direction des douanes n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Des correspondances internes de l’époque montrent toutefois qu’elle a assumé le choix de l’externalisation malgré les critiques. « Bien sûr qu’il convient de préserver [la] confidentialité, écrivait ainsi Gil Lorenzo, le numéro deux du département de lutte contre la fraude des douanes, en mai 2017. Pour autant nous devrons travailler avec des partenaires privés, il ne peut en être autrement, car les ressources internes nous manquent. » Quelques semaines plus tard, le patron du SARC, Perry Menz, se rassurait sur le fait qu’« il n’y a pas de problème légal (…) compte tenu des clauses de confidentialité que l’administration a fait signer [ à Capgemini] ». Mais comment Capgemini s’est-il lui-même assuré du respect de ces règles par ses salariés ? Contactée, l’entreprise n’a pas souhaité répondre.

      https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/02/l-embarrassante-mission-secrete-du-cabinet-de-conseil-capgemini-pour-les-dou

    • A l’Agence nationale de l’habitat, les consultants privés de Capgemini font la loi

      L’ANAH a dépensé plus de 30 millions d’euros depuis 2016 pour des prestations du cabinet de conseil, afin de répondre aux demandes du gouvernement sur la rénovation énergétique.

      Une trentaine d’agents de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) ont assisté à une drôle de scène, le 27 juin. En ce lundi matin, une consultante du cabinet de conseil Capgemini présente les résultats d’un audit mené par ses équipes sur le fonctionnement du département des aides et des relations aux usagers (DARU) de l’ANAH, qui pilote MaPrimeRénov’, le dispositif d’aides publiques à la rénovation énergétique des bâtiments.

      Si la salle écoute poliment, rares sont ceux qui ignorent l’évident conflit d’intérêts de Capgemini : depuis des années, ses consultants et développeurs informatiques travaillent par dizaines auprès de l’ANAH pour développer MaPrimeRénov’, et sont tenus responsables de la plupart des problèmes qui secouent l’agence publique, placée sous la tutelle des ministères de l’écologie et de l’économie.

      Un homme, présent dans la salle, en sait quelque chose : David Marx, le consultant en chef de Capgemini à l’ANAH. Depuis le départ de la patronne du DARU, fin mai, il assure l’intérim à la tête de ce département de l’ANAH, qui compte une petite quarantaine de personnes, au mépris des règles de séparation entre agents publics et consultants privés. « Lorsque ça nous a été annoncé en réunion, on était tellement abasourdis qu’un prestataire extérieur puisse devenir notre chef que personne n’a réagi », témoigne un membre de l’équipe sous le couvert de l’anonymat.

      Aux yeux de nombreux agents de l’ANAH, cet événement couronne une longue série de dérives liées à l’omniprésence de Capgemini. Coût exorbitant des missions, dépendance malsaine, intrusion du privé dans les décisions publiques, brouillage des frontières entre consultants et fonctionnaires, choc des cultures… Autant de problèmes soulignés en mars dans le rapport au vitriol de la commission d’enquête du Sénat sur l’emprise des cabinets de conseil sur l’Etat, qui trouvent ici une nouvelle illustration.

      « Pas d’autre choix que d’externaliser »

      D’aussi longtemps qu’ils se souviennent, la plupart des employés de l’ANAH ont toujours vu « les gars de Cap ». « On vit avec eux, on finit par les connaître », rapporte l’une des salariés. Géant français du conseil et des prestations informatiques, le cabinet a mis un pied dans la maison en 2016, avec une première mission d’assistance à la dématérialisation des procédures de demande de subventions, facturée 4,7 millions d’euros.

      Mais le jackpot est arrivé en 2019, quand le premier ministre Edouard Philippe a confié à l’ANAH la création de MaPrimeRénov’ – une aide unifiée destinée à des centaines de milliers de ménages pour mener des travaux de rénovation énergétique dans leurs habitations. Le lancement étant exigé au 1er janvier 2020, il a fallu en quelques mois amender les réglementations, mettre en place une plate-forme informatique pour les demandes d’aides et installer un centre d’appels pour répondre aux usagers.

      Une mission impossible pour l’ANAH, qui ne compte alors qu’une centaine d’agents. Il est exclu pour elle de recruter, en raison de la règle budgétaire qui plafonne le nombre d’emplois de chaque agence de l’Etat pour l’ensemble de l’année. « Pour répondre à la demande urgente du premier ministre, il n’y avait donc pas d’autre choix que d’externaliser », soupire un agent présent depuis le début du projet.

      Un premier contrat est signé en mai 2019 avec Capgemini Invent, la branche de conseil du groupe. Des consultants commencent alors à plancher sur l’organisation de MaPrimeRénov’avec une poignée d’agents de l’ANAH. Des développeurs issus de la branche technique du groupe (Technology Services), les rejoignent bientôt pour bâtir la plate-forme informatique. Idean, une autre filiale de Capgemini, conçoit la charte graphique.

      Les consultants de « Cap » se glissent dans toutes les réunions, sollicitent les agents pour nourrir leurs présentations PowerPoint, qui finissent parfois dans les comités de pilotage avec les ministères, sans aucune mention de la contribution d’un prestataire extérieur. « On ne sait pas ce qu’ils retiennent des chiffres qu’on leur donne, comment ils les présentent à la hiérarchie », se désole une agente. « Puisqu’ils fabriquent les présentations à destination de la direction générale, ils contrôlent l’information et peuvent ainsi s’autocouvrir », abonde un collègue.

      Une dépendance « perverse »

      Le lancement de MaPrimeRénov’, en 2020, n’a pas mis fin à la mission de Capgemini – bien au contraire. L’ANAH, qui compte officiellement 207 agents publics, emploierait actuellement en parallèle plus de 70 développeurs informatiques et 20 consultants de Capgemini, d’après une source interne. Une présence massive et onéreuse, puisque des documents consultés par Le Monde chiffrent les missions du cabinet à plus 30 millions d’euros depuis 2016. Cette somme ne prend pas en compte l’externalisation du centre d’appels, où travaillent plusieurs centaines d’employés de Docaposte, la filiale informatique de La Poste.

      En 2021, la multiplication de bugs sur la plate-forme MaPrimeRénov’, dénoncée par des milliers d’usagers sur un groupe Facebook et dans une pétition, a catalysé le ressentiment contre Capgemini, jugé responsable de ces errements. « Outre les bugs liés à leurs choix techniques, ils ont dépriorisé beaucoup de fonctionnalités importantes pour pouvoir tenir le calendrier du projet, en nous promettant de les introduire plus tard. Mais ça n’a pas été le cas, car il y a toujours plus urgent », témoigne un agent, qui déplore « une énorme perte de temps ».

      Si la pression du politique pour livrer une solution dans des temps resserrés a joué, une autre agente souligne le problème des consultants « qui changent tous les six mois, qu’on doit reformer à chaque fois, et qui ne connaissent rien à la rénovation énergétique et aux publics modestes auxquels on s’adresse ». « On est obligés de repasser sans cesse sur leur travail, qui est truffé d’erreurs », se désole-t-elle.

      Malgré ces déconvenues, l’ANAH a signé en début d’année un nouvel avenant au contrat avec Capgemini, facturant 8,5 millions d’euros le premier semestre 2022. L’agence a renoncé à faire un nouvel appel d’offres pour ouvrir le marché à des concurrents, au nom du « droit de suite » du cabinet pour finaliser le projet. Mais elle lui a également confié la responsabilité de deux nouvelles missions, France Rénov’ (un guichet unique pour la rénovation de l’habitat) et MaPrimeAdapt’ (une future aide financière destinée aux seniors).

      Les missions pour l’agence de l’habitat sont si importantes que Capgemini a mis en place une « ANAH Academy » pour former ses consultants. « Ils ont acquis un poids tellement fort que ce serait compliqué de s’en passer aujourd’hui, convient un agent pourtant critique. Si un nouveau prestataire arrivait, tout le monde péterait les plombs. » Une dépendance jugée « perverse » par sa collègue : « Ils sont là depuis tellement d’années qu’on se demande pourquoi ne pas avoir carrément embauché des fonctionnaires qualifiés pour assumer ces missions pérennes… » https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/02/a-l-agence-nationale-de-l-habitat-les-consultants-prives-de-capgemini-font-l

    • « Il est possible que l’on soit allé trop loin » : comment les cabinets de conseil se sont installés à l’hôpital

      Depuis les années 1990, les consultants ont progressivement étendu leur toile dans les établissements, en faisant notamment la promotion de la politique de réduction du nombre de lits.

      C’est un tweet posté par un directeur du cabinet de conseil Capgemini, en juillet 2019, quelques mois avant que le pays bascule dans la crise sanitaire. Le consultant s’y dit « fier » d’avoir accompagné « avec succès » l’hôpital de Nancy et cite, à l’appui, un article annonçant que « la suppression de 179 lits et de près de 600 équivalents temps plein dans les effectifs » au CHU de Nancy vient d’être approuvée par les autorités publiques.

      Le professeur Stéphane Velut, neurochirurgien du CHU de Tours, a archivé le message. D’abord parce que ce plan, présenté comme remarquable à l’été 2019, a coûté son poste, au printemps 2020, au directeur de l’agence régionale de santé (ARS) Grand-Est. Celui-ci avait estimé, en pleine lutte contre le Covid-19, qu’il n’y avait « pas de raison » d’interrompre les suppressions de postes et de lits à l’hôpital de Nancy. Un faux pas politique que le gouvernement a sanctionné. Le professeur Velut a aussi suivi cette histoire de près, car, en dépit de la crise aiguë qui affecte le système de soins, un programme de réduction de coûts analogue guette le CHU où il exerce.

      « Il est prévu que l’hôpital de Tours, qui compte plusieurs sites, soit restructuré et rénové. Mais le financement de ce projet, tel qu’il nous a été présenté en 2017, était assujetti à la suppression de 250 lits, explique le neurochirurgien. Pour nous faire avaler cette pilule, nous avons eu droit à des séminaires organisés par Capgemini. »

      Le médecin ne savait « même pas que ce corps de métier – les consultants – existait. Ils nous expliquaient que l’hôpital de demain serait un “aéroport” – on rentre, on opère, on sort –, utilisaient des expressions comme “redimensionnement capacitaire” sans nous dire à l’époque que ça signifierait près de 25 % de lits en moins ».

      De jeunes cadres expliquent alors aux chefs de service qu’ils peuvent améliorer leur pratique, en comparant la durée moyenne de séjour des patients au CHU de Tours à celle de l’hôpital de Grenoble, bien inférieure. « Or, les activités ne sont pas comparables, Grenoble fait davantage de traumatologie de la colonne vertébrale, s’agace le neurochirurgien. On assistait à un lavage de cerveau, si bien qu’au bout de quelques mois, lors d’une réunion de praticiens, nous avons décidé d’évincer Capgemini. » Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, le nouvel hôpital et le plan d’économies ne sont plus à l’agenda, mais « ils vont y revenir, prévient le médecin. Simplement, je crois comprendre qu’ils supprimeront moins de lits que prévu initialement ».

      Un appel d’air

      Au fil des ans, les cabinets de consultants ont vu leur influence croître et sont devenus un appui incontournable pour bon nombre d’établissements et pour les ARS, ces agences régionales chargées de la mise en œuvre de la politique de santé dans les régions. Ils sont régulièrement perçus, parmi les soignants, dans la crise profonde que traversent les hôpitaux, comme le bras exécutant de la politique de réduction des coûts.

      « Les consultants sont entrés dans le secteur de la santé au début des années 1990 : une loi avait prévu que tout hôpital devait faire un projet stratégique. Or, à l’époque, les directeurs d’hôpitaux ne savaient pas comment conduire de tels projets. Ils se sont donc tournés vers les cabinets de conseil, principalement Bossard, où je travaillais, et Ernst & Young », se souvient Antoine Georges-Picot, énarque, consultant en santé depuis vingt-cinq ans, notamment chez Capgemini et aujourd’hui à la tête du cabinet GovHe. La contribution de ces cabinets prend une tout autre ampleur dans les années 2000, lorsque la puissance publique demande à l’hôpital d’être performant, mieux organisé et de réduire ses coûts.

      Pour accompagner ce mouvement, le gouvernement crée une nouvelle structure, la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH). Elle diligente des études sur divers sujets, depuis le temps d’attente aux urgences jusqu’à la gestion des pharmacies à l’hôpital. En passant des marchés publics, en diffusant des cahiers des charges, en structurant de grosses missions de conseil, la MEAH crée un appel d’air : certains gros cabinets, qui auparavant ne trouvaient pas les hôpitaux suffisamment attractifs pour en faire leurs clients, se mettent à s’intéresser à eux.

      A la fin des années 2000, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) prend le relais, avec un objectif : « l’efficience hospitalière ». L’ANAP change de braquet, elle pilote de plus gros projets et mobilise de plus gros budgets, pour accompagner des hôpitaux en grande difficulté financière. « En gros, l’ANAP payait les consultants, les consultants rendaient un diagnostic sur l’hôpital : “Voilà tous les problèmes et voilà comment il serait possible de les résoudre, par exemple en augmentant la rotation des patients sur les lits hospitaliers ou en développant les soins ambulatoires”, raconte un ancien consultant spécialisé dans le domaine de l’hôpital − il souhaite rester anonyme − qui a participé à ces missions. Et, derrière, un contrat tripartite était signé entre l’hôpital, l’ANAP et l’agence régionale de santé. »

      Des équipes de deux à cinq jeunes gens dynamiques débarquent dans les hôpitaux, y restent parfois un mois et demi, le temps de voir tous les services, administratif, médicaux, logistique, technique. Ces missions sont onéreuses, le prix à la journée par consultant avoisinant les 1 200 à 1 500 euros. Dans le métier, on dit volontiers que « 1 euro dépensé pour un consultant doit en rapporter 5 ou 6 à l’hôpital », grâce aux économies qui seront réalisées.

      « Perte de compétences des équipes »

      « Comment des consultants extérieurs peuvent-ils paraître plus compétents que des personnes qui évoluent depuis quinze ans dans le milieu hospitalier ? », s’est interrogé Martin Hirsch, alors directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), lors de son audition au Sénat, en janvier, par la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Alors que les hôpitaux sont « très sollicités par les cabinets de conseil, a-t-il précisé, une des premières décisions que j’ai prises a été de mettre fin à des prestations et de ne pas utiliser des marchés “ouverts” avec de grands cabinets de consultants pour des prestations stratégiques pour l’AP-HP qui représentaient des montants significatifs ».

      La Cour des comptes, qui s’est penchée sur le sujet, a souligné, dans un référé publié en 2018, un « recours mal maîtrisé » des établissements publics de santé aux consultants, ayant pour conséquence, « en sus des dépenses immédiates (…), la perte de compétences des équipes ».

      Une étude portant sur les hôpitaux anglais est même parvenue à la conclusion que « plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue », a révélé le professeur à l’Essec Jérôme Barthélemy, dans une tribune publiée le 26 juin dans les colonnes du Monde. Notamment parce que les coûts induits par les prestations de conseil réduiraient la capacité des hôpitaux à investir dans leurs propres compétences ou parce que, dans certains cas, les consultants ne semblent pas suffisamment connaître le fonctionnement des hôpitaux pour améliorer leur performance.

      « Il y a trois raisons pour lesquelles les hôpitaux ont recours au cabinet de conseil, avance de son côté Antoine Georges-Picot. “Je n’ai jamais fait”, par exemple reconstruire un hôpital ou fusionner des établissements ; “Je n’ai pas le temps et pas les ressources” ou “Si je le fais en interne, le message ne passera pas, donc je fais appel à l’extérieur pour mettre les sujets sur la table”. »

      « Le monde réel est imparfait »

      Un hôpital est devenu un cas d’école en la matière. Au milieu des années 2000, la construction du Centre hospitalier sud-francilien, regroupement des hôpitaux d’Evry et de Corbeil-Essonnes (Essonne), dans le cadre d’un partenariat public-privé, vire au naufrage. Pour faire tourner l’hôpital, des consultants sont finalement dépêchés, sur une période longue, pour un budget considérable.

      Dans la foulée de cette expérience calamiteuse, la ministre socialiste de la santé Marisol Touraine met en place, fin 2012, le « Copermo », pour Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers. Il lui revient de sélectionner les projets d’investissements des hôpitaux nécessitant un financement de l’Etat et d’assurer le suivi des établissements en difficulté. Les projets actuels de modernisation des CHU de Nancy et de Tours, et, au-delà, plusieurs dizaines de projets d’investissements et de plans de retour à l’équilibre financier ont été examinés et validés par le Copermo.

      « L’objectif est alors d’éviter que la France construise à nouveau des hôpitaux trop grands, explique cet ancien d’un grand cabinet de conseil, qui a présenté plusieurs dossiers au Copermo. Il faut donc envoyer le message que l’hôpital sera construit de manière parfaitement rationnelle, selon des standards d’efficience extrêmement élevés. Donc, en gros, il faut s’engager à réduire le nombre de lits de 20 %. Les consultants tiennent le stylo, mais ce ne sont pas eux qui décident. » L’hôpital fait donc appel à un cabinet de conseil « avec l’intention d’obtenir la validation du Copermo, donc de Bercy et du ministère de la santé, poursuit-il. Le consultant est là pour que le dossier soit signé. De toute évidence, quand on acquiert un peu d’expérience en la matière, on sait très bien que ce qu’on va suggérer, écrire, sera bien sûr difficile à tenir ».

      Dans le discours qui a conclu le Ségur de la santé, cette vaste consultation des acteurs du système de soins du printemps-été 2020, Olivier Véran, alors ministre de la santé, s’est exclamé : « S’agissant du Copermo, disons-le nettement, il a vécu. » L’heure n’est plus à « la fermeture systématique des lits ».

      Sans attendre ce changement de cap, intervenu sous le coup d’une crise hospitalière profonde, accélérée par la pandémie de Covid-19, certains consultants ont pris de la distance avec le métier. « Il est tout à fait possible qu’on soit allé trop loin, témoigne cet ancien, désabusé. Le problème du consultant est qu’il évolue toujours dans un monde parfait. Sur le papier, il peut trouver une solution pour mieux remplir les lits ou réduire les durées de séjour. Mais le monde réel est imparfait, les soignants ne sont pas des robots, les locaux et les équipements sont souvent vétustes et mal fichus. »

      Benoît Péricard, énarque, ancien directeur d’hôpital puis consultant, passé notamment chez KPMG, estime que « peut-être un tiers des hôpitaux en France ont passé commande auprès de cabinets de conseil ». Pour un résultat « globalement très décevant ». « A la grande époque, il y a environ dix ans, les propositions des cabinets de conseil n’étaient pas à la hauteur de ce qu’il fallait, affirme-t-il. C’était de l’offre un peu plaquée, passe-partout, qu’on retrouve dans l’industrie, avec les fameuses méthodes du “lean management” [la gestion par la réduction des coûts]. »

      « Le conseil est une expertise un peu vaporeuse par moments », renchérit Nathan Guilbault, 26 ans, désormais étudiant infirmier, après avoir travaillé quatre ans dans le conseil en santé. « On sait que la meilleure façon d’aider les hôpitaux serait de modifier certaines règles, dit-il. Par exemple, celle du 70/30 des plans de retour à l’équilibre financier : l’effort doit provenir à 70 % des économies de charges et à 30 % seulement du développement de l’activité, même si les besoins de la population vont croissant sur le territoire. » Le jeune homme avait « l’espoir d’être utile. Finalement, notre travail offre des solutions, mais très court-termistes, et, en cela, nous sommes mauvais pour l’hôpital. »

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/07/03/il-est-possible-que-l-on-soit-alle-trop-loin-comment-les-cabinets-de-conseil

    • Ma petite expérience de l’ANAH et de MaPrimeRénov’
      dont le site a été réalisé par Capgemini.
      Sur le site de MaPrimeRénov’ à part ouvrir un compte, déposer sa demande en téléversant les preuves fiscales, l’interface du site ne permet pas grand chose d’autre.
      Tu me rétorqueras que l’interface ne fait pas tout, et tu auras bien raison.
      Après la dépose du dossier pour demander la visite de l’expert d’une société privée mandatée par l’ANAH qui te fait miroiter une prise en charge des travaux de 80% pour les foyers démunis (plafonnée à 30.000€), je ne me voyais pas maitre d’œuvre du chantier, j’ai été dirigée vers des architectes aux devis impossibles pour moi. J’ai perdu 6 mois en démarches pour un programme de rénovation énergétique où la Prime Rénov’ sert essentiellement à ceux qui ont les moyens de payer et gérer le chantier.

      Mais le plus excellent, c’est la raison pour laquelle je ne peux pas payer une telle somme, car le budget extravagant engloutit par Capgemini empêche la réalisation d’autres projets, ou sont réalisés dans la souffrance.
      Tout en râlant sur le budget alloué à CapGemini qui organise une réunion d’une demie journée pour changer la couleur d’un bloc, les personnes pour qui je travaille dans le même secteur ont dû plafonner drastiquement le budget d’un extranet des collectivités régionales, et se félicitent de l’avoir réalisé en ayant à disposition des petits indépendants en sous traitance corvéables pour pas grand chose, comme moi, tiens tiens.

      Petit rappel
      https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/02/a-l-agence-nationale-de-l-habitat-les-consultants-prives-de-capgemini-font-l

      L’ANAH a dépensé plus de 30 millions d’euros depuis 2016 pour des prestations du cabinet de conseil, afin de répondre aux demandes du gouvernement sur la rénovation énergétique.

      #MaPrim’Renov