Bruno Latour (1947-2022) : la destitution des modernes

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  • Bruno Latour : la destitution des Modernes | par Laurent Jeanpierre
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    Pour ses détracteurs, #Latour était relativiste, postmoderne, anhistorique, irrationaliste, spiritualiste, conservateur, irénique, obscur, cavalier, esthète, et aussi de droite, cela va de soi. La plupart des sociologues ont décrété que Latour ne pouvait pas se déclarer sociologue. La plupart des philosophes ne l’ont pas reconnu comme l’un des leurs. Les institutions académiques parmi les plus prestigieuses du pays lui ont fermé leurs portes alors qu’il était déjà l’un des auteurs les plus lus et cités au monde. Lorsqu’il est arrivé à Science Po Paris, en 2007, le malentendu avec les politistes de l’institution était quasi permanent. Une grande partie de la gauche radicale intellectuelle a, elle aussi, fait de Latour un repoussoir. Derrière ces attaques ou ces rejets, il y a une cause principale, pas toujours consciente, mais à prendre au sérieux : avec un sens consommé de l’humour (parfois potache) et de la provocation, Latour s’est livré à une opération de destitution méthodique et, pour beaucoup, inacceptable des fondements de la culture occidentale, en particulier de ses manières d’envisager la science et la politique.

    • (...) Dans la dernière phase de l’œuvre, depuis l’Enquête sur les modes d’existence, la politique n’est plus immanente au social, comme elle l’était dans les premiers travaux de Latour où les relations de pouvoir étaient partout disséminées dans de vastes réseaux d’actants. Elle est plutôt conçue désormais comme un régime de vérité et d’épreuve particulier. Toute action politique est d’abord locale (« le système est en bas », disait-il pendant le mouvement des Gilets jaunes dont il fut l’un des seuls intellectuels à saisir la nouveauté) au sens où elle doit passer par un patient travail d’associations visant à produire des collectifs, et qui ne peut être mené que de proche en proche, en tenant compte des médiations et des compromis nécessaires, par traduction et par transformation de soi et des autres.

      Le motif de la paix a longtemps dominé cette théorie politique latourienne à travers les modèles de l’assemblée (Politiques de la nature, 1999), de la diplomatie, de la composition. Une inflexion décisive a cependant été apportée depuis 2015 et Face à Gaïa (La Découverte) lorsque Latour évoque Carl Schmitt et inclut le problème des ennemis dans sa représentation du monde. Dans un entretien récent à Socialter, il illustrait ainsi ce tournant : « Ma vision politique de la nature dans les années 1990 était une version sociale-démocrate : maintenant nous sommes entrés dans un conflit de mondes. Je reconnais que la notion de diplomatie est tendue car depuis quatre ans avec Donald Trump et Greta Thunberg, ce n’est plus une dispute que l’on peut résoudre par la diplomatie mais un conflit planétaire. La vision peut-être un peu naïve du Parlement des choses, avec la représentation des non-humains, était une approche probablement beaucoup trop optimiste de la situation. Reste qu’il faut bien trouver un moyen, et quelle que soit la vision, démocrate ou tragique, que nous essayons d’inventer, il faut simultanément accepter l’état de guerre et en même temps trouver des solutions qui évitent l’extermination. »

      (merci @lyco j’avais manqué ce papier là)

      #Bruno_Latour #anthropologie #écologie #politique