Flirt avec l’extrême droite : Darmanin sait de quoi il parle

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  • Gérald Darmanin a bien voté trois motions de censure avec les députés du Front national
    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/10/28/gerald-darmanin-a-t-il-vote-trois-motions-de-censure-avec-les-deputes-du-fro

    Gérald Darmanin a été élu député du Nord en 2012 (sous les couleurs de l’UMP), puis une deuxième fois, en 2022 (sous l’étiquette de la majorité présidentielle). Il a toutefois laissé sa place à l’Assemblée un mois après, à la suite de sa nomination en tant que ministre de l’intérieur.
    Il a donc siégé près de quatre années sur les bancs de l’Assemblée nationale lors de la 14e législature. Au total, au cours de cette législature, sept motions de censure ont été envisagées, mais quatre seulement ont été débattues dans l’hémicycle. Et parmi elles, le ministre de l’intérieur avait bien voté en faveur de trois textes aux côtés des deux seuls députés élus sous l’étiquette Front national (ex-RN) : Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen.

    20 mars 2013 : la motion de censure déposée par Christian Jacob, alors président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, est rejetée. Au total, 228 députés ont voté pour (loin des 287 voix nécessaires). Le texte dressait un bilan critique des dix premiers mois de la présidence de François Hollande et de son gouvernement, alors dirigé par Jean-Marc Ayrault. Gérald Darmanin a voté en faveur de ce texte, aux côtés d’un autre membre du gouvernement actuel, le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Les députés FN, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, s’étaient également prononcés favorablement.

    19 février 2015 : en réaction au recours au 49.3 par le gouvernement pour faire passer la loi Macron, les présidents des groupes Les Républicains (LR) et Union des démocrates et indépendants (UDI), Christian Jacob et Philippe Vigier, déposent une motion de censure. Celle-ci est cependant rejetée : 234 députés ont voté pour alors qu’il en aurait fallu 289 pour faire tomber le gouvernement. Là encore, le député Darmanin a voté en faveur de cette motion, tout comme Gilbert Collard et Marion Maréchal.

    18 juin 2015 : en deuxième lecture du projet de loi Macron, le premier ministre Manuel Valls utilise à nouveau le 49.3. MM. Jacob et Vigier déposent derechef une motion de censure. Cette dernière est rejetée, avec moins de voix cette fois-ci (198 votes recueillis). Et là encore, Gérald Darmanin a suivi son groupe parlementaire, et voté en faveur de ce texte. Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard figurent parmi les députés ayant voté pour cette motion.

    Interrogé au sujet de ces votes, jeudi, sur France Inter, le locataire de la Place Beauvau, a reconnu avoir _« voté les motions de censure que mon groupe a déposées ». Mais selon lui, la situation actuelle « n’est pas comparable », « on n’a jamais été négocier avec Marion Maréchal des phrases dans la motion de censure », a-t-il affirmé. Cette accusation a été rejetée par les « insoumis ». « Gérald Darmanin, qui est un menteur structurel, (…) a dit qu’il y avait eu négociation. Mais personne n’a rien négocié », a réagi le leader des « insoumis », Jean-Luc-Mélenchon.

    • Flirt avec l’extrême droite : Darmanin sait de quoi il parle

      Le ministre de l’intérieur accuse la gauche de compromission avec le RN, en oubliant son propre bilan en la matière. De ses premiers pas aux côtés de Christian Vanneste à ses débats cordiaux avec Éric Zemmour et Marine Le Pen, en passant par ses écrits dans une revue de l’Action française, les souvenirs sont pourtant nombreux.

      https://www.mediapart.fr/journal/politique/271022/flirt-avec-l-extreme-droite-darmanin-sait-de-quoi-il-parle?at_campaign=67&

      GéraldGérald Darmanin se considère bien souvent comme le videur du champ républicain. C’est lui qui décrète, sur la base de critères choisis par ses soins, qui mérite d’entrer dans cet espace et qui s’en voit exclu. Ces derniers temps, le ministre de l’intérieur concentre l’essentiel de son attention et de ses critiques sur La France insoumise (LFI) qu’il estime « prête à tout, par méchanceté, par désordre, par cynisme pour jouer contre les Français, s’allier avec le Front national, trahir leurs électeurs ».

      Comme l’avait fait Emmanuel Macron la veille, sur France 2, l’ancien élu sarkozyste s’est de nouveau exprimé jeudi matin sur la motion de censure de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), votée en début de semaine par le Rassemblement national (RN). « Y a-t-il eu une négociation de la honte entre La France insoumise et le Rassemblement national pour voter une motion de censure “acceptable” ? », a-t-il interrogé sur France Inter.

      S’appuyant sur de mystérieux on-dit – « Beaucoup de gens racontent, dans les couloirs de l’Assemblée… » –, démentis depuis, Gérald Darmanin a donc renvoyé dos à dos, pour la 1984e fois depuis son entrée au gouvernement, l’extrême droite et ce qu’il aime à qualifier d’« extrême gauche ». « La vérité, c’est que vous vivez grâce à l’opposition que vous jouez avec l’extrême droite », avait-il déjà rétorqué, mardi, à un député LFI qui l’accusait de « donner des gages à destination de l’extrême droite ».
      Une rhétorique ancienne

      La rhétorique n’est pas nouvelle dans la bouche de l’ancien maire de Tourcoing (Nord). Il l’utilise depuis des années contre tous ses adversaires politiques, pour peu qu’ils se revendiquent de gauche. En 2015, c’est l’ex-premier ministre Manuel Valls, aujourd’hui membre de la même majorité que lui, qui en faisait les frais. « Manuel Valls et Marine Le Pen, c’est Dupond et Dupont », déclarait à l’époque le député UMP (ex-Les Républicains, LR).

      Avant de poursuivre, toujours selon la même logique : « Je le vois dans ma région : si le Front national est prospère, c’est dans les coins socialistes, […] parfois simplement une désespérance sociale, en nommant M. Macron ministre de l’économie, en ne respectant pas les promesses du Bourget et en préférant les dîners en ville aux dîners avec les ouvriers. » À ce moment-là, Gérald Darmanin est encore très proche de Nicolas Sarkozy, dont il copie aujourd’hui le style et la manière.

      Or, on connait désormais la responsabilité de l’ancien président de la République dans la banalisation des idées et des figures d’extrême droite en France. Après tout, c’est lui qui, parmi les premiers, déclarait en 2012 que « Marine Le Pen est compatible avec la République ». Avant de se mettre au service de l’ex-chef de l’État – dont il fut plusieurs fois porte-parole –, Gérald Darmanin avait fait ses classes auprès d’un autre élu de l’UMP, considéré comme sulfureux dans ses propres rangs : Christian Vanneste.

      Sur tous les sujets, il était en communion idéologique totale avec moi. Il était plus que catholique, pratiquement intégriste.

      Christian Vanneste, ancien député UMP
      Partisan d’un rapprochement entre la droite de gouvernement et l’extrême droite, l’ancien député du Nord est principalement connu pour être l’auteur de nombreuses déclarations homophobes. Lorsque l’actuel ministre de l’intérieur devient son assistant parlementaire en 2004, Christian Vanneste a déjà été condamné en première instance pour avoir notamment déclaré que « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité » – le jugement a finalement été cassé en 2008.

      Des propos et un positionnement idéologique qui ne semblent guère perturber le jeune Gérald Darmanin, qui tweetera lui-même, quelques années plus tard : « Si je suis maire de Tourcoing, je ne célébrerai pas personnellement de mariages entre deux hommes et deux femmes » ; « Mariage homosexuel et adoption par les homosexuels, faut-il tout accepter sous prétexte que “la société évolue” ? » ; ou encore « Incapable de redresser le pays économiquement, le PS propose de néfastes réformes de société : vote des étrangers, mariage homo, euthanasie ».

      En 2008, l’assistant parlementaire qu’il est encore ira jusqu’à écrire quelques articles pour Politique Magazine, une revue liée au mouvement Restauration nationale, qui se réclame de Charles Maurras et de l’Action française. « Sur tous les sujets, il était en communion idéologique totale avec moi. Il était plus que catholique, pratiquement intégriste », confiera à son propos Christian Vanneste au journaliste Jean-Baptiste Forray dans La République des apparatchiks (Fayard, 2017).
      Une motion de censure votée avec l’extrême droite en 2015

      Devenu à son tour député en 2012 – il est alors le plus jeune élu de l’Assemblée nationale avec Marion Maréchal-Le Pen dont il loue l’« intelligence » et l’« ouverture » –, l’élu UMP n’éprouve aucune difficulté à voter une motion de censure avec les députés d’extrême droite trois ans plus tard, comme l’a récemment rappelé le socialiste Boris Vallaud. Ce qui ne l’empêchera pas de qualifier, toute honte bue, Christiane Taubira de « tract ambulant pour le Front national » – la réponse de l’ancienne garde des Sceaux vaut le détour.

      Les choses se sont accélérées depuis son ralliement à Emmanuel Macron, son entrée au gouvernement en 2017, et plus encore son arrivée place Beauvau en 2020. De sa volonté de déplacer les questions sociales vers les sujets identitaires à son recyclage de la sémantique de l’extrême droite, en passant par son obsession d’un prétendu « islamo-gauchisme » et de nébuleuses « listes communautaires », Gérald Darmanin a rapidement sombré dans la com’ au Kärcher de son mentor Sarkozy.

      Passé maître dans l’art du tweet intempestif, de la polémique stérile et du grand n’importe quoi, le ministre de l’intérieur est allé jusqu’à manifester sous les fenêtres de l’Assemblée nationale auprès de syndicats policiers dont il n’a jamais condamné les propos, quand bien même certains expliquaient que « le problème de la police, c’est la justice » ou remettaient en cause l’État de droit en espérant que « les digues céderont, c’est-à-dire les contraintes de la Constitution, de la loi ».

      Il a débattu cordialement avec Éric Zemmour et Marine Le Pen, qu’il a même jugée un peu « trop molle ». Il a balayé d’une pirouette humoristique une tribune de militaires favorables à une reprise en main musclée du pays. Il s’est précipité sur la moindre polémique montée en épingle par la droite extrême et l’extrême droite sur les réseaux sociaux. Il s’est plusieurs fois étendu dans les colonnes de l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Et c’est lui qui, aujourd’hui, accuse la gauche de s’acoquiner avec « le diable ».

      Ellen Salvi