• [C&F] Zeynep Tufekci et les prisonniers politiques en Égypte
    http://0w0pm.mjt.lu/nl3/utMolmSYPAr8qpFWYhyBEw?m=AMAAAMxZtEAAAABF_u4AAAkTGo0AAAAAtBIAAK4dABjAHgBi6

    [C&F] Zeynep Tufekci et les prisonniers politiques en Égypte

    Bonjour,

    Zeynep Tufekci vient de publier dans le New York Times un long article sur l’intellectuel et blogueur égyptien Alaa Abd el-Fattah qui croupit actuellement dans les prisons de la dictature égyptienne de Abdel Fattah el-Sisi, après avoir été emprisonné sous la dictature de Hosni Moubarak et sous la dictature islamiste des Frères musulmans de Mohamed Morsi. Dans son article, elle s’étonne de l’absence de soutien de la part des pays et des médias qui étaient pourtant si avides de le rencontrer pour parler de la « révolution Facebook » et de l’inviter à s’exprimer. Et cela alors même que la dépendance de l’Égypte aux financements occidentaux offre un levier... à la veille de la future COP sur le climat qui devrait se tenir au Caire à l’automne. Et bien entendu que le cas de cet intellectuel humaniste ne saurait cacher le sort des très nombreux prisonniers politiques dans les geôles du Caire, mais au contraire servir d’exemple frappant.

    Je traduis quelques extraits de son article du New York Times à la fin de ce message.

    Zeynep Tufekci était place Tahrir au Caire en 2011 pour observer et accompagner les activistes du grand mouvement populaire qui a réussi à renverser la dictature de Moubarak. Les descriptions précises qu’elle fait dans son livre Twitter & les gaz lacrymogènes sont fascinantes, comme lorsqu’elle raconte comment Twitter a pu servir à construire un hôpital de campagne pour soigner les blessé·es.

    Mais au delà du reportage, Zeynep était sur place comme sociologue, c’est-à-dire pour tirer des leçons généralisables ou comparables de ce qu’elle pouvait observer. Elle continuera ce travail d’observation engagée en 2013 à Istanbul, et à deux reprises à Hong-Kong. De ce travail de terrain elle va tirer des analyses précises et inspirantes qui constituent le cœur de son livre : Quelle est la place réelle des médias sociaux dans les mouvements de protestation ? Quelles sont les forces et les faiblesses des mouvements connectés ?

    Ses analyses sont tellement anticipatrices que Sandrine Samii écrira dans Le Magazine Littéraire : « Publié en 2017 chez Yale University Press, l’essai n’aborde pas l’évolution hong-kongaise, les marches féministes, ou les mouvements français comme Nuit debout et les gilets jaunes. La pertinence de la grille de lecture qu’il développe pour analyser les grands mouvements connectés actuels en est d’autant plus impressionnante. »

    Le New York Times la décrira comme « La sociologue qui a eu raison avant tout le monde ».

    Twitter et les gaz lacrymogènes. Forces et fragilités de la contestation connectée
    Zeynep Tufekci
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Lemoine
    Collection Société numérique, 4
    Version imprimée -,29 € - ISBN 978-2-915825-95-4 - septembre 2019
    Version epub - 12 € - ISBN 978-2-37662-044-0
    Promotion spéciale suite à cette newsletter

    entre le 4 août et le 8 août 2022
    Le livre de Zeynep Tufekci est à 18 € au lieu de 29 €

    La commande peut être passée :
    – sur le site de C&F éditions (https://cfeditions.com/lacrymo)
    – via votre libraire favori (commande avant le 9 au matin)

    Traduction d’extraits de l’article de Zeynep Tufekci dans le New York Times

    J’aimerais tellement pouvoir demander à Alaa Abd el-Fattah ce qu’il pense de la situation du monde

    Zeynep Tufekci
    2 août 2022
    The New York Times
    https://www.nytimes.com/2022/08/02/opinion/egypt-human-rights-alaa.html

    Début 2011, après les manifestations massives de la Place Tahrir au Caire qui ont mis fin aux trois décennies de la dictature d’Hosni Moubarak, nombre d’activistes qui avaient pris la rue se sont retrouvé fort demandés par les médias. Ils étaient invités dans le « Daily Show » et Hillary Clinton, à l’époque Secrétaire d’État, a visité la place Tahrir en insistant sur le côté extraordinaire d’être « sur le lieu même de la révolution » et d’y rencontrer des activistes.

    Alaa Abd el-Fattah, l’intellectuel et blogueur qui était décrit comme « un synonyme de la révolution égyptienne du 25 janvier » savait déjà que l’attention mondiale s’évanouirait bientôt.

    Il vont très vite nous oublier m’a-t-il dit il y a plus de dix ans.

    Il avait raison, évidemment. Alaa a toujours été réaliste, sans jamais devenir cynique. Il avait 29 ans quand il protestait Place Tahrir, mais il a continué ensuite. Charismatique, drôle et possédant un bon anglais, il a délivré des conférences partout dans le monde, mais il est toujours revenu en Égypte, alors même qu’il risquait la prison pour sa liberté de parole.

    La famille d’Alaa connaît bien les cruautés qui accompagnent la vie sous un régime autoritaire. Sa sœur Mona est née alors que son père, qui allait devenir un juriste spécialiste des droits humains, était prisonnier. Le fils d’Alaa est lui-même né alors que son père était emprisonné. En 2020, son autre sœur Sanaa a été attaquée alors qu’elle attendait pour le visiter en prison et condamnée à un an et demi pour avoir colporté des « fausses nouvelles », une situation qu’Amnesty International décrit comme un procès fabriqué.

    Durant sa brève libération en 2014, Alaa expliquait combien il était heureux de pouvoir changer les couches de son bébé... il fut emprisonné peu de temps après. En 2019 il fut de nouveau libéré, si content de pouvoir passer un peu de temps avec son fils. Mais il fut remis en prison quelques mois plus tard et jugé en 2021, écopant de cinq années de prison pour diffusion de « fausses nouvelles ».

    La manière dont Alaa est traité montre le peu de considération que porte le reste du monde aux acteurs et actrices de la révolution égyptienne. Il est connu internationalement, devenu citoyen britannique en 2021, décrit par Amnesty International comme un prisonnier de conscience injustement emprisonné... tout ça pour rien.

    Ce n’est pas être naïf face à la politique internationale que de voir combien ce comportement est dévastateur. De nombreux pays font des déclarations sur la démocratie et les droits humains, ce qui ne les empêche pas de signer des accords avec des régimes brutaux en raison de leur stratégie d’accès aux ressources essentielles. Mais dans le cas présent, l’Égypte est totalement dépendante de l’aide étrangère et du tourisme pour faire fonctionner son économie... il n’y a donc aucune raison pour qu’elle ne libère pas des prisonniers politiques si les pays démocratiques, qui disposent d’un moyen de pression, le demandent. L’absence de pression sur l’Égypte ne peut en aucun cas être considérée comme de la realpolitique.

    En novembre, l’Égypte va accueillir une conférence internationale sur le changement climatique. Environ 120 chefs d’État et de gouvernement se sont rendus à la dernière conférence en Écosse. Ils pourraient au moins obtenir des progrès avant de venir se montrer et faire comme si de rien n’était.

    En 2011, trois jours après sa naissance de son fils Khaled, Alaa a pu le voir en prison pendant une demi-heure et le tenir dix minutes dans ses bras.

    « En une demi-heure, j’ai changé ,et le monde autour de moi également » écrivit Alaa à propos de cette visite. « Maintenant, je sais pourquoi je suis en prison : il veulent me priver de la joie. Et maintenant, je comprends pourquoi je vais continuer à résister : la prison de détruira jamais mon amour. »

    On a volé toutes ces demi-heures à Alaa. Il est nécessaire que les gens au pouvoir fassent savoir au gouvernement égyptien que le monde n’a pas complètement abandonné celles et ceux qu’il a autrefois tant admiré, ces courageuses jeunes personnes qui se battaient pour un meilleur futur. Le moins que l’on puisse demander pour eux, ce sont de nouvelles demi-heures pour marcher et respirer librement, pour tenir leurs enfants dans les bras et continuer à rêver d’un autre monde.
    Alaa avec Khaled, 2019.

    Bonne lecture,

    Hervé Le Crosnier

    #Zeynep_Tufekci #Alaa_Abd_el-Fattah #Egypte

  • Opinion | I Wish I Could Ask Alaa Abd el-Fattah What He Thinks About the World Now - The New York Times
    https://www.nytimes.com/2022/08/02/opinion/egypt-human-rights-alaa.html

    In early 2011, after huge protests in Cairo’s Tahrir Square ended Hosni Mubarak’s three-decade autocracy, many activists who had taken to the streets found themselves in high demand. They were guests on “The Daily Show.” Hillary Clinton, then the U.S. secretary of state, visited the square, remarking it was “extraordinary” to be “where the revolution happened,” and met with some of the activists.

    Alaa Abd el-Fattah, the Egyptian activist, intellectual and blogger described as “synonymous with Egypt’s 25 Jan. Revolution,” knew the world’s attention would soon move on.

    “They’ll soon forget about us,” he told me more than a decade ago.

    He was right, of course. Alaa was always cleareyed and realistic but somehow never became a cynic. He protested in Tahrir Square in 2011, when he was 29, but afterward, too. Charismatic, fluent in English and funny, he gave well-received talks abroad but always returned to Egypt, even when faced with the prospect of imprisonment for his outspokenness. His writings, some smuggled out of jail, were published this year as a book, “You Have Not Been Defeated.”

    After years of imprisonment under appalling conditions — he reports long periods of being deprived of exercise, sunlight, books and newspapers and any access to the written word — Alaa, a British citizen since 2021, started a hunger strike in April to protest being denied a British consular visit.

    Alaa’s family is well acquainted with the cruelties of life under authoritarianism. Alaa’s sister Mona was born while their father, who later became a human rights lawyer, was in prison. Alaa’s son, Khaled, was born when Alaa was in prison. In 2014, both Alaa and his other sister, Sanaa, then only 20, were in prison and were not allowed to visit their dying father. In 2020, while waiting outside Alaa’s prison, Sanaa was attacked and then charged with disseminating false news and imprisoned for another year and a half — a case Amnesty International condemned as a fabrication.

    Alaa has the dubious honor of having been a political prisoner, or charged, under Hosni Mubarak, the Islamist leader Mohamed Morsi and then Abdel Fattah el-Sisi, the general who is now Egypt’s president. During his brief release in 2014, Alaa kept saying how happy he was to finally get to change his son’s diapers; he was imprisoned again just a few months later. In 2019 he was released, again deliriously happy to spend time with his son.

    But he was put in detention without charges just a few months later. In 2021, when he finally got a trial, he received another five-year sentence for spreading “false news.” Alaa said he hadn’t even been told what he was being charged with before being hauled to court.

    But Alaa’s treatment is an indication of how little care there is left in the world. He’s internationally known, a British citizen, described by Amnesty International as a prisoner of conscience who has been unjustly imprisoned. There have been opinion essays and calls from human rights organizations — to no avail.

    One need not be naïve about international politics to understand why this is so devastating. We know that many countries with stated commitments to democracy and human rights routinely cut deals with terrible regimes because of their strategic goals or for access to resources or cooperation.

    But here, though, countries professing to care about human rights are the ones with leverage, as Egypt depends on foreign aid, trade and tourism to keep its economy going, and there’s no reason it can’t release a few political prisoners and improve prison conditions, even if just for appearance’s sake, since it would pose no threat to the regime.

    That Egypt is not pushed harder to do even this little is a moral stain that cannot be justified by realpolitik.

    In November, Egypt will host a global climate change conference. About 120 world leaders, including President Biden, went to the last one, in Scotland. They could, at least, ask for progress before showing up for this one and acting as if all is fine.

    In 2011, three days after he was born, Alaa’s son, Khaled, was allowed to visit him in prison, for half an hour — 10 minutes of which Alaa held him.

    “In half an hour I changed, and the universe changed around me,” Alaa wrote about the visit. “Now I understand why I’m in prison: They want to deprive me of joy. Now I understand why I will resist: Prison will not stop my love.”

    Alaa then wrote of his dreams for a future with his son: “What about half an hour for him to tell me about school?” he wondered. “Half an hour for him and I to talk about his dreams?”

    Alaa Abd el-Fattah has been robbed of all those half-hours.

    Someone with power has to let the Egyptian government know that while loftier goals may be abandoned, the world hasn’t completely forgotten how it once admired those courageous young people who dared to dream of a better future. The least we owe them is more half-hours, to walk and breathe freely, to hold their children and perchance to keep dreaming of a better world.

    #Zeynep_Tufekci #Egypte #Alaa_Abd_el-Fattah