derrière le retard à reconnaître la transmission par l’air, le poids de l’histoire de la médecine – Libération

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  • What were the historical reasons for the resistance to recognizing #airborne transmission during the #COVID‐19 pandemic? - Jimenez - 2022 - Indoor Air - Wiley Online Library
    https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ina.13070

    The question of whether SARS-CoV-2 is mainly transmitted by droplets or aerosols has been highly controversial. We sought to explain this controversy through a historical analysis of transmission research in other diseases. For most of human history, the dominant paradigm was that many diseases were carried by the air, often over long distances and in a phantasmagorical way. This miasmatic paradigm was challenged in the mid to late 19th century with the rise of germ theory, and as diseases such as cholera, puerperal fever, and malaria were found to actually transmit in other ways. Motivated by his views on the importance of contact/droplet infection, and the resistance he encountered from the remaining influence of miasma theory, prominent public health official Charles Chapin in 1910 helped initiate a successful paradigm shift, deeming airborne transmission most unlikely. This new paradigm became dominant. However, the lack of understanding of aerosols led to systematic errors in the interpretation of research evidence on transmission pathways. For the next five decades, airborne transmission was considered of negligible or minor importance for all major respiratory diseases, until a demonstration of airborne transmission of tuberculosis (which had been mistakenly thought to be transmitted by droplets) in 1962. The contact/droplet paradigm remained dominant, and only a few diseases were widely accepted as airborne before COVID-19: those that were clearly transmitted to people not in the same room. The acceleration of interdisciplinary research inspired by the COVID-19 pandemic has shown that airborne transmission is a major mode of transmission for this disease, and is likely to be significant for many respiratory infectious diseases.

    #économie #Gouvernement #militants_de_l'économie

    • Covid-19 : derrière le retard à reconnaître la transmission par l’air, le poids de l’histoire de la médecine
      https://www.liberation.fr/societe/sante/covid-19-derriere-le-retard-a-reconnaitre-la-transmission-par-lair-le-poids-de-lhistoire-de-la-medecine-20220903_FEWQARSVDVFJLJWLJO3BYGSKNM/?redirected=1

      Le 28 mars 2020, L’#OMS tweete « fait : le Covid-19 n’est pas aéroporté », propageant ainsi elle-même une grave #désinformation en matière de santé.

      En réaction à cette fausse affirmation, une petite équipe se forme autour de Lidia Morawska, spécialiste des aérosols à la Queensland University of Technology, et décroche un entretien – en vidéoconférence – avec les responsables de l’OMS. Aux côtés de l’universitaire sont notamment présents une physicienne américaine, Linsey Marr, ou encore l’ingénieur chimiste espagnol José Jimenez. « Nous n’étions ni médecins, ni très connus, nous n’avons pas été entendus », confie ce dernier à Libération.

      Le ton monte même pendant la réunion racontée par le magazine américain Wired. « Ils nous criaient “quelles sont vos preuves ?” J’ai été surpris par leur hostilité. Ils semblaient tellement convaincus de ce qu’ils disaient », se souvient José Jimenez.

      « Ils ne maîtrisaient pas les bases physiques »

      La doxa officielle qui leur est opposée pose que toute gouttelette d’une taille supérieure à cinq micromètres va tomber au sol dans un rayon d’un à deux mètres de distance. Elle ne reste pas en suspension dans l’air. Ces gouttelettes seraient la principale source d’infection. Dès lors, les consignes pour limiter la transmission du Covid seront de s’espacer physiquement, et de se laver les mains fréquemment. Rien sur l’importance de la #ventilation, donc, essentielle pour lutter contre l’#aérosolisation, c’est-à-dire le maintien en suspension de l’air de particules infectieuses.

      « Leurs arguments me semblaient vraiment légers. Ils ne maîtrisaient pas les bases physiques de ce dont ils parlaient. Si ce qu’ils disent était vrai, nous verrions tous les jours les nuages tomber rapidement au sol. Or, ce n’est pas le cas », raconte, encore aujourd’hui médusé, José Jimenez.

      Dès lors, la petite équipe va essayer de comprendre d’où vient cette taille limite de 5 microns qui leur a été opposée, et comment expliquer cette réticence à admettre un nouveau mode de transmission des maladies. Une véritable plongée historique dans la compréhension des épidémies. C’est le sujet de leur dernier article « Quelles étaient les raisons historiques de la résistance à reconnaître la transmission aérienne pendant la pandémie de Covid-19 ? »

      L’aérosolisation, de dogme à superstition

      De l’Antiquité au XIXe siècle, les maladies sont réputées se transmettre par l’air. C’est la théorie des miasmes, qui amènera les scientifiques à nommer le paludisme « malaria » une contraction de l’Italien pour « mauvais air ». Au XIXe siècle, plusieurs médecins mettent à mal ce dogme. Il s’agit de John Snow, qui démontre que l’épidémie de choléra à Londres en 1854 se transmet par l’eau contaminée. Ou encore de Ignaz Semmelweis, qui remarque, à Vienne en 1847, que les femmes ont moins de risques de mourir en couches si l’équipe soignante se lave les mains avant de les accoucher. Tous deux ont en commun de ne pas avoir été écoutés. « Comme nous, ils étaient des outsiders. Ils n’avaient pas beaucoup de #pouvoir », explique José Jimenez.

      Ils se heurtent aussi à des élites qui ont du mal à remettre en cause leurs pratiques et à reconnaître leurs torts. « Admettre que Semmelweis avait raison, c’était, pour les médecins, reconnaître qu’ils causaient du tort à leurs patientes. De même, reconnaître publiquement l’importance des aérosols, c’était, pour l’OMS, admettre son erreur initiale. On ne saura jamais quel contrôle sur l’épidémie on aurait pu avoir si on avait tout de suite considéré le bon mode de transmission, mais je suis persuadé que nous aurions moins de morts », peste encore José Jimenez.

      L’ingénieur William F. Wells a démontré, chez le lapin, que la tuberculose ne se transmettait que si la bactérie était contenue dans des particules de moins de… 5 microns.

      Il faudra encore Pasteur et l’avènement de la théorie microbienne pour que l’idée d’une transmission des maladies par contacts directs avec un malade – ou un animal comme le moustique dans le cas de la malaria – s’impose. En 1910, un épidémiologiste américain, Charles V. Chapin, ira jusqu’à dire que la transmission par aérosol est impossible et relève de la superstition.

      Littérature scientifique mal digérée

      Une position excessive qui ne va pas aider William F. Wells, un ingénieur d’Harvard, à faire connaître ses travaux sur la tuberculose au milieu du XXe siècle. L’histoire a été reconstituée par Katie Randall, membre de la petite équipe de chercheurs, et racontée dans un article d’octobre 2021. Wells a démontré la transmission aéroportée de la maladie en exposant des cochons d’inde à l’air prélevé dans la chambre d’un patient. Il a également démontré, chez le lapin cette fois, que la tuberculose ne se transmettait que si la bactérie était contenue dans des particules de moins de… 5 microns. Tiens, tiens.

      Après guerre, Alexander Langmuir, le premier directeur du département d’épidémiologie au Centre de contrôle des maladies américain, a contribué à populariser ces travaux. Il a aussi écrit un rapport sur le risque de création d’une arme biologique. Selon lui, le plus dangereux serait la création d’un pathogène pouvant être pulvérisé en aérosol de moins de 5 microns, là encore.

      Selon Katie Randall, il ne faut pas chercher plus loin. La fameuse limite entre les aérosols et les gouttelettes viendrait de cette littérature scientifique mal digérée. « Ce que nous espérons démontrer dans cet essai, c’est que bien que les idées sur la taille des gouttelettes et la plage de propagation soient apparemment bien acceptées, leur fondement est confus et trompeur, et n’est pas cohérent avec la physique », écrit-elle en conclusion de son article. Ironie de l’histoire, Wells lui-même avait un émis une taille limite pour l’aérosolisation. Il l’avait fixée à moins de 100 microns… soit 20 fois plus que les 5 micromètres finalement avancés par l’OMS. Il faut croire que cette partie de ces travaux n’a été ni lue, ni retenue.

      Mea culpa partiel

      L’OMS a fini par recommander l’#aération pour lutter contre le Covid-19. Mais les plus ardents défenseurs des « gouttelettes » conservent un schéma de pensée faussé. #Didier_Pittet, par exemple. Il est l’inventeur du gel hydroalcoolique et il a joué un rôle central dans l’approche française face au Covid-19 puisqu’il était président de la mission d’évaluation indépendante de l’exécutif sur la gestion de la pandémie. Interrogé en mai 2021 sur France Inter pour savoir s’il avait changé d’avis sur l’aérosolisation, il fait une réponse confuse : « Personne n’a vraiment changé d’avis en fait. On s’est mis d’accord davantage sur qu’est-ce qu’on appelle un aérosol, […] jusqu’où une gouttelette peut-elle être contagieuse, je pense qu’il n’y a pas eu changement de dogme, parce que si on avait eu un changement de dogme on aurait dû tout d’abord tous changer de #masque parce que les masques qu’on porte aujourd’hui ne sont absolument pas capables de retenir les aérosols. »

      La fin de sa réponse est importante et illustre une dernière raison derrière la réticence à parler d’aérosolisation. Il est beaucoup plus compliqué, et cher, de lutter contre une maladie qui se transmet par l’air que contre une maladie qui se transmet par contact. D’ailleurs la France n’a pas encore mis en place la moindre mesure d’ampleur sur le sujet.

      Mise à jour 4/09 à 9h43 : inversion de « par l’air » et « par contact » dans le dernier paragraphe.