« La précarité durable. Vivre en emploi discontinu »

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  • Quand la "valeur travail" ne fait plus consensus, on invente la "liberté d’entreprendre".

    Bonnes feuilles : « La précarité durable. Vivre en emploi discontinu »
    https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-precarite-durable-vivre-en-emploi-discontinu-191

    Le précariat : un fait social

    Ce que l’on appelle parfois le « précariat », qui se caractérise par l’alternance de périodes d’emploi et de périodes de chômage, est ainsi devenu un fait social dont les contraintes s’exercent sur les précaires en premier lieu, mais aussi sur les stables. La banalisation des licenciements en est un indicateur parmi d’autres. Celle-ci est accrue dans l’économie globalisée d’aujourd’hui, où les possibilités de résistance aux licenciements sont réduites par la délocalisation des entreprises « mères ». Les politiques de flexibilité jouent également sur les rémunérations (à la productivité, aux rendements, au mérite…) comme le montre Sophie Bernard dans son ouvrage Le nouvel esprit du salariat (PUF, 2020). L’incertitude sur le marché de l’emploi vaut donc aussi pour une bonne partie des stables, sachant que bien souvent une « armée de réserve » est prête à occuper leur poste s’ils ne sont pas satisfaits.

    La précarité et les souffrances que renferme le salariat sont d’ailleurs un argument supplémentaire pour les promoteurs de « l’esprit d’entreprendre », devenu un leitmotiv de la vie économique et de l’action publique. De l’autoentrepreneuriat à la start-up, le travail indépendant ou semi-indépendant est valorisé par opposition à un salariat qui serait sclérosant, dans une société « liquide » qui demanderait au contraire de savoir innover, créer et s’adapter au changement.

    Ce phénomène se déploie d’autant plus avec les plates-formes numériques. « En attendant mieux », des livreurs à vélo se disent satisfaits d’un travail qui ne les cantonne pas à un collectif et à un emploi salarié classique.

    Un ensemble de facteurs converge ainsi pour que le précariat continue de prospérer par cette voie ambivalente sinon ambiguë : offrir la perspective ou l’illusion d’une plus grande « liberté » sans sécuriser l’avenir.

    #précariat #travail

    • les régularités statistiques et sociales de ces deux populations d’enquête – invitent à considérer avec la plus grande prudence les récits sur la « pénurie de main-d’œuvre » ou « la grande démission » ; des récits qui ont beaucoup concerné « la jeunesse », catégorie englobante et manipulable à souhait.

      La focalisation sur le présent tend effectivement à faire oublier que le thème du refus du travail est une histoire « vieille comme le capitalisme », pour reprendre le titre d’un article d’Alain Cottereau (« Les jeunes contre le boulot, une histoire vieille comme le capitalisme industriel », Autrement, 21) en 1979. Rappelons que le salariat est toujours largement dominant dans la population active (environ 90 %) et que le CDI reste la forme d’emploi majoritaire (85,3 % en termes de « stocks » selon l’Insee) et considérée comme normale par le droit du travail.

      Et à rebours de l’idée d’un déclin auprès des nouvelles générations, les enquêtes statistiques rappellent que « les faits sont têtus » et que « partout en Europe, les jeunes accordent une importance forte au travail ». S’il y a bien un phénomène durable, aux causes structurelles et qui touche aux supports d’intégration et de cohésion sociale de nos sociétés, c’est le précariat.

      extrait de La précarité durable. Vivre en emploi discontinu, Nicolas Roux.

      chiche en bonnes feuilles, pas économes en salades

      #sociolâtrie #refus_du_travail #emploi #emploi_discontinu #saisonniers #intermittents

    • toujours bizarre de voir le terme précariat, inventé dans les mouvements de précaires des années 90 pour désigner un sujet politique conflictuel potentiel dont ces mouvements et divers comportements sociaux étaient des expressions affirmatives réinvesti par divers phraseurs des carrières intellectuelles pour désigner un état de fait. c’était scandaleux (comment ?! ces pauvres précaires auraient une capacité politique alors qu’ils ne travaillent pas normalement ? on peut pas juste les plaindre et défendre/espérer le retour au plein emploi ?) et ça a été renversé par nos braves fossoyeurs en de nouvelles manières de dire la domination. encore un joli coup des professionnels de la profession.

    • Ah ! Et bien, du coup, je viens de trouver ce qui me semble résumer cette discussion :-)

      "On prendra peut-être pour un paradoxe l’affirmation qui consiste à dire que ce qui caractérise l’opportunisme, c’est qu’il ne sait pas attendre. Et c’est pourtant cela. Dans les périodes où les forces sociales alliées et adversaires, par leur antagonisme comme par leurs interactions, amènent en politique un calme plat ; quand le travail moléculaire du développement économique, renforçant encore les contradictions, au lieu de rompre l’équilibre politique, semble plutôt s’affermir provisoirement et lui assurer une sorte de pérennité l’opportunisme, dévoré d’impatience, cherche autour de lui de « nouvelles » voies, de « nouveaux » moyens d’action. Il s’épuise en plaintes sur l’insuffisance et l’incertitude de ses propres forces et il recherche des « alliés ». Il se jette avidement sur le fumier du libéralisme." (Leon Trotsky - 1909)

      (Source : https://twitter.com/MarinArtelt/status/1574459087273721857)