Le nouveau « filon » pour muter des profs gênants sans s’encombrer ...

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  • Le nouveau « filon » pour muter des profs gênants sans s’encombrer d’une sanction
    https://www.mediapart.fr/journal/france/210922/le-nouveau-filon-pour-muter-des-profs-genants-sans-s-encombrer-d-une-sanct

    En droit public, une procédure disciplinaire exige un cadre d’examen paritaire, avec des délais de convocation, la réunion d’une commission paritaire académique, réunissant administration et représentants syndicaux. Cette commission instruit un dossier, avec des délais de convocation, la possibilité pour les agent·es accusé·es de se défendre et d’être accompagné·es d’un syndicat ou d’un avocat, commission qui aboutit à un vote, dans lequel l’administration garde une voix prépondérante. « C’est très imparfait, mais on est dans une sorte d’État de droit », argue Jules Siran.

    Depuis la loi de transformation de la fonction publique (votée en 2018, appliquée depuis 2019), qui a réduit comme peau de chagrin le pouvoir et le périmètre de ces commissions paritaires, la mutation dans l’intérêt du service n’est plus soumise à une commission préalable. Le risque est alors grand d’une sorte de « fait du prince ».

    « La procédure de mutation dans l’intérêt du service, c’est un bon filon, un nouveau totem pour l’administration », critique Grégory Thuizat, secrétaire du syndicat SNES-FSU en Seine-saint-Denis. Une véritable « zone grise », qui n’est « malheureusement pas bien contrôlée par le juge », ce qui peut donner l’impression que « le processus est hors de contrôle », ajoute l’avocat Benoît Arvis. « Ce n’est cependant pas totalement en dehors du droit, car souvent précédé d’une enquête interne. Mais ces enquêtes dans l’#Éducation nationale sont une catastrophe, elles sont menées par des membres académiques qui n’ont pas de vraie indépendance, ce n’est pas sérieux. »

    « L’administration marche sur une ligne de crête dans ce genre d’affaires : la mutation dans l’intérêt du service lui permet de se protéger, car les recours portés devant le tribunal sont irrecevables à moins de prouver une discrimination puisqu’il n’y a pas officiellement sanction, confirme Bérenger Jacquinet, l’avocat des six enseignant·es de l’école Pasteur, muté·es contre leur gré. Mais les conditions permettant de qualifier une telle mesure sont quand même assez strictes, on ne peut pas qualifier d’“intérêt du service” tout et n’importe quoi, au bon vouloir du recteur ou de la rectrice. Nous considérons en l’espèce que la mutation est abusive. »

    [...] Toutes ces procédures ont été contestées, d’abord en référé (procédure rapide pouvant suspendre une décision de l’administration, en attendant un jugement sur le fond), le plus souvent perdues, mais également sur le fond du dossier, et sont en attente d’audience et de jugement pour la plupart. « Les rectorats jouent sur le temps long, la disproportion financière et un terrain juridique qui ne nous est pas favorable, fustige Aladin Lévêque, l’un des enseignants visés à Melle. Nous nous battons contre des dossiers complètement à charge, anonymisés, avec des pièces falsifiées, sans aucune vraisemblance. »

    Rassemblé·es dans le collectif « Sois prof et tais-toi », ces enseignant·es sont soutenu·es par une intersyndicale très large qui n’hésite plus à parler de « #répression_syndicale », qui viserait les organisations syndicales les plus contestataires, sans exclusive, allant de Sud Éducation à la CGT, en passant par FO ou le SNES-FSU. Des organisations prônant et pratiquant, pour certaines, une lutte de plus en plus dure ces dernières années dans les établissements, y compris par la grève, arguant du caractère totalement verrouillé du dialogue social ordinaire.

    La conséquence à la fois d’une politique de « concertation » tous azimuts qui masque mal une relation devenue totalement délétère entre un ancien ministre, Jean-Michel Blanquer, et toutes les organisations syndicales, mais également d’une volonté plus profonde de rapprocher la fonction publique du fonctionnement managérial en entreprise.

    « Avec le cas de #Kai_Terada, qui intervient au début de ce nouveau quinquennat, nous sommes à la croisée des chemins, assure Grégory Thuizat. Est-ce que le signal que va envoyer l’institution c’est la rupture ou la continuité du mandat Blanquer ? C’est tout l’enjeu du rassemblement de mercredi. » Même son de cloche chez Aladin Lévêque, depuis les Deux-Sèvres. « Ils ont tout essayé ces dernières années, en passer par la voie pénale à Clermont-Ferrand, la suspension puis la procédure disciplinaire, le blâme sans sanction disciplinaire, et ce nouveau cocktail de l’arbitraire, suspension sans motivation et mutation dans l’intérêt du service. Il n’y a que Pap Ndiaye pour arrêter ça. »

    Jules Siran peine à y croire, son syndicat prépare d’ailleurs une saisine de la Défenseure des droits pour « présomption de discrimination syndicale » vis-à-vis de #Sud_Éducation, notoirement et depuis longtemps dans le viseur. « Au moment de la nomination du nouveau ministre, nous avons noté la volonté d’afficher un symbole progressiste. Pap Ndiaye, c’est quand même un historien qu’on cite dans les bibliographies de nos formations syndicales ! Mais les cas de répression se poursuivent et se ressemblent. »