La plus grande analyse du patrimoine génétique anglais

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    De l’Angleterre post-romaine, on ne sait pas grand-chose – à tel point que l’on a dénommé « âges obscurs » (dark ages) une partie de la période courant depuis le départ des Romains, au début du 5e siècle, jusqu’à la conquête normande au 11e siècle. Pourtant, dès le 8e siècle, les récits de Bède le Vénérable ont évoqué des invasions « anglo-saxonnes » ayant eu un impact notable sur la population insulaire. Mais les historiens et les archéologues du 20e siècle ont préféré privilégier la théorie d’une population britannique préservant son homogénéité, au point de n’envisager l’arrivée de continentaux que comme une invasion occasionnelle perpétrée par une petite élite guerrière – même si cette hypothèse est loin de suffire à expliquer les nombreux changements qui se sont produits dans la langue et la culture anglaises au cours de cette période.

    Pour vérifier l’ampleur de l’influence anglo-saxonne, une équipe interdisciplinaire de plus de 70 chercheurs, placée sous l’égide de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive de Leipzig (Allemagne) et de l’université du Lancashire central (Grande-Bretagne), a donc décidé de faire parler les gènes ! En menant à bien une impressionnante étude combinant la génétique et l’archéologie, ils confirment qu’une importante migration s’est produite au début du Moyen Âge depuis le nord du continent européen vers le sud et l’est de l’Angleterre. Publiée dans la revue Nature, c’est à ce jour la plus vaste analyse du patrimoine génétique anglais pour la période dite anglo-saxonne.
    Les migrations anglo-saxonnes ont durablement modifié le patrimoine génétique de la population anglaise

    Dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais, Bède le Vénérable (vers 672-673 – 735) évoque le premier les invasions en provenance du continent. Selon son récit, la retraite romaine en 410 de notre ère aurait en effet laissé la place libre aux Angles, aux Saxons et aux tribus Jutes alors installées dans ce qui est aujourd’hui l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark, et qui n’ont eu qu’à traverser la mer du Nord pour rejoindre les côtes britanniques. De quoi donner du grain à moudre aux archéologues, aux historiens et aux linguistes, qui ont cependant eu tendance tout au long du 20e siècle à minimiser l’impact de ces migrations.

    Pourtant, des indices significatifs d’une influence « étrangère » sont bien présents en Angleterre, car la période suivant la domination romaine se caractérise par d’importants « changements dans la langue, les modes de peuplement et la culture matérielle », expliquent les chercheurs. Du point de vue linguistique, les langues celtiques et le latin ont en effet été peu à peu remplacés par le vieil anglais, qui est une langue d’origine germanique, comme l’allemand et le néerlandais. Du point de vue architectural, les archéologues ont observé l’apparition en Angleterre de constructions souterraines (Grubenhäuser) ou de grands cimetières de crémation, qui sont également caractéristiques des zones continentales bordant la mer du Nord. Des objets retrouvés en guise de mobilier funéraire (agrafes, broches) ou crématoire (urnes) trahissent également des origines « étrangères », scandinaves notamment, venant se juxtaposer à une culture matérielle proprement insulaire.
    Une analyse génétique de grande ampleur

    Mais ces preuves n’ont pas été jugées suffisantes pour valider la thèse de véritables migrations ; c’est pourquoi de nombreux archéologues du 20e siècle ont privilégié l’hypothèse d’une invasion perpétrée par de petits groupes de guerriers qui auraient réussi à imposer par la force une forme d’acculturation de la population locale – l’adoption de la langue germanique en particulier. Or les quelques analyses génétiques qui étaient jusqu’alors disponibles ne corroborent pas cette thèse, car non seulement les individus identifiés comme étant des migrants étaient enterrés aux côtés d’autochtones, mais ils étaient même moins riches qu’eux !

    Pour en avoir le cœur net, une analyse de grande ampleur s’imposait donc. En guise de référence, les chercheurs ont utilisé les données génétiques de plus de 4.000 Européens anciens et 10.000 Européens actuels. Ils ont pour leur part échantillonné les restes de 460 individus anciens – dont 278 provenant d’Angleterre et 182 issus d’Irlande et du continent (Pays-Bas, Allemagne et Danemark). Ils ont ainsi réussi à identifier dans l’ADN ancien de subtiles différences communes aux groupes autrefois installés sur les côtes de la mer du Nord, ce qui leur a permis de déterminer si les individus sélectionnés avaient une ascendance continentale ou seulement insulaire.
    Le métissage était généralisé dans l’est de l’Angleterre

    Les résultats des analyses génétiques sont sans appel, puisqu’ils ont révélé que près de 75% de la population habitant l’est et le sud de l’Angleterre pendant le haut Moyen Âge (400 – 1000 de notre ère) avait des ancêtres originaires des régions continentales bordant la mer du Nord, correspondant à la Frise (Pays-Bas), à la Basse-Saxe et au Schleswig-Holstein (Allemagne) et à la péninsule du Jutland (Danemark). Qui plus est, ces ancêtres n’avaient pas vécu en vase clos, mais s’étaient largement métissés avec la population insulaire, même si cette forme d’intégration a pu revêtir des formes variables selon les régions et les types de communautés.

    En guise de comparaison, l’ascendance continentale était pratiquement inexistante avant le Moyen Âge – de l’ordre de 1% pendant l’âge du bronze (2500 – 800 avant notre ère) et jusqu’à l’âge du fer (800 avant notre ère – 400 de notre ère). Elle a pu néanmoins augmenter pendant la période romaine, en particulier dans les cités-colonies, comme York (Eboracum), qui ont probablement hébergé une population plus cosmopolite que la population locale.


    Régions sources des migrations anglo-saxonnes vers la Grande-Bretagne au début du Moyen Âge Crédit : Stephan Schiffels et al. / Nature

    La majeure partie des immigrants dans l’Angleterre du début du Moyen Âge étaient originaires des régions continentales bordant la mer du Nord, correspondant à la Frise (Pays-Bas), à la Basse-Saxe et au Schleswig-Holstein (Allemagne), et à la péninsule du Jutland (Danemark). © Stephan Schiffels et al. / Nature
    Une migration à grande échelle sur plusieurs générations

    Les chercheurs parlent donc de « migration à grande échelle », même si elle est géographiquement localisée, car l’ascendance continentale est largement majoritaire dans le centre et l’est de l’île (en particulier dans le Sussex, les Midlands de l’Est et l’Est-Anglie). Elle se raréfie cependant en descendant vers le sud et surtout dans le sud-ouest, et n’apparaît pas du tout en Irlande. L’étude montre également que les vagues migratoires se sont succédées sur une longue période, car il est possible d’observer des variantes dans le degré de métissage de la population.

    Dans le cimetière d’Hatherdene Close, situé dans le Cambridgeshire, reposent aussi bien des personnes d’ascendance 100% continentale, que des individus qui sont presque entièrement, voire complètement d’origine insulaire. Comme l’expliquent les chercheurs, cette hétérogénéité est bien le signe d’"une interaction continue entre la population romano-britannique issue de l’âge du fer et les migrants du continent".

    Ascendance continentale et autochtone en Grande-Bretagne à l\’âge du bronze, à l\’âge du fer et pendant le haut Moyen Âge Crédit : Stephan Schiffels et al. / Nature


    Estimations moyennes de l’ascendance continentale (en rouge) et autochtone (en bleu) des sites britannico-irlandais de l’âge du bronze, de l’âge du fer et du haut Moyen Âge. © Stephan Schiffels et al. / Nature
    Les rites funéraires peuvent aussi témoigner de l’ascendance continentale

    Outre le bagage génétique, les rites funéraires fournissent une autre forme de témoignage de l’ascendance autochtone ou continentale. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence que les femmes ayant une ascendance continentale étaient le plus souvent enterrées avec des objets (des broches ou des perles), à la différence des femmes issues de la population locale. Cette distinction ne s’applique cependant pas aux hommes, qui sont généralement inhumés avec leurs armes, quelle que soit leur origine. L’emplacement et l’orientation des sépultures au sein des cimetières sont également révélateurs du degré d’intégration des nouveaux arrivants, qui varie considérablement selon les sites. Dans certains cas, la séparation entre les personnes dont les ancêtres sont uniquement autochtones et celles issues d’immigrants peut être stricte.