EXCLUSIF. Covid, secrets d’État - Le Point

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    • le 6 mars 2020 au sortir de la pièce Par le bout du nez (sic) : « Le président a précisé que, malgré le coronavirus, la vie continuait et qu’il ne fallait pas (sauf pour les populations fragiles) modifier les habitudes de sortie, en suivant les règles d’hygiène » (lesquelles ?). Tout est dit, Macron est en marche et à l’avant-garde (la GBD date d’octobre suivant).

      Le 6 mars 2020, la sortie du président de la République crée la polémique. Est-il prudent, alors que les données s’accumulent pour confirmer la pandémie du siècle, d’entretenir l’insouciance ? Au-delà des Alpes, l’Italie a déjà fermé ses écoles et ses universités. Emmanuel Macron, lui, s’obstine : « Pas question de confiner. La vie continue. Il ne faut pas que l’activité économique s’arrête », lâche-t-il ce soir-là, devant témoins.

    • une tout autre histoire que celle racontée au public, présentant la catastrophe comme une surprise impossible à prévoir et ayant pris de court le président à la mi-mars 2020.

      Covid, secrets d’État.
      Notes confidentielles, rapports inédits, échanges de mails… « Le Point » raconte les coulisses du pouvoir lors des semaines de 2020 où tout a basculé.

      Ce fut une agréable soirée, riante et heureuse, sous les nuances rouge et or du théâtre Antoine, la scène des Grands Boulevards où Sartre fit jouer Huis clos. Une sortie pour qu’« Emmanuel s’aère », selon les confidences de Brigitte Macron à un proche. Ce vendredi 6 mars 2020, la pièce ne l’éloigne pourtant pas vraiment de son quotidien : Par le bout du nez se déroule… dans son bureau reconstitué de l’Élysée. Le comique François-Xavier Demaison y campe un chef de l’État qui, empêché de prononcer ses discours à cause d’une gêne nasale, se résout à recevoir un psychiatre. Le théâtre Antoine est dirigé par un ami des Macron, Jean-Marc Dumontet, dont le nom a circulé comme ministre de la Culture d’Élisabeth Borne. Il se joint au dîner qui suit la représentation, où Emmanuel Macron donne le cap – droit sur la tempête. « Le président a précisé que, malgré le coronavirus, la vie continuait et qu’il ne fallait pas (sauf pour les populations fragiles) modifier les habitudes de sortie, en suivant les règles d’hygiène », relatera Dumontet, dès le lendemain, sur son compte Twitter.

      Pendant des mois, Le Point a enquêté, s’est plongé dans des centaines de documents exclusifs et de témoignages inédits. Auditions, perquisitions, mails, messages, notes confidentielles… révèlent une tout autre histoire que celle racontée au public, présentant la catastrophe comme une surprise impossible à prévoir et ayant pris de court le président à la mi-mars 2020. Par cette enquête, Le Point ne s’érige pas en juge, ni ne se substitue à la Cour de justice de la République qui, comme l’écrit le haut magistrat François Molins, « n’a pas vocation à juger l’opportunité et l’efficacité de la politique gouvernementale, mais à rechercher des infractions pénales commises par des membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions ». Il ne s’agit pas non plus de céder à un populisme pénal, un « opportunisme judiciaire », selon les mots de l’avocat pénaliste Hervé Temime, qui consisterait à trouver absolument un coupable pour lui faire porter les maux d’une épidémie que personne n’a réussi à prédire. Cette longue enquête raconte comment l’État agit au cœur de la crise.

      Pas question de confiner. La vie continue. Il ne faut pas que l’activité économique s’arrête.Emmanuel Macron, le 6 mars 2020, dans les coulisses du Théâtre Antoine, à Paris.

      Les tribunaux où pourraient comparaître, un jour, ministres et responsables sanitaires s’échinent à démêler cette chronologie si contradictoire. La France d’Emmanuel Macron a-t-elle failli dans sa gestion de l’épidémie ? Avions-nous, collectivement, la possibilité de limiter la catastrophe sanitaire, qui a causé la mort de plus de 140 000 personnes ? Le 6 mars 2020, la sortie du président de la République crée la polémique. Est-il prudent, alors que les données s’accumulent pour confirmer la pandémie du siècle, d’entretenir l’insouciance ? Au-delà des Alpes, l’Italie a déjà fermé ses écoles et ses universités. Emmanuel Macron, lui, s’obstine : « Pas question de confiner. La vie continue. Il ne faut pas que l’activité économique s’arrête », lâche-t-il ce soir-là, devant témoins. Et c’est peut-être là le début d’une histoire qui s’éloigne de la comédie pour revêtir les atours du drame. Dix jours durant, la France va perdre un temps précieux. Car si deux ans plus tard, le nombre de morts dus à l’épidémie est sensiblement le même dans les pays européens comparables, l’Hexagone va, en mars 2020, connaître une vague extrêmement violente, débordant et désorganisant les services de santé, obligeant les patients hospitalisés pour des maux autres que le Covid-19 à différer leurs soins sine die. Si l’on en croit l’histoire officielle, il faudra attendre la création d’un aréopage de savants destiné à «  éclairer la décision publique  ». Le 12 mars, ce conseil scientifique présente un scénario catastrophe à l’Élysée : selon des projections fournies par l’Institut Pasteur, sans intervenir, la France pourrait faire face à des centaines de milliers de morts. L’avertissement fait mouche. Le soir même, au cours de son adresse à la nation, le président lance un appel à « l’union sacrée », ferme les écoles et décide de maintenir les élections municipales. Trop peu, trop tard ? Cinq jours plus tard, le 17, la France est confinée.

      Tout montre pourtant que, dès janvier, les alertes, de plus en plus fortes, pleuvent sur le sommet de l’État. Début mars, quand toutes les données et études savantes convergent, le sommet de l’État tergiverse et se déchire. Cette période, sur laquelle nul ne s’est jusque-là épanché, certains au cœur du pouvoir l’appellent, en chuchotant, « la semaine de la mort ». Le 5 mars, quand Emmanuel Macron réunit pour la première fois à l’Élysée les scientifiques, certains l’avertissent déjà de la vague qui va submerger immanquablement les hôpitaux. Trois jours plus tard, le 8 mars, les épidémiologistes français rendent une note confidentielle, laquelle annonce, en l’absence de « mesure efficace », jusqu’à 160 000 morts avant l’été. Un secret qui hante la nuit du Théâtre Antoine.

      Acte 1 : l’épidémie chinoise

      Fin 2019, un mal inconnu apparaît en Chine, à Wuhan. Le virus sera bientôt planétaire. Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, savait…

      Alors que le nouveau coronavirus fait des ravages en Chine, l’Europe surveille de très loin l’épidémie et se montre particulièrement attentiste. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), malgré des signaux d’alerte inquiétants, se refuse à déclarer l’urgence internationale. Des professeurs réputés émettent des doutes sur l’indépendance de l’institution vis-à-vis de Pékin. La France, elle, est toute tournée vers ce qui doit être la réforme phare du premier quinquennat d’Emmanuel Macron : les retraites.

      La France avait pourtant un coup d’avance. Entre Noël et le réveillon 2019, Agnès Buzyn profite de quelques jours de repos dans sa maison corse. La ministre de la Santé, hématologue, fille d’un survivant de la Shoah – Élie Buzyn, mort au printemps 2022 –, n’est jusque-là qu’un personnage discret de la macronie, studieuse, trop sans doute. Sur sa terrasse, elle navigue sur son smartphone et tombe, racontera-t-elle à la presse et aux parlementaires, sur un « article d’un blog anglo-saxon », illustré d’une radiographie du thorax. Ce document, jamais identifié, aurait décrit des cas de pneumonies inexpliquées en Chine. Pourtant, à cette date, l’épidémie naissante est un secret absolu. Ce n’est que le 30 décembre que l’information fuite sur le Net chinois, grâce au fameux lanceur d’alerte, le docteur Li Wenliang. Le dernier jour de l’année, la nouvelle, reprise par la presse locale et Promed, un système d’alerte international, est finalement admise par la ville de Wuhan. Et connue du monde entier.

      Une telle exclusivité planétaire pour une simple ministre française a suscité bien des questions, et des fantasmes. Au printemps 2020, Le Canard enchaîné écrira que l’Élysée savait dès décembre, sans trop préciser quoi d’ailleurs – une information vigoureusement démentie par le Quai d’Orsay. Interloqués, des parlementaires ont longuement cuisiné la ministre, ils n’ont pas davantage trouvé de réponse. Encore aujourd’hui, les juges de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) suspectent celle qu’ils ont auditionnée plus d’une quinzaine de fois de cacher une source en Chine. En la convoquant, le 23 juillet 2021, en vue de la mettre en examen pour mise en danger de la vie d’autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, les magistrats précisent ainsi retenir cette histoire du 25 décembre comme une indication de ce qu’Agnès Buzyn avait « pressenti la gravité de l’épidémie », et qu’elle a ensuite participé à un « double discours » en s’abstenant, nous y reviendrons, de « tout mettre en œuvre pour obtenir le report d’élections [municipales, NDLR] ».

      Mise en danger de la vie d’autrui

      Une accusation paradoxale contre Agnès Buzyn : être à la fois prophète et coupable de la catastrophe. Rétrospectivement, les experts sont beaucoup plus prudents. « Il ne faut pas être anachronique », avertit l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève. Alertés par des médecins locaux d’hospitalisations mi-décembre, des spécialistes internationaux ont déjà confié avoir été au courant en même temps que Buzyn. Rien d’anormal. Une page Internet a pu disparaître ou être retirée par ses auteurs. D’autant qu’avoir vent d’une poignée de pneumonies en Chine ne dit rien de l’ampleur que prendra la crise. Mais la source ? Le soupçon d’un tuyau chinois ? « Cela ne tient pas debout, balaie Flahault. Si elle avait eu des contacts directs avec des médecins ou des scientifiques chinois, ce qui pouvait s’entendre, elle les aurait alors évoqués naturellement lors de ses auditions, quitte à ne pas en révéler les noms pour la protection de leur anonymat, ce qui aurait pu se comprendre. »

      Début janvier, sur ordre de sa patronne bien informée, le ministère ne reste pas les bras croisés et se met en veille. Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, met sur le coup le Corruss (Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales), qui recense chaque jour les alertes nationales et internationales, et la Réunion de sécurité sanitaire (RSS), qui rassemble tous les mercredis les patrons d’agences sanitaires et d’administrations centrales. Ce n’est que le 8 janvier, en page 6 d’un compte rendu de la RSS, entre dengue, rougeole et salmonellose, que se glissent les derniers rapports des communiqués officiels chinois sur ces « cas de pneumonie d’origine inconnue en Chine », tous liés à un marché de produits frais, où étaient vendus des animaux. Un signal faible noyé dans le brouhaha de la politique. À cette époque, le gouvernement est tout entier sur la réforme des retraites. Plusieurs corps de métiers sont en surchauffe, la fonction publique hospitalière déraille, une grève des tâches administratives est en cours. Le lundi 6 janvier a lieu le premier Conseil des ministres de l’année. Les membres du gouvernement Philippe, dossiers sous le bras, s’élancent depuis Beauvau, où ils ont petit-déjeuné, pour parcourir les 97 mètres qui les séparent de l’Élysée. En tête, en fauteuil roulant, Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, qui est tombée quelques jours plus tôt dans les escaliers de Matignon. Agnès Buzyn, tout sourire, discute avec Jean-Michel Blanquer et Jean-Yves Le Drian. Le gouvernement uni fait face à l’adversité. Quelques minutes plus tard, dans le secret du Conseil des ministres, Édouard Philippe annonce une période de « gros temps ». « Notre pays en a vu d’autres », relativise le « PM » avec humour, énumérant coup sur coup les années 20 des siècles passés : 1720 : krach, peste, incendie de Rennes ; 1820 : assassinat de l’héritier du trône, le duc de Berry… Le chef de l’État, selon un témoin de la scène, abonde alors : « Nous continuons vers le grand large. » Nul ne sait encore à quel point.

      Virus non identifié

      Dans les cabinets, les journées de travail s’enchaînent, harassantes. Mardi 7 janvier, l’après-midi est consacré aux rituelles questions à l’Assemblée nationale. Le sujet commence à être tout doucement suivi par la presse. « Un mal inconnu affecte près d’une soixantaine de personnes dans la ville de Wuhan, dans le centre de la Chine », écrit Le Parisien à cette date. Les Chinois le confirment : un nouveau type de coronavirus, provisoirement baptisé 2019-nCoV, est responsable de la maladie. À 18 h 08 précisément, sur le banc, Agnès Buzyn envoie à Jérôme Salomon un court SMS, saisi en perquisition : « Des nouvelles de l’épidémie chinoise ? demande-t-elle. – Élément troublant, Wuhan abrite le P4, précise Salomon. – Le P4 n’est a priori pas fonctionnel. – A priori », lâche le DGS, mystérieux.

      Agnès Buzyn connaît un peu le fameux P4, laboratoire de haute sécurité construit avec l’aide de la France : son mari, Yves Lévy, a présidé l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) jusqu’en 2018 et supervisé cette coopération franco-chinoise. Il sera longuement interrogé sur le sujet par la Cour de justice de la République.

      Jeudi 9 janvier. « Le virus peut provoquer des troubles graves chez certains patients mais ne se transmet pas rapidement », écrit Jérôme Salomon à la ministre, répercutant les dernières données communiquées par Pékin. Elles laissent planer le doute sur la transmission interhumaine. Les Chinois mentent : dès la fin décembre, ils en ont la preuve. Ils traitent des clusters familiaux où les contaminations ont eu lieu hors du marché. Certains le suspectent déjà, comme Arnaud Fontanet, épidémiologiste de l’Institut Pasteur : « Le tableau clinique (pneumopathie virale atypique et non grippale) correspondait à celui d’un bêtacoronavirus comme le Sras ou le Mers, qui sont transmissibles de personne à personne. La transmission interhumaine était donc plausible […] », justifie-t-il par écrit. D’emblée, la suspicion est là. Les agences régionales de santé et les sociétés savantes reçoivent leurs premiers bulletins d’information, les appelant à détecter d’éventuels cas de coronavirus sur le territoire. Le samedi 11 janvier, le président de la République et le Premier ministre sont informés du premier mort déclaré en Chine et des mesures de surveillance prises dans les aéroports en France. Selon plusieurs sources concordantes, leur attention est également attirée sur le P4 chinois. Des chercheurs s’interrogent déjà sur le rôle que celui-ci pourrait avoir joué dans l’émergence de ce nouveau coronavirus. 14 janvier : toujours « aucune preuve claire de transmission interhumaine », tweete l’OMS, reprenant servilement les dénégations chinoises. Pourtant, le virus essaime déjà aux quatre coins du monde – en Thaïlande dès le 10 janvier. Dans la nuit du 15 au 16 janvier, un premier cas suspect est identifié à Nancy, finalement infirmé. Le 17 janvier, la France ne sait toujours rien. Ni le niveau de transmission interhumaine, ni l’existence ou non de cas asymptomatiques risquant de rendre très difficile la maîtrise de l’épidémie, ni le taux de mortalité, ni ses facultés de mutation ou de résistance aux éventuels antiviraux. Bref, le pays, comme le reste du monde, est dans le brouillard.

      « Suivi actif »

      Le lundi 20 janvier, le nuage se dissipe. Un troisième mort du Covid-19 est annoncé en Chine, qui est alors obligée de reconnaître la transmission interhumaine. Définitivement, il ne s’agit pas que d’une poignée de personnes contaminées par des animaux sur un marché. Pourtant, l’OMS hésite à déclarer l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), la procédure pour mettre le monde en alerte. Agnès Buzyn, elle, est mobilisée, comme le reste du gouvernement, sur le sommet « Choose France », organisé au château de Versailles et qui vise à attirer les investisseurs étrangers en France. Son rôle à elle ? Vanter les atouts de la France à l’industrie pharmaceutique et notamment au nouveau PDG de Sanofi, Paul Hudson. L’entrevue tourne mal, selon des témoins. Le groupe pharmaceutique paraît poser des conditions à la construction d’une nouvelle usine en France. « Du chantage ! » se scandalise Agnès Buzyn auprès de son cabinet et de ses proches. La conversation, houleuse – que n’a pas souhaité confirmer ou infirmer Sanofi –, se poursuivra plusieurs minutes, au point que les échos de l’altercation remonteront à l’Élysée. Un épisode peu au goût du Château, qui rappellera aux ministres l’objet de l’événement : attirer les investisseurs, et pas se fâcher avec eux. Le lendemain, Jérôme Salomon informe sa ministre par mail : la transmission interhumaine va être confirmée par l’OMS. Il souligne aussi que 120 lignes aériennes existent entre la France et la Chine – dont une directe Paris-Wuhan. Au cabinet de la ministre, on comprend soudain que la situation est « compliquée ». Et pour la première fois, Agnès Buzyn de poser à ses conseillers la question fatale : « Combien avons-nous de masques en stock ? » Suit son premier point presse, en fin de journée. Quelques minutes plus tôt, le cas suspect de Nancy est finalement donné négatif. « Le risque d’introduction en France des cas liés à cet épisode est faible », commence Agnès Buzyn. Une phrase qui la suivra longtemps, très longtemps, comme la preuve qu’elle aurait tenté de minimiser la crise. Personne n’a retenu la suite, plus alarmiste : « mais [le risque, NDLR] ne peut être exclu, d’autant plus qu’il existe des lignes aériennes directes entre la France et la ville de Wuhan ». À cette date, seuls 291 cas ont été confirmés par la Chine. Une poignée d’autres ont déjà été identifiés à l’étranger. Pour les béotiens, non initiés aux arcanes de l’épidémiologie, ces chiffres peuvent paraître dérisoires. Même un médecin peut s’y tromper : à Marseille, le professeur Didier Raoult, plus biologiste que mathématicien, moque dans une vidéo publiée le 23 janvier ce qu’il juge comme une surréaction : « Trois Chinois meurent et ça fait une alerte mondiale. »

      Mais ces statistiques ont en réalité de quoi faire trembler les spécialistes attentifs. À l’Imperial College de Londres, l’épidémiologiste Neil Ferguson, la référence mondiale de la modélisation des épidémies, jette dès le 17 janvier un pavé dans la mare avec une note publique qui fait grand bruit : avec déjà 3 cas détectés à l’étranger, il est impossible qu’il n’y ait que quelques dizaines de cas à Wuhan. En prenant en compte le nombre de passagers quotidiens à l’aéroport, la population de l’agglomération et le temps d’incubation, un calcul basique permet d’estimer que pour qu’il y ait 3 cas détectés à l’étranger, il faut qu’il y ait au moins 1 800 cas déjà à Wuhan – et sans doute beaucoup plus : de nombreux cas exportés pourraient être asymptomatiques et ne sont donc probablement pas identifiés, ajoutent les auteurs de la note. Le 22 janvier, Ferguson met à jour l’estimation à 4 000 cas au moins (contre seulement 550 déclarés). Et livre, dans un autre rapport transmis à l’OMS le 22 janvier, la première estimation du taux de reproduction initial du virus, l’indice R0, soit le nombre de personnes infectées par chaque cas index : 2,6. Une transmissibilité très élevée, plus de deux fois supérieure à celle de la grippe saisonnière, qui présage d’une immense vague mondiale, inarrêtable – reste à en connaître la mortalité. Le Royaume-Uni, précurseur, réunit son propre conseil scientifique, le Sage (Scientific Advisory Group for Emergencies), dès cette date. Neil Ferguson en fait partie. Il a aussi ses connexions en France : Simon Cauchemez, le modélisateur d’épidémies de l’Institut Pasteur, est un disciple, et discute quotidiennement avec le petit groupe de spécialistes autour de Ferguson sur des boucles de messages.

      Au lendemain de la conférence de presse du 21, un nouveau cas suspect, une patiente chinoise, est à l’isolement à l’hôpital Bichat à Paris– il sera lui aussi infirmé, comme celui de Nancy. Mais prise de remords, Agnès Buzyn se fait un sang d’encre. Elle bombarde de messages son directeur de cabinet et craint soudain d’être tournée en ridicule si l’information d’un premier cas en France percute les propos rassurants de sa conférence de presse. « Nous avons possiblement le premier cas français. En 2003 (Sras), les Chinois ne voyageaient pas… », s’agace-t-elle par écrit, comprenant rapidement que l’épidémie, cette fois-ci, risque de se développer dans des proportions que nul n’a imaginées. À partir de cette date, comme le constateront les sénateurs dans leur rapport d’enquête de décembre 2020, la ministre tente tant bien que mal de mobiliser. Bien que l’épidémie se répande aux quatre coins du monde, l’OMS refuse encore le 22 janvier de déclarer l’USPPI, semble-t-il pour ménager la Chine. « Ils sont mignons… s’emporte Buzyn dans un message à un conseiller. Il faut tout de même montrer qu’on a fait des choses […] sans attendre l’aval de l’OMS. » Même apathie du côté de l’Union européenne. Le CDC européen, agence sanitaire basée à Stockholm, émet depuis le 17 janvier des évaluations extrêmement rassurantes, jugeant le risque d’importation « très faible » en Europe – sans visiblement se rendre compte des flux massifs de passagers avec Wuhan, qu’il croit limités à l’Asie ! Buzyn cherche à joindre Stella Kyriakides, la commissaire européenne à la Santé, pour lui demander de convoquer une réunion des ministres de la Santé à l’échelle européenne. Matignon et le ministère des Affaires étrangères sont mis dans la boucle.

      Acte 2 : quand les masques ne servaient à rien
      Dès le 27 janvier 2020, la ministre de la Santé informe Emmanuel Macron que l’épidémie de Covid pourrait faire plus de 100 000 morts en France.


      30 janvier 2020. Pékin se flatte de construire en dix jours deux hôpitaux de plus de 1 000 lits à Wuhan.© CHINE NOUVELLE/XinHua /SIPA

      La Chine confine des villes et des régions entières. Des hôpitaux de 1 000 lits sont construits en quelques jours, sous les yeux ébahis des Occidentaux. Les médecins hexagonaux les plus réputés se montrent tous « rassuristes ». Santé publique France juge « peu probable » le scénario d’une épidémie à impact majeur sur la société. Mais dans le secret des cabinets ministériels, on s’interroge déjà sur l’état des stocks de masques et sur l’implication possible, dans le déclenchement de la catastrophe sanitaire, du mystérieux P4, un laboratoire de haute sécurité de Wuhan né d’une coopération avec la France…

      La planète va soudain entrer dans une autre dimension. Au matin du 23 janvier, la ville de Wuhan est brusquement confinée. Dans une métropole moderne, rues et avenues sont totalement désertées, 11 millions d’habitants enfermés, des milliers d’usines à l’arrêt, trafic TGV stoppé net, avions cloués au sol, routes barrées. Une mesure inédite, inimaginable, « médiévale », s’effraie-t-on au ministère français de la Santé. Si les Chinois confinent, c’est que la situation doit être bien plus grave qu’ils ne l’admettent, comprennent immédiatement scientifiques et gestionnaires des crises sanitaires. Le sujet explose dans les médias français, mais par un détail absurde : faut-il installer comme les Asiatiques des détecteurs de température dans les aéroports ? Agnès Buzyn, comme d’autres dans l’administration, les juge inutiles. Ce serait de l’affichage, alors que rien ne prouve que les détecteurs aient jamais repéré un cas, d’autant que le virus semble être furtif et être contagieux même en l’absence de fièvre.

      Pas d’inquiétude.Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, à propos des masques, le 24 janvier.

      « Il y a un risque fort d’avoir une injonction politique le jour J, craint le lendemain Olivier Brahic, patron du Centre de crise sanitaire (CCS). La question politique va donc se reposer : quelle mesure de gestion met en œuvre l’État face à ce risque (vol en provenance de toute la Chine) ? » Brahic apporte aussi une réponse à la question posée le lundi par la ministre : les masques. Après vérification, il n’y a aucun stock de masques FFP2, les modèles les plus sûrs nécessaires aux soignants, seulement 33 millions de masques chirurgicaux pédiatriques et 65,9 millions de masques adultes FFP1, plutôt destinés aux patients ! « D’ici fin février, ce stock sera augmenté de 10,3 millions de masques pédiatriques, plus 54,6 millions de masques adultes », explique le patron du CCS. « Pas d’inquiétude », rassure Jérôme Salomon, que ces chiffres, pourtant très bas par rapport aux besoins en cas de pandémie, semblent satisfaire à ce stade. Devenu célèbre, le rapport de Jean-Paul Stahl, mandarin de Grenoble, chiffrait en 2018 à 1 milliard ce besoin pour une telle maladie respiratoire émergente… Dix ans plus tôt, en 2009, c’est précisément ce nombre de masques qui fut acquis par la France pour lutter contre la grippe H1N1.

      En Chine, des images montrent désormais l’armée dans la rue, des murs dressés partout, des portes de résidences et d’appartements condamnées, des distributions de nourriture et de biens de première nécessité. La propagande trompette l’exploit de boucler en dix jours la construction de deux hôpitaux, l’un de 1 000 lits, l’autre de 1 300. Et les mesures de confinement s’étendent bien au-delà de Wuhan. Éberluée, Agnès Buzyn écrit à son conseiller santé, Grégory Emery : « Ils en sont à 20 villes à l’arrêt, 30 millions de personnes. Dans une épidémie où tu mets les gens en quarantaine, tu attends deux fois la période d’incubation après la fin du dernier cas recensé… Ils ne vont pas fermer les villes trente jours ? » Le premier confinement de Wuhan durera soixante-dix-sept jours – Shanghai l’a encore été plus de deux mois en 2022 ! Un conseiller du ministère de la Santé s’inquiète aussitôt : « Je crains que les masques (chirurgicaux ou FFP2) ne soient produits en Chine, au sein de laquelle il y aura des pénuries. Si [souligné et en gras dans le mail, NDLR] on rentre en phase épidémique, la question doit se poser dès à présent sur ces questions de moyens. Il conviendrait de saisir officiellement le SGDSN [Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, NDLR] sur ce sujet. »

      Le 24 janvier, le virus est aux portes du pays

      Mais, pour ses collègues, l’épidémie de Wuhan est encore très, très loin. Le Conseil des ministres, exceptionnellement tenu un vendredi, le 24 janvier, est entièrement consacré à la réforme des retraites. Emmanuel Macron fait un court laïus sur les violences policières, en marge des manifestations contre la réforme. « Il ne faut pas accepter le relativisme séditieux qui mettrait les deux types de violences au même niveau. Ce n’est pas camp contre camp et violence contre violence », rappelle fermement le président de la République. La Santé n’intervient qu’à la fin du conseil, pour résumer l’un des tout premiers travaux remis par une des grandes agences de recherche françaises, l’Inserm. Leur jeune épidémiologiste star, Vittoria Colizza, y assure que le risque d’importation en France est faible. Agnès Buzyn pestera en audition au Sénat : l’Inserm avait oublié que Charles-de-Gaulle avait des vols directs de Wuhan !

      Car le virus est déjà aux portes du pays. Le soir même, les deux premiers cas sont confirmés à Bichat et à Bordeaux, puis un troisième en début de soirée. Au lieu d’y voir une alerte rouge, le sommet de l’exécutif s’agace d’abord ce cet intrus dans l’agenda, perte de temps et d’énergie au moment de voter la loi phare du quinquennat, sur les retraites. La règle, édictée par le SGDSN dans des circulaires de 2009 et de 2012, voudrait alors que l’exécutif monte en puissance, et active une « cellule interministérielle de crise » (CIC), un centre de commande placé sous l’égide du ministère de l’Intérieur – seul à avoir, avec les préfets, le prestige, l’agilité et le réseau territorial pour mobiliser partout tous les services de l’État. En 2009, face à la grippe H1N1, Nicolas Sarkozy et François Fillon avaient déclenché cette CIC dès avril, quand l’OMS avait lancé l’alerte pandémique, bien avant que le virus n’atteigne le territoire français. Pourtant, en 2020, une telle CIC ne sera pas activée avant le 17 mars. À mots feutrés, les sénateurs, lors de leurs travaux d’enquête de 2020, se sont longuement étonnés de cette mobilisation « tardive ». « C’est un des principaux nœuds du problème », assure encore aujourd’hui l’un des rapporteurs, le radical de gauche Bernard Jomier, médecin lui-même. Sur le sujet, l’audition du Premier ministre Édouard Philippe lui a laissé un goût amer – « l’une des plus difficiles » –, face-à-face tendu noyé dans les « réponses dilatoires ».

      Selon un acteur de premier plan, qu’importe que la CIC ait été gérée par le ministère de la Santé ou par Beauvau, « tout le monde était là ». « À partir du 29 février,précise notre source, ce sont Alexis Kohler [secrétaire général de l’Élysée, NDLR] et Benoît Ribadeau-Dumas [directeur du cabinet du Premier ministre, NDLR] qui pilotent les réunions. » Fin janvier, le fonctionnement est encore celui d’une interministérielle gérée avenue Duquesne, au ministère de la Santé, grand mal-aimé de l’administration française. Un ministère qui n’a pourtant pas la main sur les préfets, incontournables dans les chaînes décisionnaires. En attendant, il pare au plus urgent. L’effroi de Wuhan percute la France. Des pharmacies sont dévalisées par des clients, entre autres de la diaspora chinoise, incitée par les ambassades à envoyer le maximum de masques au pays. Le ministère de la Santé réagit vite : « Il faudrait que les pharmaciens reçoivent des éléments pour informer la population sur l’absence d’utilité des masques chirurgicaux en dehors de la protection de la personne contaminée par un virus respiratoire », plaide un conseiller. Ce sera désormais le mantra du gouvernement français, jusqu’aux sorties de sa porte-parole, Sibeth Ndiaye : les masques ne servent à rien si vous n’êtes pas malade ou cas contact, ils doivent être réservés aux soignants. Deux ans après, la controverse persiste, y compris devant les tribunaux : ces consignes étaient-elles scientifiques ou sont-elles destinées à occulter la grave pénurie constatée par les pouvoirs publics ? Il y avait bien un débat scientifique, peut-être même civilisationnel. Si tout Pékin, Hongkong, Séoul ou Taipei se ruaient déjà en janvier 2020 sur les masques, l’OMS et Washington étaient sur la même ligne que Paris : pas de masques en population générale. L’autre urgence pour Agnès Buzyn est alors de dessiner des prévisions pour la France. Le 25 janvier, à 9 h 41, elle envoie un message à son directeur de cabinet : « Il va falloir préparer trois scénarios de virulence et de mortalité. Car nous devons savoir combien on a de transports et de lits mobilisables, combien de respirateurs. Il nous faut des écrits cet après-midi. La mortalité de 3 % a l’air de se confirmer. C’est beaucoup pour un virus qui a une cinétique de type grippe […]. Enfin, le HFDS [haut fonctionnaire de défense et de sécurité, NDLR] doit se renseigner sur l’implication du P4. Je t’attendrai au ministère. » L’Élysée est également averti de l’évolution de la situation.

      « Impacts significatifs »

      C’est également fin janvier qu’apparaissent pour la première fois les différences de doctrine mises en œuvre par les pays européens. Alors que toute la stratégie française repose sur l’hôpital et le Samu, les Allemands comptent sur la rigueur de leurs citoyens et sur la médecine de ville, chemin opposé à la France jacobine, ainsi que le révèle Jens Spahn, ministre allemand de la Santé, dans un message envoyé au cabinet d’Agnès Buzyn, le 25 janvier : « Nous n’isolons pas les cas contacts, mais nos autorités sanitaires prennent attache avec eux, les informent et leur demandent de rester si possible à la maison et d’aller consulter un docteur dès le premier symptôme », écrit-il. C’est à la même période que les Européens se rendent compte que des dizaines de milliers de ressortissants présents sur le territoire chinois se retrouvent pris au piège. Le 25 janvier, décision est prise de rapatrier les Français de Wuhan, entre 500 et 1 000, selon le consulat. Et, par la même occasion, la France embarquera une pléiade d’autres nationalités, en particulier de l’Union européenne. Des vols doivent être affrétés de toute urgence. Mais pas question de lâcher dans la nature ces rescapés, une fois en France. Il faut les isoler, quatorze jours, le temps de s’assurer qu’ils ne sont pas porteurs du virus. Un véritable casse-tête légal et logistique commence. Un site d’accueil pour un tel camp de quarantaine, une première en France, doit être trouvé de toute urgence. Il faut aussi gérer l’hypothèse d’un droit de retrait des équipages des compagnies aériennes, qui refuseraient de convoyer les potentiels pestiférés. Enfin, plus que de justifier la privation de liberté, prévue par le Code de la santé publique pour les cas contacts et les infectés en situation de crises sanitaires graves, le souci de l’administration est de ne pas affoler les Français. Le brouillon du communiqué prévoit d’annoncer la « quarantaine » des rapatriés. Dans l’après-midi du 26 janvier, Jérôme Salomon raye le mot tabou et le remplace par une formule absconse : « mesure de surveillance renforcée et de regroupement géographique temporaire ». L’objectif est toujours le même : ne pas faire paniquer la population.

      26 janvier 2020. Une note secrète de Santé publique France évoque trois scénarios possibles de l’évolution de l’épidémie du « nouveau coronavirus » en France. « Les données disponibles conduisent à considérer le scénario 2 comme aujourd’hui plus probable que le scénario 1 », conclut SPF.© §

      À 18 heures, le dimanche 26 janvier, les ministres sont convoqués à Matignon. Agnès Buzyn présente en réunion interministérielle les prévisions des scientifiques français. À sa demande, Santé publique France (SPF), l’agence chargée de la préparation aux crises sanitaires créée en 2016, a rédigé une note confidentielle après consultation de deux des meilleurs épidémiologistes français, Bruno Lina et Simon Cauchemez. Ce document, que nous avons pu consulter, est le premier d’une série restée absolument secrète. Ils révèlent à quel point l’exécutif était précisément renseigné. SPF établit alors trois scénarios. D’abord, un « contrôle rapide de l’épidémie (scénario Sras-like) », scénario « peu probable maisenvisageable », notent les experts, selon « les efforts déployés pour retarder l’installation du virus sur le territoire ». Pour cela, il aurait fallu en faire beaucoup plus et, comme la Chine, mettre en place une stratégie d’élimination, plus tard baptisée « zéro Covid ». La deuxième hypothèse, une « pandémie avec impacts sanitaire et sociétal significatifs », est jugée la « plus probable ». Avec une transmissibilité élevée, la vague serait inarrêtable, mais la mortalité serait plus faible qu’annoncée, du fait d’une « proportion importante de cas asymptomatiques ». Enfin, le troisième scénario, décrit comme « très peu probable », est écarté en invoquant une mystérieuse « stabilité génétique des coronavirus ». Il était pourtant prophétique : « Une pandémie avec impacts sanitaire et sociétal majeurs. » Ni Santé publique France, ni Bruno Lina n’ont souhaité commenter ce document. Simon Cauchemez, dans une réponse écrite à nos questions, nie avoir attribué alors des probabilités aux différents scénarios.

      « Warning +++ »

      28 janvier 2020. Une note de Santé publique France avertit Olivier Brahic, patron du Centre de crise sanitaire, de la pénurie de masques.

      Semaine 4. Lundi 27 janvier. Depuis les premiers jours, l’Institut Pasteur est mobilisé avec l’équipe du virologue Jean-Claude Manuguerra, consulté par le Corruss. Il annonce maintenant que les premiers tests sont disponibles à Paris et à Lyon. Dans la soirée, par message, Agnès Buzyn fait un long point pessimiste au président de la République. Le message est visé dans les perquisitions diligentées par la Cour de justice de la République (CJR). Selon les sources que nous avons interrogées, la ministre y évoque déjà, à cette date, la possibilité que l’épidémie fasse plus de 100 000 morts. Ni l’Élysée ni Agnès Buzyn n’ont souhaité commenter. Avant une éventuelle pandémie, le dossier du jour est encore le rapatriement des Français de Wuhan. Sans vergogne, les autorités chinoises font chanter les Européens. S’ils veulent sortir de là leurs ressortissants, Pékin exige qu’ils envoient des masques et des équipements de protection individuels (EPI). Un comble, quand on sait que la Chine est le premier producteur mondial… Mais ses usines se concentrent à Wuhan, paralysée ! SPF en avertit le cabinet de la ministre de la Santé dès le 28 janvier : « Pour les masques, nous allons être confrontés à une pénurie de matière première. » « Warning +++ », réagit aussitôt par mail Olivier Brahic, le patron du CCS. Agnès Buzyn s’oppose à l’envoi de matériel en Chine. Dans son rôle, Jean-Yves Le Drian veille à l’amitié franco-chinoise. Pékin s’obstine : pas de masques, pas de plan de vol ! Un conseiller de Buzyn trouve une solution : « Nous n’avons pas de stock de masques FFP1, 2 ou 3. Par contre, nous avons un stock de 24 millions de masques chirurgicaux qui sont arrivés à péremption en 2019 (pas de baisse de qualité sur les capacités de protection, mais sur l’élastique). Ces masques sont destinés à être détruits. » Son idée ? « Donner une partie de ces masques à la Chine (100 000 à 1 million en fonction de la place dans l’avion de vendredi). » Le conseiller ajoute : « Mon avis repose sur le fait que ces masques, périmés, ne pourront pas être utilisés en France du fait de la chute du marquage CE. Utiliser en France des masques périmés présenterait un risque d’image fort. » Faute d’avoir pu en commander des nouveaux à temps, des dizaines de milliers de masques périmés seront en réalité bel et bien utilisés dans l’Hexagone… Quant à la Chine, un mince chargement de 200 000 masques atterrira finalement à Wuhan dans le premier avion de rapatriement. Avant que ne décolle de Roissy, le 19 février, un A380 contenant 17 tonnes d’aide matérielle (combinaisons, masques, produits désinfectant, etc).

      « La Chine a bloqué toutes les exportations… »

      30 janvier 2020. Échange de mails entre Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement, et l’Union des groupements d’achats publics (Ugap) à propos de la pénurie de masques. Une alerte transmise à plusieurs membres du cabinet d’Édouard Philippe.© §
      Tandis qu’elle importe au forceps des masques, la Chine exporte toujours tranquillement des cas. Les lignes de Wuhan sont coupées, mais pas celles de plusieurs dizaines d’autres aéroports chinois. Or, à cause du Nouvel An lunaire qui vient de commencer, sorte de Noël confucéen et plus grande migration annuelle de la planète, le virus s’éparpille dans l’empire du Milieu. Pourtant, l’OMS, les Européens et les États-Unis rechignent à resserrer les contrôles, limitant leurs efforts de détection aux seuls voyageurs en provenance de Wuhan. Discrètement, les Français prennent l’initiative d’élargir leur définition de cas, passant toute la Chine en zone à risque. Mais ils sont bien les seuls. Jérôme Salomon, en interne, s’emporte : « Sidérant de voir que ni l’OMS, ni l’US CDC, ni l’ECDC [Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, NDLR] ne veulent bouger ! » Le 29 janvier, le Premier ministre réclame dans les douze heures une fiche « sur nos capacités d’isolement et le risque de saturation [de nos hôpitaux, NDLR] ». Selon la note qui parviendra à Édouard Philippe quelques instants plus tard, la réponse du système de santé à l’émergence du Covid repose sur une prise en charge des cas confirmés dans des chambres biosécurisées. En tout, 150 lits répartis dans 36 établissements sont équipés pour accueillir, dans des « conditions de sécurité maximales », des patients Covid, avec la possibilité de « renforcer en tant que de besoin » cette prise en charge par l’« activation d’une seconde ligne d’établissements de santé ». Suffisant ? Certainement pas. Au plus fort de la crise, entre début mars et début avril, ce sont 8 318 patients qui rentreront en réanimation et, sur la même période, 36 254 personnes qui seront temporairement hospitalisées. Quant aux masques, le marché est déjà totalement aspiré par les Chinois. Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement, reçoit un mail le 30 janvier lui décrivant la gravité de la situation : « Nos fournisseurs nous confirment aujourd’hui que leurs stocks sont soit très faibles, soit épuisés, que la Chine a bloqué toutes les exportations… et que le prix du masque a déjà augmenté de 80 % ! »`

      Nouveau coup de sang de Jérôme SalomonLe premier avion de rapatriés doit décoller de Chine dans moins de vingt-quatre heures. Mais le gouvernement n’a toujours pas, le 28 au soir, identifié la destination ! L’œil rivé sur la montre, le directeur de cabinet du Premier ministre relance, par mail. Celui de Jean-Yves Le Drian manifeste à son tour une « certaine impatience » : « Ce serait bien de l’avoir défini avant le retour de l’avion, en effet », persifle-t-il. À la Santé, on propose un bâtiment du campus de Polytechnique, à Palaiseau, bien desservi et « à l’écart des regards ». Les armées refusent de mettre à disposition la prestigieuse école des bicornes. De toute manière, la région parisienne est exclue. Le cahier des charges, rappelé par Matignon, exige une zone « extra-urbaine ». Nouveau coup de sang de Jérôme Salomon : « Partir sur un village isolé dans un département sans CHU est une folie pure. » Le jour même du décollage, faute de solution, le Premier ministre désigne un centre de vacances de Carry-le-Rouet, dans les Bouches-du-Rhône. Garrigue, calanques, vue sur mer. La quatorzaine passerait presque pour un séjour au Club Med. Mais à la Santé, en l’apprenant, on tombe de haut : à une poignée de kilomètres, à Marseille, le baron local des maladies infectieuses est une grande gueule, réputée ingérable. Un certain Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalier universitaire (IHU) Méditerranée. Et il sera forcément chargé des tests sur les rapatriés.

      Signe qu’on entre dans le dur, après le Conseil des ministres et une succession de réunions interministérielles avenue Duquesne et à Matignon, 30 hauts fonctionnaires de défense et de sécurité sont invités à 17 heures le mercredi 29 janvier au SGDSN, gardien de la solidité de l’État. Un conclave top secret missionné pour déminer tous les sujets les plus explosifs, comme en témoigne le compte rendu émis par la DGS : « pas question d’activer la CIC [en gras dans le texte] » ; préparer des « EDL » (éléments de langage) sur les « moyens de protection », donc les masques, pour les agents des ministères ; faire remonter l’état des stocks ; établir des critères pour le « déclenchement de la CIC en cas d’évolution très négative de la situation en France » ; et, enfin, désamorcer LA bombe, avec des « EDL sur le P4 de Wuhan ». Car, depuis quelques jours, la rumeur d’un lien avec les laboratoires de Wuhan a explosé sur le Web chinois. Et, en France, le magazine Challenges a écrit un premier petit article sur le sujet. En début de soirée, le narratif du SGDSN est prêt : le labo fourni par la France est réservé aux pathogènes de classe 4, les plus dangereux, comme Ebola ou la variole ; or les virus type Sras sont classe 3 ; « sur la période considérée, aucune information ou indication d’activité ne permet d’envisager la présence de pathogènes autres que ceux pour lesquels le laboratoire est accrédité ». Un conseiller du ministère de la Santé valide : « Le but est de dire que c’est un labo chinois géré par les Chinois. » Affaire classée, enterrée comme un déchet radioactif. Jamais le SGDSN, responsable de la surveillance de cette coopération, ne commentera le dossier publiquement.Retour aux affaires courantesLe 30 janvier, Édouard Philippe lance au Cese (Conseil économique et social) sa conférence sur le financement du système des retraites. Il y a là les partenaires sociaux, Agnès Buzyn, Olivier Dussopt, Laurent Pietraszewski et des membres de cabinet. En petit comité et entre deux cafés, la ministre de la Santé joue les prophètes de malheur, dégainant les courbes épidémiques de l’Institut Johns-Hopkins, désormais clairement exponentielles. Si l’épidémie suit son cours, la réforme des retraites comme les élections municipales pourraient devoir être ajournées, suggère alors la ministre. Ses collègues et leurs conseillers l’écoutent, incrédules.

      Ceux qui connaissent le landernau expliquent leur inaction simplement : la santé publique n’est pas leur culture. Les spécialistes de l’économie et des finances ne sont pas formés à envisager qu’une crise sanitaire provoque un chamboulement bien plus grave qu’un krach boursier. Pourtant, sous leurs yeux, une semaine après le confinement de Wuhan, le monde change déjà de visage. À Genève, le soir même, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui revient de Pékin, déclare (enfin !) l’Urgence de santé publique de portée internationale (Usppi), la sixième seulement de son histoire, après la grippe porcine, Ebola ou encore Zika. Toujours soucieux de ne pas froisser la Chine, l’OMS recommande cependant aux pays de ne pas restreindre les voyages ou les échanges commerciaux. Mais les États membres n’en font qu’à leur tête. L’Italie interrompt les lignes directes. Air France annonce suspendre ses vols. Trump, sans prévenir, s’apprête lui aussi à couper le lendemain toutes les liaisons directes, à interdire d’entrée à tous les étrangers qui auraient voyagé en Chine dans les quatorze jours, ainsi qu’à imposer une quarantaine obligatoire à l’arrivée ! Face au chaos, Agnès Buzyn alerte en pleine nuit ses camarades du gouvernement : « Il n’y a visiblement aucune coordination européenne… L’OMS est en dessous de tout et ne prend aucune décision. On va être attaqués dans la presse. Il faut caler un point très vite. »

      Le président de la République est également averti de la situation par ses ministres.Le dernier jour de janvier, entre une avalanche d’informations et de réunions, la ministre s’envole pour le sud de la France où elle inspecte le site de Carry-le-Rouet et accueille les rapatriés de Wuhan. Une parenthèse malgré la présence sur place de Didier Raoult, qui inquiète particulièrement les services du ministère de la Santé.

      Acte 3 : la drôle de guerre

      En février 2020, Agnès Buzyn évoque une épidémie qui pourrait faire 200 000 morts, ses collègues la jugent « hystérique ». L’Allemagne, elle, doute de l’OMS et de la Chine.

      La Chine est désormais une « Cocotte-Minute », selon un mail envoyé par Jérôme Salomon, directeur général de la Santé (DGS), à Agnès Buzyn. La ministre ne cesse de revoir ses funestes prévisions à la hausse. Mi-janvier, elle évoque une épidémie aux 100 000 morts. Le président de la République et Édouard Philippe sont mis au courant. Début février, en Conseil des ministres, Agnès Buzyn cite des chiffres encore plus accablants. Au gouvernement, ses homologues sont circonspects : « J’ai cru qu’elle était hystérique », confie une collègue.

      Nous sommes le 1er février 2020. L’épidémie dépasse désormais le Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) et le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) en cumul des malades, note Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé (DGS). Pourtant, depuis une semaine, la ministre, Agnès Buzyn, s’éreinte en vain à mobiliser ses homologues européens. Elle a appelé la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides. D’abord réticente, celle-ci a finalement publiquement conseillé de réunir un conseil extraordinaire des ministres. Mais la présidence croate, qui doit s’en charger, traîne des pieds. Les Allemands freinent des quatre fers. « Nous craignons de provoquer une réaction un peu paniquée », écrit un conseiller de Jens Spahn, le ministre de la Santé allemand, au cabinet de Buzyn.

      Finalement, Berlin consulte Washington, qui doit appliquer en fin de journée des mesures drastiques… et accède petit à petit aux demandes françaises. Le 3 février, les ministres du G7 s’entretiennent lors d’une réunion téléphonique. Au compte rendu écrit de l’entretien figure cette mention, tout sauf anodine : « Des réserves ont été émises, notamment par le ministre allemand, sur la transparence des autorités chinoises et sur l’action de l’OMS. » Il faudra pourtant attendre le 13 février pour que les ministres de la Santé européens se rassemblent à Bruxelles. Sans prendre aucune commande groupée de masques, ni de politique frontalière commune.

      L’inquiétant cas Wuhan

      Jérôme Salomon a transmis dès le premier jour du mois à Agnès Buzyn les confidences alarmantes des correspondants du ministère en Chine, dont celles de la conseillère aux affaires sociales (CAS) de l’ambassade de Pékin. « Densité des malades très forte dans les hôpitaux, les cas non urgents sont reportés. Incitation des malades hospitalisés et non infectés à quitter l’hôpital, peut-on lire. Contagiosité très forte […]. À noter : beaucoup de soignants ont été infectés avant l’alerte […]. 80 % des fièvres testées sont positives au corona, tout se passe comme si le coronavirus avait pris le lead sur les autres virus de la saison. »

      Des lits à disposition à Wuhan, très peu « sont adaptés à la prise en charge de patients infectés (équipements de protection…) ». Enfin, « l’isolement à domicile pose un problème de surveillance. Depuis hier, du fait de la poursuite de la diffusion de l’épidémie, la décision des autorités chinoises est d’hospitaliser tout patient malade, avec réquisition des 25 hôpitaux de niveau 2 (environ 20 000 lits) sans compter la construction de 2 ou 3 hôpitaux ». Buzyn enchaîne : « Transmets aux épidémiologistes pour modélisation sur notre système de santé. » Le DGS lui fait suivre aussi une étude de la revue Nature qui évoque un taux de mortalité de presque 5 % à Wuhan. Ailleurs en Chine, la mortalité est bien moindre.

      La ministre de la Santé s’interroge : « Je ne comprends pas la différence de mortalité entre les régions… – Les Chinois impliquent directement le manque de moyens et de réactivité à Wuhan et dans la province du Hubei et citent une mortalité beaucoup plus faible ailleurs, où il n’y a ni encombrement ni panique et sans doute de plus gros moyens, lui répond Jérôme Salomon. – J’ai bien lu, mais cela veut dire que les cas hospitalisés qui sont morts nécessitaient des soins intensifs et au minimum de l’oxygène… »

      « Nous ne sommes pas face à un virus extrêmement dangereux »

      Des débats passionnés entre deux sommités médicales. Subrepticement, un fossé difficile à combler s’est creusé entre la tête du ministère de la Santé et l’opinion française. À l’écran, en chœur, les experts hexagonaux qui passent à la télévision minorent, presque tous « rassuristes ». Ignorent-ils les rapports de terrain connus des politiques ? Les descriptions terrifiantes de la presse chinoise et des médias étrangers sur place ? « Nous ne sommes pas face à un virus extrêmement dangereux », plaidait dès la fin janvier Bruno Lina, virologue lyonnais, l’un des spécialistes consultés pour la note confidentielle de Santé publique France (SPF), qui prévoit déjà au même moment une pandémie à impact « significatif ». « Il faut être vigilant mais ne pas non plus être inquiet. On peut résumer cette maladie en disant que c’est une grosse grippe », explique quant à lui le 31 janvier sur la chaîne youtube de l’AP-HP le respecté professeur Éric Caumes, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière.

      La pandémie de Covid m’a finalement donné raison sur tout. Toutes les décisions doivent être prises avant que la pandémie soit sur le sol national.Roselyne Bachelot

      Beaucoup justifieront ces prises de position par ce qu’ils baptisent le « syndrome Bachelot » : en 2009, pour en avoir trop fait contre la bénigne grippe H1N1 – 700 millions d’argent public avaient été dépensés –, l’ex-ministre de la Santé avait été raillée, puis visée par des enquêtes parlementaires et judiciaires, tombées à l’eau. « Injustice ! » s’écrie encore aujourd’hui Roselyne Bachelot, contactée par Le Point, furieuse qu’on la ramène encore et toujours à ce sujet. Mais elle déteste plus que tout servir d’excuse aux erreurs de 2020, tenue responsable d’une épidémie qu’elle n’a pas gérée. « La pandémie de Covid m’a finalement donné raison sur tout : les masques, les vaccins, la gestion de crise, réplique-t-elle à ses éternels critiques. Dans une pandémie, il faut prendre des décisions en avance de phase, sans savoir ce qu’il va se passer. Toutes les décisions doivent être prises avant que la pandémie soit sur le sol national. Oui, les virus sont facétieux. Mais il n’y a pas de risque à surestimer. Il y a un risque à sous-estimer. C’est très curieux qu’on ne fasse pas les mêmes remarques sur les préparations de défenses militaires. »

      200 000 morts ? « J’ai cru que Buzyn était hystérique… »

      Mercredi 5 février, nouveau Conseil des ministres. Retraites encore et toujours, en long et en large. Le Covid reste un sujet secondaire. On se félicite au sujet des rapatriements. Une collègue d’Agnès Buzyn se souvient que la ministre de la Santé avait noté, dans un de ses points, que la France risquait d’avoir « 200 000 morts » – un calcul à la louche, vertigineux, mais que personne n’avait alors pris au sérieux. « J’ai cru qu’elle était hystérique », en rit aujourd’hui cette membre du gouvernement Philippe, reconnaissant volontiers s’être trompée. Le 6 février, Jérôme Salomon en remet une couche, dans un mail : « La Chine est désormais une “Cocotte-Minute” et les experts prient pour que le couvercle tienne, nous sommes dans une période cruciale selon Tedros [Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, NDLR], “dernière fenêtre de tir avant une pandémie !” »

      Le directeur général de la Santé s’impatiente. Il enchaîne les réunions interministérielles où personne ne bouge. Après consultation, on se rend compte que les doctrines sur les masques « ne sont pas rigoureusement établies », euphémisent encore aujourd’hui les hauts fonctionnaires, qui découvrent alors le problème. Comme la presse s’en fera amplement l’écho dans les mois qui suivront, l’État a abandonné en 2013 l’exigence d’un stock d’État de masques FFP2. L’approvisionnement reposerait depuis sur les « employeurs », terme vague regroupant hôpitaux, Ehpad, etc. Les libéraux devraient prévoir eux-mêmes de provisionner leurs besoins individuels en prévision des crises. Mais ceci étant notifié dans d’obscures circulaires rarement lues, presque tous s’attendaient à ce que l’État y pourvoit en cas de catastrophe.

      En conséquence, il faut « reconstruire la doctrine », admet-on au cabinet de la ministre en ce début de mois de février. Salomon réclame un arbitrage immédiat au sujet des masques afin d’anticiper « la possibilité d’une épidémie sur notre territoire », un « enjeu majeur », précise le DGS. Son plaidoyer forme une note confidentielle du 6 février à destination du cabinet d’Agnès Buzyn, résumée dans les rapports du Sénat. Le Point a pu la retrouver en intégralité : « Les ARS [les agences régionales de santé, NDLR] nous remontent d’ores et déjà des difficultés d’approvisionnement en masques FFP2. Par ailleurs, nous ne disposons pas de stock d’État pour ce type de matériel, s’inquiète-t-il. […] Trois régions, Grand Est, Guadeloupe et Martinique, signalent des stocks de masques FFP2 fortement tendus inférieurs à quinze jours […]. » Les soignants libéraux, eux, sont nus comme des vers : « Dans le secteur ambulatoire, une majorité de professionnels ne disposent pas d’un stock minimum de masques FFP2. »


      6 février 2020. Note du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, sur « la mise en place d’un stock d’État de masques FFP2 ».© §

      Le DGS presse donc de réarmer. Il faut ouvrir de toute urgence des nouvelles lignes de production sur le territoire national et reconstituer un « stock stratégique d’État et la distribution aux structures de santé d’un stock d’amorce ». « Afin d’initier un stock d’État, SPF procède en urgence à une première acquisition d’un million d’unités », annonce Jérôme Salomon. La comparaison avec 2009, où 93 millions de FFP2 avaient été ponctionnés d’un stock de près de 500 millions, l’oblige à reconnaître que la commande d’un million sera « insuffisante en cas d’épidémie sur le territoire ». D’où la proposition supplémentaire du DGS : commander d’ores et déjà 28,5 millions de FFP2 en plus. De quoi distribuer des kits de 20 masques aux médecins, infirmiers et pharmaciens libéraux.

      Le cluster des Contamines ou l’illusion d’un virus sous contrôle

      Un exercice grandeur nature donne immédiatement l’occasion de roder les défenses du pays. Le 7 février, un cluster est découvert aux Contamines-Montjoie,station alpine où des touristes anglais – dont un revient de Singapour – ont introduit le virus. Une fabuleuse traque débute. Les écoles sont fermées, les sujets infectés sont hospitalisés et isolés, les cas contacts, identifiés jusque dans les bus et les sorties scolaires. À 14 h 30 ce jour-là, 96 personnes ont déjà été vues par les ARS et en grande partie testées. De nombreux professionnels sont mobilisés et le cluster est apparemment contenu en deux jours. Un véritable exploit ! « Et en même temps, une illusion totale, confie un acteur de l’affaire. Avec les Contamines, on a cru que peut-être on arriverait à contrôler l’épidémie. »

      Mais c’était supposer que tous les cas étaient détectés. Les enquêtes rétrospectives révéleront qu’à la même période, plusieurs autres foyers éclataient, dont l’un autour d’une base militaire dans l’Oise – peut-être lié aux personnels qui ont accompagné les rapatriés de Wuhan. Et déjà, le ministère constate que cette chasse au Covid a épuisé ses ressources : il a fallu entamer le stock stratégique « pour quelques dizaines de personnes contacts », reconnaîtra par mail Jérôme Salomon. Agnès Buzyn écrit dans un document retrouvé au cours de la perquisition : « Ce que nous avons fait pour les rapatriés avait pour but de rassurer et de ralentir l’entrée du virus sur le territoire, mais cela ne peut l’empêcher à terme. Il va falloir que les gens restent chez eux volontairement s’il y a plus de cas. »

      Surtout, ne pas être « anxiogène »

      Le 11 février, l’optimisme du gouvernement français est douché par les bruits de couloir de l’OMS. « Tedros dit désormais être inquiet de la diffusion hors de Chine, de l’existence de clusters et surtout de la possibilité d’une diffusion non repérée ! répercute Jérôme Salomon, très prudent. Il me paraît très important de continuer à investiguer en profondeur tous les foyers en cours […]. J’espère me tromper… » Réaction de Grégory Emery, conseiller crise sanitaire d’Agnès Buzyn : « Il faut commencer à “prémédiquer” médias et professionnels sur le worst cas [pire, NDLR] e scénario pour garder l’avance qu’on a en France dans la gestion de cette crise à venir. On devra construire la mobilisation des pros la semaine prochaine avec cette trajectoire en gardant optimisme et esprit de solidarité (il va en falloir). » Derrière les anglicismes et le jargon, le conseiller trahit le « double discours » dénoncé par la Cour de justice de la République : l’optimisme rassurant de façade, cachant les préparatifs pour ce « scénario du pire ». Une consigne revient dans plusieurs mails depuis le 20 janvier : ne pas être « anxiogène ».

      12 février 2020. Note sur l’anticipation des six stades possibles de l’épidémie.© §

      Parallèlement, le ton se durcit dans les « synthèses DGS », le mail matinal de Salomon. Des documents qui ne fuitent jamais dans la presse, siglés « confidentiel / à ne pas divulguer ». Le 10 février, dans le chapitre « anticipation » du document, Jérôme Salomon explique que la France en est au stade 3 de la crise et cherche à « anticiper et atténuer les effets de la vague épidémique ou pandémique ». Le lendemain, il fait apparaître pour la première fois trois nouveaux stades de l’épidémie. Stade 4 : « Nombreux cas secondaires, et clusters, transmissions soutenues. » Stade 5 : « Transmission très soutenue et multiples chaînes inexpliquées, impact sur l’offre de soins en ambulatoire. » Stade 6 : « Épidémie massive avec impact fort sur le système de santé. » Remaniée, l’échelle se limitera finalement à un « stade 2 » équivalent au précédent stade 3, quand elle sera présentée au public à la fin du mois. Avant de passer enfin au stade 3 le 14 mars. Donnant comme une impression de surplace.

      « Pour le scénario le plus optimiste, le Sras, la fenêtre s’est déjà fermée »

      Au fil du mois, le diagnostic des scientifiques s’assombrit. La ministre a exigé une mise à jour hebdomadaire des scénarios. « Une note de SPF ne qualifiait plus le scénario du pire comme improbable », rapporte un de ses rares destinataires. Mais les oracles hésitent encore. On manque de données pour confirmer la sévérité de l’infection. La mortalité élevée en Chine pourrait s’expliquer par les faiblesses de son système médical. Mi-février, bien avant l’Italie, force est de constater que des formes graves de la maladie surviennent également dans des pays où le système de santé est supposé plus efficace, comme à Hongkong, Singapour ou au Japon. « 72 % des cas sévères sont âgés de 15 à 64 ans », « sur 121 décès : environ 50 % sont âgés de moins de 70 ans », note aussi Jérôme Salomon dans un point à Agnès Buzyn le 13 février.

      « Santé publique France opte finalement plutôt pour un scénario « grippe-like » [type grippe, NDLR] à impact potentiellement significatif, notamment sur les adultes. »Mais quelle grippe ? Celle de Hongkong de 1969 (1 million de morts) ou la grippe espagnole de 1918 (50 millions) ? Début février, à Genève, l’épidémiologiste Antoine Flahault dresse lui aussi en conférence trois scénarios semblables à ceux de SPF. « Pour le scénario le plus optimiste, le Sras [le syndrome respiratoire aigu sévère de 2003, NDLR], la fenêtre s’est déjà fermée », confirme-t-il. Pour lui comme pour Arnaud Fontanet et Jean-Claude Manuguerra, de l’Institut Pasteur, l’inquiétude monte fin janvier, quand la transmission du virus via des patients asymptomatiques est démontrée par des articles scientifiques. Dès cette période, l’épidémiologiste Neil Ferguson annonce quant à lui à Londres que le pire est possible : une pandémie digne de 1918. Mais c’est un habitué des prédictions apocalyptiques qui font pschitt, comme pour ​​l’encéphalopathie spongiforme bovine ou la grippe aviaire dans les années 2000. Et lui-même reconnaît en être encore à consolider ses modélisations, attendant des chiffres détaillés sur les formes graves.

      Acte 4 : la vague que la France n’a pas voulu voir

      Le 13 février 2020, le ministère de la Santé s’inquiète du « tri médical. » En clair : le gouvernement redoute déjà une submersion des hôpitaux.

      Les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Impossible de commander des masques en nombre suffisant. Les industriels français jouent avec la concurrence mondiale, la matière première est fabriquée… à Wuhan. Le 13 février, Agnès Buzyn réclame, dans des échanges secrets, une saisine officielle du Comité consultatif national d’éthique sur les enjeux du « tri médical ». On envisage donc déjà, à cette époque, une submersion des hôpitaux. Alors que l’Italie fait face à une vague extrêmement violente et a décidé de confiner des régions entières, la France refuse toujours de porter un coup à la vie sociale et économique du pays.

      À Pékin, l’ambassade de France rejette désormais ouvertement les demandes chinoises de masques, de blouses et d’autres équipements de protection individuels. À Paris, les commandes, validées le 6 février 2020, ne sont toujours pas prises. Claire Landais, patronne du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), renvoie le ministère à ses responsabilités. Jérôme Salomon explose, dans un long mail du 12 février à « Madame la Secrétaire générale, chère Claire », en surlignant plusieurs passages en gras. Il dénonce sans prendre de gants : « – Les industriels français jouent avec cette concurrence mondiale [en gras dans le mail, NDLR] et ne semblent pas prêts à sacrifier leur intérêt pour privilégier les intérêts français. – La diversité des acteurs publics français ne place pas le MSS en position de force […]. »

      Autrement dit, la France se lance dans la bataille en ordre totalement dispersé. Et le ministère de la Santé et SPF ne sont pas armés pour gérer une telle commande. Même à la Santé, on finit par plaider à ce stade le déclenchement d’une cellule interministérielle de crise classique, sous l’égide de l’Intérieur et du Premier ministre. « Il me paraît indispensable qu’il y ait une stratégie interministérielle en urgence », conclut cet appel à l’aide. La demande tombera encore dans l’oreille d’une sourde. Le 14 février, c’est la catastrophe : « Santé publique France ne pourra recevoir que d’ici fin avril 7 millions de masques FFP2 sur un stock amorce demandé de 28,5 millions », lit-on dans une note interne. En clair : « Il y a donc une phase critique pour laquelle nous ne disposons pas de stock dédié. »


      12 février 2020. Vif courrier de Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, à Claire Landais, secrétaire générale de la Défense et de la Sécurité nationale.©

      Le 13 février, sous la pression internationale, les Chinois admettent soudainement 15 000 cas et 250 morts, passés sous le tapis jusque-là. La vraie vague apparaît à l’horizon. Par mail, le jeune grognard Grégory Emery, conseiller de crise de la ministre de la Santé française, réclame une « organisation un peu militaire ». En marge d’un Conseil des ministres, Agnès Buzyn prophétise une « crise d’ampleur et très longue » et réclame des renforts. « Ça ne va pas être tenable longtemps », ose-t-elle. La ministre liste au DGS les urgences : un état des stocks des respirateurs, bouteilles d’oxygène, saturomètres, et une « doctrine claire sur les masques chirurgicaux et FFP2 ». Enfin, elle ordonne une « saisine officielle du Comité consultatif national d’éthique [CCNE] sur les enjeux éthiques du tri médical en situation de pandémie sur le territoire national ». Une telle demande revient à envisager concrètement la submersion des hôpitaux et pose de graves questions de responsabilité pénale de l’État et des soignants. Elle est aujourd’hui au cœur des débats judiciaires des multiples instructions en cours.

      Vendredi 14 février, Buzyn est sur sa lancée quand elle répond à Ali Baddou lors de la Matinale de France Inter : la municipale de Paris ne l’intéresse toujours pas ; le coronavirus s’est ajouté à la pile déjà très chargée de la Santé ; en somme, un capitaine ne quitte pas son navire au seuil de la tempête. Mais elle est prise de court : une « vidéo à caractère sexuel », lui apprend Baddou, a fait à l’aube le tour du Web, dévoilant l’anatomie du général LREM dans la capitale, Benjamin Griveaux. Brisé, il jette l’éponge. En cette Saint-Valentin maudite, les mauvaises nouvelles sur l’épidémie continuent de pleuvoir, un Chinois, patient à Bichat, agonise – ce sera le premier décès de toute l’Europe –, Xi Jinping purge Wuhan… Le ban et l’arrière-ban de la macronie appellent Agnès Buzyn toute la journée et une bonne partie de la soirée pour la convaincre : elle doit reprendre le drapeau jeté au sol par Griveaux. Jusqu’au président de la République en personne, qui refuse qu’elle se présente en restant en poste – contrairement à d’autres. Dimanche, elle cède. Ses collaborateurs, convaincus de sa compétence à la Santé, sont dépités. « Je ne lui ai pas parlé durant trois mois », peste encore l’un d’eux, qui suspecte qu’on l’ait débranchée sciemment, en faisant d’une pierre deux coups : sortir une ministre en décalage, trop alarmiste, tout en soufflant un « vent frais » sur une campagne parisienne mal engagée. « Il fallait raconter une autre histoire », se désole un haut fonctionnaire.

      Sous le choc

      Le changement de joueur intervient au pire moment. Durant dix jours, le successeur de Buzyn, Olivier Véran, jeune neurologue devenu député macroniste, se met au diapason. L’actualité lui offre un répit, illusoire. Entre le cluster des Contamines-Montjoie et le 25 février, la France ne recense aucun nouveau cas. Mais le 21, l’Italie bascule, détectant des patients par centaines en quelques jours.

      L’Hexagone suit cinq jours plus tard. Le 26, un professeur de 60 ans originaire de l’Oise, décède brusquement à la Pitié-Salpêtrière – le premier mort français. D’autres sont hospitalisés, dont un militaire de la base de Creil. Même ceux qui attendent la vague depuis des semaines sont sous le choc. Des cas dispersés, impossibles à tracer entre eux ou avec Wuhan, sont le signe que le virus est hors de contrôle sur le territoire. Mais, surtout, une telle mort ne peut se produire que de deux à trois semaines après la contamination, faisant remonter le foyer de l’Oise au début du mois. La direction générale de la santé (DGS), dans des documents internes, s’accorde désormais sur un scénario qui, en termes de létalité, sera forcément plus grave que la grippe. « La bascule s’opère entre le 21 et le 22 février, où l’on passe d’un impact modéré de l’épidémie sur la société à un impact fort », raconte une source. Il ne fait plus guère de doute que l’épidémie fera au moins 100 000 morts. Geneviève Chêne, patronne de Santé publique France (SPF), explique quant à elle, en conclusion d’une note confidentielle, qu’en « cas de circulation communautaire » du virus l’épidémie en France pourrait être « importante ».

      Entretemps, le nouveau locataire de l’Avenue Duquesne finit par lancer la saisine du CCNE. Le 24 février, Olivier Véran reformule sa requête officielle, demandant un avis sur « les enjeux éthiques liés à la prise en charge des patients atteints de Covid-19 et aux mesures de santé publique contraignantes ». Employé par Agnès Buzyn le 13 février, le terme de « tri » a disparu. La réponse du CCNE le 13 mars le réintroduit, mettant en garde contre la « nécessité d’un tri des patients » en cas de saturation des hôpitaux. Mais il faudra attendre novembre 2020 pour que la question du tri médical soit à nouveau évoquée. La France va pourtant être au pied du mur dès mars. La situation est très inquiétante à Creil et à Compiègne, où de nombreux soignants, infectés, doivent être mis à l’isolement. Le même chaos s’abat en quelques jours sur le Haut-Rhin. En enquêtant, l’ARS découvre qu’un immense rassemblement évangélique s’est tenu à Mulhouse, du 17 au 21 février, la Porte ouverte chrétienne. Venus de tout le pays et d’États voisins, 2 500 fidèles sont repartis dans la nature avant qu’on identifie les premiers cas. Ces « couillons d’évangéliques », s’emporte encore un responsable sanitaire, auraient rendu la vague française inarrêtable en dispersant les foyers aux quatre coins de la France. Pour limiter la casse, le 29 février, les rassemblements de plus de 5 000 personnes sont interdits dans l’Hexagone. Les musées, les parcs d’attraction restent ouverts. Olivier Véran doit recommander des « gestes barrière » : éviter les contacts physiques, et arrêter les poignées de main, pourtant essentielles aux hommes et aux femmes politiques en pleine bataille municipale. Les points de situation de Jérôme Salomon deviennent quotidiens.

      Les autres ministères régaliens paraissent surpris. Bruno Le Maire exige soudain des notes de l’ambassade à Pékin sur l’impact économique. Au Travail, on craint de voir balayée la baisse du chômage à peine amorcée. Comme l’avait pressenti le SGDSN, les demandes de droit de retrait se multiplient. À commencer par les employés du musée du Louvre, dimanche 1er mars. « Ce n’est pas justifié », il n’y a pas de « danger grave et imminent », s’emporte à l’époque une source à Bercy. Au même moment, à Londres, à l’Imperial College, le 1er mars, Neil Ferguson réunit les plus grandes sommités britanniques pour décortiquer les données sur les hospitalisations et les cas graves. Conclusion : non, la submersion constatée à Wuhan n’est pas propre à la Chine ; elle va se produire en Italie ; et devrait se reproduire ailleurs. Combinée à la propagation fulgurante du Covid-19, l’hécatombe risque de prendre des proportions terrifiantes. Si les premiers jours on ne dénombre qu’une poignée de cas et de morts, avec un doublement de l’épidémie tous les trois ou quatre jours, on peut atteindre le millier de morts quotidien en moins d’un mois – ce sera chose faite le 1er avril ! À Londres et à Paris, les experts turbinent ces nouvelles données dans leurs modèles de simulation nationaux.

      La boîte de Pandore

      « Début mars se cristallisent trois types d’informations, résume un lieutenant de Véran qui reçoit ces données. Les cas se multiplient partout. Des simulations tombent, venant de très grandes institutions, comme l’école de Londres. Et on voit qu’en Italie quelque chose ne va pas. » Le 4 mars, dans le huis clos d’un Conseil des ministres, Emmanuel Macron est très en colère, selon des participants : « On n’est pas dans une situation dans laquelle on va devoir arrêter le pays. Il faut raison garder, 80 % des personnes infectées ne tombent pas malades. Toutes les décisions doivent être étayées rationnellement par des raisonnements scientifiques. Je ne veux pas tout bloquer. Il y a un principe de proportionnalité. » Le même jour, il écarte sèchement l’idée d’un report des municipales – le sénateur de l’Oise LR Jérôme Bascher a ouvert la boîte de Pandore en posant la question au secrétaire d’État à l’Intérieur, Laurent Nuñez. Le chef de l’État est tellement énervé qu’il envoie promener Marlène Schiappa, qui fait un long exposé sur son bilan à la veille de la Journée de la femme. « C’était sa vie, son œuvre, elle nous a gavés ! » raconte un ministre. Le soir, un dîner politique est organisé discrètement à l’Élysée. La table est dressée dans le jardin d’hiver du palais. Les invités (dont Édouard Philippe, Richard Ferrand, François Bayrou ou encore Patrick Mignola) sont un peu saumâtres quand ils découvrent le menu, frugal et un brin incongru en pleine crise : des huîtres. Macron entame : « Nous traversons quatre crises, une crise sanitaire, une crise économique, une crise financière et une crise migratoire. Comment voyez-vous les choses ? » Tous lui disent qu’il doit parler aux Français de façon solennelle à la télévision pour les rassurer, « sans les affoler ». Ce n’est pas à lui d’annoncer le nombre de contaminés et de morts ; lui doit être dans l’empathie, au milieu des Français, s’afficher dans des Ehpad, un hôpital, etc. Le dîner, fait rare, se finit tôt, vers 22 h 30. Des convives, affamés, en profitent pour aller grignoter un bout. Ce qui les tétanise à l’époque, c’est le risque d’une panique dans la population : ils sont encore traumatisés par les Gilets jaunes. Un ponte de la majorité : « Le virus commencera à se propager de façon immaîtrisée le jour où on cédera à la panique. » [ben oui, dès que tu as peur, ton immunité baisse, surtout sans vitamine D]

      Le 5 mars, toujours aucune inflexion chez les responsables politiques. À 9 h 30, réunion de communication au ministère des Relations avec le Parlement. Sont présents la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, le ministre des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, Olivier Véran et une poignée de parlementaires importants de la majorité et de membres de cabinet ministériel. « On n’est plus dans la stratégie d’arrêter le virus  », commence Véran, qui tape ouvertement sur l’Italie, qui a mis en place des contrôles de température aux aéroports et confiné 11 villes du nord du pays, sans endiguer l’épidémie : « Je ne le dirai pas en “on”, donc je le dis en “off”, l’Italie a pris des mesures disproportionnées ! Elle n’a pas de stratégie de sortie et a arrêté tout échange de transports avec la Chine. » Il refuse que la France suive ses traces : « La France est dans la même situation que l’Allemagne et l’Espagne. » Le message est clair : on n’arrête pas la vie sociale et économique du pays. Avant de partir, le ministre de la Santé livre cependant une confidence : le coronavirus n’est pas seulement une maladie de vieux. « Dans le monde, on observe des morts qui ne sont pas toujours des personnes âgées ni des personnes fragiles. »

      source fascisante
      sorry pour les italiques manquantes mais j’ai du m’y reprendre à plusieurs fois (panne de fibre), perdant la mise en forme, là j’en ai marre

      #santé_publique #pandémie #in_restrospect