Playtime - Jacques Tati (1967)

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  • 20 Août Bruxelles : VERS UN NOUVEAU PLAN D’IMMOBILITÉ Claude Semal - l’asymptomatique.be
    https://www.asymptomatique.be/bruxelles-un-nouveau-plan-dimmobilite

    Pour cette rentrée de septembre, Bruxelles s’offre un nouveau “plan de circulation” dont l’objectif avoué… est d’empêcher les voitures de circuler. Et on ne parle ici que de “Bruxelles-Ville” (pour le moment).


    “Le plan repose sur un principe : l’automobiliste se retrouve dans une boucle partout où il pénètre” (Le Soir, 18 juillet 2022).


    En 1967, sur un air de manège, Jacques Tati, ce génial précurseur, avait déjà fait tourner les voitures en rond dans “PlayTime”.


    Mais il prétendait nous amuser, pas gérer nos “vrais” déplacements.


    Ici, dans la novlangue institutionnelle, cette idée de génie est baptisée “Good Move” (“Bien se déplacer”) (rires dans la salle).

    Et cette nasse à voitures est poétiquement surnommée “maille”.


    C’est ça, comme dans les filets.


    Nos marins-pêcheurs en ont prévu soixante-trois dans l’agglomération bruxelloise.


    Quand même, concepteur de “labyrinthes pour voitures”, quel beau métier ! 
– “Que veux-tu faire plus tard, mon petit ?”
– “Faire chier les automobilistes !”

    Et où seront ensuite rejetés tous les méchants “poissons” ?


    Vers la “petite ceinture”, cet ensemble de boulevards et de tunnels qui, comme un micro périph’ parisien, cernent tout “le pentagone” de Bruxelles-Ville.


    Gouverner, dit-on, c’est prévoir. On saluera donc l’audace conceptuelle qui consiste à lancer ce nouveau plan de “circulation” alors même que trois des principaux tunnels de la “petite ceinture” (“Porte de Namur”, “Trône” et “Arts Loi”) sont fermés au trafic, jusqu’à la fin de l’automne, pour cause de travaux.


    Travaux qui viennent s’ajouter à ceux de la rue de Stalle, de l’avenue Van Volxem, du Quai de l’Industrie, de la Chaussée de Wavre, du Boulevard Général Jacques et de la chaussée de Waterloo – autres “axes de pénétration” importants dans Bruxelles.


    Ce doit être ce que Young appelait la synchronicité.

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=136&v=7bTLoBpw0Eo&feature=emb_logo

    Je n’ose donc même pas imaginer les embouteillages monstres qui en résulteront mécaniquement dès le premier septembre.

    Ouïlle ! Voilà que j’entends déjà siffler vos balles de ping-pong à mes oreilles.

    “… Poujadiste !” ” …Râleur professionnel !”.

    J’ai même vu passer une boule de pétanque et un cochonnet (on me lit en vacances). 
“Automobiliste ! Libéral !” (Aïe ! Ca, ça fait mal ! Pas dans le dos !).
“Pour une fois que le gouvernement bruxellois prend une décision forte et courageuse en faveur des piétons, des cyclistes et des transports en commun… tu le dézingues comme un vulgaire pétébiste populiste ou un chasseur de buffle brabançon abonné à la Dernière heure !”.

    Du calme, du calme.


    Certes, il n’est pas totalement exclu que je devienne sur le tard un vieux con (cela arrive aux meilleurs d’entre nous).


    Mais il ne faudrait pas non plus que le récent mantra macroniste (“… Je vais les emmerder !” (1) ) devienne le nouveau vade-mecum des politiques publiques.

    Faire chier les gens, cela n’a jamais fait une politique.

    Et si l’objectif était de privilégier les transports en commun, on aurait au moins pu accompagner cette réforme d’un geste fort en ce sens.


    A l’heure où l’Allemagne et l’Espagne testent de nouvelles politiques tarifaires “presque gratuites” pour le rail, à l’heure où des dizaines de villes françaises se sont mises aux transports en commun gratuits (comme Lille, Dunkerque et Montpellier…), cela aurait permis d’apporter quelques pistes de “solutions” avant d’aggraver sensiblement les problèmes. Ici, on ne retiendra évidemment que les emmerdements annoncés.


    Comme l’a admis lui-même Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles, “cela va secouer”. Ben oui. À ton avis ?

    Mais au delà de ce que j’appellerai charitablement “un problème de communication”, ce qui est mis en œuvre là, c’est une certaine “politique de mobilité” dont je ne suis pas sûr de partager toutes les prémisses ni toutes les orientations.


    La plupart de ces politiques publiques se basent en effet sur ce postulat : l’usage d’une automobile relèverait d’un “choix”. Il suffirait donc de “faire chier les automobilistes”, jusqu’à ce qu’ils changent de moyens de transport pour sauter avec joie dans un train, un tram ou un métro. Or cela me semble une pure vue de l’esprit.


    Il y a en effet des dizaines de professions ou de situations pour qui l’usage des transports publics reste impossible ou aléatoire. Parce que les transports en commun sont ce qu’ils sont. Parce ce que ces travailleurs doivent transporter de lourdes charges, ou parce qu’ils travaillent à des horaires très particuliers, ou parce qu’ils habitent à Houte-si-plou.


    Comme les déménageurs, le personnel de l’HORECA, le personnel d’entretien, les gardiens de nuit, les plombiers, les serruriers, les électriciens, les couvreurs, les vitriers, les médecins, les infirmières, les livreurs… et les intermittents du spectacle.


    Ils sont ainsi quelques dizaines de milliers, à Bruxelles, pour qui la voiture est d’abord un outil professionnel.


    A tous ceux-là, il faut ajouter les déplacements domestiques “privés” que les impératifs de la vie familiale ou l’absence de transports en commun ont aujourd’hui rendu indispensables. Si vous faites vos courses hebdomadaires dans une “grande surface”, comme beaucoup d’entre nous, votre caddie ne rentrera pas dans le tram. Et votre fils de dix ans n’ira pas à son club de foot à Berghem en taxi (pas le mien, en tous cas).

    Ces politiques publiques me semblent en outre incarner une vison de plus en plus “localiste” de la ville : un “enfermement” symbolique (mais de plus en plus concret) dans le ghetto d’un quartier (les fameuses “mailles”).


    J’adore mon quartier à St-Gilles, j’y fais la plupart de mes courses à pied, mais enfin, je me perçois avant tout comme “Bruxellois”. Des communes comme Ixelles, Schaerbeek, Boitsfort et Bruxelles-Ville font depuis toujours partie de ma “géographie personnelle”. J’y ai vécu, j’y ai travaillé, j’y ai des amis, je connais leurs cafés, leurs places, leurs magasins et leurs salles de spectacles. D’une certaine façon, je m’y sens “chez moi”.

    Or administrativement, j’y suis de plus en plus souvent accueilli comme un “étranger”.


    Les parkings payants, confiés à des sociétés privées, assurent aux communes de grasses rentes de situation. Mais s’ils sont pratiquement gratuits pour les riverains, leurs tarifs sont carrément prohibitifs pour les autres habitants de Bruxelles. A Schaerbeek, c’est 50 euros par jour ! Imagine-t-on ce que cette somme représente pour un chômeur qui touche 900 euros par mois ? “Ma ville” s’est ainsi très sensiblement “rétrécie” aux quelques rues autour de mon propre quartier.


    Autrefois, j’allais par exemple souvent répéter à Schaerbeek avec mes guitares et mes amplis. Aujourd’hui, c’est à la fois plus rapide et moins couteux d’aller répéter à Rebecq, à 25 kilomètres de Bruxelles ! Ce qui quand même un peu schtroumpf.


    Le local technique de ma compagnie théâtrale, où est entreposé notre matériel de son et d’éclairage, est malheureusement situé à Laeken, au-delà de la Basilique.

    Il faudra désormais compter deux heures aller-retour pour s’y rendre. Nous eussions sans doute été mieux inspirés de louer un local à Tubize. Allo, quoi ?!


    Ces deux exemples sont bien sûr un peu anecdotiques. Mais à l’échelle d’une région, ces problèmes de circulation finiront nécessairement par pénaliser l’activité économique de tous et la vie culturelle et sociale de chacun.


    Quant aux éventuelles vertus “écologiques” de l’opération… je doute que la multiplication des embouteillages géants et l’allongement de la durée des transports soulagent vraiment les poumons de la Ville ou le foie de la planète.


    Une fois n’est pas coutume, j’espère toutefois totalement me tromper.

    Pour que dans ces “zones à circulation apaisée” (sic) fleurissent partout les rires des enfants joueurs, les jardins tropicaux suspendus aux lampadaires et les vélos coopératifs partagés avec des trottinettes à hydrogène.


    Au lieu de ressembler, comme la Place de Brouckère après dix ans de palissades Sarajevo, au triste parking vide du Colruyt un dimanche après-midi.

    Claude Semal le 19 août 2022
    (1) Le 4 janvier 2022 dans “Le Parisien”, à propos des non-vaccinés.


    La “petite ceinture” à #Bruxelles