Il est arrivé ici la veille. Entre deux services au bar d’un hôtel-restaurant cossu de Saint-Briac-sur-mer (Ille-et-Vilaine), où il travaille, Jason Lerigoleur termine son emménagement, en ce mercredi matin de la mi-juillet. Dans cette chambre, dont les sanitaires collectifs sont situés sur le palier, le saisonnier de 21 ans a commencé par brancher sa console de jeux vidéo et son écran plat. Pas de connexion Wi-Fi disponible pour jouer en ligne. Déçu, le jeune homme a alors rangé sa manette pour trier ses affaires dans l’armoire qui trône face à trois sommiers relevés contre un mur de la pièce.
Faute de logement disponible sur la côte bretonne, Jason Lerigoleur a réservé une chambre dans l’#internat du lycée hôtelier de Dinard. « Ce n’est pas le grand luxe, mais ça défie toute concurrence » , relativise le barman. Loyer mensuel : 300 euros. Il poursuit : « Ici, les saisonniers galèrent à se loger. On nous propose des studios à des prix exorbitants. Jusqu’à 900 euros la semaine. Nous ne sommes pas des touristes, mais des professionnels contribuant à l’activité économique locale. » Vingt autres travailleurs estivaux sont attendus dans cet internat appartenant à la région Bretagne. La collectivité a décidé d’ouvrir en urgence cet établissement ainsi que trois autres ailleurs dans la péninsule afin de loger des dizaines de travailleurs. Une expérimentation « de secours » imaginée alors que Pôle emploi annonce un manque de 50 000 saisonniers dans la région.
Les syndicats hôteliers misent sur ce dispositif pour pallier le manque de personnel qui contraint certains restaurateurs à fermer un ou deux jours par semaine
L’une des causes justifiant cette pénurie récurrente de main-d’œuvre est le manque de logements. « Certains travailleurs dorment dans leur voiture, alors que nous avons des locaux vides. Le bon sens veut qu’on les ouvre, insiste Loïg Chesnais-Girard, le président (divers gauche) de la région. Une telle opération permet aussi à la collectivité d’optimiser l’usage de ses bâtiments. » Nombre des 12 000 lits des internats gérés par la région pourraient, à l’avenir, densifier cette offre d’accueil.
Sa mise en fonctionnement a démarré courant juillet à cause de « freins administratifs et juridiques » complexifiant le transfert de la gestion de ces bâtiments à d’autres collectivités, selon les édiles. A Dinard, la municipalité gère l’accueil des locataires, avec le soutien des représentants locaux de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Ces derniers misent sur ce dispositif pour pallier le manque de personnel qui contraint certains restaurateurs à fermer un ou deux jours par semaine, à réduire la durée des services ou à limiter le nombre de couverts.
Assis sur son lit une place, Jason Lerigoleur confirme une évolution du marché de l’emploi désormais favorable aux saisonniers. Après une dernière expérience à Malte, le barman a décidé de revenir en Bretagne. Une fois sur place, il a choisi son employeur, et non l’inverse. Pour convaincre Jason, son patron s’est engagé à lui trouver un logement et à prendre en charge son loyer. « Désormais, les employeurs sont vigilants sur les conditions de travail, proposent des salaires intéressants, décomptent les heures supplémentaires… Ils savent qu’un saisonnier peut quitter son boulot le matin et en retrouver un autre dans la soirée , affirme le jeune homme. Depuis le Covid, beaucoup de professionnels de la restauration ont arrêté, dégoûtés par les horaires peu compatibles avec une vie de famille et par un rythme éreintant. »
Des biens loués de préférence aux touristes
Au deuxième étage de l’internat, Aminata Thimbo raconte une histoire semblable. Cette serveuse de 18 ans a été embauchée sans mal dans un restaurant à la carte soignée de la station balnéaire. Après trois années de formation à l’école hôtelière, elle voulait décrocher un « vrai » premier contrat pour « muscler » son CV. « Sans cette chambre, j’aurais dû refuser ce travail et rentrer passer l’été chez ma mère, à côté de Rennes. J’aurais sans doute accepté un emploi dans une brasserie » , explique la jeune femme. Première à avoir réservé une chambre de l’internat, elle a bénéficié de l’une des plus spacieuses, avec vue sur mer. En se contorsionnant à la fenêtre, on aperçoit effectivement la Manche user la digue plus bas.
Aminata Thimbo montre un immeuble un peu plus loin : « J’ai été prise en alternance en sommellerie dans le restaurant où je travaille. J’emménagerai donc bientôt dans un studio de ce bâtiment-là. » Bientôt, cela signifie en septembre. Cet été, les propriétaires ont préféré louer leurs biens à des touristes. La côte bretonne souffre d’une explosion du phénomène Airbnb, qui tarit le marché immobilier.
En 2019, Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), ville située face à Dinard, est devenue « la championne française de la location de courte durée », selon ses élus, qui citaient alors des relevés opérés sur les trois principales plates-formes, annonçant 639 nuitées réservées pour 100 habitants dans la cité corsaire, loin devant Bordeaux (239) ou Aix-en-Provence (199). La municipalité (LR) a depuis imposé des réglementations parmi les plus restrictives du pays pour contenir le phénomène. Des mesures qui inspirent les édiles bretons.
L’accroissement du nombre de résidences secondaires anesthésie un peu plus le marché immobilier du littoral breton. Les maisons de vacances sont devenues majoritaires dans nombre de stations balnéaires comme Arzon (Morbihan, 77,2 %), Carnac (Morbihan, 71,2 %), Saint-Briac-sur-Mer (60 %)… La pénurie de logements pour les travailleurs estivaux est aussi amplifiée par la montée en gamme des campings du bord de mer, dans lesquels mobil-homes et chalets sont devenus la norme au détriment des traditionnels et économiques terrains nus, jadis prisés des saisonniers.
Confrontées à une inexorable envolée du prix de l’immobilier, les côtes bretonnes logent de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs
« Le vieillissement de notre population explique aussi la problématique observée autour de l’emploi saisonnier », affirme Arnaud Salmon, le maire (divers droite) de Dinard. Le quadragénaire évoque sa jeunesse dinardaise. A l’époque, les saisonniers habitaient la commune et ses alentours. Ils étaient lycéens ou étudiants et logeaient chez leurs parents le temps d’un contrat aux beaux jours. Confrontées à une inexorable envolée du prix de l’immobilier, les côtes bretonnes logent de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs. Les patrons recrutent alors un personnel extérieur dépourvu de solution de logement.
Sollicité par les restaurateurs de son territoire, Arnaud Salmon a été l’un des premiers édiles bretons à encourager l’ouverture des internats du conseil régional. La ville de Dinard a même accepté d’assumer les 30 000 euros de reste à charge non couverts par les versements des loyers pour financer les consommations en eau et en électricité, mais aussi le gardiennage du site. Loïg Chesnais-Girard, le président de la région, précise : « Cette année, le dispositif a un coût pour nos collectivités, mais nous devons le pérenniser afin d’accueillir plus de saisonniers et ainsi équilibrer l’opération. Nous devons aussi mieux associer les entreprises. »
Voilà une manière polie d’appeler à une contribution plus forte des patrons. Pas franchement du goût du président de l’UMIH de la Côte d’Emeraude, Oscar Legendre, qui plaide pour l’application aux stations balnéaires de la loi Montagne imposant à la force publique de gérer le mal-logement des saisonniers dans les communes touristiques. Le restaurateur ajoute : « Nous ne pouvons pas financer le logement de nos salariés, mais nous devons aider au développement de microsolutions. Il faut, par exemple, mieux travailler avec les campings ou inciter les propriétaires de logements Airbnb à louer leurs biens à nos salariés. »
Répondre à l’explosion de la demande
A Lamballe (Côtes-d’Armor), l’entreprise agroalimentaire Cooperl s’est engagée à financer tout surcoût de fonctionnement afin de permettre la mise à disposition de l’internat du lycée de la ville. Ce spécialiste de la transformation de porc employant 7 500 personnes fait face régulièrement à des problèmes de recrutement. C’est particulièrement le cas en juillet et août, lorsque les usines lancent l’embauche de personnel pour compenser les départs en vacances et répondre à l’explosion de la demande en viandes à griller.
Une trentaine de saisonniers sont espérés dans le récent internat lamballais de 80 places. Parmi eux : Youssouf Saraliev. Ce jeune homme de 19 ans se charge du tour du propriétaire. Ici, la cuisine avec un frigo, une double plaque de cuisson électrique et un micro-ondes ; là, le foyer équipé d’un rétroprojecteur, d’un baby-foot, d’une table de ping-pong. Au milieu de ce couloir, sa chambre d’une vingtaine de mètres carrés. Youssouf Saraliev s’assoit sur le rebord de son lit et conclut la visite en rappelant les principaux points du règlement intérieur : interdiction d’inviter des amis, de fumer dans l’internat et de boire de l’alcool.
« Je ne peux pas être exigeant, alors que j’ai enfin l’occasion de devenir autonome. Sans ce logement, j’aurais dû me débrouiller en sollicitant l’hospitalité de personnes issues de ma communauté » , explique-t-il. Installé en France depuis son adolescence, ce Tchétchène narre l’histoire de sa famille qui a traversé l’Europe jusqu’en Bretagne. Ici, il a obtenu deux CAP. Son rêve ? Intégrer l’armée française. En attendant que sa demande de naturalisation aboutisse, il est décidé à travailler. Peu importe s’il doit intégrer les abattoirs de la Cooperl, où les conditions de travail sont réputées éprouvantes. Il hausse les épaules. Là-bas, il a la « chance » de pratiquer quelques-unes des six langues qu’il maîtrise au contact des nombreux travailleurs étrangers œuvrant dans les usines.
Chaque matin, Youssouf Saraliev et d’autres saisonniers de son équipe embauchent à 5 heures. Peu ont le permis de conduire. Alors, ils pédalent pour traverser la ville. Marouane Baudron, un des locataires de l’internat, a accepté ce travail pour financer son code et ses leçons d’auto-école. « Ce contrat m’offre un nouveau départ » , souffle le jeune homme de 21 ans, originaire de la campagne rennaise. Fumant une cigarette à l’ombre du bâtiment, il raconte son CAP de boulanger arrêté brutalement, ses « conneries » , ces semaines à dormir dans une voiture avant d’intégrer l’Etablissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide).
L’une des responsables de ce dispositif à la rigueur toute militaire l’a encouragé à accepter cet emploi. « La vie n’est pas simple. Pour avoir un logement, il faut un boulot. Pour avoir un boulot, il faut le permis de conduire. Et pour le permis, de l’argent. Aujourd’hui, je reprends les choses dans l’ordre » , se satisfait-il. Amusé, il observe son voisin de chambre s’approcher en claquettes et en short. Il y a quelques jours encore, il ne connaissait pas Ewen Coulibaly, ce gaillard de 19 ans qui espère réussir le concours de gardien de la paix. Celui-ci reprend le fil de la discussion sur l’esprit « colo » qui règne à l’internat : « Quand j’aurai 30 ans, les conditions de travail et de logement de ce job saisonnier ne me satisferont sans doute plus. A mon âge, ça me convient. L’usine et l’internat ne sont que des transitions pour la plupart d’entre nous. »