Cette page n’existe pas. | Mediapart

/culture-et-idees

  • https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/le-systeme-mediatique-a-construit-le-paradigme-de-larabe-entendable

    Deux écrivains au cœur de l’actualité, deux figures littéraires et médiatiques en France, qui depuis plusieurs années, épousent les obsessions de l’extrême droite française sur l’islam et l’immigration. Que disent ces prises de position de l’évolution de ces deux écrivains ? Quelle en est la réception médiatique, en France et en Algérie ? Pourquoi l’évocation de leur parcours politique est-elle si compliquée dans les médias français ? Dans quelle histoire de la littérature algérienne s’inscrivent-ils ? Qu’est-ce que ces deux affaires disent des rapports entre la France et l’Algérie aujourd’hui, 62 ans après son indépendance ?

    Un autre extrait de la vidéo de présentation sur la page de ASI qui montre bien l’#abjection des stratégies pour « mener les guerres culturelles à la française ». Et dire qu’il y en a encore pour s’étonner que la France est persona non grata sur le continent africain.
    https://video.twimg.com/ext_tw_video/1862958306077122560/pu/vid/avc1/1280x720/0bLk3Jrp4p22lebS.mp4?tag=12

    • communiqués
      Déclaration de Nedjib SIDI MOUSSA
      Auteur de l’article | Date de l’article | 01/12/2024
      https://sinedjib.com/index.php/2024/12/01/declaration-2/#more-25193

      Depuis le dimanche 24 novembre, je fais l’objet d’une campagne de haine orchestrée par l’extrême droite française et ses alliés. Cette opération d’une violence inouïe a été initiée sur les réseaux sociaux puis relayée par l’ensemble des médias conservateurs (télévision, radio, presse…).

      La virulence de l’attaque m’a contraint de suspendre mes comptes et de restreindre les moyens de me contacter, notamment sur mon site personnel. En effet, cette vague de cyberharcèlement s’est accompagnée d’un déferlement d’injures et de menaces quant à mon intégrité physique.

      L’ampleur de ce lynchage illustre de façon dramatique les temps obscurs que nous traversons. Ce nouvel épisode des « guerres culturelles » à la française constitue un test pour les libertés démocratiques ainsi que pour notre capacité à faire société dans un contexte de crises multiples.
      __________ //. _______________

      L’extrême droite française et ses alliés m’ont odieusement calomnié en raison de mon faciès, de mon patronyme, du pays de naissance de mes parents, de la religion de mes ancêtres, de mon parcours universitaire, de mon statut social, de mes convictions politiques, etc.

      Décidément, rien ne m’aura été épargné.

      Mais ne nous y trompons pas. Il ne s’agit pas seulement de ma personne.

      Des pans entiers de la population sont dans le viseur d’une meute hostile à tout ce qui touche à la question algérienne, à la culture musulmane, à l’histoire coloniale, au pluralisme intellectuel, aux valeurs humanistes et aux idéaux révolutionnaires.

      Dans ces circonstances, il n’est pas possible de reculer ou de céder à la peur. Tous les moyens légaux doivent être employés pour contrer cette offensive réactionnaire. L’heure est grave. Chacun doit prendre ses responsabilités. (...)

    • « Kamel Daoud et Boualem Sansal sont promus de manière stratégique pour mener les guerres culturelles à la française »
      Yunnes Abzouz | 27 novembre 2024
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/271124/kamel-daoud-et-boualem-sansal-sont-promus-de-maniere-strategique-pour-mene

      Dans un entretien à Mediapart, le politiste Nedjib Sidi Moussa décrypte les raisons de la solidarité française à géométrie variable envers les détenus d’opinion algériens et pointe la tendance lourde du milieu littéraire français à promouvoir les auteurs du Maghreb seulement lorsque ceux-ci réhabilitent le colonialisme français.
      (...)
      Pourtant, ceux à droite et à l’extrême droite qui montent au créneau pour réclamer la libération de Sansal et dénoncer une atteinte à la liberté de pensée, se soucient moins du sort des prisonniers du Hirak algérien, le mouvement de protestation populaire créé en 2019 contre le manque de liberté politique en Algérie.

      Pour avoir rappelé dimanche sur France 5 les liens de Boualem Sansal avec la presse d’extrême droite et exprimé son malaise face à ceux qui l’érigent en héraut des droits humains, le politiste Nedjib Sidi Moussa fait depuis l’objet d’une virulente campagne de dénigrement raciste organisé par la fachosphère et alimentée par la chercheuse affiliée au CNRS Florence Bergeaud-Blackler et le caricaturiste Xavier Gorce.

      Dans un entretien accordé à Mediapart, il décrypte les raisons de la solidarité à géométrie variable pour les détenus d’opinion algériens et dénonce une utilisation tactique d’écrivains algériens par l’extrême droite française pour porter ses combats réactionnaires.

      Mediapart : Boualem Sansal est depuis longtemps un auteur critique du régime algérien. Il n’avait pourtant jamais été inquiété jusqu’alors. Quelle ligne rouge a-t-il franchie aux yeux du pouvoir algérien ?

      Nedjib Sidi Moussa : Avant toute chose, je tiens à répéter que je suis contre toutes les prisons, et contre toutes les dictatures. Expliquer la récupération dont fait l’objet l’arrestation d’un écrivain, ce n’est pas justifier ou donner des arguments à la répression. Que les choses soient claires pour tout le monde.

      Boualem Sansal émerge à la fin de la guerre civile algérienne avec un roman qui va connaître un succès important, Le Serment des barbares, édité en français par Gallimard en 1999. Livre qui sera traduit en arabe par l’universitaire algérien Mohamed Sari. Dès cette époque, Sansal accrédite une théorie qui relève de la falsification historique, à savoir « le retour en scène des seigneurs de la guerre ou de leurs successeurs ».

      Ce faisant, il cherche à établir un lien de continuité entre la « première guerre d’Algérie » et la « seconde », plus précisément entre les maquisards messalistes – Messali Hadj est le père du nationalisme algérien – pendant la lutte de libération nationale et les insurgés islamistes durant la « décennie noire » [la guerre civile qui a eu lieu de 1992 à 2002 – ndlr].

      L’opposition de Boualem Sansal au régime algérien […], c’est celle d’une certaine élite francophone, […] qui regarde de haut le « petit peuple » arabophone et la diaspora.

      C’est une thèse simpliste qui épouse sur ce point la vulgate nationaliste pro-FLN (le parti au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie), dans la mesure où elle participe de la stigmatisation des messalistes et de leurs enfants, accusés d’avoir voulu se venger de leur élimination politique durant la révolution anticoloniale puis de leur marginalisation depuis l’indépendance. Néanmoins, ce récit a le mérite de souligner que les spectres de la lutte de libération nationale hantent toujours la société algérienne, même si l’« ennemi intérieur » évolue avec les générations.

      Son succès littéraire en France repose aussi sur une espèce de posture dissidente en carton-pâte. Sansal, pendant longtemps, et tant qu’il était en liberté, se plaisait à affirmer que ses livres étaient interdits en Algérie, qu’il y était censuré par le régime, etc. En réalité, il a toujours refusé d’être édité en Algérie et il n’a pas voulu rencontrer le public algérien comme il a pu le faire avec ses lecteurs français.

      Ses livres, pourtant, étaient présents dans certaines librairies ou événements culturels. Il n’y avait donc pas de mesures d’interdiction jusqu’à une période récente. Reste à voir si cela va évoluer. Cependant, il faut bien le dire, son séjour controversé en Israël, en 2012, a suscité l’hostilité d’une grande partie du lectorat algérien, tout comme la sympathie de ses lecteurs occidentaux.

      De même, son opposition au régime algérien reposait au fond sur une posture bourgeoise et droitière, c’est celle d’une certaine élite francophone, d’une fraction de la nomenklatura en déclin qui regarde de haut le « petit peuple » arabophone et la diaspora, en appuyant sur le clivage entre les enfants de prolétaires immigrés, « les racailles » ou les « hybrides » comme ils les surnomment parfois, et une immigration « choisie », issue de milieux privilégiés, les « cadres » éduqués et francophones, porteurs de la civilisation et de la culture françaises. (...)

    • A part ça dans Télérama, tu as des adeptes de l’occultisme qui jouent encore à « Esprit des Lumières es-tu là ? » et déplorent que l’affaire fasse l’objet d’un psychodrame franco-français.

      Mais Boualem Sansal est aussi l’otage d’un second règlement de comptes – intérieur celui-là – qui resurgit avec la régularité du métronome dans le paysage médiatique et intellectuel français. Entre les vitupérations pathétiques d’un Pascal Praud accusant Thomas Snégaroff et les invités de son émission C politique (parmi lesquels Benjamin Stora) de s’agenouiller devant Alger, d’un côté, et les contorsions malhabiles du politiste Nedjib Sidi Moussa transformant Boualem Sansal en suppôt d’Éric Zemmour, de l’autre, on a regardé les balles passer tout le week-end, et l’on craignait que le romancier ne prenne une balle perdue.

      Rien ne sert de faire tourner les tables, il vaudrait mieux les renverser. En attendant, mangez bien vos grands morts, les universalistes de chez Télérama ....
      (https://www.telerama.fr/debats-reportages/boualem-sansal-prisonnier-et-otage-de-reglements-de-comptes-diplomatiques-e)

  • Michael Walzer : « Il sera très difficile pour les progressistes de gagner des élections à l’avenir » | Mediapart | 10.11.24

    #Michael_Walzer, référence mondiale de la philosophie politique, revient pour Mediapart sur l’élection états-unienne et son dernier livre « Le Paradoxe des libérations nationales ». Entretien.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/101124/michael-walzer-il-sera-tres-difficile-pour-les-progressistes-de-gagner-des

    Fondé sur l’examen de trois situations – l’Algérie, #Israël et l’Inde –, le livre étudie le paradoxe lié au fait que les promoteurs de la libération nationale – Nehru, Ben Gourion et Ben Bella notamment –, nourris de culture européenne laïque et progressiste, ont vu leur héritage récusé au bout de quelques décennies, la religion faisant un retour irrépressible dans leurs pays respectifs.

    Pour le philosophe, qui se situe à distance d’une lecture marxiste ou postcoloniale, la manière dont ont été menées ces libérations nationales a fini par engendrer une réaction politico-religieuse, visible dans le sionisme religieux, l’hindouisme de Modi ou l’islamisme : une réaction « tout à fait moderne dans son antimodernisme ». Rencontre à New York.

    • Si Trump, qui a déjà le Sénat, remporte aussi la Chambre des représentants [toujours en balance, en attendant notamment le dépouillement des votes en Californie – ndlr], nous serons face à une version américaine d’un populisme autoritaire dont il est difficile de voir aujourd’hui jusqu’où il pourrait aller. J’évite d’employer le terme de « fascisme », mais ce ne serait peut-être pas si loin d’une version américaine du fascisme.

      J’espère que la Cour suprême, même si elle est dominée par des juges conservateurs, s’opposerait à certaines mesures annoncées par Trump, comme le recours à l’armée pour des questions de politique intérieure. J’ai encore l’espoir qu’il demeure des contrepoids.

      Je crains aussi qu’il devienne très difficile pour les progressistes de gagner des élections dans le futur si les trumpistes appliquent leur volonté de purger les listes électorales, de restreindre le droit de vote des minorités, d’exiger des documents que beaucoup de populations pauvres ne possèdent pas…

      ...
      C’était alors une ville extrêmement syndiquée, rapidement devenue un bastion démocrate. Puis l’industrie de l’acier a littéralement disparu, passant de 20 000 à 200 travailleurs. Les démocrates néolibéraux comme Clinton ou Obama n’ont rien fait pour aider les habitants de Johnstown.

      Et, en 2016, cette ville de Johnstown a voté deux fois plus pour Trump que pour Hillary Clinton. Dans le même temps, à Princeton, dans le New Jersey, où je vivais alors, le vote en faveur de Clinton a été six fois supérieur au vote Trump. Faire de la classe éduquée la nouvelle base sociale du Parti démocrate ne permet pas d’obtenir une majorité aux États-Unis.

    • Dans ce contexte, l’hindouisme devient une doctrine de suprématie hindoue, et le judaïsme, compris comme un sionisme messianiste, une doctrine de suprématie juive. En Israël, cette doctrine s’avère meurtrière pour les personnes vivant à Gaza ou au Sud-Liban, mais je pense qu’elle est aussi très dangereuse pour Israël lui-même.

      En quoi ?

      Parce que je ne crois pas qu’Israël puisse survivre en tant qu’entité ultra-nationaliste et ultra-religieuse juive au Moyen-Orient. Il reste beaucoup d’Israéliens qui veulent vivre dans un État laïque et démocratique et pas dans ce qu’est en train de devenir Israël.

      La plus grande crainte de mes amis en Israël est que leurs petits-enfants ne restent pas à la maison, et renoncent finalement à être israéliens. À mon avis, beaucoup de ceux qui ont fait d’Israël une puissance militaire et technologique ne resteront pas pour défendre un État ultra-nationaliste et ultra-religieux.

  • À #Genève, un musée met en débat la restitution d’œuvres

    Le musée d’ethnographie de Genève met au jour ses errements passés, dans une exposition stimulante consacrée au rôle joué par la ville suisse dans le monde colonial. Et envisage, sur un registre apaisé, la restitution de pans de sa collection.

    La manœuvre n’est pas si fréquente : à Genève, un vénérable musée a décidé de faire en grand son autocritique, et d’égratigner la légende de ses pères fondateurs. À travers l’exposition « Mémoires. Genève dans le monde colonial », le musée d’Ethnographie (MEG), inauguré en 1901, interroge ses collections sous le prisme colonial. Il pose aussi de manière subtile l’enjeu des restitutions, non sans écho avec le film de Mati Diop Dahomey, qui sort en salles mercredi 11 septembre.

    Sur le parcours conçu dans l’immense sous-sol sombre du musée, une vitrine est consacrée à l’un des glorieux donateurs de l’établissement, le peintre suisse Émile Chambon (1905-1993), qui avait amassé un millier de pièces d’Afrique et d’Océanie : il surgit dans un autoportrait de 1931, portant le casque et l’uniforme de son oncle, qui fut administrateur colonial en Afrique équatoriale française. C’est de cet oncle qu’il avait hérité les premiers artefacts africains de sa collection.

    Un artiste contemporain, Mathias Pfund, a inversé les bordures du cadre de cette peinture malaisante, l’un des cœurs malades de cette exposition : une discrète intervention, qui signale que quelque chose s’est déréglé. Face aux objets personnels de Chambon, qui traduisent sa fascination pour l’Afrique, ont été rassemblés, dans une autre vitrine, certains de ses dons au musée : des statues de cuivre ou de fer qui représentent des gardiens de reliquaires kotas, sur les territoires du Gabon et de la République du Congo.

    Lorsque des missionnaires ont arraché ces figures au XIXe siècle, ils se sont débarrassés, en les brûlant ou en les cachant en forêt, des corbeilles d’os qu’elles surveillaient. Depuis, le MEG les a exposées comme de simples statues africaines. Cette fois, le musée a sculpté de nouvelles urnes funéraires glissées au pied de leurs gardiens, avec l’aide de visiteurs réguliers du MEG d’origine kota, pour tenter de rendre à ces objets une forme d’intégrité.

    « Dans l’exposition, les objets n’illustrent pas les discours. Les propos historiques viennent étoffer, dans un deuxième temps, l’histoire de ces objets. C’est pourquoi il y a beaucoup de choses que nous ne disons pas, sur le colonialisme à Genève et en Suisse, parce que les objets de notre collection ne le racontent pas », précise la Française Floriane Morin, commissaire de l’exposition.
    Le colonialisme suisse

    La Suisse, puissance coloniale ? L’affirmation peut surprendre, en particulier depuis la France. Dans l’exposition, une carte interactive relaie les conclusions d’un rapport de 2022 sur « l’héritage raciste et colonial dans l’espace public genevois ». « L’État suisse n’a pas conquis de territoires ni administré directement de colonies, explique Fabio Rossinelli, l’un des historiens qui ont travaillé sur l’exposition, rattaché aux universités de Lausanne et de Genève. Mais des sociétés suisses se sont formées spontanément, en Égypte ou encore au Brésil, qui étaient reconnues par le corps consulaire, et entretenaient des relations avec Berne. »

    Il poursuit, soucieux de « ne pas dédouaner l’État de ses responsabilités » : « L’État était bien présent, mais plutôt un peu à l’arrière-plan, en cachette. Prenez la Société de géographie de Genève [fondée en 1858 – ndlr]. C’était une société privée. Des collaborations avec l’État avaient lieu, des subventions étaient au besoin octroyées. On voulait favoriser l’intégration du pays dans le monde impérial et colonial. » Beaucoup des missionnaires suisses partis à cette époque, soutenus par cette société, ont rapporté des objets qui constituent le socle des collections actuelles du MEG.

    Quant à l’implication de la Suisse dans la traite négrière, elle est, là encore, bien réelle. D’après l’historienne Béatrice Veyrassat, la participation suisse à la traite, d’une manière « active » (des commerçants suisses qui recourent à l’esclavage dans leurs plantations aux Amériques) ou « indirecte » (via des investissements dans des compagnies maritimes dotées de bateaux négriers) « est estimée entre 1 % et 2 % de l’ensemble des Africain·es déplacé·es vers les Amériques ».

    Avec Nantes, Genève fut aussi, à partir des années 1670, l’un des centres de production des « indiennes », ces tissus fabriqués à partir de coton importé des comptoirs d’Inde (les collections suisses d’indiennes sont accrochées au château de Prangins, on ne voit que des reproductions frustrantes dans l’exposition genevoise). Ces indiennes pouvaient servir de monnaie d’échange des Européens contre des êtres humains mis en esclavage dans les ports africains, lors du commerce triangulaire. En 1785, pas moins de 20 % de la population active à Genève travaille pour une dizaine d’« indienneries ».
    Objets éclatés

    À bien des endroits, l’exposition est coupante et inconfortable, en particulier lorsqu’elle revient de manière très précise sur le travail problématique des équipes passées du MEG. Alors que Genève organise une « exposition nationale suisse » en 1896, dotée en son sein d’un « village noir », dans la sinistre tradition des zoos humains, le MEG achète à l’époque 85 artefacts fabriqués par ces captifs africains, majoritairement venus du Sénégal et de Gambie. Mais les experts du musée gomment ensuite leur origine et les font passer pour des objets fabriqués en Afrique de l’Ouest.

    Autre silence complice : une sublime coiffure de femme faite de cuir et de fer, attribuée à une femme d’origine herero, rapportée de Namibie par un couple de collectionneurs en 1906. Au même moment se déroule, de 1904 à 1908, le génocide des Herero (et des Nama), premier génocide commis par l’Allemagne. « La datation de ces objets laisse peu de doutes quant au contexte génocidaire et d’extrêmes violences qui a rendu leur acquisition possible », tranche un cartel de l’exposition.

    Une vitrine montre encore un ustensile aux allures de fouet, utilisé pour repousser les mouches, dans le Ghana du XIXe siècle. Ce chasse-mouches, peut-être détenu par un roi, avait aussi valeur de talisman coranique. À une date inconnue, des employés du musée l’ont éventré pour lui retirer sa charge magique, constituée notamment d’une lame de couteau – disparue – et de cinq feuillets de prières, retrouvés des décennies plus tard dans un tiroir du musée. « Comment perdre l’intégrité d’un objet au musée ? », s’interroge un cartel.

    L’exposition revient aussi sur l’essor de l’anthropologie telle qu’elle est enseignée à Genève à partir de 1860, discipline qui s’est distinguée en justifiant l’impérialisme occidental et en décrétant la supériorité européenne. C’est le point d’ancrage morbide des premières collections d’objets amassées à Genève, qui, là encore, alimenteront les réserves du MEG. Dans les années 1920, Eugène Pittard, fondateur du musée, tire aussi profit du trafic de restes humains dans les colonies britanniques.
    « Ramatriement »

    Floriane Morin assume cette approche « incisive » vis-à-vis de l’histoire de son musée, « parce qu’elle est la seule condition à la possibilité d’une réparation ». Mais est-il encore possible de décoloniser un musée construit sur des mensonges aussi lourds ? Même si le MEG s’est doté d’un nouveau bâtiment en 2014, en forme de pirogue blanche spectaculaire et facile à reconnaître dans le paysage genevois, ne faudrait-il pas plutôt fermer ses portes à jamais ?

    L’un des espaces les plus originaux de l’exposition prouve en tout cas que le musée a encore des choses à dire, et des chantiers à mener. « Nous ne parviendrons pas à décoloniser notre musée, à redéfinir l’institution, sans engager des relations sur le temps long, avec des personnes qui sont le plus à même [originaires des pays et populations concernés – ndlr] de reconsidérer ces collections et de réfléchir à leur avenir », avance encore Floriane Morin.

    Cinq « capsules » ont été aménagées, comme autant de cocons qui posent la question de la restitution d’objets aux populations qui les réclament. Dans ces salles, des registres de paroles se mêlent – juridiques, historiques, administratifs, intimes, mais aussi depuis le Nord et les Suds –, pour restituer le dialogue entretenu au fil des décennies entre le MEG et des populations autochtones.

    Ici, des objets déjà restitués à une communauté autochtone du Canada – un « ramatriement » plutôt qu’un rapatriement, précise le cartel – sont représentés par de simples silhouettes de papier noir sur le mur. On prend des nouvelles de leur vie d’après, réintégrés à des cérémonies rituelles. Ailleurs, un réseau de huit musées suisses négocie directement avec le Nigeria, pour le retour de biens originaires de l’ancien royaume du Bénin.

    L’histoire de deux mâts-totems est sans doute la plus emblématique. Achetés en 1955 par un collectionneur suisse dans une ville du sud-est de l’Alaska, les deux immenses totems aux motifs d’oiseaux ont été plantés dans le jardin du musée suisse pendant trente-quatre ans. Stockés par la suite dans des entrepôts dans un souci de protection, ils ont été remplacés par des copies. Mais ils sont restés des emblèmes de ce quartier de Genève au fil des années. L’exposition donne la parole aux descendants du sculpteur de ces mâts, qui disent leur sensation de manque et l’importance qu’ils revêtent encore pour eux, mais décrit aussi l’attachement de générations de Genevois·es à ces objets aux pouvoirs manifestement actifs des deux côtés de l’Atlantique.

    « Il y a une histoire qui se crée après la restitution, insiste Floriane Morin. Les restitutions ne sont pas la fin de quelque chose. Rendre un objet n’est pas fermer la porte, mais entamer une nouvelle histoire avec des personnes qui nous font confiance, cela crée plein de choses, déclenche de nouveaux projets, et c’est aussi ce que nous avons voulu raconter dans cette exposition. »

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/100924/geneve-un-musee-met-en-debat-la-restitution-d-oeuvres

    #Suisse #Suisse_coloniale #colonialisme_suisse #MEG #exposition
    #oeuvres_d'art #art #décolonial #Afrique #pillage #musées #colonisation #Emile_Chambon #Océanie #héritage #Société_de_géographie_de_Genève #missionnaires #objets #traite_négrière #indiennes #tissus #industrie_textile #coton #esclavage #exposition_nationale_suisse #village_noir #zoo_humain #ramatriement #réparation #mensonges

    ping @reka @cede

    –-

    ajouté à la métaliste sur le #colonialisme_suisse :
    https://seenthis.net/messages/868109

    • La Collection

      La Collection propose de (re)découvrir les objets muséifiés par le prisme de leur ancrage dans l’histoire coloniale du Musée d’ethnographie de Genève. Ils se sont imposés dans ce parcours. La trame narrative se tisse autour d’eux, par les récits, les indices ou les silences de leurs trajectoires jusqu’au Musée, par les assignations qu’ils ont subies, mais aussi par les multiples identités qu’ils assument, selon qui interagit avec eux. Les biographies fragmentaires de ces objets se mêlent à l’énonciation du contexte colonial spécifique à Genève ainsi qu’à certains épisodes de l’histoire des impérialismes européens. La plume d’historien-ne-s, géographes et anthropologues spécialistes de l’ère coloniale, les gestes et les œuvres d’artistes contemporain-e-s, l’implication d’héritières et d’héritiers culturel-le-s se lient ici aux archives que le MEG partage en toute transparence.

      Au fil de La Collection, les sept « Mémoires d’objet », reconnaissables à leurs vitrines individuelles, apportent un éclairage approfondi sur des artefacts singuliers aux histoires surprenantes.

      https://colonialgeneva.ch/la-collection

  • #Madrid piste les traces de la #violence_coloniale dans ses collections de #peintures

    Dans une #exposition audacieuse, le #musée_Thyssen de Madrid passe en revue ses collections pour y repérer des traces de la violence coloniale perpétrée par des puissances européennes, jusqu’à présent occultées.

    UneUne famille de notables néerlandais prend la pose dans la campagne. La toile, un très grand format, a été peinte par Frans Hals, pointure du Siècle d’or aux côtés de Rembrandt et Vermeer, aux alentours de 1645. Un peu en retrait des quatre membres de la famille Ruychaver, vêtu de manière moins élégante, un enfant noir, un bâton à la main, fixe le public. De très près, on discerne une cicatrice, ou un tatouage, sur l’une de ses joues. Que fait-il là ? Que nous dit-il ?

    Des recherches récentes ont découvert que le père de famille fut le directeur du château d’Elmina, dans l’actuel Ghana, au service de la Compagnie des Indes occidentales, entre 1641 et 1645. Des milliers de personnes soumises à l’esclavage ont été vendues depuis ce fort, avant d’être envoyées vers des plantations aux Amériques. Mais le garçon noir sur le tableau témoigne aussi de la présence de personnes noires, qui n’étaient pas réduites au statut d’esclave, sur le sol des Pays-Bas à la même époque.

    Sans doute à cause du regard ambigu de l’enfant – défiance ou indifférence ? –, ce tableau a été récupéré depuis, comme un totem, par des artistes décoloniaux. La Péruvienne Sandra Gamarra se l’est réapproprié cette année à l’occasion de son exposition au pavillon espagnol de la Biennale de Venise. L’artiste Titus Kaphar avait réalisé en 2017 une performance spectaculaire autour d’une copie de ce tableau, lors d’une conférence TED intitulée « L’art peut-il amender l’Histoire ? »

    https://www.youtube.com/watch?v=DDaldVHUedI

    Cette toile emblématique constitue le cœur d’une exposition visible cet été au musée Thyssen-Bornemisza, l’un des principaux établissements culturels de Madrid, autour de la « mémoire coloniale » de ses collections. L’ambition est de taille : les commissaires ont retenu 73 œuvres, issues des collections anciennes et contemporaines du Thyssen, afin de « décrire les conséquences du processus colonial qui a débuté au XVIe siècle et ses répercussions dans le monde actuel ».

    Sur l’un de ses murs du musée est écrite, comme une boussole, cette phrase de Franz Fanon tirée des Damnés de la Terre : « Le bien-être et le progrès de l’Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres des Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes. Cela nous décidons de ne plus l’oublier. » Dans la même salle où trône le tableau de Hals, d’autres toiles évoquent la traite de manière plus voilée. Les personnes noires en sont souvent absentes.

    Le Britannique Thomas Lawrence a peint vers 1825 un monumental portrait en pied d’un certain David Lyon, fringant banquier et fils d’un propriétaire de plantations sucrières en Jamaïque. Lorsque l’Angleterre déclara l’abolition progressive de l’esclavage en 1833, cet héritier toucha de confortables indemnités publiques à titre de compensation, en échange de la libération de 463 personnes sur l’île. C’est la première fois que le musée prend la peine de rappeler ce contexte.

    La démarche du Thyssen peut surprendre, de la part d’une fondation qui s’est surtout illustrée dans le débat public, ces dernières années, par ses réticences à restituer un tableau de l’impressionniste Camille Pissarro spolié par les nazis. D’autant que le baron Hans Heinrich Thyssen-Bornemisza, qui a constitué cette prestigieuse collection à partir de celle léguée par son père, doit sa fortune à l’empire industriel sidérurgique de la famille Thyssen, la même qui avait participé au financement de l’ascension d’Adolf Hitler.

    L’entreprise s’inscrit aussi dans un mouvement plus vaste d’une tentative de « décolonisation » des musées en Europe, de l’exposition sur « Le modèle noir » au musée d’Orsay à Paris (2019) à celle sur la traite négrière au Rijksmuseum d’Amsterdam (2021), en passant par celle sur l’art et l’empire organisée par la Royal Academy of Arts de Londres en début d’année. En 2023, le Met de New York consacrait une rétrospective au peintre « afro-hispanique » Juan de Pareja, qui fut d’abord réduit en esclavage au service de Diego Velázquez, avant de peindre pour lui-même.

    Dès 2010 en Espagne, le musée Reina Sofía de Madrid, sous la direction de Manuel Borja-Villel, avait organisé une exposition pionnière, « Principe Potosí », qui traçait des liens entre les conquêtes et la colonisation de l’Amérique et la fabrication d’une certaine modernité artistique. Chaque fois, il s’agit de mettre en tension le récit eurocentré que ces musées n’ont cessé de relayer et légitimer au fil des siècles.
    Mémoires anticoloniales

    L’exposition n’évoque pas seulement la représentation de la traite négrière. Son propos est plus vaste, et parfois bien plus articulé, d’un point de vue théorique, que ce que permettent d’illustrer les œuvres d’une collection réalisée à 95 %, par des peintres masculins et blancs, reflets des goûts d’une élite économique européenne au XXe siècle. « Dans bien des cas, il est plus important de souligner ce que ces peintures occultent que ce qu’elles rendent visible », résume Juan Ángel López-Manzanares, conservateur du musée Thyssen et l’un des commissaires de l’exposition.

    Une nature morte néerlandaise du XVIIe siècle, qui inclut une fine coupe de porcelaine chinoise, renvoie au « régime d’extractivisme » mis en place par la colonisation européenne. Une toile montrant des Native Americans, torse nu et à cheval, réalisée par un peintre d’origine allemande au XIXe siècle, montre la circulation des stéréotypes sur ces populations alors menacées d’extinction. De grands paysages brésiliens, peints par le Néerlandais Frans Post dès le XVIIe siècle, mettent en scène une harmonie de la nature dans ce « Nouveau Monde » qui tranche avec les crimes en train d’être commis sur place à la même époque.

    Afin de passer ses collections au peigne fin, le Thyssen a associé son conservateur en chef à trois autres commissaires indépendant·es racisé·es et issu·es de la société civile : « Le musée s’est mis à écouter celles et ceux qui expérimentent les conséquences de cette colonisation au présent », assure encore Juan Ángel López-Manzanares. Dans l’un des textes du catalogue, Yeison García, qui se définit comme un « Afro-colombien-espagnol », et Andrea Pacheco, chilienne, reviennent sur leur expérience, où chacun·e a dû trouver sa place dans ce chantier de plusieurs années.

    L’un des deux explique que l’une de ses tantes est employée à la cafétéria du musée. Au Thyssen comme dans d’innombrables musées d’Europe, les seul·es employé·es non blancs travaillent, via des sous-traitants, dans la sécurité, la restauration ou le nettoyage. C’est aussi ce travail que ces commissaires ont essayé de mener à bien, de replacer au cœur du musée, dans ses salles de visite, une partie de la société qui en a été historiquement exclue. « L’institution muséale doit s’ouvrir à la production de mémoires et d’histoires profondément anticoloniales », écrivent les deux expert·es.

    L’exposition convainc, y compris dans les échanges fragiles qu’elle met en place avec des œuvres plus récentes de la collection contemporaine (dite TBA 21). Il reste surtout à voir ce qu’il restera de ce travail de dynamitage des récits officiels, une fois l’exposition terminée. Les cartels seront-ils modifiés de manière durable ? L’institution révisera-t-elle son fonctionnement interne pour accueillir davantage de diversité en son sein ?

    À Madrid, l’exposition du Thyssen fait écho à une autre, « Un requiem pour l’humanité », plus ramassée et radicale, qui se tient dans deux salles de la Casa Encendida. Dans la première, elle documente les représentations racistes des Noir·es au fil des siècles en Europe. Dans la seconde, elle en appelle à la science-fiction et à l’afro-futurisme pour sortir de ces imaginaires rances.

    La visite vaut surtout pour la projection de deux films marquants. Dans Amnésie coloniale (2021), Claudia Claremi documente la pratique joyeuse du blackface lors des festivités en honneur des Rois mages dans une ville de la province d’Alicante, dans le sud-est de l’Espagne. Le travail plus expérimental de The Otolith Group, Hydra Decapita, évoque ce bateau négrier anglais, le Zong, dont le capitaine décida, lors d’un voyage transatlantique en 1781, de jeter à la mer les quelque 140 esclaves à son bord, pour remédier au supposé manque d’eau sur le bateau : c’est le point de départ d’un film de vengeance furieux, depuis les abysses de l’océan.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/180824/madrid-piste-les-traces-de-la-violence-coloniale-dans-ses-collections-de-p
    #Espagne #art #colonialisme #passé_colonial #musées

    ping @cede @_kg_ @reka @isskein @karine4

    • Colonial Memory in the Thyssen-Bornemisza Collections

      The colonial system lies at the origins of modern western society while its legacy continues to affect human and geopolitical relations around the world. As Europe advanced in the conquest of liberties, it simultaneously imposed a regime of extractivism and physical domination on its territories across the globe.

      This exhibition sets out to decipher the elements of colonial power within the iconography of certain works in the Thyssen-Bornemisza collections. A selection of paintings will reveal “invisibilised” stories of racial domination, marronage and the civil rights struggle, as well as the introduction of the modern mercantile system based on European military control, the use of enslaved African workers and the appropriation of firstly Latin American and later Asian and African land and raw materials. Visitors will be introduced to fictitious representations of new Arcadias and will witness the western projection of its unsatisfied desires in the form of the “Orient” and the construction of the “other” as barbarian or primitive.

      With the aim of rethinking the future through the parameters of cultural diversity the exhibition benefits from a curatorial team comprising Juan Ángel López (curator at the museum and director of this project), Alba Campo Rosillo (art historian), Andrea Pacheco González (independent curator and artistic director of the space “FelipaManuela”), and Yeison F. García López (director of the “Espacio Afro” cultural centre).

      https://www.youtube.com/watch?v=JzXHLuhQE1U&source_ve_path=Mjg2NjY

      –-

      Le #livre:

      Colonial Memory in the Thyssen-Bornemisza Collections is a re-reading of a selection of 73 works, made up exclusively of works of art from the Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, the Carmen Thyssen Collection and the Thyssen-Bornemisza Art Contemporary Collection (TBA21), and covers a long stretch of the history of Western art from the 17th century to the present day. It analyses the imprint on art (not always explicit and almost always ignored) of the main features of European colonialism: the overexploitation of overseas territories and their populations, the racial construction that imposes a hierarchy according to skin colour, slavery and violent domination, the idealisation of the landscape and life in the colonies, the sexualisation of the inhabitants of the colonised territories (especially women) and finally the testimonies of resistance, from the maroonage to the struggle for civil rights.

      https://tienda.museothyssen.org/en/cat-memoria-colonial-tapa-dura-espa-ol.html

      https://www.museothyssen.org/en/exhibitions/colonial-memory-thyssen-bornemisza-collections

  • Mort de #James_C_Scott, penseur de la société sans État | Mediapart

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/220724/mort-de-james-c-scott-penseur-de-la-societe-sans-etat

    Ses recherches vont à l’encontre de l’idée que la création d’un #État est un signe irréversible de progrès pour les sociétés humaines. Il a documenté à la fois la longue histoire de peuples qui ont vécu sans lui et même contre lui (Zomia), ainsi que de ceux qui l’ont abandonné après s’y être essayé (Homo Domesticus).

    Plus globalement, à l’image d’autres chercheuses et chercheurs (#Anna_Tsing, #David_Graeber, #David_Wengrow, etc.), il accordait une grande importance à l’histoire des peuples subalternes et dominés. Non par fascination fétichiste pour le fait minoritaire, mais par la conviction qu’elle recèle des clés de compréhension de la modernité. Celle-ci n’est pas née de l’évidence, ni d’une supposée #nature des #sociétés humaines, mais est la conséquence de choix politiques, souvent souillés du sang de la répression et des guerres, pour imposer un régime centralisé et vertical. Il citait souvent l’influence du livre de l’#anthopologue #Pierre_Clastres, la société contre l’État (1974).

    Pour retrouver la trace d’autres formes d’organisations sociales et politiques, il faut donc plonger dans les archives éparses et parfois négligées de peuples anciens qui ont tenté autre chose que le modèle si répandu aujourd’hui de l’État-nation. Scott n’en reconnaissait pas moins la force quasi indépassable de ce modèle dans notre monde actuel.

    « Vivre sans État est impossible, en tout cas dans un avenir proche », expliquait-il cette année au magazine Sciences humaines, car « il s’agit d’une forme d’organisation politique à laquelle il est pratiquement impossible d’échapper. Nous sommes coincés avec l’État. Du recensement aux cartes nationales d’identité, en passant par l’affectation des emplois, les instruments de contrôle et de connaissance de l’État se sont accrus de manière exponentielle, ainsi que son contrôle physique du territoire, ce qui fait qu’il existe de moins en moins d’options pour, comme au temps de la Zomia, partir se réfugier dans des collines ou des marais où l’État ne peut pas vous rattraper ».

    L’État et son pistolet sur la tempe
    Ses livres sont pourtant une invitation à ne pas abandonner l’imaginaire de l’#auto-organisation, de l’exercice horizontal du pouvoir et de la subsistance. Dans un moment où la guerre, les poussées autoritaires et la montée de l’extrême droite menacent les pratiques démocratiques, leur lecture semble plus nécessaire que jamais. Comme David Graeber, d’une génération plus jeune et disparu à 59 ans en 2020, Scott était en ce sens une source de savoirs et un repère #politique.

    Tout en continuant à donner des conférences et à publier des livres, il occupait sa retraite à élever des moutons, des vaches, des poules et des abeilles dans une ferme du Connecticut. Mediapart avait eu la chance de le rencontrer à l’été 2019, lors de sa venue au festival La Manufacture des idées. Interrogé sur ses recherches, il avait préféré parler de sa ferme – dont une grange avait brûlé, détruisant la plupart de ses livres – et le projet d’interview avait tourné au récit de son expérience agricole.

    Enthousiaste et cordial, il avait posé une profusion de questions sur la situation française, le devenir de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et les « gilets jaunes ». L’échange s’était terminé par un appel à la prudence face à l’État qui peut à tout moment « vous mettre un pistolet sur la tempe ».

    Retrouvez ici tous les articles de Joseph Confavreux sur l’œuvre de James C. Scott :

    Sur sa vision de l’anarchisme comme exercice de la liberté face à l’oppression étatique et son invitation à traverser hors des clous (2013) ;
    Sur son histoire des populations de la Zomia, un ensemble de territoires situés à des altitudes supérieures à 300 mètres du Vietnam, du nord-est de l’Inde, du Cambodge, du Laos, de la Thaïlande, de la Birmanie ainsi que de quatre provinces chinoises (2013) ;
    Sur sa contre-histoire de l’État et de l’agriculture (2019) ;
    Sur sa généalogie de la surveillance par l’État (2021).

    #Jade_Lindgaard

  • #Esclavage dans les #mondes_musulmans : les faits, les clichés et leur postérité

    #M’hamed_Oualdi revient sur les traites serviles en terre d’islam, souvent instrumentalisées pour relativiser l’esclavage pratiqué par les Européens. Il démonte les comparaisons hasardeuses, sans complaisance pour une histoire dont les #traumatismes sont encore vivaces.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/210624/esclavage-dans-les-mondes-musulmans-les-faits-les-cliches-et-leur-posterit
    #islam #histoire #traite_d'êtres_humains #traite_islamique #comparaison #traite_atlantique #traite_trans-saharienne #Sahara #imaginaire #couleur_de_peau #religion

    • L’esclavage dans les mondes musulmans. Des premières traites aux traumatismes

      L’esclavage dans les mondes musulmans suscite de nombreux fantasmes et de multiples instrumentalisations. Cet ouvrage propose une mise au point rigoureuse et informée sur ce sujet, afin de couper court aux polémiques qui l’entourent.

      Objet d’études scientifiques mais aussi et surtout de passions politiques, l’esclavage dans les mondes musulmans suscite de nombreux fantasmes et de multiples instrumentalisations. Pour couper court aux inlassables polémiques qui entourent ce sujet prétendument tabou, M’hamed Oualdi l’aborde dans cet ouvrage en historien, c’est-à-dire d’une manière attentive à la fois à l’établissement des faits et à l’appréhension de leur complexité.
      Contre la vision homogénéisante d’un esclavage « islamique » unifié qui ne sert qu’à relativiser la gravité de la traite atlantique, il souligne la diversité des traites au sein de ces mondes depuis la période médiévale et la pluralité des formes que prend la servitude en leur sein. Il pointe aussi le caractère ambivalent des politiques abolitionnistes mises en œuvre par les puissances européennes au XIXe siècle, avant d’interroger la persistance de l’esclavage et des traumatismes qui lui sont liés dans les sociétés arabes et musulmanes contemporaines. Des premières traites aux « post-esclavages », ce sont ainsi non seulement les étapes marquantes dans l’histoire de ces sociétés qui sont restituées, mais aussi la trajectoire et la parole de millions d’hommes et femmes asservis.

      http://www.editionsamsterdam.fr/lesclavage-dans-les-mondes-musulmans

      #livre

  • Davantage « d’éditorialistes de droite et droite + » : la consigne de BFMTV à ses programmateurs
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/190624/davantage-d-editorialistes-de-droite-et-droite-la-consigne-de-bfmtv-ses-pr

    Dans un désir de « s’adresser à tous les Français », Marc-Olivier Fogiel, le patron de BFMTV, a demandé aux programmateurs de « veiller à l’équilibre des plateaux ». Une liste d’éditorialistes réactionnaires a ensuite été envoyée aux journalistes chargés de sélectionner les invités, comprenant un ancien communiquant du RN et plusieurs journalistes de « Valeurs actuelles » et du « JDD ».

    [...]

    Que veut dire Marc-Olivier Fogiel lorsqu’il demande à ses équipes de veiller à l’équilibre entre les différents invités, afin de « s’adresser à tous les Français » ? La consigne se fait plus explicite lorsqu’une rédactrice en chef adresse une heure plus tard aux programmateurs de la chaîne une liste « d’éditos droite et droite + ».

    Y figurent en bonne place des journalistes de Valeurs actuelles (VA), l’hebdomadaire d’extrême droite condamné en novembre 2022 des faits d’injure publique à caractère raciste envers la députée noire de La France insoumise, Danièle Obono, pour l’avoir dépeinte en esclave. « C’est très rare qu’on nous envoie des listes, ça montre bien que BFM flippe de la concurrence de CNews », confirme un programmateur de la chaîne. Contacté par nos soins, Marc-Olivier Fogiel s’est contenté d’une réponse laconique : « Rien de neuf sous le soleil... même consigne depuis cinq ans... »

    • Pour Eric Hazan, changer le monde n’était pas un programme d’avenir mais un travail de chaque jour, par #Jacques_Rancière
      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/pour-eric-hazan-changer-le-monde-netait-pas-un-programme-davenir-mais-un-

      Ce n’est pas seulement qu’il s’intéressait à tout et que sa culture humaniste était bien plus vaste et profonde que celle de tant de clercs qui sourient d’engagements militants comme les siens. C’est que le monde pour lequel il se battait était celui de l’expérience la plus large et la plus riche et qu’il ne séparait pas le travail de la connaissance et les émotions de l’art de la passion de la justice. Cet homme indigné contre toute oppression aimait, plus que les crieurs, celles et ceux qui cherchent, inventent et créent.

      https://justpaste.it/c0k8d

    • Les éditions Agone. 18, boulevard de Paris 13003 Marseille
      https://mastodon.social/@EditionsAgone/112570946028414764

      Alors que se perpétue le dérisoire jeu de chaises musicales entre la poignée d’employés (très, très bien payés) qui fait tourner le marché de la concentration pour quelques millionnaires sinon milliardaires, un événement du sous-champ culturel du #livre mérite, lui, une place dans nos mémoires. Jeudi 6 juin, Éric Hazan est mort. Du « Monde » et « L’Humanité » à « Libération », en passant par « Télérama » et « Mediapart », la presse parisienne a donné, avec plus ou moins d’honnêteté, de dignité ou de platitude, le portrait du fondateur des #éditions_La_Fabrique. Rappelons ici sa place, centrale depuis vingt ans, dans la défense du métier d’éditeur. Et la critique à laquelle il a donné un titre : L’Édition sans éditeur – premier des trois livres de l’éditeur franco-américain #André_Schiffrin qu’Éric Hazan a édités et traduits en 1999. Alors que, plus que jamais, la concentration détruit l’édition dans l’indifférence générale – de l’État qui la soutient, des auteurs et autrices qui n’en tirent aucune conséquence aux journalistes qui l’accompagnent et aux libraires qui l’acceptent –, la lucidité d’Éric Hazan et sa manière si singulière, ferme et paisible, d’affirmer franchement les réalités les plus dures nous manquent plus que jamais.

      https://lafabrique.fr/ledition-sans-editeurs

    • Éric Hazan, des combats au cœur des livres - #Jean_Stern @orientxxi
      https://orientxxi.info/magazine/eric-hazan-des-combats-au-coeur-des-livres,7398

      Éditeur et essayiste, Éric Hazan, qui vient de mourir à 87 ans, avait fondé La fabrique il y a 25 ans. Pionnier de l’édition indépendante en France, Hazan avait bataillé contre la mainmise des groupes financiers sur la vie éditoriale. La fabrique est aussi l’un des lieux majeurs de publication d’essais et d’analyses sur le judaïsme, le sionisme, Israël et la Palestine.

    • Traduction en anglais de l’article de Jacques Rancière paru sur Libé le 08/06/2024 :
      https://newleftreview.org/sidecar/posts/grand-editeur?pc=1609

      There is an infinitely reductive way of commemorating Eric Hazan, simply by saluting him as a courageous publisher and defender of the radical left, an unyielding supporter of the rights of the Palestinians and a man who, against the grain of his times, so believed in revolution that he devoted a book to the first measures to be taken on the morning after.

      He was certainly all these things, but we first need to register the essential point: in an age when the word ‘publishing’ conjures up empires of businessmen for whom everything is a commodity, even the most nauseating ideas, he was first and foremost a great publisher. This was not simply a matter of competence. It was much more a question of personality. And Eric was an exceptional personality: possessed of a mind curious about everything, a scientist by training and neurosurgeon in a previous life, but also a connoisseur of the arts and lover of literature; a city-dweller, sensitive to the living history of every stone in the street; an open and welcoming man with a radiant smile and eloquent handshake, eager to communicate his passions, to share his discoveries and convince others – without preaching – of what he considered to be the exigences of justice.

      I learnt from our first contact, just as La Fabrique was starting up, that he was no ordinary publisher. He had attended a few sessions of my seminar on aesthetics and wanted to better understand what I was doing and where it was heading. I sent him a short interview I’d done for a magazine published by friends of mine. A few days later, he told me that it was a book and that he was going to publish it. Which he did so effectively that this little volume, barely visible on a bookshelf, found its way around the world. I thereby discovered something surprising: a great publisher is one who can recognize you have written a book when you don’t know it yourself.

      Thus began a long collaboration punctuated by books whose titles alone prove that he was so much more than a publisher of revolutionary firebrands. Were that the case, what business would he have with exploring territories as remote from immediate political action as the landscape of eighteenth-century England, the dissolution of the traditional threads of narrative in the novels of Flaubert, Conrad or Virginia Woolf, the interweaving of time in the films of Dziga Vertov, John Ford or Pedro Costa, or the conception of the spectator implied by this or that installation of contemporary art? What, moreover, would lead him to publish a complete edition stretching to over a thousand pages of Walter Benjamin’s Baudelaire? And to immerse himself in Balzac’s Paris? It’s not only that he was interested in everything and his engagement with humanist culture was far broader and deeper than so many of the ‘clercs’ who smirk at militant commitments of his kind. It was because he fought for a world of the widest and richest experience, and did not separate the work of knowledge and the emotions of art from the passion of justice. This man – indignant against all oppression – loved, more than sloganeers, those who seek, invent and create.

      Changing the world was for him not a programme for the future but a daily task of adjusting our vision and finding the right words. And he understood that revolt is itself a means of discovery. In the work of the most radical authors he published, whether on feminism, decolonialism or pipeline sabotage, he discerned not only a cry of anger against the reign of injustice but also a project of research, a singular expression of the world we live in, and a new way of shedding light on it. Hence, he was careful to ensure that the most provocative titles appeared in booksellers’ windows adorned in such a way that made them precious objects.

      Is this why he chose the name La Fabrique? For connoisseurs of workers’ history, the name recalls Echo de la fabrique, the newspaper of the Lyonnais canuts during their revolt of the 1830s. No doubt it was important for it to evoke the memory of the great days of 1848 and the Commune. But the word ‘fabrique’ also associated this tradition of struggle with a whole conception of the publisher’s work: a radical departure from the logic of profit and its associated strictures of management; an artisanal love of craftsmanship that neglected no aspect of book production; but also an idea of the fraternal workshop where men and women would bring the product of their labours which, as they intertwined, would be transformed into something else: a shared wealth of experience, of knowledge and insight, the sense of a collective capacity to build a world different from the one that our masters and their intellectual lackeys present to us as the only, inescapable reality.

      Offering alternative cartographies of what is visible, of what takes place and what matters in our world: this is the concern that brought him together with so many authors of such different interests, ideas and sensibilities, all of which he respected equally without attempting to corral them into a common line. Because this great publisher was above all a free man who could only breathe in an atmosphere of freedom.

      Was it the thinning of this atmosphere that, alongside his illness, darkened his final days? Never have the causes for which he fought been so mockingly besmirched in theory, so blithely trampled underfoot in practice, as they are today. For a long time, Eric saw in the very ignominy of the powers that govern us a reason to hope for the coming revolution. Their world, he thought, is so decrepit that the slightest blow here or there is bound to bring about its collapse. This is the logic, perhaps a little too cursory, of good craftsmen and sons of the Enlightenment. They believe that rot causes buildings to crumble. Unfortunately, it is more like the glue holding the system together. And this imposes a long and painstaking task on those who first and foremost need air that is more breathable and more conducive to the preparation of other tomorrows. It is, in any case, a task for which his uncompromising resistance to baseness in every form will long serve as an example.

    • Éric Hazan (hommages) par F. Lordon
      https://blog.mondediplo.net/eric-hazan-hommages

      Éric meurt au moment où la terre politique tremble et les esprits en sont entièrement occupés. Oui mais il meurt maintenant — pas il y a deux semaines ou dans trois mois. Alors nos esprits vont à lui maintenant.


      On sait très exactement où une personne a placé sa vie à la nature des hommages qu’elle reçoit à sa mort. L’espèce de petite saleté que, prévisiblement, le journal Libération a réservée à Éric Hazan en est la parfaite illustration et, à rebours de l’intention du salisseur, c’est dans la vilenie même que réside le véritable hommage, celui-là bien sûr parfaitement involontaire. Il est glorieux d’être trainé dans la boue par ces gens-là.

      René Char a connu un mauvais moment lorsque, à l’aube des années 2000, Jean-Marie Messier s’est emparé de lui, puis à sa suite toute une cohorte de débiles 2.0, qui ont fini par en faire le poète de la start-up nation et du Medef réunis. Sa valeur poétique pouvait difficilement résister à cette désastreuse compagnie et à la démonétisation qui s’ensuivrait immanquablement. De René Char, il reste cependant ceci à sauver : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Éric était venu dans l’intention manifeste de troubler et, si La Fabrique a été — est toujours — fabrique de quelque chose, c’est de trouble. Nulle surprise, dans ces conditions, à ce que le monde troublé n’ait de cesse de faire la peau aux fauteurs de trouble. Du troublé et des troubleurs, nul n’a jamais douté du côté où se tenait Libération, journal qui, en matière de « libération » ne vise rien d’autre que celle de l’ordre mais à visage humain.

      La mort de Bourdieu, déjà, avait donné une brillante illustration de la manière dont se conduisent l’ordre et les forces de l’ordre quand elles ont été réellement offensées. Laurent Joffrin, Jacques Julliard et Françoise Giroud, incapables de se tenir à la décence élémentaire, n’avaient pu s’empêcher de laisser exploser leur joie — il faudrait plutôt dire de la vomir. C’est qu’il les avait tant exaspérés. Et qu’enfin, il n’était plus là. Alors les homoncules pouvaient ressortir, sans crainte de s’en prendre une qui leur aurait dévissé la tête.

      C’est bien à ce genre de traitement qu’on connaît le critère de l’offense réelle, par différence d’avec les offenses parodiques, celles dont le journal Libération s’est fait de longue date une spécialité, à base d’art contemporain politiquement décérébré ou d’avancées sociétales rendues parfaitement compatibles avec les données fondamentales de l’ordre capitaliste. Il était donc logique qu’Éric y eût droit, lui qui toute sa vie a cultivé l’offense réelle comme une morale politique, ou disons plus simplement comme le seul moyen de mener une existence qui ne soit pas larvaire. Et surtout parce que nous vivons dans un monde qui ne mérite que d’être offensé.

      Évidemment, c’est plus que le parti du visage humain n’en peut supporter, lui à qui l’accord au monde est comme une évidence, et tout sauf un lieu à déranger. La couleur n’est-elle pas indiquée dès le titre même ? « L’insurrection qui s’en va », conjonction miraculeuse du jeu de mot grotesquement mécanique, dernier refuge de la singularité de Libération, et du wishful thinking politique pour le coup le plus sincère : enfin débarrassés. Règlement définitif du problème, doit penser Quentin Girard — informons-le doucement que, pour son malheur, derrière Éric, il y en a d’autres —, qui vaut sans doute mieux que les entortillements de dénégation où il était contraint de se réfugier pour se rassurer : « … comme si la Fabrique jouait un rôle d’amuseur public, qui ne croirait pas vraiment elle-même aux idées défendues ». Éternelle redoute de ceux qui, ne croyant à rien, peinent à croire qu’il y en ait qui croient à quelque chose. Que des « amuseurs publics » se retrouvent au parquet antiterroriste offre en tout cas une vue intéressante sur les conceptions du divertissement de ceux pour qui rien n’est vraiment sérieux, et tout finalement soluble dans la dérision distanciée.

      Évidemment, le passage sur l’antisémitisme était de rigueur. On est à Libération tout de même, et au moment d’enfin revenir à l’écurie Glucksmann-Hollande en usant s’il le faut des moyens les plus bas, par exemple en aidant à répandre le stigmate de l’antisémitisme sur tout ce qui pourrait y faire obstacle, il ne s’agirait surtout pas de faire comme si les coordonnées du problème avaient été radicalement changées. La mort d’Éric Hazan passe par là, une bonne occasion ne saurait être perdue. Qu’on mesure donc son insoutenable légèreté : « Contre Israël, ses positions lui valurent de nombreuses accusations d’antisémitisme. Il les balayait toujours d’un haussement d’épaules ». Comment expliquer à Quentin Girard qu’il y a plus de pensée repliée dans un haussement d’épaules d’Éric Hazan que dans dix ans de ses chroniques mondaines à lui ? Bien sûr, on aurait pu lui suggérer de travailler — tout en réalisant aussitôt l’inanité de l’idée —, par exemple en lisant L’antisémitisme partout qu’Éric avait co-écrit avec Badiou et où tout déjà était dit. En lui disant aussi que, contre les ânes et leur problème avec la soif, le haussement d’épaules est indiscutablement la solution de meilleure rationalité.

      Mais que pouvait-on attendre de l’organe du visage humain ? Tout bien réfléchi, rien d’autre qu’un hommage — un véritable hommage. Celui que rend sans le savoir l’ordre à tous ceux qui ont entrepris sérieusement de s’en prendre à lui. À côté de tant de rampants qui se roulent à ses pieds pour avoir ses faveurs et ses expositions, pour pousser leur petite affaire, intellectuelle, artistique ou politique, il en reste quelques-uns à qui l’ordre ne convient pas et à qui ils ont décidé de ne pas convenir à leur tour. Du coin des lèvres, comme si de rien n’était, hypocrisie oblige, Libération crache sur sa bière ? C’est toujours un honneur que de se trouver démonétisé à la Bourse des fausses valeurs. Nous disons en tout cas que c’est le plus bel hommage qu’on pouvait rendre à Éric, et qu’il est décidément pour toujours notre ami.

      Frédéric Lordon

    • Mais que pouvait-on attendre de l’organe du visage humain ?
      [ #Libération :)))) ] Tout bien réfléchi, rien d’autre qu’un hommage — un véritable hommage. Celui que rend sans le savoir l’ordre à tous ceux qui ont entrepris sérieusement de s’en prendre à lui. À côté de tant de rampants qui se roulent à ses pieds pour avoir ses faveurs et ses expositions, pour pousser leur petite affaire, intellectuelle, artistique ou politique, il en reste quelques-uns à qui l’ordre ne convient pas et à qui ils ont décidé de ne pas convenir à leur tour. Du coin des lèvres, comme si de rien n’était, hypocrisie oblige, Libération crache sur sa bière ? C’est toujours un honneur que de se trouver démonétisé à la #Bourse-des-fausses-valeurs . Nous disons en tout cas que c’est le plus bel hommage qu’on pouvait rendre à Éric, et qu’il est décidément pour toujours notre ami.

      Frédéric Lordon

  • #TNT #TPMP #ARCOM : Mettre des nouilles dans le caleçon de ses chroniqueurs | Mediapart | 14.05.24

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/140524/la-commission-d-enquete-sur-la-tnt-confirme-que-le-macrono-lepenisme-est-u

    #Saintoul : Et puis, il y a un point de départ plus personnel, tiré de mon expérience d’enseignant. Tout ce qu’on nous demande de faire quand on est prof, tout ce que l’institution scolaire attend de nous et nous demande de transmettre aux élèves, est en permanence contrebattu par la télévision. La préférence pour la complexité, les valeurs de désintéressement et de patience sont loin d’être les principes cardinaux qui régissent la télé aujourd’hui. Par ailleurs, comment voulez-vous lutter contre le harcèlement scolaire, quand vous avez des ministres qui défilent chez un harceleur notoire dont l’un des jeux favoris est de mettre des nouilles dans le caleçon de ses chroniqueurs [Cyril #Hanouna – ndlr] ?

    • juste avant, y a :

      Mediapart : En octobre dernier, votre groupe parlementaire a fait usage de son droit de tirage annuel pour obtenir la création de la commission d’enquête sur la TNT. Quels objectifs poursuiviez-vous à ce moment-là ?

      Aurélien Saintoul : Le premier objectif, et il est pleinement atteint à mon sens, était d’abord d’éviter que la procédure de renouvellement des fréquences TNT – lancée cette année par l’Arcom, elle concerne quinze canaux hertziens, notamment ceux occupés par les chaînes du groupe Canal+ et TF1 – passe pour une formalité. Tout le monde semble considérer que la libéralisation de l’audiovisuel, consacrée en 1986 par la loi sur la liberté de communication, est indépassable. Personne ne s’interroge sur les effets qu’elle produit sur l’information et la qualité des programmes. Il fallait donc rappeler que les groupes audiovisuels privés ne sont pas propriétaires de leur fréquence, ont des obligations à l’égard du public, elles-mêmes motivées par l’intérêt général.

  • Qui est Yoram Hazony ? | Mediapart | 12.05.24

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/120524/qui-est-yoram-hazony-l-eminence-grise-de-jerusalem-washington

    L’activisme de Hazony en matière de think tanks de tout crin ne lui aurait toutefois sans doute pas suffi pour atteindre les oreilles de certain·es dirigeant·es de la planète. Cela, il le doit en grande partie au succès de son livre « Les Vertus du nationalisme », dont l’influence semble inversement proportionnelle à la puissance des analyses qui y sont développées, mais qui a le mérite d’offrir un prêt-à-penser aux chef·fes d’État d’extrême droite tenant à disposer d’un corpus radical sous forme de manuel de science politique dont on peut ressortir les grands axes lors des réunions du G20.

    • Dans la préface de la traduction française du livre, rédigée par le très droitier avocat Gilles-William Goldnadel, une autre référence se donne à voir : Pierre Boutang, l’un des principaux disciples de Charles Maurras. Après avoir jugé que c’est le « racisme blanc indicible » qui rend « l’Occidental impitoyable envers lui-même et envers tous les États-nations européens », Goldnadel livre le fond d’une pensée qui, chez Hazony comme chez Maurras, lie intrinsèquement religion et nation pour prétendre dessiner les contours d’un nationalisme exclusif forgé depuis des millénaires et pour l’éternité.

      Aux yeux de Goldnadel, l’apport « considérable de Hazony habite dans le fait qu’il explique combien la notion d’État-nation appartient à l’idéal biblique. Jusqu’à la notion de frontière nationale. Cet idéal aura été principalement repris par les États protestants qui considèrent que la frontière nationale est aussi importante pour la paix et le bien-être de l’humanité que les limites de la propriété sacrée ».

      Du point de vue d’une droite extrême, Hazony présente l’avantage de renouer avec un nationalisme aussi affirmé que celui de Maurras, mais en le débarrassant d’un antisémitisme devenu inemployable. Pierre Boutang était d’ailleurs précisément le disciple de Maurras qui avait amorcé la tentative de maintenir vivante la pensée de son maître en l’expurgeant de ce que l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale avait rendu illisible.

      Et c’est sans doute cette version d’un nationalisme à la fois absolu et prétendument fréquentable qui rend aujourd’hui la pensée de Hazony si plaisante aux oreilles de nombre de dirigeantes et dirigeants occidentaux issus de l’extrême droite.

  • La Terre au carré, Meurice, et les autres | Mediapart | 04.05.24

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/030524/avis-de-tempete-france-inter-ou-la-redaction-subit-une-remise-au-pas-march

    l’émission quotidienne « La Terre au carré », axée sur l’écologie et l’environnement, va s’éteindre cette année. La direction de France Inter souhaite « faire évoluer le format de l’émission et lui donner une autre narration », a-t-elle signifié auprès des intéressé·es. Mathieu Vidard conservera la tranche de 14 heures à 15 heures, mais sera séparé de son binôme, Camille Crosnier, coproductrice de l’émission et chargée d’une chronique qui mettait des dirigeant·es, patron·nes comme élu·es, face à leurs contradictions sur l’écologie.

    « Je confirme que je ne serai plus aux côtés de Mathieu la saison prochaine dans “La Terre au carré” et que cette décision ne procède pas de ma volonté. Je continue en revanche les “P’tits Bateaux” », confirme la journaliste. Les chroniques « Le jour où » d’Anaëlle Verzaux et les grands formats reportages de Giv Anquetil vont également disparaître avec l’émission. C’est Adèle Van Reeth, directrice de l’antenne, qui a signifié à chacune et chacun par un entretien la fin de leur collaboration, avant qu’ils ne reçoivent une lettre recommandée.
    [...]
    « Tout ce qui porte la marque du reportage est menacé, prédit une reporter chevronnée de la station. Le reportage a le défaut de coller à la réalité et n’est pas dogmatique. Il donne à voir un pays fracturé, qui va mal et s’appauvrit, et entre en contradiction avec le discours des ministres qui viennent en taxi pour nous rassurer sur le fait que la France est le pays le plus attractif d’Europe. »

    Charline et ses potes devraient se barrer séance tenante et aller se faire mettre en onde chez les Belges, les Suisses ou chez Là bas du j’y suis. La France Inter, tu l’aimes mais tu la quittes.

    • « Les médias Bolloré et l’extrême droite [le FN] rabâchent à longueur de journée qu’on est trop à gauche, et on a le sentiment que la direction est très attentive à ces critiques, alors qu’on n’a jamais été aussi peu de gauche », témoigne un rubricard.

      « Sibyle Veil accorde une importance extrême au compte @MediasCitoyens, elle est paniquée par ses posts », poursuit-il. En effet, ce compte anonyme favorable au gouvernement s’en prend régulièrement sur X aux émissions de France Inter, en particulier à « La Terre au carré », qu’il accuse de porter un discours trop militant et « d’extrême gauche ». « Ça nous inquiète de voir notre direction surréagir à ces attaques, en allant parfois jusqu’à les devancer, regrette un journaliste. En leur donnant cette importance, on les légitime, alors qu’on devrait laisser ces commentaires là où ils sont. »

      Cette attention portée aux critiques venant des réseaux sociaux notamment traduit pour beaucoup la crainte de la direction de déplaire au pouvoir. La réforme de l’audiovisuel public, qui prévoit de rapprocher Radio France et France Télévisions, met les cadres de la radio publique sous tension, chacun·e craignant de perdre sa place. « Les chefs doivent donner des gages pour s’assurer de ne pas faire les frais des arbitrages gouvernementaux, et la station est l’otage de ces stratégies individuelles », enrage une ponte de la Maison ronde. Le projet de loi de rapprochement des entités publiques sera examiné fin mai par les député·es.

    • « Aujourd’hui, le mot d’ordre, c’est d’être lisse et de se plier au discours dominant. On le voit sur notre traitement du conflit israélo-palestinien, où on ne donne pratiquement pas la parole aux Palestiniens pour ne pas prêter le flanc aux accusations d’islamo-gauchisme », déplore une cheffe de rubrique.

      La rédaction, que ces coups de massue successifs ont considérablement ressoudée, n’entend pas laisser disparaître l’ADN de France Inter sans livrer bataille. Une réunion de tous les personnels pourrait avoir lieu au courant de la semaine prochaine, selon les informations du Monde.

      Nah, une annexion générale salariale à France Inter ?

    • Deux remarques :
      – qui se cache derrière ce compte twitter « médias citoyens » ? Des amateurs de « Franc-Tireur » (Fourest, Enthoven). Mais il serait sexiste d’en tirer des conclusions.
      – la dir va laisser passer l’orage et la solidarité va s’effriter plus on ira vers l’été – pour peu qu’un front se constitue, ce qui n’est pas donné, connaissant la puissance du marais (fort puissant même quand les gens sont en CDI, alors vous imaginez en CDDU…).

  • Abolir les #prisons, une « #utopie_réelle »

    Dans « Brique par brique, mur par mur », trois chercheurs tentent la première #histoire de l’#abolitionnisme_pénal, qui place la critique radicale de la #prison, de la #justice et de la #police au cœur de ses analyses. Une tradition militante et politique riche. Y compris en Europe.

    « Les #institutions_pénales ne sont pas seulement inefficaces pour nous protéger et régler nos différends, elles sont en plus préjudiciables et néfastes. » Avec Brique par brique, mur par mur (Lux Éditeur), qui paraît en France le 17 mai, #Gwenola_Ricordeau, professeure associée en justice criminelle à l’université de l’État de Californie, #Joël_Charbit, chercheur associé au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, et #Shaïn_Morisse, doctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, retracent l’archéologie et l’actualité de l’abolitionnisme pénal, qui défend l’abolition de la justice, de la police et de la prison.

    À la faveur de la critique radicale de la prison et de l’incarcération de masse, ce mouvement intellectuel et militant a retrouvé aux États-Unis une vivacité récente. Mais dans le monde occidental, ses racines ont poussé en Europe, dans les années 1970. Souvent ignorée, quand elle n’est pas « calomniée », taxée d’utopique, la tradition de l’abolitionnisme pénal irrigue pourtant de nombreux mouvements de la gauche radicale globale. Entretien avec Shaïn Morisse, l’un des auteurs.

    Mediapart : La France compte un nombre historique de détenus. La surpopulation est endémique, les conditions de détention sont indignes depuis des décennies. Votre livre débute avec un constat : « Les services que les prisons sont censées rendre ne compenseront jamais les torts qu’elles créent depuis leur création »…

    Shaïn Morisse : La prison impose une souffrance institutionnelle. Elle est destructrice pour les individus, leurs proches et leurs communautés. Pour les abolitionnistes, elle perpétue, comme toutes les institutions du système pénal, un ordre social et racial inégalitaire, qui surcriminalise les populations socialement défavorisées et racisées.

    Qu’est-ce que l’abolitionnisme pénal ?

    Le point de départ de l’abolitionnisme, c’est de dire, là encore, que le coût social du système pénal est supérieur aux services qu’il est censé rendre. Il y a depuis deux siècles une critique permanente du système pénal. D’abord par des réformistes, jusqu’à l’apparition de l’abolitionnisme dans les années 1960-1970. La différence, c’est que les abolitionnistes ne contestent pas simplement le système pénal dans son fonctionnement ou dans ses dysfonctionnements. Mais dans sa légitimité même.

    Ils et elles estiment que le système pénal est injuste, coûteux et destructeur. Mais aussi qu’il est inefficace et inopérant : il ne dissuade pas, ne réhabilite pas. Il traite une partie infinitésimale des situations potentiellement criminalisables. Sa fonction rétributrice, c’est-à-dire la compensation d’une souffrance commise par une souffrance équivalente, voire supérieure, n’est pas non plus satisfaisante. Certes, il neutralise les individus, soit de façon définitive avec la peine de mort, soit pour un certain temps. Mais comme l’écrit [la militante et universitaire antiraciste – ndlr] Angela Davis, « la prison ne fait pas disparaître les problèmes, elle fait disparaître les êtres humains ».

    La prison semble pourtant plus que jamais plébiscitée, dans nos sociétés contemporaines, comme le meilleur moyen de punir. Et ce depuis des décennies, notamment en lien avec ce que vous nommez dans le livre le « durcissement pénal » à partir des années 1970. Pourquoi ?

    L’abolitionnisme se développe dans les années 1960-1970, dans un contexte d’espoir révolutionnaire et de grandes espérances politiques radicales à gauche. On assiste à une médiatisation de la question carcérale, à une politisation autour des questions pénales. Les prisonniers sont érigés en sujet politique, prennent la parole eux-mêmes. Il y a des mouvements de prisonniers, de la répression mais aussi des réformes pénales radicales. Des sociologues réalisent des études empiriques pour comprendre ce qu’est l’incarcération, ce qui se passe réellement en prison.

    À partir de la fin des années 1970, et plus particulièrement au milieu des années 1980, avec l’avènement du néolibéralisme, les discours abolitionnistes deviennent inaudibles. L’intérêt pour les structures disparaît. On ne voit plus que l’individu, qui serait entièrement responsable de sa destinée. C’est « la loi et l’ordre », l’avènement de discours purement punitifs qui ne voient pas l’aspect problématique de la prison. Pourtant, ce sont toujours les mêmes catégories de population qui se retrouvent en prison. Ce n’est donc pas juste une question d’individus qui n’arriveraient pas à se réinsérer dans la société. Il y a des logiques sociales et structurelles : l’abolitionnisme cherche ainsi à réencastrer le système pénal dans la société.

    L’abolition de la prison, mais aussi « de toutes les institutions qui forment le système pénal, comme la police et les tribunaux », apparaît dans ce contexte comme une « utopie ». C’est un terme que vous assumez d’ailleurs.

    L’abolitionnisme revendique la notion d’utopie, mais une « utopie réelle », ancrée dans les potentiels réels de l’humanité. Il s’agit de donner les moyens aux gens de régler ce que le système pénal nomme « délits » et « crimes » d’une manière pérenne et satisfaisante. L’abolitionnisme ne fournit pas un modèle unique, et ne formule pas des « alternatives ». C’est logique : l’idée n’est pas de remplacer le système pénal par une autre institution. De fait, il implique de changer les structures sociales. Car on ne peut pas régler les problèmes qui sont à la source de ce qu’on appelle communément « le crime » sans considérer la société, l’économie, les différents rapports de domination, que ce soit le patriarcat, le validisme ou le racisme.

    C’est-à-dire que l’abolitionnisme du système pénal n’est possible qu’une fois que la révolution aurait eu lieu ?

    Globalement, la tendance assez générale au sein de l’abolitionnisme est révolutionnaire, surtout aujourd’hui. Pour autant, l’abolition est un horizon politique, tout comme la révolution est un horizon. Si les abolitionnistes ne sont pas des réformistes — ils ne pensent pas que le système pénal peut devenir plus acceptable ou efficace –, ils sont aussi pragmatiques. Il y a eu dans les années 1970 des abolitionnistes social-démocrates, et d’autres qui considèrent qu’on peut s’accommoder d’un certain niveau d’inégalité, d’un peu de capitalisme.

    On a tendance à croire que l’abolitionnisme pénal est d’abord américain, dans un pays où l’esclavage est, comme vous l’écrivez « la matrice du système pénal ». Pour autant, vous montrez qu’il y a une tradition française et européenne riche de l’abolitionnisme. La France, écrivez-vous, a d’ailleurs « joué un rôle prépondérant dans la circulation internationale du modèle de la prison »…

    Avec ce livre, nous voulions faire la première histoire générale de l’abolitionnisme, montrer que c’est un mouvement qui a cinquante ans. Raconter, aussi, que ce n’est pas, comme on le pense, un courant récent importé des États-Unis. La première vague de l’abolitionnisme s’est d’abord développée en Europe. La seconde vague, à partir des années 1990, démarre aux États-Unis. Elle est liée aux mouvements de libération africaine américaine, avec Angela Davis et la fondation du groupe Critical Resistance, qui va être très important pour toute la structuration des luttes abolitionnistes. Mais Angela Davis elle-même a lu des auteurs européens ! Ce qui est vrai, c’est que la question de la race, le féminisme, étaient les grands impensés de l’abolitionnisme européen. À partir des années 1990, l’abolitionnisme états-unien va enrichir la réflexion et intégrer ses questions.

    Avec le mouvement Black Lives Matter, les manifestations immenses qui ont suivi le meurtre policier de George Floyd en 2020, un large mouvement social aux États-Unis réclame le « définancement et le désarmement de la police ». Ce mouvement a obtenu des victoires locales. Pourquoi une telle vitalité de l’abolitionnisme pénal aux États-Unis alors qu’il reste chez nous une pensée marginalisée ?

    Cela tient d’abord à l’exceptionnalisme pénal états-unien : à partir des années 1980, une incarcération de masse a été mise en place. La population carcérale a quintuplé, devenant la plus grande du monde, devant la Russie et la Chine. Dans le même temps, l’État social s’est effondré totalement. Comme le souligne le sociologue Loïc Wacquant, l’État pénal s’est renforcé quand l’État social s’effondrait. Les conséquences ont été profondes. C’est de là qu’est repartie la reconfiguration de l’abolitionnisme aux États-Unis, mais aussi en Amérique du Sud. Mais ces dernières années, il y a tout un renouvellement des enjeux de l’abolitionnisme. C’est aussi vrai en Europe, en lien avec les questions de féminisme, d’antiracisme, en lien aussi avec l’action de la police, la question des frontières, ou la question des centres de rétention administrative (CRA).

    Pour beaucoup de victimes, la peine infligée à l’auteur est une reconnaissance, le début d’un chemin de réparation. Vouloir abolir la prison et la justice pénale, n’est-ce pas les priver de cette réparation possible ?

    Vu l’évidence culturelle du système pénal, il est normal que les gens attendent de lui une forme de reconnaissance du préjudice. Mais l’abolitionnisme affirme que le système pénal néglige profondément les intérêts et les besoins de tout le monde : les victimes, mais aussi les personnes criminalisées. Les abolitionnistes s’intéressent donc à des modes alternatifs de régulation des conflits, de manière radicale, c’est-à-dire en faisant en sorte qu’ils ne se reproduisent pas à l’avenir.

    En quoi consistent-ils ?

    Différents courants se sont développés depuis les années 1970-1980, qui ont pris le nom par exemple de « justice restauratrice » ou « réparatrice » au Canada. Les infractions ne sont plus considérées uniquement comme des transgressions à la loi, qui doivent être sanctionnées, mais comme des conflits ou des situations problématiques qui ont des répercussions personnelles sur la vie des gens et qui doivent être réparées. Donc il ne s’agit pas de punir, mais de remédier au tort subi par les victimes et de reconstituer le lien social.

    À partir des années 1990, ce courant de la justice restauratrice, pensé hors du système pénal, a commencé à être digéré par les différents systèmes pénaux. Elle a été utilisée comme un supplément à la peine : par exemple, elle a été intégrée dans la loi en France avec la loi Taubira en 2014.

    A alors émergé la justice transformatrice, notamment sous l’impulsion de l’abolitionniste canadienne Ruth Morris. Elle ne cherche pas juste à réparer le lien social, mais aussi à changer les individus et la société en général. Depuis plus de dix ans, il y a tout un essor militant et éditorial de la justice transformatrice, souvent initiée par des groupes qui, parce qu’ils sont souvent criminalisés, ne peuvent pas forcément recourir à la police.

    C’est le cas, surtout aux États-Unis (avec des groupes comme Generation Five, CARA, Creative Interventions). On peut citer aussi l’activiste Mariame Kaba. En France, c’est aussi la démarche du collectif Fracas. La justice transformatrice recourt à des pratiques de médiation et de guérison. Elle mobilise une palette de mesures adaptées à chaque problème (refuge, groupe de soutien, etc.). Son but est aussi de changer les valeurs, pratiques et structures qui ont rendu la commission de la violence possible, par un travail culturel et politique.

    Le Code pénal prévoit des crimes et des délits. La vision abolitionniste critique la notion de crime, la « figure mythologique du criminel » comme vous l’écrivez. Est-ce à dire que les crimes n’existent pas ?

    Les abolitionnistes considèrent que le crime est une catégorie « éponge », qui regroupe des actes qui n’ont aucune similitude la plupart du temps, que ce soit sur les situations que ça implique ou les impacts concrets que ça va avoir sur la vie des personnes. Pour les abolitionnistes, la grammaire de la criminalisation ne permet pas de comprendre les situations vécues, les circonstances, les expériences des personnes concernées. C’est pour eux une abstraction qui décontextualise, qui réduit la complexité des situations.

    C’est-à-dire qu’il n’y a pas de victimes et il n’y a pas d’auteurs ?

    Ces actes déplorables qu’il y a derrière la notion de « crime » ils sont là, ils existent. Mais les abolitionnistes partent de ces actes et de ces situations pour ensuite proposer une multiplicité d’interprétations de ces situations et de réponses possibles. Beaucoup d’entre eux remettent en cause la dichotomie auteur-victime, car beaucoup d’auteurs sont aussi victimes d’autres systèmes d’oppression. Les abolitionnistes vont dire que le « crime » n’est pas un point de départ utile pour cadrer les problèmes. Ils vont partir des actes et des situations concrètes.

    Il ne s’agit pas d’excuser telle ou telle personne pour avoir commis tel acte : l’abolitionniste cherche à reproblématiser la question de la responsabilité, pas à dédouaner la personne qui a commis l’acte. Mais c’est aussi hypocrite de voir uniquement la responsabilité individuelle comme le fait le système pénal ; et de ne pas regarder toutes les logiques sociales qui ont permis à cette situation d’advenir.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/230424/abolir-les-prisons-une-utopie-reelle
    #abolitionnisme #emprisonnement

    • Brique par brique, mur par mur. Une histoire de l’abolitionnisme pénal

      Il y a d’abord une évidence : les services que les prisons sont censées rendre ne compenseront jamais les torts qu’elles causent. Depuis les années 1960, ce constat d’un immense gâchis a amené un vaste mouvement à œuvrer à l’abolitionnisme pénal : en finir avec toutes les prisons, mais aussi avec les autres institutions qui forment le système pénal, comme la police et les tribunaux. Ce projet politique poursuit ainsi un objectif ambitieux : rendre vraiment justice aux victimes et répondre à leurs besoins, en plus de prévenir les violences systémiques et interpersonnelles.

      En prenant appui sur les trajectoires transnationales des mouvements politiques qui ont mis au cœur de leur démarche la critique radicale du système carcéral et judiciaire, cet ouvrage, le premier du genre en langue française, offre une documentation indispensable pour inspirer les luttes contemporaines.

      https://luxediteur.com/catalogue/brique-par-brique-mur-par-mur
      #livre

  • 50 nuances de brun : quelques pistes d’autodéfense | Mediapart | 14.04.24

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/140424/50-nuances-de-brun-et-un-desir-de-transgression

    Repérer les circulations et les généalogies des idéologies

    Concrètement, cette tenaille, obligeant à ne pas tout confondre si l’on veut discerner les motifs qui font gagner – ou, plus rarement, perdre – ces droites dures tout en prenant la mesure de ce qui les relie, exige de repérer les circulations et les généalogies qui existent entre elles, même si les contextes nationaux sont bien sûr toujours spécifiques.

    L’élection de Javier Milei en Argentine en constitue un exemple parlant. L’homme est un pur produit de l’échiquier politique et de l’équation économique du pays : il a réussi à incarner à la fois le rejet viscéral du péronisme qui a gouverné l’Argentine pendant des décennies et une prétendue réponse à une situation inflationniste inédite.

    En cela, il semble impensable qu’une figure similaire soit exportable sous d’autres latitudes. En revanche, on peut souligner qu’il a fait campagne en important dans un pays historiquement étatiste une pensée libertarienne – dans sa version marginale incarnée par Murray Rothbard – qui en était totalement absente.

    Certaines circulations des thématiques d’extrême droite sont d’ores et déjà bien identifiées, à l’instar du « grand remplacement » qui prétend que l’on encourage la disparition des populations blanches des pays occidentaux au profit des populations racisées venues d’ailleurs.

    • On peut enfin distinguer une troisième catégorie de circulations, souvent plus difficiles à repérer car elles opèrent sous les radars ou conduisent à des ponts a priori surprenants. Le livre récent des sociologues Kristina Stoeckl et Dmitry Uzlaner, The Moralist International. Russia in the Global Culture Wars (L’Internationale moraliste. La Russie dans les guerres culturelles globales) explore ainsi la généalogie d’un récit commun entre la droite chrétienne états-unienne et l’Église orthodoxe russe. Retraçant précisément les origines et les raisons de la similitude des discours du Kremlin et des extrêmes droites états-uniennes et européennes sur les valeurs traditionnelles, la famille, l’avortement et la « décadence de l’Occident ».

      Le livre explore la manière dont l’extrême droite chrétienne états-unienne a exporté ses thèses en Russie dans la décennie 1990 en fondant le Congrès mondial des familles (WCF, World Congress of Families), une organisation abritée par un think tank conservateur, le Howard Center for Family, Religion and Society, devenu depuis l’Organisation internationale pour la famille.

      Dans le même ordre d’idées, on pourrait citer la façon dont le « mythe boréaliste » est régulièrement mobilisé par l’extrême droite européenne afin de justifier ses délires racialisants. Dans un précédent papier de la Revue du crieur, Lionel Cordier montrait que cette utopie du Grand Nord catalysant une promotion de la blanchité se retrouvait dans plusieurs pays d’Europe aux traditions politiques et histoires coloniales distinctes.

      Aux Pays-Bas, le nationaliste néerlandais Thierry Baudet, leader du parti de droite radicale FvD, avait affirmé lors de son discours de victoire aux élections provinciales et sénatoriales de mars 2019 que, « comme tous les autres pays de notre monde boréal, nous sommes en train d’être détruits par les personnes qui devraient nous protéger ».

      En France, la référence a été employée à plusieurs reprises par Jean-Marie Le Pen, lui-même inspiré par le théoricien d’extrême droite Dominique Venner, adepte d’un éloge répété de l’Europe boréale. « Au-delà du Nord qu’elle prétend désigner, écrit Cordier, l’expression se fait nom de code, terreau fertile des fantasmes les plus débridés des extrêmes droites européennes. »

    • Une autre rationalité

      Repérer ces circulations, ces passages, ces métabolisations et ces thématiques qui s’enracinent est une priorité. Mais le geste rencontre une limite, au-delà de l’impossibilité de cartographier définitivement les cinquante nuances de brun qui nous entourent puisque celles-ci sont mouvantes et sans cesse recomposées.

      Cette limite tient à ce que ces droites extrêmes, même si c’est à des degrés divers, relèvent d’une autre rationalité que celle qui a longtemps organisé le champ politique, autour d’une dialectique principale entre progrès et réaction ou entre révolution et réaction.

      Cette « alter-rationalité » permet notamment à des réactionnaires et des nostalgiques d’un ordre ancien mythifié de se présenter comme les derniers ou les nouveaux révolutionnaires. La plupart des acteurs et actrices du champ, quelles que soient les stratégies de respectabilisation déployées, sont des « ingénieurs du chaos », pour reprendre le titre du livre de l’essayiste Giuliano da Empoli.

      En 2018, ce dernier exposait le travail des spin doctors, idéologues, scientifiques ou expert·es du Big Data ayant permis l’arrivée au pouvoir de leaders « disruptifs » qui ont transformé leurs défauts apparents en qualités auprès de celles et ceux qui adhèrent à leurs campagnes et discours : inexpérience censée prouver leur non-appartenance aux élites ; fake news témoignant de leur liberté de penser ; ruptures géopolitiques vues comme des gages d’indépendance…

      Ces personnages et ces idées répondent ainsi, en partie, à un désir de transgression qui semble avoir remplacé l’espoir de changement, réformiste ou révolutionnaire, dans une époque marquée par un avenir bouché par les impasses écologiques et le verrouillage inégalitaire des ressources disponibles.

  • Berlin roule pour Bibi | Mediapart | 30.03.24

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/300324/gaza-en-allemagne-le-grand-deni

    Alon Sahar - réalisateur Israélien primé pour Gelem (2014) et Out (2018), a quitté Israël pour Berlin en 2020. Devant son cappuccino, un dimanche midi de mars, dans un café de Neukölln, quartier populaire de l’est de Berlin, il nourrit les pires craintes pour son pays d’adoption. « Depuis le 7 octobre, les voix palestiniennes sont combattues en Allemagne », juge-t-il. Il soupire. « Bien sûr, je connaissais la relation particulière du pays avec Israël, à cause de l’Holocauste. Mais je ne pensais pas que cela irait si loin. Cela me rappelle les menaces de censure que j’ai subies en Israël. C’est de la folie. Et sous un gouvernement avec des gens de gauche ! Je crains que cela nous annonce vingt ans de droite dure. »

    • Udi Ratz, une guide free-lance de 37 ans, conduit des visites au musée juif de Berlin. Elle a grandi à Haïfa [...] et émigré à Berlin en 2010. [...] À la fin de ses visites, Udi aborde la situation en Cisjordanie occupée. Elle a pris l’habitude d’utiliser le mot « apartheid ». [...] Le 6 octobre 2023, Udi reçoit un mail de sa direction qui l’encourage à « ne plus utiliser [le terme apartheid] de sa propre initiative », pour ne pas « nuire à la réputation du musée ». Après le 7 octobre, elle persiste. La direction lui signifie qu’elle n’aura plus de créneaux de visites.

      Le tabloïd Bild Zeitung s’empare de l’affaire. Le quotidien conservateur qualifie Udi d’« Israel-Hasser » : celles et ceux qui « détestent » Israël, un blason d’infamie dont sont désormais affublées nombre de voix propalestiniennes. « C’est devenu viral. J’ai reçu des menaces, y compris de mort, commente la jeune femme. Je ne suis pas la seule, celles et ceux qui critiquent les politiques racistes de l’État d’Israël ont connu le même sort. »

    • Pas d’analyse des causes possibles (ou probables) de ce « soutien inconditionnel » à « Israël » de la part de l’Allemagne (disons, les institutions) ou de la France.

      Malgré l’ampleur et la violence de la répression anti-palestinienne en Europe, j’ai l’impression de ne trouver que quelques hypothèses explicatives, autour du cynisme habituel des gros marchands d’armes, de l’opportunisme politicien crasse de développer le racisme « anti-Arabes », de l’allégeance aux USA ou de la reconnaissance du camarade colonialiste.

      Pour les pays d’Europe centrale, Mediapart faisait en revanche un tour des potes fachos de Bibi ici : https://www.mediapart.fr/journal/international/300324/en-europe-centrale-l-impossible-critique-d-israel

      Si vous avez d’autres pistes...

  • C’est pour cette Une que Saadé a mis à pied le directeur de la rédaction de La Provence.
    Ce serait dommage que tout le monde la voit…

    Des nouvelles de la France de Vladimir Macron :

    Mardi, face à ses nouvelles troupes de BFM TV et RMC, Rodolphe Saadé affirmait « ne pas intervenir » dans ses médias. Il a pourtant choisi de mettre à pied le directeur de la rédaction de la Provence, Aurélien Viers, pour une Une jugée trop anti-Macron. (source Libération)

    https://twitter.com/realmarcel1/status/1771187928493965790

  • (en accès libre aujourd’hui 17 mars 2024)
    Au musée Picasso, la muse et martyre #Françoise_Gilot en majesté
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/160324/au-musee-picasso-la-muse-et-martyre-francoise-gilot-en-majeste

    La peintre, compagne de Pablo Picasso entre 1943 et 1953, finit par plaquer le créateur. Celui-ci chercha ensuite à la réduire à néant. Dans son nouvel accrochage, le Musée national Picasso-Paris fait enfin justice à cette femme hors du commun.

  • A propos de la guerre qui fait rien qu’à "être à nos portes". Une analyse d’une cruelle lucidité.

    Stéphane Audoin-Rouzeau : « Sur la guerre, nous sommes aux limites d’un déni de réalité » | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/090324/stephane-audoin-rouzeau-sur-la-guerre-nous-sommes-aux-limites-d-un-deni-de

    StéphaneStéphane Audoin-Rouzeau est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste de la Première Guerre mondiale et président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (Somme). Il a publié l’an dernier aux Belles Lettres La Part d’ombre. Le risque oublié de la guerre.

    https://justpaste.it/bfh8n

    • un réarmement véritable n’est possible ni industriellement, ni démographiquement, ni financièrement.

      Comme au moment du Covid, l’importation croissante du vocabulaire militaire dans le champ politique permet à peu de frais d’imaginer que l’on a prise sur le réel, alors que ce n’est pas le cas. Ce discours martial se veut sans doute performatif, mais je préfère me concentrer sur l’aveu étonnant du président de la République : « Ayons l’humilité de constater qu’on a souvent eu six à douze mois de retard. »

    • on ne sait pas ce que signifie vivre dans le temps de la guerre, un temps modifié dans lequel la dimension eschatologique prend une ampleur inégalée.

      On reconnaît le droitard académique (de guerre) à des formules telles que « l’Ukraine est en train de vivre sa crise de 1917 », mais effectivement l’offensive russe de printemps va tout chambouler, ce qu’on lit peu.

      #Russie #Ukraine #guerre #discours_martial

    • « Sommes-nous prêts pour la guerre ? » : une armée presque sans défense

      Spécialiste des questions militaires, le journaliste Jean-Dominique Merchet décape les illusions de la puissance française, non sans une pointe d’humour qui traduit une lucidité bienveillante.
      Alain Beuve-Méry, 14 mars 2024

      Alors qu’Emmanuel Macron a provoqué un débat houleux en évoquant la possibilité d’envoyer des troupes occidentales en Ukraine, l’essai de Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions militaires et stratégiques à L’Opinion, trouve toute sa pertinence. Dans Sommes-nous prêts pour la guerre ? (Robert Laffont, 224 p. 18 €), le journaliste décortique, en neuf questions, les différents aspects de la défense civile et militaire de la France et, par extension, de l’Europe.

      Il y a des points rassurants. L’auteur rappelle ainsi que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la France n’a plus d’ennemis à ses frontières, que son territoire est protégé par la défense nucléaire et que « nous, Français, vivons depuis plusieurs décennies dans un incroyable confort géopolitique : celui des #guerres_choisies », autrement dit « celles que nous avons décidé de mener ». La violence sur son territoire est résiduelle.
      Certes, la France l’a éprouvée avec la série noire des années 2010 (attentats du Bataclan, de Nice), mais l’horreur évidente des 271 morts n’est pas comparable aux 900 tués quotidiens en moyenne, dans le camp français, de 1914 à 1918, pendant la première guerre mondiale. De même, l’auteur insiste sur la résilience des Français, lors de la menace terroriste, mais aussi pendant l’épreuve du Covid-19.

      Le compte n’y est pas

      En revanche, dès que les sujets militaires stricto sensu sont abordés, « on se risque sur le bizarre ». Car ce n’est pas le moindre des mérites de l’auteur d’avoir mis en exergue de chacun de ses chapitres des citations du dialoguiste Michel Audiard pour détendre l’atmosphère. Or, sur la question de l’engagement de long terme ou de la production d’armement, le compte n’y est pas ! La France, comme ses partenaires européens, a cru aux dividendes de la paix et se révèle incapable d’alimenter durablement un conflit de haute intensité. Elle pourrait « tenir 80 kilomètres de front, pas plus », précise-t-il, soit la distance séparant Dunkerque de Lille, alors que le front ukrainien s’étend sur près de 1 000 kilomètres.

      En matière d’armement, la France a privilégié la qualité (avions Rafale, canons Caesar) à la quantité, mais, au-delà d’un certain seuil d’engagement, cela ne suffit plus. « L’#armée_française, c’est l’armée américaine, mais en version bonsaï », résume-t-il. Outre les délais de fabrication des matériels ou d’approvisionnement, certains choix militaires pèsent lourd, comme le mépris à l’égard de l’artillerie, des chars ou des drones. De fait, c’est moins noble que le combat aérien.

      Enfin, outre une certaine russophilie partagée au sein des élites françaises, politiques, économiques, voire militaires, Jean-Dominique Merchet souligne une erreur de diagnostic centrale : la Russie de Poutine est une puissance profondément révisionniste [sic], qui honnit les valeurs occidentales et qui entend récupérer les territoires qu’elle a perdus, dans l’histoire longue comme récente.
      « Sommes-nous prêts pour la guerre ? », de Jean-Dominique Merchet, Robert Laffont, 224 p., 18 €.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/14/sommes-nous-prets-pour-la-guerre-une-armee-presque-sans-defense_6221905_3232

  • Allons enfants du #bolchevisme

    « Dorena Caroli met en lumière une période méconnue d’innovations graphiques et littéraires radicales : les livres pour enfants dans la #Russie #soviétique de 1917 à 1934. Avant que l’autoritarisme stalinien ne bâillonne les audaces du bolchévisme originel. (...) »

    #art #graphique #peinture #illustration #graphisme #culture #société #changement #politique #propagande #communication #seenthis #vangauguin

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/200124/allons-enfants-du-bolchevisme