Corse : L’Accademia di u cumunu pour une écologie territoriale

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    Par : Noël Kruslin
    Publié le : 08 novembre 2022 à 20:05
    Dans : Société
    Le sculpteur Toni Casalonga est l’un des membres fondateurs de l’Accademia di u cumunu.
    Le sculpteur Toni Casalonga est l’un des membres fondateurs de l’Accademia di u cumunu.
    Christina Buffa
    Un site au cœur de la châtaigneraie peut devenir l’un des champs d’action de l’Accademia, dès l’instant où une ressource est en danger, et qu’un collectif veut se réapproprier « un commun ».
    Un site au cœur de la châtaigneraie peut devenir l’un des champs d’action de l’Accademia, dès l’instant où une ressource est en danger, et qu’un collectif veut se réapproprier « un commun ».
    Archives Michel Luccioni
    « Aujourd’hui, les rêveurs sont ceux qui croient encore à un progrès qui nous a conduits dans le mur », estime Jean-Michel Sorba.
    « Aujourd’hui, les rêveurs sont ceux qui croient encore à un progrès qui nous a conduits dans le mur », estime Jean-Michel Sorba.
    Jeannot Filippi
    Le sculpteur Toni Casalonga est l’un des membres fondateurs de l’Accademia di u cumunu.
    Le sculpteur Toni Casalonga est l’un des membres fondateurs de l’Accademia di u cumunu.
    Christina Buffa
    Un site au cœur de la châtaigneraie peut devenir l’un des champs d’action de l’Accademia, dès l’instant où une ressource est en danger, et qu’un collectif veut se réapproprier « un commun ».
    Un site au cœur de la châtaigneraie peut devenir l’un des champs d’action de l’Accademia, dès l’instant où une ressource est en danger, et qu’un collectif veut se réapproprier « un commun ».
    Archives Michel Luccioni

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    Alertée par ce que la crise écologique laisse entrevoir, une vingtaine de personnes mise sur un nouveau collectif pour installer l’idée d’une écologie territoriale qui passe par la réhabilitation des « communs » en tant que ressources et communautés d’usages. Une utopie… Assumée

    La dernière actualité de Tavignanu Vivu avait déjà dévoilé quelque peu la démarche. Celle d’un autre collectif calé sur les mêmes convictions, mais soucieux d’élever la réflexion au-delà de la seule échelle locale. La revue numérique Robba vient de publier le manifeste qui porte l’Accademia di u cumunu sur les fonts baptismaux. Un texte qui, en guise de titre, pose deux questions. « E avà, chi femu ? Comment habiter la Corse différemment ? »

    Évoquant un été 2022 révélateur des vulnérabilités de l’île, les épisodes climatiques inédits, soulignant « des logiques mortifères qui associent un tourisme irraisonné, une urbanisation démesurée et un consumérisme effréné, nous mènent au bord de l’effondrement ». Dès lors, pour l’Accademia nouvellement créée, « un moment d’introspection s’impose aux politiques comme aux habitants de la terre de Corse. Il nous appartient de penser et de mettre en pratique un autre projet de société ».

    Mais qui sont ceux qui prônent une telle remise en question ? Militants, acteurs associatifs et culturels, citoyens plus ou moins connus, d’aucuns ont figuré sur la liste conduite par Agnès Simonpietri aux dernières élections territoriales. Une démarche qui portait l’estampille écologiste malheureusement vue par le petit bout de la lorgnette. « C’était la liste écolo, celle des hurluberlus », regrette Jean-Michel Sorba qui considère qu’il importe aujourd’hui de dépasser ce qui ne doit plus être une limite.

    Chercheur à l’Inrae, celui qui se fait le premier porte-parole de l’Accademia parle avec conviction. « Nous voulons faire comprendre qu’il y a un combat à mener qui n’est pas seulement celui des météorologues, des écologistes, encore moins des rêveurs. Il ne faut plus parler aujourd’hui de changement climatique, mais de crise écologique et de ses conséquences : l’impact sur la biodiversité, notre rapport au vivant, à la production, à la prédation, à l’économie extractive. »
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    Pour Jean-Michel Sorba, le défi de l’Accademia est clair : « Pour susciter la prise de conscience, il faut donner des prises collectives aux citoyens, des prises matérielles et individuelles. Il y a beaucoup de communication, dans le contexte qui est le nôtre, sur ce que nous pouvons faire comme effort individuel. En revanche, les prises collectives pour s’ordonner, se mettre en marche, elles n’existent pas vraiment. Nos représentants politiques n’en ont pas, le marché n’y arrive pas car il repose beaucoup trop sur cette économie extractive, et l’État est défaillant. L’idée, c’est de donner ces prises aux populations, et la formule gagnante est celle des collectifs citoyens pour mettre en place ce que l’on veut mettre à partir d’une approche territoriale de l’écologie. »

    L’Accademia s’appuie d’abord sur le savoir de référence en la matière. L’œuvre du sociologue Bruno Latour sur cette notion d’écologie territoriale, la pensée de l’économiste américaine Elinor Ostrom qui a théorisé les « communs », cette fameuse prise que le nouveau collectif veut faire valoir comme la force de frappe de sa pensée sur le terrain. Qu’est-ce qu’un commun, justement ? À distinguer d’un « bien commun » comme l’eau quand on parle d’une ressource dont on a besoin pour vivre. Le commun, en revanche, est un cours d’eau. « C’est une ressource, explique Jean-Michel Sorba, une communauté d’usagers avec une gouvernance qui définit des règles d’usage. Cette réflexion ferait d’ailleurs sourire nos grands-parents car ils ont connu les communs. Un four de village, u circulu, u furestu en tant que système d’utilisation de la châtaigneraie, n’étaient pas des systèmes dépourvus de régulation. »

    Lui aussi membre de l’Accademia, Toni Casalonga considère l’intérêt d’un regard sélectif sur cet héritage. « Il faut savoir faire le tri dans l’héritage qui est le nôtre en Corse, et se réapproprier ce qu’il nous a laissé d’intéressant. »
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    De l’espace forestier qui n’a plus d’usage à... la langue corse

    Après avoir travaillé à sa mise en place pendant un peu moins d’un an, organisé un premier atelier public lors du dernier rendez-vous de Tavignanu Vivu à Aleria, l’Accademia di u cumunu a listé un certain nombre de « communs » qui, partout en Corse, pourraient devenir les instruments du point de bascule. Un espace forestier de 1 000 hectares dans le Sud, où il n’y a plus d’usages ni de gestion, est au cœur des préoccupations, mais l’approche dépasse l’écologie telle qu’on l’entend trop souvent, et peut s’étendre à l’espace urbain. « Nous nous intéressons à un quartier d’Ajaccio où les habitants se dotent d’un approvisionnement énergétique original et local, confie Jean-Michel Sorba, mais aussi à la langue corse qui est un commun. Notre mission, au-delà de l’identification des communs, c’est d’accompagner des groupes porteurs d’actions, notamment en posant un récit, à savoir s’entendre sur un narratif pour dire quels sont les problèmes et se projeter sur les solutions. »

    Toni Casalonga veut y croire, eu égard à son inébranlable foi en la citoyenneté. « Quel est le rôle du citoyen ? Voter pour ou voter contre, mais il a quand même bien d’autres choses à faire, notamment créer des espaces de contribution qui voient fleurir la pensée. »

    L’Accademia di u cumunu est bien née. Ses fondateurs savent que parvenir au « point de bascule » sera un tour de force. Ils assument la part d’utopie, « car en temps de crise, si on n’en a pas, on en crève », tout en anticipant l’offensive des incontournables détracteurs. « Les rêveurs, aujourd’hui, estime Jean-Michel Sorba, ce sont ceux qui croient encore que l’on peut vivre dans ce progrès totalement suspendu qui ne prend pas en compte nos ressources, et qui nous a conduits dans le mur. »

    #Communs #Corse