đŸ‡źđŸ‡· « Le fĂ©minisme iranien est une force de contestation rĂ©volutionnaire »

/le-feminisme-iranien-est-une-force-de-c

  • « Le #fĂ©minisme_iranien est une force de contestation rĂ©volutionnaire »

    Interview de Chowra Makaremi

    Depuis la mi-septembre et l’assassinat de la jeune #Mahsa_Amini par la police religieuse, la jeunesse iranienne manifeste un peu partout aux cris de « Femme, vie, libertĂ© ». Comment faut-il, selon vous, comprendre ce slogan ?

    #Zhina_Mahsa_Amini appartenait Ă  la minoritĂ© kurde qui est extrĂȘmement discriminĂ©e en Iran – son « vrai » prĂ©nom est d’ailleurs un prĂ©nom kurde, #Zhina, que l’État refuse d’enregistrer. C’est important pour comprendre les circonstances de sa mort : Zhina Mahsa n’était pas plus mal voilĂ©e que la majoritĂ© des filles Ă  TĂ©hĂ©ran, mais celles qui sont originaires de la capitale savent oĂč aller pour Ă©viter les contrĂŽles, comment se comporter avec les agents, Ă  qui donner de l’argent, qui appeler en cas de problĂšme...
    Les protestations ont commencĂ© le soir des funĂ©railles de la jeune femme dans la ville de Saqqez. C’est de lĂ  qu’est parti le slogan en langue kurde « Femme, vie, libertĂ© », une devise politique inventĂ©e au sein du Parti des travailleurs kurdes (PKK) d’Abdullah Öcalan – dans lequel, certes, les femmes n’ont pas toujours Ă©tĂ© suffisamment reprĂ©sentĂ©es, mais qui a thĂ©orisĂ© que la libĂ©ration du Kurdistan ne se ferait pas sans elles.
    Je note au sujet du mot « vie » contenu dans ce slogan que beaucoup de jeunes manifestantes et manifestants donnent littĂ©ralement leur vie pour le changement de rĂ©gime qu’ils rĂ©clament. Quand Zhina Mahsa est morte, les premiĂšres images d’elle qui ont Ă©tĂ© diffusĂ©es la montraient en robe rouge en train d’exĂ©cuter une danse traditionnelle qui tĂ©moigne d’un culte de la joie qu’on retrouve sur tous les comptes Instagram ou Tiktok des manifestantes tuĂ©es auparavant.

    Quelle est la place des fĂ©ministes dans le mouvement qui agite l’Iran depuis plus d’un mois ?

    La dimension principale de cette rĂ©volte est le refus du voile qui est la matĂ©rialisation de ce que les fĂ©ministes iraniennes appellent « l’apartheid de genre » : un ensemble de discriminations Ă©conomiques, culturelles et juridiques, inscrites dans les lois sur le travail ou l’hĂ©ritage.
    Mais ce mouvement veut aussi mettre fin Ă  d’autres discriminations : par exemple, celles contre les minoritĂ©s comme les Baloutches, les arabophones, les Baha’is, ou encore les rĂ©fugiĂ©s afghans de deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration qui n’ont jamais pu avoir la nationalitĂ© iranienne.

    Le mouvement fĂ©ministe iranien existe depuis trente ans, et il est trĂšs puissant – la Prix Nobel de la paix [en 2003], Shirin Ebadi, est une femme, tout comme les dĂ©tenues emblĂ©matiques du rĂ©gime. Ses militantes ont Ă©tĂ© entraĂźnĂ©es Ă  une lecture juridique du systĂšme de domination, et leur doctrine constitue la colonne vertĂ©brale de nombreuses formes d’activisme. Comme thĂ©orie et comme mĂ©thode, le fĂ©minisme intersectionnel iranien permet aujourd’hui de comprendre comment, pour la premiĂšre fois depuis quarante ans, des segments de la population qui n’ont jamais Ă©tĂ© solidaires se soulĂšvent en mĂȘme temps.

    Que demandent les hommes qui prennent part au soulĂšvement ?

    Il ne s’agit pas uniquement de manifestations pour les droits des femmes : les hommes originaires des quartiers populaires descendent aussi dans la rue pour protester contre la vie chĂšre ; ceux originaires du Kurdistan manifestent pour ne pas ĂȘtre victimes de violence
 Il faut aussi avoir en tĂȘte l’appauvrissement rapide de l’Iran, oĂč les classes moyennes sont rĂ©duites Ă  peau de chagrin en raison du Covid, des sanctions internationales et de la corruption. Tous ces Ă©lĂ©ments sont Ă  comprendre ensemble.
    Finalement, le voile n’est devenu une demande de premier plan que lorsque, ces derniĂšres annĂ©es, les fĂ©ministes sont arrivĂ©es au bout des revendications rĂ©formistes possibles. C’est ainsi qu’est nĂ© l’activisme quotidien sur cette question qui constitue un des piliers de l’ordre thĂ©ocratique – une façon de rappeler Ă  tous·tes les Iranien·nes que le pouvoir s’inscrit sur les corps. En 2018, « les filles de la rue de la rĂ©volution », dĂ©fendues par l’avocate Nasrin Sotoudeh, se sont mises Ă  manifester avec un voile blanc portĂ© non pas sur la tĂȘte mais au bout d’un bĂąton. Elles ont Ă©copĂ© de quinze ans de prison et sont encore dĂ©tenues aujourd’hui.

    En France, dans les mĂ©dias comme chez les commentateur·ices politiques, un parallĂšle a souvent Ă©tĂ© Ă©tabli entre les Iraniennes qui se dĂ©voilent et les Françaises musulmanes qui se voilent. Pensez-vous que cette grille de lecture soit pertinente ?

    Ce que montre le soulĂšvement en Iran, c’est que le fĂ©minisme n’est pas uniquement un outil intellectuel qui permet de revendiquer l’égalitĂ© Ă  l’intĂ©rieur d’un État de droit mais qu’il peut ĂȘtre une force de contestation rĂ©volutionnaire.
    Opposer les manifestantes iraniennes qui enlĂšvent leur voile aux Françaises musulmanes qui souhaitent le porter, c’est passer Ă  cĂŽtĂ© de cette puissance rĂ©volutionnaire. La haine du voile chez celles qui le brĂ»lent lors des manifestations ne renvoie Ă  aucune altĂ©ritĂ© : elles ne dĂ©testent pas le voile de leur mĂšre, de leurs grands-mĂšres et de leurs amies, mais le tissu dont on les emmaillote. La question qui se pose Ă  cet endroit est celle du contrĂŽle politique du corps des femmes par les gouvernements partout dans le monde.
    Pour autant, je ne souscris pas au raccourci qui consiste Ă  dire : « En Iran on oblige les femmes Ă  porter le voile et en France Ă  l’enlever. » En France on oblige les femmes Ă  enlever le voile, et si elles ne le font pas elles risquent d’ĂȘtre dĂ©scolarisĂ©es, licenciĂ©es ou humiliĂ©es devant leurs enfants. En Iran ou en Afghanistan, si elles retirent leur voile, elles risquent d’ĂȘtre torturĂ©es et tuĂ©es. C’est une diffĂ©rence constitutive, pas un continuum de violences.
    MalgrĂ© tout cela, rĂ©duire ce qui se passe actuellement en Iran Ă  une rĂ©volte contre le voile, c’est jouer le jeu des rĂ©formistes iraniens qui assimilent la situation insurrectionnelle actuelle Ă  une revendication vestimentaire. Tous les slogans demandent un changement de rĂ©gime, aucun ne dit non au hijab. Quand les filles brĂ»lent leur voile dans la rue, c’est une façon de s’en prendre Ă  un pilier du rĂ©gime : elles le brĂ»lent en disant « Ă  bas la dictature ». Il faut les Ă©couter.

    ▻https://mailchi.mp/revueladeferlante/le-feminisme-iranien-est-une-force-de-contestation-revolutionnaire
    #contestation #contestation_révolutionnaire #féminisme #Iran #résistance #femmes #Chowra_Makaremi #minorités #kurdes #voile #Saqqez #vie #danse #joie #culte_de_la_joie #apartheid_de_genre #genre #discriminations #nationalité #intersectionnalité #féminisme_intersectionnel #manifestations #activisme_quotidien #pauvreté #insurrection

    via @isskein
    ping @karine4 @_kg_