• Livre : Netflix, l’aliénation en série, de Romain Blondeau

    En France, le quinquennat d’Emmanuel Macron aura suffi à installer #Netflix dans nos habitudes de consommateurs, au même titre qu’Amazon, Uber ou Deliveroo. Entre le patron de la plateforme et celui de l’Élysée, un même profil se dessine : ce sont deux ultralibéraux, qui n’aiment rien tant que l’innovation. Netflix est ainsi devenu le fournisseur officiel d’images de la start-up nation, le média de nos vies immatérielles et domestiquées. Nous avions une longue histoire avec le cinéma, un goût commun pour la salle, mais ils ne pèsent plus rien face à la puissance de l’économie numérique.

    (Le Seuil)

    –----------

    Société : "Netflix - l’aliénation en série"
    https://information.tv5monde.com/international/societe-netflix-lalienation-en-serie-1241080

    –----------

    « Netflix, l’#aliénation en série » – Manifeste pour les œuvres de demain
    http://maze.fr/2022/12/netflix-lalienation-en-serie-manifeste-pour-les-oeuvres-de-demain

    –----------

    L’aliénation Netflix : les séries, mieux que la magie noire
    https://actualitte.com/article/106951/edition/l-alienation-netflix-les-series-mieux-que-la-magie-noire

    Le paysage audiovisuel mute à grande vitesse, et même son vocabulaire a changé : on ne parle plus de scénarios, de projets, mais de contenus destinés à alimenter les plateformes. Cet exode vers l’industrie du streaming peut s’entendre : les sources de financements traditionnelles se sont taries, et les salaires pratiqués par Netflix sont deux à trois fois supérieurs à ceux du #cinéma.

    Mais il s’accompagne aussi d’un changement de paradigme inquiétant. En quelques années, les guichets de financements d’un film se sont convertis à leur tour aux codes de la série : des scénaristes de télé sont apparus dans les comités d’investissement de longs-métrages, et l’on s’est mis à exiger des films la même efficacité narrative que les séries.

    Le streaming infuse dans nos manières de fabriquer le cinéma, lui-même paniqué par sa propre mortalité.

    –----------

    « Netflix, l’aliénation en série » : un pamphlet contre la plate-forme numérique
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/15/netflix-l-alienation-en-serie-un-pamphlet-contre-la-plate-forme-numerique_61

    L’argument central du texte de Blondeau tient à la mise en parallèle de l’emprise croissante de Netflix sur la #création et la consommation de fictions en images (séries et longs-métrages) et le triomphe des thèses économiques défendues par Emmanuel Macron. Pour l’auteur, #Reed_Hastings et le président français sont des jumeaux idéologiques, « fans de la destruction créatrice ». Selon lui, c’est grâce à cette proximité que Netflix a pu déborder les défenses naturelles que lui opposait l’organisation du financement du cinéma et de l’audiovisuel français, réussissant même à en devenir le bénéficiaire.

    #capitalisme #audiovisuel #capitalisme_de_l'attention

  • « Les Ouïghours » : Histoire d’un peuple sacrifié
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/05/les-ouighours-de-mao-a-xi-jinping-plus-de-soixante-dix-ans-de-repression-dan

    « Les Ouïghours » : de Mao à Xi Jinping, plus de soixante-dix ans de répression dans le Xinjiang

    La journaliste de « Libération » Laurence Defranoux retrace les relations entre le peuple turcophone du Xinjiang et les autorités de Pékin qui n’ont cessé, notamment depuis l’arrivée du Parti communiste au pouvoir, de mener des politiques agressives à son encontre.

    #Ouïghours #Chine #génocide

    Un #livre enquête vraiment remarquable de #Laurence_Defranoux qui est journaliste à libé, spécialiste de la Chine.

    Voir également Une leçon de géopolitique du Dessous des cartes https://www.arte.tv/fr/videos/104782-028-A/ouighours-histoire-d-un-peuple-martyrise-laurence-defranoux

    400 000 personnes sont emprisonnées au Xinjiang dans plus de 400 camps.
    Actuellement la Chine utilise les pires moyens de surveillance technologique contre les Ouïghours, pas seulement en Chine mais partout dans le monde.

  • Economie française : « l’emploi se porte-t-il bien parce qu’il est sous perfusion ? »

    Le plein-emploi vanté par le gouvernement repose sur un double trompe-l’œil, analyse, dans une tribune au « Monde », l’économiste Bruno Coquet, qui pointe deux failles : le niveau anormalement haut du nombre de départs avec l’assentiment de l’employeur et le montant aujourd’hui élevé des aides publiques et subventions à l’emploi.

    L’épaisseur du code du travail aux oubliettes, les difficultés de recrutement sont la nouvelle boussole des réformes, désignées comme le frein ultime au plein-emploi alors même qu’elles en sont un symptôme qui ne peut qu’empirer à l’approche du Graal. Quel que soit l’indicateur, barrières à l’embauche, pénuries, tensions, emplois vacants, la difficulté à recruter atteint en effet des niveaux inégalés depuis très longtemps. Le ministère du travail les attribue à de multiples causes : principalement le rythme très élevé des embauches, un déficit d’actifs, de compétences, l’inadéquation géographique en offres et demandes, la qualité des emplois, etc.

    Cette complexité un peu ennuyeuse à analyser est éclipsée par des explications plus imaginatives : c’est la faute de l’époque, de la crise sanitaire, d’une prise de conscience existentielle, en particulier chez les jeunes dont l’engagement professionnel serait plus utilitariste que celui de leurs aînés, etc. dont même la loi sur la « réforme du travail » fait son miel : « les actifs modifient leurs aspirations professionnelles et changent davantage d’entreprise, voire de métier. Les entreprises connaissent de ce fait des difficultés de recrutement bien plus importantes qu’avant la crise ».

    Une occasion bienvenue de faire un sort à tout ce qui est susceptible de favoriser la très française « préférence pour le chômage ». L’assurance-chômage fait office de coupable idéal : les contrôles de Pôle emploi et les droits rognés ne suffisant pas, les chômeurs indemnisés continueraient de préférer le confort des allocations-chômage à la reprise d’emploi. C’est aller un peu vite : d’une part les chômeurs indemnisés sont une minorité, d’autre part leur nombre diminue très vite, alors que celui des demandeurs d’emploi inscrits mais non indemnisés est inerte.

    « Grande démission » ou « grand licenciement »

    Au-delà d’anecdotes évoquant des fraudes, les faits ne montrent pas que les règles d’assurance-chômage stimulent les difficultés de recrutement actuelles. En théorie, ce lien est possible, mais avant de l’invoquer il faut résoudre une énigme bien plus épaisse encore : pourquoi des chômeurs non-indemnisés n’acceptent-ils pas ces emplois vacants ? On l’ignore.

    En outre, une règle d’assurance (chômage ou autre) optimale ne doit pas être définie par rapport aux comportements des fraudeurs, car elle serait sous-optimale pour l’immense majorité des autres assurés, qui ne fraudent pas. Le dossier de presse des chantiers du gouvernement pour le plein-emploi ne dit pas autre chose : 160 emplois vacants pour 1 000 chômeurs, cela ne laisse-t-il pas 840 chômeurs sans opportunité d’emploi ? Baisser les allocations de ceux qui sont indemnisés, y compris au motif de la conjoncture, n’y changerait rien.

    La « grande démission » serait l’autre explication des difficultés de recrutement. En réalité, le nombre de démissions est cohérent avec les niveaux de chômage et de création d’emplois. Ce qui en revanche est jusqu’à présent passé sous les radars, ce sont les ruptures à l’initiative ou avec l’assentiment de l’employeur, une sorte de « grand licenciement » : celles-ci ont accéléré aussi rapidement que les démissions et atteignent un niveau jamais observé, et surtout à contretemps du cycle conjoncturel.

    Le mauvais état du marché du travail

    Car il s’agit bien de salariés en contrat stable, de séparations coûteuses pour l’employeur, et cela concerne tous les secteurs, y compris les plus tendus (hôtellerie-restauration, construction, etc.). Cette dynamique est contre-intuitive, surtout lorsque l’employeur qui se sépare d’un salarié risque d’avoir du mal à le remplacer.

    Mais si la mise en cause de l’assurance-chômage ne s’encombre pas de faits ni de détails, l’effort d’explication est ici plus élaboré, faisant valoir – à juste titre, mais sans plus de preuves – que les entreprises à l’origine de ces ruptures ne sont pas forcément celles qui ont du mal à recruter.

    Si l’on élargit encore la focale, le marché du travail ne s’est pas aussi bien porté très depuis longtemps, mais en même temps les aides et subventions à l’emploi n’ont jamais été aussi élevées : apprentissage, contrats aidés, parcours rémunérés, etc. avec à la clé un nombre de bénéficiaires dépassant les records des années 1990. Sans compter les allégements de cotisations sociales, minimes à l’époque mais depuis considérablement accrus.

    Importance de réaliser des diagnostics complets

    Cette perfusion procyclique de gros calibre ajoute aux tensions et brouille l’estimation de la dynamique sous-jacente du marché du travail. Or le plein-emploi résultant d’une dynamique spontanée n’est pas de même nature que le plein-emploi assis sur de fortes subventions, ce qui amène la question suivante : l’emploi se porte-t-il bien parce qu’il est sous perfusion ? À l’opposé, si le marché du travail se porte bien, pourquoi maintenir ces aides, a fortiori à ce niveau ?
    Dans l’ordre des choses, le premier ajustement conjoncturel devrait être de baisser les dépenses conjoncturelles de soutien à l’emploi, dont le niveau est atypique, surtout dans cette phase qui devrait être consacrée à reconstituer les marges de manœuvre budgétaires indispensables en cas de ralentissement. Quant à la transformation des politiques structurelles et des institutions de marché du travail en instruments conjoncturels, aujourd’hui l’assurance-chômage, demain la fiscalité, voire, si l’on veut vraiment être disruptif, les exonérations de cotisations sociales, elle ne doit pas être exclue par principe.

    Mais cela ne s’improvise pas : ainsi le chèque en blanc qui prévoit tout à la fois de prolonger les règles d’assurance-chômage et en même temps de les changer, en plaquant dans la hâte une sorte de « modèle » canadien, dont la complexité ne peut qu’ajouter plus de confusion dans ces règles déjà absconses. Une telle transfiguration des politiques publiques mérite une grille de lecture et des diagnostics complets, équilibrés, de l’offre et de la demande de travail, des prérequis pour le moment absents.

    Bruno Coquet (docteur en économie, spécialiste des politique publiques)

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/27/economie-francaise-l-emploi-se-porte-t-il-bien-parce-qu-il-est-sous-perfusio

    #chômage #ruptures_conventionnelle #emploi #subventions_à_l’emploi

  • La gauche toujours à la recherche de son peuple - Rémi Lefebvre, AOC media

    Entre Fabien Roussel et Sandrine Rousseau, à gauche, les polémiques s’enchaînent : deux semaines sur les mérites et démérites du barbecue, puis dix jours sur l’abandon de la valeur travail. Ces petites phrases affirment en creux la déliquescence de la base électorale de la gauche. L’identité de classe, jadis primordiale, a été éclipsée par de nouvelles formes d’identification. Entre gilets jaunes et racisés, ubérisation et chômage, la gauche peine à trouver un programme commun. Pourtant, cette division de la classe ouvrière a déjà existé dans l’histoire, se résolvant sur une revendication commune : l’égalité.

    La rentrée de la Nupes a été dominée et parasitée par des controverses et des petites phrases qui radicalisent les positions des uns et des autres. Elles simplifient à outrance des questions qui méritent pourtant d’être approfondies et clarifiées. Gauche « barbecue » ou « des allocations », « valeur travail », tyrannie de la gauche « morale » : la gauche rassemblée aux élections législatives, toujours fragile, donne en pâture des oppositions caricaturales dont les médias se repaissent. La guerre des clashs assure le buzz à ceux qui s’y livrent.

    Jumeaux-rivaux de l’ère des réseaux sociaux, Fabien Roussel et Sandrine Rousseau sont les enfants paradoxaux du transgressif Manuel Valls. Outsiders comme lui en son temps, ils cultivent la stratégie de la scandalisation et de la triangulation. Rétrécie, la gauche mérite mieux que ces saillies. Le débat incontournable des contours du « peuple » à mobiliser et à défendre appelle mieux que ces approximations et raccourcis langagiers. La gauche a évité la catastrophe en se rassemblant aux élections législatives mais le dernier cycle électoral a confirmé des faiblesses sociologiques anciennes.

    La gauche fédère les diplômés urbains, une partie des jeunes, les français de culture musulmane mais peine, en dépit même d’un discours plus radical sur le plan économique, à mobiliser une large partie des catégories populaires qui se réfugient dans l’abstention et dans le vote d’extrême droite[1]. Le clivage trop binaire rural/urbain ne doit pas être durci à l’excès mais il faut aussi garder à l’esprit que les grandes métropoles (qui correspondent à ce qui reste de l’implantation militante et partisane de la gauche) sont toutes partagées entre la Nupes et Ensemble aux élections législatives. La tentation d’abandonner une partie des milieux populaires dans une sorte de réflexe Terra Nova inversé est réelle quand l’objectif de reconquérir « les fâchés pas fachos » semble intenable.

    La gauche doit prendre le temps d’un débat contradictoire et raisonné sur ses limites électorales et sociologiques qui ne doit pas être instrumentalisé par des logiques d’appareil ou des ambitions individuelles. François Ruffin l’esquisse dans son dernier ouvrage[2] qui apporte un éclairage à enrichir. Il montre à partir de son expérience de terrain (socialement situé) que la gauche est perçue par une partie des citoyens qui votent pour l’extrême droite comme « le camp des assistés ».

    Ce vécu subjectif doit être pris en compte mais ne doit pas conduire à abandonner d’autres luttes et d’autres groupes sociaux. Pour prétendre être majoritaire et unifier les classes populaires dans leur diversité et les classes moyennes, les forces de gauche, au-delà de leurs clientèles spécifiques, doivent sortir de fausses oppositions (le social vs le sociétal, les milieux populaires traditionnels vs les minorités, la France des bourgs vs la France urbaine…).

    Il s’agit de dégager les contours d’une coalition sociale majoritaire qui soit le produit d’une analyse commune de la société. Elle fait largement défaut : un des principaux chantiers intellectuels de la Nupes est donc sociologique. Traditionnellement le socle de la gauche était fondé sur une alliance des catégories populaires et des classes moyennes intellectuelles. Le « peuple de gauche » pour parler comme dans les années 1970 scellait l’alliance des ouvriers, des employés, des enseignants et classes moyennes intellectuelles. Cette alliance est plus difficile à construire désormais et doit intégrer de nouveaux clivages socio-politiques.

    Le cœur de l’électorat de gauche, quelles que soient ses sensibilités, s’est déplacé vers les classes urbaines diplômées et/ou déclassées. La gauche doit par ailleurs intégrer les intérêts de catégories sociales dont les formes de domination font l’objet d’une attention nouvelle (les femmes, les groupes « racisés », les minorités sexuelles discriminées…). Mais cette alliance entre minorités et classes populaires est souvent présentée (à tort) comme impossible.

    Face à une droite qui cherche à diviser le salariat, à opposer les catégories les unes contre les autres, la gauche doit promouvoir de nouveaux intérêts collectifs et construire de nouveaux compromis redistributifs entre catégories sociales. L’alchimie est difficile : il s’agit de remobiliser les milieux populaires dans leur hétérogénéité sans s’aliéner les classes moyennes intellectuelles tout en prenant en compte les nouvelles attentes de reconnaissance et d’égalité des « minorités ».

    L’hétérogénéité des milieux populaires

    La reconquête des milieux populaires passe par une analyse fine et non simpliste de leurs transformations, de leur fragmentation et de leurs contradictions. Les catégories populaires constituent un groupe de plus en plus hétérogène. Quoi de commun entre la France périurbaine, rurale et déclassée des gilets jaunes et les habitants des « quartiers » relégués, les « petits-moyens » cultivant la valeur travail et ceux qu’ils dénoncent comme des « assistés », les « petits Blancs » « identarisés » et les jeunes « racisés » ?

    La situation des catégories populaires est paradoxale, comme l’a bien analysé Olivier Schwartz[3]  : on observe bien une « extension du domaine du désavantage social » (individus exposés à la précarité et au chômage de plus en plus nombreux, accroissement des inégalités…) mais dans le même temps la conscience subjective de classe a décliné. Les conditions de vie des employés et des ouvriers se rapprochent de plus en plus sans qu’une conscience commune, politiquement constituée, émerge. L’impression trompeuse d’une « disparition » ou d’une évaporation des milieux populaires provient des transformations internes du groupe. C’est à la gauche de produire un discours qui puisse unifier des rapports au travail devenus plus hétérogènes (les classes sociales ne sont pas le pur produit du système économique, elles existent aussi à travers une offre de discours politiques et symboliques et d’identifications sociales).

    Le discours de l’« assistanat » porté à droite prend d’autant plus dans ces milieux qu’il s’appuie sur la « tripartition de la conscience sociale dans les catégories populaires » bien analysée par Olivier Schwartz. La conscience du monde social d’une partie des milieux populaires n’est pas bipolaire (le haut-le bas, nous-eux) mais triangulaire  : se développe le « sentiment d’être lésé à la fois par les plus puissants et par les plus pauvres », ces assistés « pour qui l’on paie », et ce d’autant plus que les riches apparaissent inaccessibles et la remise en cause de leur richesse improbable, comme le rappelle bien François Ruffin dans son dernier livre.

    La critique des « assistés » sur le mode de la valorisation du travail et de l’effort permet à des individus déclassés de « construire une image positive de leur parcours et plus largement de se vivre comme les acteurs de leur propre histoire[4] ». En reprenant cette thématique, Fabien Roussel légitime un discours de droite (les mots comptent en politique…) et, alors qu’il se drape du « réel », ne prend pas en compte la réalité sociale. Comme le montre bien le sociologue Nicolas Duvoux[5], la frontière est en effet poreuse entre « assistés » et « salariés pauvres » (qui touchent par exemple la prime d’activité).

    Chaque année, un tiers des allocataires du RSA sort du système. C’est justement cette proximité qui rend les salariés sensibles à la rhétorique de l’assistanat (ils ne veulent pas y basculer). Mais il est possible de valoriser le travail (sa juste rémunération, ses bonnes conditions…) et prendre en compte la demande de respectabilité et de dignité associée au travail sans promouvoir les termes de l’adversaire et sans fétichiser la valeur « travail » (le travail n’est pas le seul mode de réalisation de soi surtout quand il se raréfie et se dégrade).

    La question des « minorités »

    La question des minorités complexifie l’équation électorale et sociale à gauche. Les sources d’identité dans la vie des individus sont devenues plus hétérogènes. L’appartenance au salariat ne suffit plus à déterminer l’identité des individus, leurs comportements et leurs attentes. L’expérience vécue de la domination ne passe plus aujourd’hui uniquement par la classe. Les individus se définissent de façon croissante, mais non exclusive, à partir de référents ethno-raciaux ou d’identités sexuées ou sexuelles. Elles sont sans doute plus visibles et faciles à mobiliser que les identités de classe, devenues floues.

    Ces identités produisent des causes « nouvelles » ou réinventées qui se sont multipliées ces dernières années sur l’agenda politique et qui régénèrent les mobilisations sociales (féminisme[6], LGBT, antiracisme, lutte contre les violences policières et les discriminations…) et sont disqualifiées par la droite et une partie de la gauche dans la catégorie « wokisme ». Elles sont pourtant progressistes. L’affaire « Quatennens » montre que la question des violences sexuelles et sexistes est désormais incontournable.

    Or la gauche est historiquement un projet de classe. La droite et certains intellectuels ironisent : les minorités seraient la nouvelle classe sociale de substitution ou « les nouveaux damnés de la terre » ? La gauche doit-elle privilégier l’émancipation des minorités au risque de délaisser le thème de la redistribution alors que la droite nationaliste s’est engouffrée dans la demande de sécurité, d’ordre, de souveraineté ?

    Cette opposition binaire (opposer classes populaires et minorités) a-t-elle un sens ? Certains à gauche balaient du revers de la main ces questions qu’ils jugent secondaires et se retranchent derrière l’universalisme (celui-là même qu’avaient brandi les opposants à la parité à la fin des années 1990…). Mais le discours « républicain » et « universaliste » sonne de plus en plus creux aux oreilles de ceux qui sont ségrégués socialement et territorialement ou discriminés et qui n’y voient qu’une incantation justifiant le statu quo et l’inertie.

    Une double fable à gauche s’est développée souvent en lien avec des thèses développées aux États-Unis sur la politique des identités[7] : l’idée que, quand la gauche était au pouvoir en France, elle aurait privilégié le « sociétal » au détriment du « social » et que les classes populaires « blanches » auraient été délaissées par les partis de gauche à cause d’une attention trop soutenue aux minorités, est infondée. François Hollande n’a en rien compensé sa politique de l’offre par une politique antidiscriminatoire solide. Le programme de la France insoumise montre que l’on peut concilier redistribution sociale, féminisme et lutte contre les discriminations.

    Penser de nouvelles alliances de classe

    Comment la gauche peut-elle agréger les catégories populaires dans leur diversité, y compris « racisées », et les classes urbaines diplômées ? La gauche est confrontée à la fragmentation de la société et du monde du travail. Mais cette situation est-elle véritablement nouvelle et est-elle indépassable ? L’historien du mouvement ouvrier Jean-Numa Ducange le rappelle : « Quand le socialisme est né, il n’y avait pas de classe ouvrière unifiée, la majorité des gens travaillait dans le monde artisanal et rural et le niveau d’éclatement du monde social était très important. » Uber n’a rien inventé, l’emploi à la tâche existait à la fin du XIXe siècle…

    Les milieux populaires ne sont pas naturellement de gauche ou droite. Ils ne l’ont jamais été. S’ils se sont alignés pendant quelques décennies sur la gauche, c’est le résultat d’un travail politique immense… que la gauche ne mène plus. La désagrégation des milieux populaires n’est pas un phénomène qui s’impose à la gauche. Elle y a concouru, notamment en dévalorisant la figure de l’ouvrier au sein de sa représentation et de son personnel politiques. C’est à la gauche intellectuelle, militante et partidaire de produire de nouvelles représentations de la société et une proposition politique autour de l’égalité qui puisse fédérer ces divers intérêts.

    Aujourd’hui c’est l’absence d’une perspective émancipatrice partagée portée par la gauche qui ne permet pas de dépasser les divisions internes de la société. Cela suppose un immense travail politique de solidarisation et d’unification symbolique. Il est très complexe à développer. Il y a bien « un déficit de travail politique visant à faire tenir ensemble les destins individuels, en particulier ceux des dominés économiques, objectivement semblables (précarité, exposition au risque, désaffiliation…) mais subjectivement enfermés dans une vision individualisée de leur destin[8] ».

    Comment rassembler les Nuit debout, les attentes de justice sociale des gilets jaunes, #MeToo et les luttes contre les violences policières ? Derrière chacune de ses mobilisations il y a des convergences sur lesquelles la gauche peut s’appuyer : l’égalité et une démocratisation de la démocratie (qui a été au cœur à la fois de Nuit debout et des gilets jaunes à travers la remise en cause de la démocratie représentative et la mise en avant du référendum d’initiative populaire).

    Les classes moyennes diplômées sont soumises aujourd’hui à des logiques de déclassement (le diplôme ne garantit pas la réussite) qui peuvent les rapprocher des milieux populaires. Elles sont soumises elles aussi à la précarisation ou à la hausse vertigineuse du coût du logement et désormais de l’énergie. Le désavantage social dans la société progresse par le bas de la société et remonte[9], et les inégalités entre classes moyennes et classes supérieures se creusent.

    Les mobilisations antiracistes sont souvent réduites à des entreprises séparatistes, « communautaristes » et identitaires alors même qu’elles s’inscrivent dans des revendications d’égalité. Il n’y aucune raison d’opposer le « social » et le « sociétal » que la revendication d’égalité peut souder (l’égal accès aux moyens matériels et sociaux nécessaires à une vie épanouie). C’est ce que montre bien Erik Olin Wright[10] : la valeur de l’égalité constitue une base potentielle pour construire une unité politique à travers des identités diverses.

    Se détourner des questions minoritaire et raciale pour se concentrer sur la seule question sociale condamne la gauche à être… minoritaire. La démarche politique de Bernie Sanders aux États-Unis montre bien que l’on peut défendre de concert les diverses revendications d’égalité. Si la gauche propose un programme de rupture avec l’ordre économique, à même de séduire les milieux populaires « traditionnels », elle pourra d’autant plus prendre en compte les revendications des « minorités ».

    Cette coalition ne peut pas seulement être constituée au moment d’une campagne électorale, elle présuppose un travail politique plus structurel que doivent mener les organisations partisanes en amont des élections. Unifier et faire converger les causes multiples et progressistes qui régénèrent la société et convaincre les classes populaires traditionnelles qu’elles ne seraient pas nécessairement les perdantes de politiques plus favorables aux minorités n’est pas qu’une question d’offre politique, c’est aussi affaire de travail militant.

    Les partis ont vocation à produire et articuler les intérêts sociaux qu’ils sont censés défendre par un travail politique et organisationnel. Or les partis de gauche sont de plus en plus affaiblis ou « gazeux » et l’idée que la gauche puisse faire l’économie de la forme partisane se développe. C’est un autre chantier de la Nupes : repenser l’action organisée et militante, réinventer les partis politiques, en faire des instruments de politisation et de constitution d’une majorité sociale et électorale.

    [1] Frédéric Faravel, « Élections législatives de 2022 : entre approfondissement et contradictions, une nouvelle étape de la crise démocratique », Institut Rousseau, juillet 2022.

    [2] François Ruffin, Je vous écris du front de la Somme, Paris, Les liens qui libèrent, 2022.

    [3] Olivier Schwartz, « Peut-on parler des classes populaires ? », La Vie des idées, 13 septembre 2011.

    [4] Camille Peugny, Le Déclassement, Paris, Grasset, 2009.

    [5] Nicolas Duvoux, « Il n’y plus de séparation claire entre le monde du travail et celui des prestations sociales », Le Monde, le 16 septembre 2022.

    [6] Les femmes sont-elles une minorité ? Elles sont une moitié dominée de l’humanité.

    [7] Mark Lilla, La Gauche identitaire. L’Amérique en miettes, Paris, Stock, 2018.

    [8] Christian Le Bart, L’Individualisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

    [9] Camille Peugny, Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Paris, Seuil, 2013.

    [10] Erik Olin Wright, Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle, La Découverte, 2020.

     

    NDLR : Rémi Lefebvre a récemment publié Faut-il désespérer de la gauche ? aux Éditions Textuel.

    https://aoc.media/analyse/2022/09/27/la-gauche-toujours-a-la-recherche-de-son-peuple

    https://seenthis.net/messages/950566

    #gauche #Fabien_Roussel #Nupes #classes_populaires #précarité #minorités

    • « Contrairement à ce qu’affirme [après Lionel Jospin en 1998, ndc] Fabien Roussel, il n’y a plus de séparation claire entre le monde du travail et celui des prestations sociales », Nicolas Duvoux
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/14/contrairement-a-ce-qu-affirme-fabien-roussel-il-n-y-a-plus-de-separation-cla

      Le discours fracassant de Fabien Roussel opposant, lors de la Fête de L’Humanité, « la gauche du travail » à « la gauche des allocations » a créé une intense polémique. Inspirées par la rhétorique conservatrice de la critique du « cancer de l’assistanat » (Laurent Wauquiez) ou de la valorisation, symétrique et inverse, de « la France qui se lève tôt » (Nicolas Sarkozy), ces déclarations sont destinées à réarmer moralement des classes populaires laborieuses et menacées. Elles ont cependant le tort d’être fondées sur une idée fausse : contrairement à ce qu’affirme le dirigeant communiste, il n’y a plus de séparation claire entre le monde du travail et celui des prestations sociales.

      En opposant « la gauche du travail » à « la gauche des allocations [et] des minima sociaux », Fabien Roussel occulte en effet un phénomène majeur : la porosité croissante entre le monde du travail et celui de l’assistance. Masquée par les positionnements volontairement clivants et binaires des discours politiques, cette réalité est aujourd’hui l’un des traits saillants de notre organisation sociale.

      Depuis le début des années 2000, la dichotomie entre ce qui relève de l’assistance et ce qui relève du soutien au travail – notamment au travail précaire et mal rémunéré – ne tient plus. Avec la création de la prime pour l’emploi, en 2001, l’Etat a pris acte du fait que nombre de travailleurs et surtout de travailleuses modestes ne parvenaient plus à joindre les deux bouts malgré les salaires qui leur étaient versés par leurs employeurs privés ou publics : ils avaient du mal à acquitter ce que l’on appelle aujourd’hui leurs dépenses contraintes – le logement ou la facture d’électricité, par exemple.

      Profondes dynamiques

      Pour pallier cette difficulté, l’une des lignes directrices de la politique sociale française a consisté à soutenir le revenu des travailleurs modestes – ce qui a eu pour conséquence d’entremêler le monde du travail et celui des allocations [mais quel décerveleur ! la sociologie vaut ici le journalisme ndc] . En faisant de la prestation sociale un complément de salaire pour les salariés rémunérés jusqu’à un smic et demi, cette politique a peu à peu effacé la frontière entre ce qui tient du travail salarié et ce qui relève des prestations sociales. Créé en 2008, le revenu de solidarité active (RSA), qui a pérennisé les possibilités de cumul de revenus d’activité et de solidarité, et qui les a étendues à des emplois à temps très partiel, a renforcé ce phénomène.

      En apportant un complément de revenu aux salariés modestes, la prime d’activité instaurée huit ans plus tard, en 2016, a contribué, elle aussi, à nourrir ce rapprochement entre le monde du travail et celui de l’assistance. Si elle a permis de soutenir des personnes en difficulté, elle a, en concentrant l’effort de redistribution sur les moins pauvres d’entre les pauvres, institutionnalisé une perméabilité grandissante entre l’univers des salariés et celui des allocataires des prestations.

      Ces politiques publiques ont profondément modifié la réalité sociale : souvent dépeint, dans les discours politiques, comme un ensemble homogène et immobile, le monde des allocataires du RSA est aujourd’hui marqué par une forte volatilité – et une forte hétérogénéité. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques de 2021, un quart des bénéficiaires de cette prestation, qui est accusée d’entretenir une atavique culture de l’assistanat, sortent du dispositif chaque année. Cette réalité, qui entraîne un coût de gestion immense, montre que ces espaces sociaux que l’on croit figés sont en fait traversés par de profondes dynamiques.

      Ultime recours contre la misère

      Une partie significative des allocataires de cette prestation emblématique qu’est le RSA circulent en effet constamment entre l’assistance et le travail salarié, souvent dans des conditions précaires et dégradées. Pour certains, ces prestations constituent un soutien ponctuel, un ancrage pour une reconversion professionnelle ou une manière de pallier une séparation. Pour d’autres, elles sont un ultime recours, souvent de longue durée, contre la misère – raison pour laquelle les stigmatiser est aussi indécent que politiquement contre-productif. Plusieurs publics et plusieurs problématiques sociales coexistent donc dans ces dispositifs perçus à tort comme homogènes.

      C’est paradoxalement cette proximité entre le monde du travail et celui des « allocs » qui attise aujourd’hui les déclarations polémiques – et trompeuses – comme celles de Fabien Roussel. Parce que les classes populaires fragilisées sont objectivement proches des seuils d’éligibilité aux prestations sociales, [comme le savaient déjà les socialistes des années 80 et 90, ndc] elles luttent activement pour s’en démarquer : elles sont d’autant plus tentées d’adhérer au discours critique de l’assistanat que la précarité de leurs conditions de vie les rapproche de plus en plus de la « chute » redoutée dans l’assistance. C’est finalement la perméabilité de ces espaces sociaux et le risque de réversibilité des situations acquises qui constituent le soubassement social et moral de la défense acharnée de la frontière entre travail et assistance.

      Le sociologue Olivier Schwartz a documenté cette « conscience sociale triangulaire » : les ménages modestes ont aujourd’hui le sentiment d’être soumis à une double pression – l’une « venant du haut » (les classes moyennes et supérieures), l’autre « venant du bas » (les fractions précaires des classes populaires). Parce que les « privilégiés d’en bas » semblent bien traités, ils jouent le rôle de repoussoir : quand les fondements d’une vie sociale intégrée sont menacés, le rejet des « assistés » structure les comportements et la revendication d’une existence qui ressemble à celle des « autres ». Dans les classes populaires laborieuses, la mise à distance du monde de l’assistance est en fait une demande de respectabilité – et elle s’exprime d’autant plus violemment que la proximité sociale encourage la distance symbolique et morale.

      Loin des discours simplistes, le travail et la protection sont désormais entremêlés sous des formes nouvelles et complexes. Si l’on veut refonder une protection sociale qui apporte aux populations modestes et précarisées la sécurité dont elles ont besoin, il faut les affronter avec détermination – sans s’appuyer sur des idées fausses.

      #Travail #précarité #assistanat #assistance

    • jouer sur ces tension subjectives internes à un populaire fragmenté par l’économie, c’était déjà le travail politique de la gauche gestionnaire (plaignons Lefebvre...), et c’est de ce travail politique là qu’ont découlé ses « réponses sociales » au précariat (avant même celle que fut le RMI). nul besoin pour ces acteurs politiques de « désirer le fascisme » après lequel nombre d’entre eux passent leur temps à courir (à la LFI aussi) pour lui ouvrir la voie, non pas seulement au plan électoral, mais comme poison des existences et des comportements (cf. la pandémie radicalement dépolitisée, désocialisée, par le « haut » et par le « bas »). L’exemple Jospin ("je préfère une société de travail à l’assistance", assemblée nationale, janvier 1998) vient en son temps relayer les déclarations socialistes contres les OS arabes grévistes de l’automobile en 1982 (saboteurs séparatistes, comme on ne le disait pas encore, de la performance économique de l’entreprise France). Les politiciens s’affaire à casser tout front populaire qui ne soit pas strictement électoral (c’est-à-dire impuissanté).

      Les déclarations d’un Mélenchon prétendant l’inverse (façon : la force d’un gouvernement de gauche dépendra de celle des mobilisations populaires) allient réalisme (l’histoire a tranché la question à maintes reprises) et lyrisme. Faux semblant spectaculaire (le fonctionnement même de ces orgas le montrent au quotidien).

      #militants_de_l'économie #cassos

  • Philippe Descola : « Les lieux alternatifs expérimentent une cosmopolitique inédite »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/26/philippe-descola-les-lieux-alternatifs-experimentent-une-cosmopolitique-ined

    L’anthropologue détaille, dans un entretien au « Monde », la manière dont il a travaillé avec l’auteur de BD Alessandro Pignocchi sur les nouvelles façons de faire de la politique, de l’Amazonie à Notre-Dame-des-Landes.

    Professeur émérite au Collège de France, Philippe Descola estime que les différentes manières de vivre observées par les ethnologues sur le terrain peuvent être « des tremplins pour imaginer des futurs différents ».

    Pourquoi l’anthropologie apporte-t-elle la preuve que d’autres voies, que d’autres « mondes à venir » sont possibles ?

    Parce que, conjointement avec l’histoire, elle nous offre le témoignage que d’autres façons d’être au monde sont possibles, radicalement différentes de celles que la modernité a inventées. Si l’on se débarrasse de l’illusion évolutionniste, à savoir que les Indiens d’Amazonie, les Inuits ou les tribus des hautes terres de Birmanie représentent notre passé et qu’il leur reste un long chemin à parcourir pour devenir comme nous, si l’on admet plutôt qu’ils représentent des alternatives originales à ce que nous sommes devenus, alors ces autres manières de vivre la condition humaine représentent non des modèles immédiatement transposables, mais des tremplins pour imaginer des futurs différents.

    En quoi est-elle « une science intrinsèquement subversive » ?

    Le « regard éloigné », pour reprendre l’expression de Lévi-Strauss, c’est celui que l’ethnologue acquiert lorsqu’il ou elle partage pendant plusieurs années l’existence d’un peuple dont les mœurs et les institutions sont très différentes de celles dans lesquelles il ou elle a été élevé. Au retour, l’ethnologue ne peut manquer d’appréhender le monde d’où il est issu avec les yeux de ceux dont il a appris à apprécier le style de vie. Apparaissent alors avec une crudité effrayante tous les défauts et toutes les iniquités de nos propres sociétés, les inégalités, l’adoration de la marchandise et de l’argent, la séparation d’avec les autres espèces, etc.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Le tournant écopolitique de la pensée française

    Pour quelles raisons avez-vous noué ce dialogue avec l’auteur de BD Alessandro Pignocchi ?

    Nous nous sommes rapprochés au départ parce qu’Alessandro avait voulu partager la vie des Achuar de l’Amazonie équatorienne quelques années après que j’y suis allé moi-même, non pas par curiosité touristique, mais parce qu’il pressentait après m’avoir lu que ce peuple aurait beaucoup à lui apprendre. J’ai trouvé que le compte rendu graphique qu’il a fait de son expérience chez les Achuar était à la fois très juste et plein d’humour (Anent. Nouvelles des Indiens Jivaros, Steinkis, 2016), et j’ai retrouvé le même genre d’ironie dans ses BD ultérieures, notamment ses trois petits traités « d’écologie sauvage ». C’est une autre façon de pratiquer le « regard éloigné ».

    Qu’est-ce qui vous séduit et vous réconforte à Notre-Dame-des-Landes ? Et faut-il rapprocher les ZAD de Sciences Po, où vous avez donné, en cette rentrée, la conférence inaugurale ?

    Je ne suis pas sûr que les ZAD et Sciences Po aient envie d’être appariés. En revanche, j’invite les élèves de cette vénérable institution, et plus encore ceux qui se préparent à devenir de hauts fonctionnaires de l’Etat, à aller se rendre compte par eux-mêmes à Notre-Dame-des-Landes, ou dans des lieux alternatifs du même genre, de ce que peut être une expérience cosmopolitique inédite, une forme de vie commune récusant le productivisme, le consumérisme et l’accumulation, attentive à laisser chacun s’exprimer dans des structures égalitaires et fondée sur une identification profonde entre les habitants humains et non humains d’un territoire autonome.

    Pourquoi vous lancez-vous à présent dans l’élaboration d’une nouvelle cosmopolitique ?

    La plupart des concepts aux moyens desquels nous décrivons notre condition moderne et les institutions au sein desquelles nous la vivons – « société », « nature », « culture », « économie », « politique », « histoire », « progrès », etc. – sont le produit d’une trajectoire historique tout à fait singulière, celle de l’Europe s’émancipant de l’Ancien Régime. Ces concepts décrivent très mal la façon dont d’autres civilisations se représentent leurs modes d’assemblage, leurs rapports aux non-humains et les valeurs qu’elles estiment. Pourtant, ce sont ces concepts que nous employons, depuis la naissance des sciences sociales, pour parler des peuples en marge du front de la modernisation : nous les habillons de nos propres vêtements, en faisant comme s’ils les avaient toujours portés.

    Or, non seulement le vocabulaire des sciences sociales est impropre à parler des autres, il est aussi devenu pathétiquement inadéquat pour parler de l’anthropocène, un régime dans lequel on serait bien en peine de déceler une séparation nette entre humains et non-humains, entre institutions politiques et systèmes techniques, entre récits émancipateurs et évolution des espèces. Un énorme effort de reconceptualisation de ce nouveau monde émergent est donc nécessaire pour que nous puissions disposer des catégories permettant, au minimum, de mieux le décrire.

    De quelle manière êtes-vous affecté par la catastrophe écologique ? Et quelles sont les pistes pour y remédier ?

    C’est la perte de la diversité qui me fait mesurer l’ampleur de la catastrophe, puisque je fais partie des privilégiés qui résident une partie de l’année à la campagne. Qui veut d’un monde vide, totalement anthropisé, où toutes les formes de vie auraient disparu, hormis celles qui nous sont utiles ? Quant à la catastrophe écologique, elle est le symptôme d’un mal plutôt que le mal principal ; elle rend tangible la dévastation que la frénésie d’accumulation capitaliste a répandue sur la planète, et c’est en confrontant ce mal-là que quelque chose pourra enfin changer.

    #Descola #anthropologie #Pignocchi #cosmopolitique

  • Penser et agir dans un monde en feu
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/23/climat-penser-et-agir-dans-un-monde-en-feu_6142831_3232.html

    Face au désastre écologique qui affecte désormais le quotidien et l’intimité de tous les contemporains, nombre d’intellectuels opèrent un « tournant géologique » afin de forger des récits capables de relever le défi climatique.

    #écologie #écologie_politique #écosophie #livres #note_de_lecture (façon Le Monde)

    • Mais un nouveau pas vient d’être fait, une nouvelle frontière a été franchie, par la volonté de dépasser la séparation entre les vivants et non-vivants. Et la décision de forger, comme y invite l’anthropologue Nastassja Martin dans A l’Est des rêves. Réponses even aux crises systémiques (La Découverte, 250 pages, 21 euros), une « ethno-métaphysique des éléments ». Dans les sociétés animistes, qui confèrent une âme aux êtres, certains collectifs communiquent avec les ours, les rennes ou les oiseaux. Néanmoins, poursuit Nastassja Martin, il faut également prendre en compte les relations aux éléments – terre, air, feu, eau – auxquels certains peuples s’adressent, à l’image des Gwich’in avec les aurores boréales, en Alaska – considérées comme des manifestations de l’esprit des morts. A l’instar des Even au Kamtchatka (Russie), qui donnent chaque première cuillère d’un repas au feu et à qui l’on parle afin qu’il n’embrase pas tout. « Nous touchons ici à un problème de taille », affirme-t-elle, évoquant même un relatif « silence des anthropologues » sur cette question. Mais cette métaphysique des éléments va peut-être « trop loin », se demande Nastassja Martin, qui cherche à sortir de la séparation ontologique entre l’animal, le végétal et le minéral et qui explore une raison animiste sans franchir les frontières de l’ésotérisme. L’anthropologue trouve chez les Even « non pas des réponses à nos tourments, mais des manières de se relier aux éléments », un dialogue avec les entités qui pourrait inspirer notre monde désenchanté.

      Comment penser hors des flammes », Frédéric Neyrat
      https://www.nouvelobs.com/idees/20220726.OBS61349/comment-penser-hors-des-flammes-par-frederic-neyrat.html

      (...) la collapsologie s’est effondrée avant le monde : incapables de sédimenter et de projeter une utopie hors des flammes, les pensées environnementales passent hélas trop vite de l’ordinateur à l’oubli, après un bref séjour sous les feux de l’actualité culturelle.

      Utopie ininflammable

      Que l’on passe du plan des idées à celui de la politique et l’accablement s’intensifie : chaque désastre environnemental, chaque glacier fondu, chaque espèce disparue nous rappelle comment les pouvoirs en place ont su déployer toute leur inventivité pour maintenir inchangée l’économie capitaliste. On dira qu’il y a des différences entre les pays qui tentent de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, et ceux qui défont (comme aux Etats-Unis) les lois de protection de la nature ; mais nous reviendra en mémoire un passage d’« En attendant Godot » : « J’ai tiré ma roulure de vie au milieu des sables ! Et tu veux que j’y voie des nuances ! » Au niveau de l’écologie planétaire, aucune transformation n’aura su s’imposer - une situation que la guerre en Ukraine renforce (réouverture de centrales à charbon, importation de gaz naturel liquéfié à l’exploitation très polluante, vente aux enchères de terres congolaises aux compagnies pétrolières).

      S’agirait-il alors de sombrer dans un individualisme désespéré ? On louera tout au contraire les actions de celles et ceux qui ne s’avouent pas vaincues : Youth for Climate, 350.org, Extinction-Rebellion, les Soulèvements de la Terre, etc. Mais toutes ces actions ne seront en mesure d’éviter l’écocide en cours qu’en favorisant, collectivement, un projet politique hétérogène à l’ordre du monde – une utopie ininflammable, une internationale à l’air libre pour tous les damnés de la Terre. Nous devons apprendre à penser hors des flammes, hors du temps fondu qui nous colle aux pieds, hors de l’espace étouffant de l’urgence.

      Récréer une distance

      Cela suppose, d’abord, de récréer une distance intellectuelle et politique avec la catastrophe en cours. Contrairement à ce qu’affirme la pensée écologiste aujourd’hui hégémonique, être « hors sol » est un impératif pour toute pensée libre – ne laissons pas le ciel à Elon Musk. Recréer une distance requiert, en outre, un style d’écriture et des livres capables de persister, d’affronter les angoisses de fin du monde sans y céder : le présent ne peut résister à ce qui le menace qu’en se chargeant des promesses d’émancipation du passé, ainsi forçant les portes de l’avenir – qu’on se le dise, nous ne sommes pas nés de la dernière pluie.

      Penser hors des flammes ne signifie donc pas imaginer quelque bunker où la vie serait protégée des atteintes du monde, mais au contraire refuser toute intériorité étouffante, y compris celle des flammes. Pour échapper à la claustrophobie des fumées et des pensées closes, inventons les dehors grâce auxquels nous serons en mesure d’éteindre l’incendie planétaire.

      #Nastassja_Martin

  • « Les personnels soignants quittent l’hôpital parce qu’ils ne veulent pas devenir des monstres », Pascale Molinier

    Le Conseil national de la refondation (CNR), dont l’un des grands sujets de réflexion est la santé, s’ouvre dans un contexte de crise hospitalière profonde. On assiste à une hémorragie de personnel, des services d’urgence ont dû être réduits ou fermés… La pandémie a aggravé une situation déjà très détériorée.

    Dans tout débat sur la santé, ce qu’il s’agit d’abord d’éclairer sont les raisons de cette crise. Ceux et celles qui quittent l’hôpital public ou souhaitent le faire à brève échéance ne veulent pas, pour la plupart, changer de métier. S’ils se réorientent plutôt vers le libéral, le secteur privé, voire l’éducation, c’est parce que la crise hospitalière est avant tout morale. Elle provient d’une souffrance éthique liée à ce que soigner veut dire.

    Le soin ne peut pas se tayloriser et pourtant il tend à le faire. On ne peut pas soigner des gens en se contentant de changer leurs boulons. Bien sûr, la France s’enorgueillit du haut niveau de technicité de ses médecins et chirurgiens et nous ne voudrions pas les voir fuir vers l’étranger ou les secteurs privés. Mais exceller dans les domaines de pointe ne suffit pas. Les patients ont affaire à des secrétaires médicales, des brancardiers, des aides-soignantes, des agents de nettoyage, des infirmières, des manipulatrices en radiologie… Chaque métier a ses compétences propres, qui ne se confondent pas, mais toutes ces personnes soignent.

    Travail discret

    Elles ont pour mission d’humaniser l’hôpital. Accueil, attention, anticipation des besoins (de se reposer, d’être rassuré…), ces dimensions essentielles du soin ne recouvrent pas celles de la médecine scientifique ou de ce qui s’évalue en termes d’actes quantifiés. Il s’agit de la part inestimable du soin, au sens où elle ne se mesure pas avec les outils de la gestion, mais demeure ce qui compte le plus dans le vécu de la maladie ou de l’hospitalisation.

    Ce travail souvent discret, voire invisible, a connu un développement conceptuel sans précédent grâce aux recherches sur le care, un mot anglais qui désigne les dimensions non curatives du soin et prend pour perspective la vulnérabilité et l’interdépendance de tout un chacun. Mais, surtout, ce domaine d’études s’intéresse à celles qui s’occupent des autres, surmontant ainsi la dévalorisation sociale qui affecte des activités féminisées, de faible visibilité, en relation directe avec les tabous du corps et de la mort ; des activités dont beaucoup croient encore qu’elles ne demanderaient pas de compétences particulières et dépendraient avant tout d’un tempérament plus ou moins chaleureux.
    Or, tout au contraire, pour se déployer, ce travail, s’il est inestimable, nécessite des conditions matérielles qui peuvent être analysées. D’un côté, avant, pendant, après la pandémie, les soignants se sont exprimés sur leur sentiment de maltraiter les gens, de se robotiser, ou au contraire de s’épuiser physiquement et moralement à vouloir réaliser, dans des contextes d’intensification du travail, leur tâche d’une façon qui respecte la dignité et la fragilité des personnes. D’un autre côté, la recherche académique a des outils théoriques qui permettent non seulement de rendre visible l’ensemble des compétences requises pour prendre soin d’autrui, en les distinguant de qualités naturelles, mais aussi de mieux comprendre comment le care associe un travail discret avec une éthique qui lui est consubstantielle. Faire une toilette, par exemple, est un acte non technique, pourtant éminemment difficile à bien réaliser, notamment en respectant la pudeur de la personne, en surmontant son propre dégoût ou son appréhension du contact avec le corps de l’autre.

    Ecouter les infirmières

    Mais à quoi nous servent tous ces savoirs, s’il nous manque la volonté politique de faire appel à cette double expertise ? S’il s’agit de démocratiser l’approche de la santé, de prendre de la distance avec la technocratie, pourquoi tirer au sort des quidams – ce qui est l’une des propositions du CNR – et ne pas plutôt transformer les critères de l’expertise en acceptant enfin d’écouter les infirmières, d’apprendre des aides-soignantes ?

    Bien sûr, ce qu’elles ont à dire est angoissant. On peut faire l’hypothèse que le succès des approches gestionnaires repose en grande partie sur le fait qu’elles permettent au contraire de ne pas penser qu’elles sont sur l’indifférence, le défaut d’empathie qu’elles favorisent en éliminant de la réalité tout ce qui révèle la complexité de nos attachements et de nos souffrances. Une telle conception de l’efficacité ne mesure, par ailleurs, que le déjà connu et reste à la surface des soins. L’insondable des relations et de la psyché, ce qui participe d’un environnement favorable au rétablissement, lui échappe pour toujours.

    Crise de civilisation

    Pour changer de modèle, il importe collectivement de rompre avec le déni gestionnaire. Acceptons de ne pas refouler l’angoisse. Les personnels soignants quittent l’hôpital parce qu’ils ne veulent pas devenir des monstres sans affects, ou laisser leur peau au travail. Il conviendrait de s’interroger sur la rationalité économique d’une gestion qui prendrait mieux en compte toutes les dimensions du soin. Cela impliquerait de calculer aussi – pour l’intégrer dans les coûts de santé – le prix des départs d’un personnel médical et paramédical formé à l’hôpital, donc aux frais des contribuables. Et combien coûte l’absentéisme des personnels chroniquement exténués ?

    Tout n’est d’ailleurs pas qu’une question d’argent. Qui va consoler les proches des jeunes internes qui se sont suicidés ? Ceux des vieillards morts seuls en Ehpad durant le confinement ? La crise hospitalière est une crise de civilisation. Le résultat de maintes rebellions – grève des urgences, des services psychiatriques, des Ehpad, d’hôpitaux entiers – dont le message éthique n’a jamais été entendu.

    Il est temps de remettre le soin au cœur de notre système de santé, en tirant la leçon de cette crise qui signe l’échec de plus de vingt ans de gestion hospitalière aveugle au travail et à ses contraintes, et sourde à celles et ceux qui en sont les rouages.

    Pascale Molinier est professeure de psychologie sociale à l’université Sorbonne-Paris Nord. Elle a écrit Le Travail du care (La Dispute, 2020).

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/08/les-personnels-soignants-quittent-l-hopital-parce-qu-ils-ne-veulent-pas-deve

    #soin #soignants #infirmières #aides-soignantes #care #gestion #santé #hôpital_public #éthique

  • L’école suédoise, dégradée par une logique de marché, est devenue un contre-modèle
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/09/l-ecole-suedoise-degradee-par-une-logique-de-marche-est-devenue-un-contre-mo

    Le système scolaire du pays scandinave, longtemps très estimé, s’est affaibli à mesure que l’enseignement privé prenait du poids et s’autonomisait. Les inégalités se sont creusées, et l’enseignement public est fui.

    (...)

    Malgré ses bons résultats, ce système est alors de plus en plus critiqué pour son manque de diversité pédagogique et le peu de liberté de choix qu’il laisse aux parents. Alors que les finances publiques du pays sont dans le rouge, les Sociaux-Démocrates au pouvoir décident de décentraliser l’éducation : à partir de 1989, le primaire et le secondaire passent sous la responsabilité des 290 communes, malgré l’opposition des syndicats d’enseignants.

    (...)

  • « Par-delà l’androcène » : une poignée d’oppresseurs aux commandes
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/06/par-dela-l-androcene-une-poignee-d-oppresseurs-aux-commandes_6140323_3232.ht

    Cible de choix des conservateurs, Sandrine Rousseau persiste, et signe avec Adélaïde Bon et Sandrine Roudaut un petit manifeste écoféministe. Un récit politique à l’acide pour les hommes, au prix de raccourcis.

    Par Julie Carriat
    Publié aujourd’hui à 05h00

    Temps de Lecture 2 min.

    Un an après la primaire des écologistes qui l’a vue émerger, Sandrine Rousseau continue de tracer son sillon écoféministe. Avec les autrices Adélaïde Bon et Sandrine Roudaut, elle publie un manifeste au Seuil, Par-delà l’androcène. Soixante pages, amplement de quoi faire les délices de ses détracteurs conservateurs. De quoi renforcer, aussi, un récit de plus en plus porteur auprès d’une nouvelle génération militante.

    C’est donc une histoire de l’« androcène », néologisme qui remplace l’anthropocène pour lier système patriarcal, capitalisme et dérèglement climatique. Assumer que les hommes, plus que les femmes et les classes dominées, portent la responsabilité du désastre. Le lecteur adepte d’un universalisme à l’ancienne, celui de l’homme avec un grand « H » créateur de progrès, arrêtera là sa lecture, le curieux continuera sa virée en écoféminisme.

    Dans cette ère, écrivent les autrices, « une poignée d’oppresseurs, différents selon les lieux ou les époques, ont exploité et asservi la multitude pour leurs intérêts propres ». Exploitation de la nature, des femmes, des esclaves puis du prolétariat, c’est le trio qui sous-tend cette définition du capitalisme patriarcal. Un récit riche en raccourcis mais qui a l’avantage d’opposer une fin de non-recevoir claire à l’idée que la technique pourrait, à elle seule, représenter une solution au changement climatique.
    « Plus question de jouir aux dépens d’autrui »

    Lecture de l’économiste Karl Polanyi (1886-1964) à l’appui, les autrices ne craignent pas de s’en prendre aux sacro-saintes Lumières, de tenir un discours critique des sciences : « Linné, Buffon, Lamarck ou Darwin ont théorisé et rangé la nature dans des cases. Ces recherches ont contribué à ne plus la voir comme un tout, cohérent et équilibré, mais comme une somme, un assemblement de parties. En classifiant, nous avons perdu de vue l’essentiel : les liens, les interactions, les équilibres. »

    La démonstration, rapide, valorise des exemples tirés des recherches féministes. Inspiré par une lecture de l’universitaire et militante féministe Silvia Federici, le livre présente les procès contre les sorcières, à la fin du Moyen Age, comme symptôme de ce capitalisme en préparation qui aliène les terres et les femmes.
    Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés Sandrine Rousseau : « Trouver une ligne directrice pour lutter contre les violences sexuelles en politique est un impératif »

    Conscientes qu’elles se mettront à dos les « boomers », les autrices opposent au « jouissons sans entraves » de Mai 68 une nouvelle « règle cardinale » : « Plus question de jouir aujourd’hui aux dépens d’autrui. » Sans jamais dire « décroissance », elles proposent de « transformer l’illusion du pouvoir d’achat en un droit à vivre dignement, à avoir accès aux biens et services fondamentaux ».

    A l’heure où Sandrine Rousseau est caricaturée en emblème d’une écologie déconnectée du quotidien des Français, elles affirment : « Non, l’écologie n’est ni bourgeoise ni bohème. Elle est au contraire une affaire de pauvres et de marges. » Pour ces défenseuses des sorcières et de la « nature vivante, sacrée, soignante », ce n’est pas un reproche que de dire que ce manifeste relève un peu de l’incantation. Mais, comme outil de conscientisation et, surtout, comme machine à indigner la droite, le texte a ses mérites.

    « Par-delà l’androcène » d’Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut, Sandrine Rouseau, Collection Libelle, Seuil, 72 pages, 4,50 euros.

  • « La diaspora africaine est un acteur essentiel du développement économique et social de l’Afrique »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/03/la-diaspora-africaine-est-un-acteur-essentiel-du-developpement-economique-et

    « La diaspora africaine est un acteur essentiel du développement économique et social de l’Afrique »
    TribuneAlain Gauvin
    Avocat au barreau de Paris, docteur d’Etat en droit
    Le juriste Alain Gauvin met en garde, dans une tribune au « Monde », sur l’actuelle proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, dite « directive CRD VI » qui pourrait mettre en danger le partenariat Afrique-Europe, et empêcher les banques africaines d’offrir leurs services à leur clientèle diasporique résidant en Europe.
    Au terme de la visite du président de la République Emmanuel Macron, au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau (du 25 au 28 juillet), visite intervenant « dans le droit fil de l’agenda présenté en novembre 2017 à Ouagadougou pour renouveler la relation Afrique-France », on peut s’interroger sur la capacité de l’Union européenne (UE) à renforcer et à pérenniser son partenariat avec l’Afrique.
    Certes, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, rappelait, lors de la conférence de presse clôturant [le 18 février] le 6e sommet Afrique-UE, la nécessité d’un tel partenariat, en définissant clairement le rôle de l’UE, « un partenaire économique » auquel l’Afrique peut « faire confiance ».Certes encore, le « paquet d’investissement “Global Gateway” Afrique-Europe » à 150 milliards d’euros, qui a pour objet de « soutenir l’Afrique en vue d’une reprise et d’une transformation solides, inclusives, vertes et numériques », illustre de façon remarquable toute l’attention politique européenne portée à l’Afrique.
    Mais, le droit européen ne semble pas toujours en phase avec la politique européenne alors même que, en tant qu’instrument, il devrait la servir.
    A titre d’exemple de cette incohérence juridique, on sait que la diaspora africaine est un acteur essentiel – plus stable que l’aide publique au développement et les investissements directs étrangers – du développement économique et social de l’Afrique. On sait aussi que les transferts d’argent et la « bi-bancarisation » contribuent puissamment au lien économique entre les deux continents.
    Pourtant, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, communément appelée « directive CRD VI » [Capital Requirements Directive VI ] pourrait bien, si sa rédaction actuelle était conservée, susciter de fâcheuses divergences d’interprétation entre les Etats membres quant à la latitude qui devrait être laissée aux banques des pays tiers – et, donc, des banques africaines – d’offrir leurs services à leur clientèle diasporique résidant en Europe.En effet, l’article 21 quater de la CRD VI exigerait des banques africaines qu’elles créent une succursale dans chaque pays de l’Union européenne où elles souhaiteraient exercer une activité bancaire, ce qui, en soi, n’est pas critiquable. Cependant, aujourd’hui, certains Etats de l’Union interdisent aux banques africaines de commercialiser, sur leur sol, auprès des diasporas, les services bancaires dont ces dernières ont besoin dans leur pays d’origine, en Afrique.Ces Etats pourraient maintenir cette interdiction, en excipant, à tort, l’article 21 quater. Une telle interdiction comporte deux pernicieuses conséquences : premièrement, elle freine l’inclusion financière des populations ; deuxièmement, elle affecte les transferts d’argent ou en empêche l’intégration dans le circuit bancaire au mépris de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et du développement de l’Afrique.
    La Banque centrale européenne (BCE) ne s’y est pas trompée et a, dans son avis du 27 avril 2022, invité « les organes législatifs de l’Union à clarifier la formulation du nouvel article 21 quater de la CRD et, en particulier, à fournir une liste claire des services bancaires de base visés par cet article ». Cette invitation donne à penser que le législateur européen ne maîtrise pas l’objet de ses textes ; il peut néanmoins compter sur la compétence et la vigilance de la BCE, bien que le rôle du banquier central ne soit pas de combler les carences des organes politiques de l’UE.
    En définitive, pour prévenir une diversité d’interprétations hasardeuses de la CRD VI, qui pourrait mettre à mal le partenariat que l’Afrique et l’Europe aspirent à nouer, il conviendrait d’adopter la solution mise en œuvre par la France dès 2014 qui, tout en protégeant la place bancaire française, permet aux banques ressortissantes des pays bénéficiaires de l’aide au développement, de bancariser les diasporas.

    #Covid-19#migration#migrant#afrique#UE#france#diasporas#transferts#developpement#economie#systemebancaire#postcovid

  • il est temps de noyer tous les poissons encore vivants

    A nos lecteurs, 16h24
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/01/reduire-la-colonisation-francaise-en-algerie-a-une-histoire-d-amour-parachev

    Nous avons décidé de retirer de notre site la tribune du politiste Paul Max Morin sur le récent voyage d’Emmanuel #Macron en #Algérie, publiée jeudi 1er septembre. Ce texte reposait sur des extraits de citations qui ne correspondent pas au fond des déclarations du chef de l’Etat. Si elle peut être sujette à diverses interprétations, la phrase « une histoire d’amour qui a sa part de tragique » prononcée par M. Macron lors de la conférence de presse n’évoquait pas spécifiquement la #colonisation, comme cela était écrit dans la tribune, mais les longues relations franco-algériennes. Le Monde présente ses excuses à ses lectrices et lecteurs, ainsi qu’au président de la République.

    @PaulMaxMorin1 11:03 AM · 1 sept. 2022·Twitter Web App
    https://twitter.com/PaulMaxMorin1/status/1565264071913529345

    Je publie aujourd’hui cette tribune dans @lemondefr et en papier « Réduire la colonisation française en Algérie à une histoire d’amour parachève la droitisation d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle »

    la bio du gars :

    Docteur @sciencespo @Cevipof Mémoires Guerre d’Algérie Auteur de Sauce Algérienne @spotifyfrance Membre du BN de @SOS_Racisme Adorateur du Sud et de la Pizza

    une #censure inespérée pour SOS-Race

    « Réduire la colonisation française en Algérie à une histoire d’amour parachève la droitisation d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle »
    https://francais-fois.com/politique/reduire-la-colonisation-francaise-en-algerie-a-une-histoire-damour-pa

    Emmanuel Macron s’est rendu pour la deuxième fois en Algérie, du 25 au 27 août, en tant que président de la République française, afin de « renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux » et de « poursuivre le travail d’apaisement des mémoires ».

    Ne nous y trompons pas. L’enjeu principal de ce voyage fut de négocier l’approvisionnement en #gaz face à la menace de coupures des gazoducs russes. De ces négociations, nous ne saurons rien ou très peu. La question des mémoires, en revanche, a une nouvelle fois servi de vitrine pour simuler des avancements [?? ndc] vers une « réconciliation ». Mais en cinq ans, la colonisation sera passée, dans le verbe présidentiel, d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique » (2022).

    Les déclarations de 2017 positionnaient le candidat à la présidentielle en homme neuf, capable d’assumer le passé colonial, renvoyant de fait ses concurrents à leur propre incapacité. L’Algérie devenait la jambe gauche du président du « en même temps ». Depuis, la droitisation du paysage politique français a amené Emmanuel Macron à durcir sa ligne. Ainsi, en octobre 2021, il recyclait l’idée que la France aurait fait l’Algérie, déclarant : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. » En janvier 2022, il reconnaissait le massacre « impardonnable pour la République » des victimes de la rue d’Isly [à Alger, en 1962], soutiens de l’Organisation de l’armée secrète.

    Prédation, violence et asservissement

    Qu’elle ait été prononcée spontanément ou non, la réduction de la colonisation à une « histoire d’amour » parachève la droitisation d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle. Elle s’inscrit dans la continuité d’une idéologie coloniale qui n’a jamais cessé d’utiliser des euphémismes pour masquer les réalités sociales et politiques. Ces déclarations constituent de plus une rupture majeure avec celles des anciens présidents français en visite en Algérie. En 2007, Nicolas Sarkozy déclarait que « le système colonial était injuste par nature » et qu’il « ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation ». Le 19 décembre 2012, François Hollande reconnaissait devant les parlementaires algériens « les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien ».

    L’annonce de la création d’une nouvelle commission d’historiens, cette fois franco-algériens, est également problématique. Elle laisse entendre que le travail de recherche et de précision sur les faits n’aurait pas été effectué. Fort heureusement, les historiens et les historiennes des deux côtés de la Méditerranée n’ont pas attendu la parole présidentielle pour travailler. De Charles-Robert Ageron à Raphaëlle Branche, en passant bien sûr par Benjamin Stora ou Mohammed Harbi, trois générations d’historiens se sont succédé. En 2014, Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault publiaient Histoire de l’Algérie à la période coloniale, 1830-1962 (La Découverte), un ouvrage collectif regroupant autant de spécialistes français qu’algériens. Ce travail se poursuit dans les nouvelles générations.

    Il vous reste 51.02% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

    ce machin semble relever d’un choix fréquent du Monde, émettre un nuage de fumée destiné à démontrer le pluralisme et l’équilibre du journal. on publie une tribune nulle sur une question qui a suscité des avis précis qui sont largement partagés. une minute pour un juif qui s’appellerait Oncle Tom