« Surtout après un incendie, il est le plus souvent préférable de laisser la forêt se régénérer naturellement »

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  • Incendies dans les Landes : « Est-ce qu’il ne faudrait pas que nos députés débattent de l’avenir de cette “forêt” faussement “verte” ? », Hugues Jallon, écrivain et éditeur.

    Enfant, quand j’allais à la mer en traversant la forêt des Landes dans la voiture familiale, je trouvais ce paysage bizarre : des arbres tous identiques avec leurs troncs droits comme des « I » et parfaitement alignés comme les tombes d’un cimetière militaire. J’ignorais tout de l’histoire et de la réalité présente de ce décor.
    Plus tard, j’ai appris assez facilement (par Wikipédia et d’autres petites sources faciles d’accès) que cette forêt avait été plusieurs fois dévastée dans les années 1950 et qu’à la suite de cela, on avait décidé de replanter « en ligne » les pins en prévoyant de larges coupe-feu pour éviter la propagation des incendies.

    J’ai appris aussi que cette immense forêt artificielle était assez récente, elle datait du Second Empire. C’est une loi de 1857 qui a autorisé la plantation massive de pins dans ce « désert », comme l’appelait Napoléon III. Un « type » nommé Jules Chambrelent (1817-1893) avait poussé pour assainir cette zone humide et ouvrir la voie à la prospérité de ses habitants en créant ex nihilo une filière d’exploitation du bois fondée sur la monoculture du pin maritime.

    En fait, j’ai appris que la forêt des Landes dont certaines parties brûlent aujourd’hui n’était pas une forêt, mais une « usine ». Pas une seule et unique usine, mais plusieurs usines aux mains de propriétaires petits et grands – en fait, surtout des grands : 75 % de la superficie appartient à moins de 20 % des propriétaires et l’Etat n’en possède qu’environ 10 %. On raconte que, dans ces familles de propriétaires, il y a une tradition : lorsqu’un enfant naît, on lui attribue une parcelle où on plante des pins (bien alignés, bien droits), ce qui lui assurera un bon petit capital à sa majorité.
    Maintenant, je comprends mieux mon malaise quand je découvrais enfant ce paysage bizarre.

    Ah oui, j’oublie quelque chose. Et avant, qu’est-ce qu’il y avait avant à la place de cette forêt ? Eh bien, avant, il y avait de drôles de gars montés sur des échasses et entourés de moutons, on les voit sur de vieilles photos sépia. J’ai appris que ces bergers et leur famille vivaient pauvrement sur cette lande qui, pour une large part, appartenait à tous ; on appelle cela des « communs », ce qui est une belle idée. Les autres ont été expropriés au moment de la plantation massive des pins.

    Alors je m’interroge. Je me demande ce qu’on va faire après ces incendies tragiques qui ont fait fuir des milliers d’habitants et que des centaines de pompiers tentent courageusement d’éteindre. On va reconstruire ces villages qui ont disparu dans les flammes, bien sûr. Et ces milliers d’hectares de forêt ? On va replanter des pins ?

    Les spécialistes des sols et du climat nous disent qu’il faut s’inquiéter de la disparition des zones humides. Alors je me demande : est-ce qu’il ne faudrait pas que nos députés s’emparent de ce dossier et de ses enjeux écologiques ? Est-ce qu’il ne faudrait pas qu’ils débattent de l’avenir de cette « forêt » faussement « verte » – en fait, les pins détruisent complètement les sols, et rien ne peut pousser sous leurs frondaisons ? Il y a peut-être autre chose à imaginer que de reconstruire cette « usine » et ce paysage bizarre et monotone.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/15/incendies-dans-les-landes-est-ce-qu-il-ne-faudrait-pas-que-nos-deputes-debat

    #Landes #forêt #forêt_usine #incendie

    • « Surtout après un incendie, il est le plus souvent préférable de laisser la forêt se régénérer naturellement », Sylvain Angerand, Ingénieur forestier et coordinateur de l’association Canopée
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/28/surtout-apres-un-incendie-il-est-le-plus-souvent-preferable-de-laisser-la-fo

      Avec plus de 60 000 hectares de forêts partis en fumée, cet été a marqué le retour des grands incendies en France. Un risque qui ne va faire que croître avec les changements climatiques et qui devrait nous inciter à repenser en profondeur notre politique forestière. Pourtant, l’annonce d’un grand chantier national de reboisement pourrait produire l’effet inverse et affaiblir encore davantage nos forêts en cédant au lobbying d’une partie de la filière.

      L’empressement à vouloir planter des arbres est, avant tout, une stratégie de communication destinée à rassurer l’opinion publique en donnant l’illusion d’une maîtrise de la situation et d’un retour rapide à la normale. Mais c’est aussi l’aveu d’une profonde incompréhension de la part de la puissance publique des enjeux forestiers, car planter des arbres n’est pas toujours le choix le plus avisé. Surtout après un incendie, il est le plus souvent préférable de laisser la forêt se régénérer naturellement. Une option plus efficace et moins coûteuse dans de nombreuses situations.

      De plus, les plantations d’arbres sont encore trop souvent monospécifiques ou très faiblement diversifiées, ce qui est pourtant indispensable pour renforcer la résistance et la résilience des peuplements face à de nombreux aléas comme les sécheresses, les tempêtes, les maladies ou encore les incendies. Même sur des sols très pauvres comme dans les Landes, où il est difficile de se passer du pin maritime, il est toujours possible d’introduire, en mélange, des feuillus comme le chêne-liège ou le chêne tauzin pour renforcer les peuplements.

      L’intérêt du mélange est solidement étayé scientifiquement et, pourtant, il peine à s’imposer comme une condition aux aides publiques ou comme une règle à respecter dans les plans de gestion. Après la tempête de 2009 dans les Landes, la quasi-totalité du massif appartenant à des propriétaires privés a été replantée en monoculture avec l’aide de l’argent public.

      L’abandon des pouvoirs publics

      Le constat est similaire pour les aides plus récentes du plan de relance qui, faute d’écoconditions suffisantes, ont été détournées par une partie des acteurs pour planter des monocultures, parfois en remplacement de forêts en bonne santé mais jugées peu rentables économiquement (rapport « Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier », Canopée, mars 2022).

      Ces dérives ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat de l’abandon des pouvoirs publics à construire une politique forestière intégrant l’ensemble des enjeux. Tiraillée entre quatre ministères, la forêt ne bénéficie pas d’un portage politique fort capable de défendre et de trancher en faveur de l’intérêt général. Elle est laissée au seul jeu d’influence des acteurs, la règle au sein de la filière étant de ne surtout pas pointer du doigt les dérives de certains.

      Alors qu’elle représente une exception dans le paysage forestier, la filière bois landaise s’oppose à toute forme de renforcement des règles de gestion forestière
      A ce jeu d’influence, la filière bois landaise est passée maître. Alors qu’elle représente une exception dans le paysage forestier, cette filière s’oppose à toute forme de renforcement des règles de gestion forestière alors même que la majorité des acteurs n’y serait pas opposée, voire y serait favorable. Un exemple : les règles encadrant la gestion des forêts privées (schémas régionaux de gestion sylvicole) sont en cours de révision dans l’ensemble des régions françaises.

      Si, globalement, les projets soumis à consultation du public sont peu ambitieux, celui de la région Nouvelle-Aquitaine est sans doute le plus révélateur du désengagement de l’Etat : aucun seuil d’encadrement des coupes rases, aucune interdiction de transformer les dernières forêts de feuillus du massif landais en plantations de pins maritimes et aucune obligation de diversification dans les nouvelles plantations (« Projet de schéma régional de gestion sylvicole (SRGS) de Nouvelle-Aquitaine et ses deux annexes vertes », 2022).
      Des petites plantations en trouées

      Pire encore, la filière a réussi l’exploit de glisser l’eucalyptus dans la liste agréée des arbres pouvant être plantés et bénéficier d’aides publiques, alors même que cet arbre est hautement inflammable comme le Portugal en a fait la désastreuse expérience (« Arrêté portant fixation des listes d’espèces et de matériels forestiers de reproduction éligibles aux aides de l’Etat » en Nouvelle-Aquitaine, 2021).

      Avant de réinjecter de nouveau de l’argent public dans un plan de reboisement, il est donc indispensable que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités pour mettre fin à ces dérives. L’organisation de la filière forêt-bois doit être remise à plat pour mettre fin aux conflits d’intérêts.

      Il est non seulement illusoire mais aussi dangereux d’imaginer adapter la forêt au changement climatique en remplaçant les forêts existantes par de nouveaux arbres ou en s’empressant de vouloir replanter systématiquement après des tempêtes ou des incendies qui ne manqueront pas de se multiplier.
      La priorité doit être de s’appuyer et de restaurer des dynamiques naturelles, de venir améliorer les peuplements existants en les enrichissant si besoin par des petites plantations en trouées et de fixer des règles claires lorsqu’une plantation sur une plus grande surface est nécessaire.