« Le Monde » a bien censuré la tribune d’un chercheur sous la pression de l’Élysée
La colère de l’Elysée s’explique par le fait que les services de la présidence avait adressé, quelques heures après la déclaration d’Emmanuel Macron, une précision concernant cette dernière. Dans un message envoyé via une boucle WhatsApp aux journalistes présents lors du voyage de presse, il était indiqué : « Bonjour, je me permets d’attirer votre attention sur la citation ci-dessous du Président tout à l’heure lors du micro tendu, où il parlait bien de la relation actuelle avec l’Algérie, et non de la colonisation. » Une précision adressée à la presse dont Paul Max Morin dit ne pas avoir eu connaissance, tout en ajoutant que cela n’aurait pas modifié l’esprit de son analyse. « Le Monde aurait pu publier ces précisions et non pas retirer le texte en m’attribuant la responsabilité. L’Elysée joue avec les mots. Le problème n’est plus qui a compris quoi mais plutôt pourquoi tout le monde a compris la même chose. »
« Retirer un texte est une pratique anormale et incompréhensible », dénonce le chercheur, qui déplore aussi la teneur du message d’excuses publié par le quotidien du soir. « Ce texte suggère que mon interprétation était erronée et justifiait des excuses aux lecteurs et au président de la République. Cela porte atteinte à ma crédibilité de chercheur. Mon analyse résulte d’un long travail de recherche. J’ai publié une thèse sur les mémoires de la guerre d’Algérie, j’ai interrogé 3 000 jeunes, fait des centaines d’entretiens. J’analyse depuis des années les gestes et discours d’Emmanuel Macron et la politique mémorielle au sens large sur le sujet. Selon moi la droitisation d’Emmanuel Macron, constatée sur d’autres sujets par mes collègues, concerne aussi la question mémorielle algérienne qui était pourtant jusqu’ici la jambe gauche du président. Je porte un regard critique sur la création de cette commission d’historiens comme d’autres ont pu le faire sur le Cameroun. Enfin, les propos sur “l’histoire d’amour” avaient déjà fait l’objet de critiques d’autres personnes. Si des gens ne sont pas d’accord avec mon interprétation, s’il y a une ambiguïté, on peut faire un débat scientifique. Le Président peut également préciser ses propos. Il ne l’a pas fait. Il entretient cette ambiguïté. »
« Si on met de côté de la colonisation, de quoi parle-t-on ? De Boumédiène ? »
De fait, les propos d’Emmanuel Macron avaient suscité les réactions de plusieurs personnalités politiques de gauche, considérant également qu’ils se rapportaient à la colonisation. Dans un tweet, le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel notait ainsi : « Présenter la colonisation comme une “une histoire d’amour qui a sa part de tragique » est une aberration. La colonisation est un crime qui doit être reconnu comme tel. » Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, et la députée écoféministe Sandrine Rousseau avaient déploré, comme Paul Max Morin dans sa tribune, que le Président soit passé en 2017 d’une déclaration qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité » à cette déclaration la qualifiant « d’histoire d’amour ».
« Ce vendredi, affirme Paul Max Morin, le Monde m’a finalement proposé de republier ma tribune mais sans parler d’“histoire d’amour”. C’est donc qu’il y a là une impossibilité de débattre des propos du président. Si ce dernier ne se réfère pas explicitement à la colonisation, il qualifie bien l’histoire franco-algérienne d’histoire d’amour. Que reste-t-il de cette histoire, si on met de côté la colonisation ? De quoi parle-t-on ? De Boumédiène [militant indépendantiste, deuxième chef d’Etat de l’Algérie indépendante, ndlr] ? »
Sollicité par CheckNews, le rédacteur en chef adjoint des pages idées-débats au Monde, qui a relu et traité le texte du chercheur (selon Paul Max Morin) n’a pas répondu à nos demandes...