Ce que la dématérialisation fait au travail social | Hubert Guillaud @hubertguillaud
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Nadia Okbani dresse le même constat chez les agents de la CAF. La dématérialisation a commencé par une diversification des modes de contacts, ou ouvrant au contact par mail ou en ligne. Puis, le mode de contact numérique a été rendu obligatoire pour certaines démarches, comme la prime d’activité et les aides personnalisées au logement étudiant. Désormais, la norme, c’est la démarche en ligne. Et pour mieux l’imposer, c’est l’accueil physique dans les agences qui a été modifié. Désormais, le rendez-vous prévaut. On n’a plus accès aux agents à l’accueil des Caf, mais à des ordinateurs dans un espace de libre service. Bien souvent, il n’y a plus d’accueil assis, hormis pour ceux qui attendent leur rendez-vous. Il y a bien des conseillers présents, mais ceux-ci ne maîtrisent pas la gestion des droits, ils ne sont là que pour accompagner les usagers à faire leur démarches en ligne ou à prendre rendez-vous sur un ordinateur. Les conseillers présents sont formés en 14 semaines, quand il faut 18 mois de formation à un agent pour maîtriser la complexité des prestations. Dans ces espaces, les publics attendent, s’impatientent. Certains gèrent leurs démarches. Les conseillers activent les publics pour qu’ils réalisent leurs démarches seuls. Or, bien souvent, les publics viennent pour des questions précises et n’obtiennent pas de réponses puisqu’ils n’accèdent pas à ceux qui pourraient les leur apporter. Prendre un rendez-vous en ligne est lui-même compliqué. Bien souvent, il n’y a pas de créneau qui sont proposés (les rendez-vous sont libérés à certains moments de la semaine, et c’est l’information capitale : à quel moment faut-il se connecter pour espérer avoir un créneau de rendez-vous). Certains motifs qu’il faut renseigner pour en obtenir un, ne fournissent pas de rendez-vous. D’autres au contraire ouvrent plus facilement un accès, comme le fait de déclarer être enceinte. Souvent, l’agent vous appelle la veille du rendez-vous au prétexte de le préparer, rappeler les documents nécessaires à apporter… bien souvent, c’est pour tenter de trouver une raison de l’annuler. Quant aux rendez-vous pour un RSA, les 20 minutes maximum que les agents peuvent passer avec un usager, fait qu’ils sont décomposés en plusieurs rendez-vous, quand ils ne sont pas sans cesse reportés. Au final, constate Nadia Okbani : “ce sont les publics les plus précarisés qui sont les plus éloignés des agents les plus compétents, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin”, d’abord parce que leurs situations sont souvent compliquées et nécessitent des savoirs-faire pour dénouer l’écheveau complexe des droits auxquels ils pourraient avoir accès.