• Faut-il sauver les #dividendes ? (non) | Mediapart
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    C’est finalement de bonne guerre. Dans la lutte économique et sociale qui se développe désormais sur fond de hausse des prix, les classes détentrices du pouvoir économique déploient des trésors d’ingéniosité pour prouver que l’ordre social existant est bon et juste. Un des points centraux de ce combat concerne les dividendes, qui cristallisent souvent les critiques. Alors que les raffineurs des majors pétrolières étaient en grève, des litres d’encre ont été utilisés pour prouver que le problème ne tenait pas aux dividendes versés par ces mêmes entreprises.

    Parfois, ces défenses prennent des tours assez pathétiques. Comme cette chronique de l’humoriste et actionnaire de Total Gaspard Proust dans Le Journal du dimanche du 16 octobre qui, voulant faire pleurnicher le lectorat sur le « pouvoir d’achat des actionnaires de Total », rongé par l’avidité des salariés, tente de prouver la supériorité du dividende sur le salaire et qualifie celui-ci, avec une poésie toute masculiniste, de « dividende des sans-couilles ». Car, pour ce poète dominical, l’actionnaire prend des risques considérables, tandis que le salarié se contente passivement d’attendre que tombe chaque mois la certitude de son salaire.

    « Le dividende, chante avec lyrisme notre vengeur du Capital, est le salaire de celui qui a osé prendre le risque d’éventuellement tout perdre en investissant dans une boîte. » Mais l’Homère de l’actionnariat devra revoir quelques évidences. D’abord parce que « prendre le risque de tout perdre » en achetant des actions Total, un géant du pétrole, dans le premier quart du XXIe siècle, est assez risible.

    #actionnaires
    Depuis un certain 15 septembre 2008, les autorités publiques de l’ensemble des pays avancés garantissent la pérennité de ces entreprises géantes. Sans compter que, depuis trente ans, grâce à un habile chantage à l’emploi, ces mêmes entreprises bénéficient de ristournes fiscales, d’aides publiques diverses et d’#optimisations_fiscales. Tout cela va directement dans la poche des actionnaires et non des #salariés_et_salariées.

    Au reste, notre malheureux chroniqueur oublie trois points pourtant évidents, tant son amour de l’actionnaire l’aveugle. D’abord, si l’actionnaire perd « tout », le salarié perd aussi tout, notamment son seul moyen de subsistance, ce qui est autrement gênant que de perdre son épargne.

    Deuxième point : il arrive, à vrai dire souvent, depuis trois décennies, que, pour assurer la « valeur actionnariale » de l’entreprise, autrement dit pour satisfaire nos héros avides de risques que sont les actionnaires, on sacrifie par tonneaux entiers des salariés. Ce Proust des temps modernes a oublié de jeter un œil à l’état du salariat depuis trente ans (mais il est vrai que cela ne semble pas l’intéresser) : alors que les cours de la Bourse s’envolaient pour le plaisir des actionnaires, la précarité et le chômage de masse s’installaient. Car il faut bien trouver quelque part les moyens de « récompenser le risque ».

    Car, enfin, et c’est le troisième point, d’où nos valeureux Achille de la #Bourse tirent-ils leurs « récompenses » ? Ils se sont contentés d’acheter des actions, acte sans doute digne d’une épopée, mais qui n’explique guère la source de la #valeur qu’ils captent. Et s’il s’agissait du travail des salariés ? Eh oui, l’actionnaire touche bien un dividende et non un #salaire, pour une raison simple : il ne travaille pas dans cette entreprise et ce n’est pas lui qui participe à la transformation de son argent, matière morte sans le #travail qui lui permet de toucher sa « récompense ». Mettre ces deux éléments à égalité est une aberration.