• A Montreuil, rentrée sous tension autour du chantier de démolition de l’ancienne « usine toxique »


    Manifestation de parents d’élèves et de riverains devant l’école Jules-Ferry, à Montreuil, le 1er septembre 2022. STÉPHANE MANDARD / LE MONDE

    En ce jour de rentrée, un collectif de riverains et de parents d’élèves s’est rassemblé devant l’école pour alerter sur « les conditions catastrophiques » de la démolition de l’usine SNEM, achevée la veille.

    « Maman, on enseigne ça à l’école ? », s’enquiert un jeune garçon, cartable sur le dos, en découvrant la vidéo diffusée sur l’écran installé à l’entrée de l’école primaire Jules-Ferry, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). « Non, ils sont en train de dépolluer quelque chose », répond la mère venue accompagner son fils, jeudi 1er septembre, pour le premier jour de classe. Le « quelque chose », c’est l’ancienne usine chimique Société nouvelle d’eugénisation des métaux (SNEM), située à une cinquantaine de mètres de l’établissement scolaire. La vidéo montre des pelleteuses, des montagnes de gravats, des panaches de fumée noire, de la suie sur des voitures… En ce jour de rentrée, un collectif de riverains et de parents d’élèves diffuse le film et distribue des tracts devant l’école pour alerter sur « les conditions catastrophiques » de la démolition de l’usine, achevée la veille.

    Des années que la SNEM attise les tensions dans ce quartier pavillonnaire de Montreuil. Spécialisée dans le traitement des métaux pour l’aéronautique, l’« usine toxique », comme l’ont surnommée ses voisins, déclarait encore en 2015 produire plus de 37 tonnes de « déchets dangereux » par an. En outre, elle a employé des substances classées cancérogènes, tels le trichloroéthylène et le chrome VI, comme Le Monde l’avait révélé en 2017. L’usine est devenue indésirable cette année-là quand un cas de leucémie rare a été déclaré chez un élève de CM2, s’ajoutant à deux autres cas – dont un mortel – dans la même rue en quinze ans.

    Après une forte mobilisation, les riverains avaient obtenu la fermeture du site en 2018. Depuis, la ville de Montreuil a préempté le terrain avec l’objectif d’y construire, d’ici à 2026 trente-six logements sociaux et en accession sociale à la propriété « dans un quartier qui s’est beaucoup boboïsé », selon Florent Guéguen, le président de l’Office public de l’habitat montreuillois (OPHM).

    Le précédent de la Wipelec, en 2018

    Le chantier a démarré cet été avec la démolition de l’usine. Il inquiète les familles. Elles craignent de vivre un scénario à la Wipelec, nom de cette société également spécialisée dans le traitement de surfaces pour l’industrie aéronautique et dont la dépollution du site, après sa fermeture, avait généré, en 2018, de fortes émanations de solvants chlorés détectées dans une vingtaine de logements de la commune voisine de Romainville.

    Anne-Sylvie Delacroix a trois enfants scolarisés à Jules-Ferry : « On ne les a pas mis la dernière semaine de cours quand les travaux ont débuté, mais là, on n’allait pas leur faire rater en plus la rentrée. Maintenant, on culpabilise. La mairie assure que l’école a été nettoyée, mais on a du mal à les croire car elle affirmait aussi qu’il n’y avait pas eu de retombées de poussières alors qu’on l’a bien constaté par nous-mêmes. »

    Ce jeudi matin, Dominique Attia, adjointe au maire déléguée à l’éducation, à l’enfance et aux bâtiments, fait également la rentrée des classes à Jules-Ferry. Pour répondre aux « préoccupations légitimes » des parents, il précise : « Mes filles sont allées à Jules-Ferry quand la SNEM était encore en activité et elles n’ont jamais eu aucun problème de santé. » Deux jours avant la rentrée, la mairie a adressé un courrier aux parents pour tenter de les rassurer : « Aucune pollution liée aux interventions sur l’usine n’a pu être détectée », « la démolition de l’usine ne présente aucun risque pour les riverains et les écoles avoisinantes ». La missive est signée aussi par M. Guéguen.
    Conseiller municipal (communiste) de Montreuil, le président de l’OPHM est également venu à la rencontre des « gens en colère ». Des « menteurs ! » fusent lorsque l’élu explique, face caméra, à une journaliste, que la mairie a toujours fait preuve de « transparence » dans un dossier mal embarqué. Les riverains et parents d’élèves ont été prévenus le 28 juin que les travaux de démolition démarreraient… le lendemain.

    La délicate phase de dépollution

    Des capteurs de contrôle de la qualité de l’air ont bien été déployés, mais pas dans les logements au plus près du chantier. Celui installé sur le toit de l’école était en panne de batterie, il fonctionne seulement depuis deux jours. Un brumisateur géant était censé plaquer les poussières au sol, mais orienté vers le ciel, ils les propulsent vers les habitations. Au point que Nicolas Barrot et sa compagne, Christine, ont dû quitter leur domicile, situé juste en face : « C’était devenu invivable ! » Nicolas Barrot mène la fronde contre la SNEM depuis des années. Avec une cinquantaine d’habitants du quartier, il avait déposé, fin juillet, un recours devant le tribunal administratif de Montreuil pour demander l’annulation du permis de démolir et l’arrêt immédiat des travaux. En vain.

    « On nous reproche d’être allés trop vite, mais il y avait urgence à agir, l’usine était en voie d’effondrement. Il fallait se débarrasser de cette tumeur dans le quartier », se défend Florent Guéguen, qui assume avoir conduit les travaux à marche forcée pendant les vacances scolaires pour atténuer les nuisances. Pour l’élu, la phase la plus délicate débute maintenant, avec la dépollution : « On sait que les sols sont pollués, mais pas en quelle quantité. » Les premières mesures de qualité des sols doivent être réalisées fin septembre.

    De leurs résultats dépendront les techniques à mettre en œuvre. Et leurs coûts. Une première enveloppe de 850 000 euros, financée pour moitié par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), a été débloquée pour mener à bien la dépollution du site, une des nombreuses friches industrielles de cette commune de Seine-Sant-Denis. L’élu promet d’« informer » la population à chaque nouvelle étape pour « pacifier » la situation. Jeudi, juste après la rentrée des classes, des riverains toujours en colère ont déposé des gravats issus du chantier de l’usine à la porte du bureau du maire.

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/01/a-montreuil-rentree-sous-tension-autour-du-chantier-de-demolition-de-l-ancie

    #Montreuil #municipalité #pollution