Avec la sécheresse en Europe, les « pierres de la faim » ressurgissent comme un avertissement

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  • Avec la sécheresse en Europe, les « pierres de la faim » ressurgissent comme un avertissement
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    Les décrues de l’Elbe et du Rhin en République tchèque et en Allemagne font réapparaître des roches gravées il y a parfois plusieurs siècles, lors de précédents épisodes de stress hydrique.

    Par Lucas Rojouan
    Publié hier à 14h59, mis à jour hier à 16h56

    Temps de Lecture 3 min.

    Ces vestiges du passé ne présagent rien de bon. Conséquence de la vague de sécheresse qui frappe l’Europe cet été, la baisse importante du niveau des cours d’eau a fait réapparaître par endroits d’étranges pierres, jusqu’alors immergées et sur lesquelles sont gravés de bien funestes messages. Un écho singulier à l’aggravation actuelle de la crise climatique.

    Les images ci-dessous ont été prises au cours de l’été 2022 par l’agence de presse britannique Reuters. Elles montrent ces « pierres de la faim » réapparues durant le mois d’août en Allemagne, le long du Rhin, en raison de la sécheresse. Déjà apparues en 2018, année marquée par un épisode climatique similaire, elles servent « d’avertissements à la famine », précise l’agence, d’où leur nom, donné par la communauté scientifique.

    Si certaines roches ont été retrouvées sur les rives du Rhin, de la Moselle et de la rivière allemande Weser, la plupart d’entre elles sont réapparues sur les rives de l’Elbe, un fleuve d’Europe centrale qui prend sa source en République tchèque, avant de traverser l’Allemagne et de se jeter dans la mer du Nord. D’après Paris Match, elles seraient près de vingt-cinq, visibles seulement quand l’eau est basse, à être recensées, à ce jour, en Europe.

    « Nous avons pleuré, nous pleurons et vous pleurerez »

    « Si tu me vois, pleure ! » Voilà ce que l’on peut lire sur une pierre qui avait déjà refait surface il y a quatre ans sur les rives de l’Elbe, à Decin, en République tchèque, selon des clichés diffusés sur Twitter par le correspondant de RTL Nieuws, Olaf Koens. Gravée en 1616, cette sinistre inscription fait toujours office de marqueur hydrologique et servait probablement, à l’époque, à avertir les générations futures des difficultés à venir lorsqu’elle apparaît.

    Une étude réalisée en 2013 par des chercheurs tchèques sur cette même roche révèle qu’elle comporte par ailleurs de nombreuses dates : « 1417, 1616, 1707, 1746, 1790, 1800, 1811, 1830, 1842, 1868, 1892 et 1893 ». Ces dernières représentent, selon eux, les années marquées par
    la sécheresse, une période synonyme de faibles récoltes et de disette, aux abords de l’Elbe. Sur sa rive droite, à Tuchlovice, une petite commune de République tchèque, une « pierre de la faim » porte cette inscription : « Nous avons pleuré, nous pleurons et vous pleurerez ».

    Devenue une attraction touristique pour la ville, la pierre gravée de Decin se dévoile pourtant « cent vingt-six jours par an, en raison de la construction, en 1938, d’un barrage sur un affluent de l’Elbe », explique le site scientifique américain Ars Technica. Celui-ci note que la plupart des photographies partagées sur Twitter à ce sujet n’ont pas été prises au cours de l’été 2022 mais bien en 2018, une année déjà marquée par une sécheresse exceptionnelle, ce qui avait entraîné un regain d’intérêt médiatique pour l’histoire des « pierres de la faim ».

    Une pierre gravée par Greenpeace pour les futures générations

    Ces dernières années, la sécheresse est en effet devenu l’un des signes les plus significatifs du changement climatique en Europe centrale. En 2018, l’ONG internationale Greenpeace avait, à son tour, gravé son message sur une pierre, à Magdebourg (Allemagne) : « Si vous me voyez, c’est une crise climatique. Août 2018 ».

    Par son intensité et son étendue, l’épisode de sécheresse qui avait frappé le Vieux Continent cette année-là avait été le plus extrême depuis deux cent cinquante ans. Un phénomène appelé à se répéter en Europe. Cette année, près de la moitié du territoire de l’Union européenne avait été exposée à des niveaux de sécheresse inquiétants en juillet, et 11 % à des niveaux d’alerte supérieurs, selon une étude du Centre commun de recherche de la Commission européenne et fondée sur les travaux de l’Observatoire européen de la sécheresse (OED).

    D’après ces derniers, la sécheresse actuelle pourrait être « la pire depuis cinq cents ans ». « Nous n’avons pas analysé complètement l’événement [la sécheresse de cette année], car il est toujours en cours, mais d’après mon expérience, je pense que c’est peut-être encore plus extrême qu’en 2018 », explique l’un des chercheurs de cette étude, Andrea Toreti, cité par Euronews.

    Des niveaux par ailleurs associés, selon cette étude, à un déficit d’humidité du sol, une source de stress hydrique et thermique pouvant entraîner une baisse des rendements des cultures. Autre conséquence de la sécheresse, des grands fleuves en Allemagne, en République tchèque, mais également en Italie et en Angleterre ont vu leurs eaux diminuer.

    D’après The Telegraph, le niveau du Rhin, durant cet été, a « été mesuré à 1,5 pouce d’eau [soit moins de 4 centimètres], battant le précédent record enregistré en 2018, qui était de 2,7 pouces [6,8 centimètres] », au niveau d’Emmerich am Rhein (Allemagne), près de la frontière néerlandaise.

    A l’image de ces « pierres de la faim », les indicateurs des niveaux hydrauliques n’ont pas fini de refléter les futurs épisodes de sécheresse, alors que celui de cette année en Europe apparaît comme « l’un des plus intenses de l’histoire récente », relevait The Guardian en juillet.