Rentrer ou pas à Futaba, près de Fukushima : le dilemme des anciens habitants

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  • Rentrer ou pas à #Futaba, près de #Fukushima : le dilemme des anciens habitants

    La dernière des 11 municipalités évacuées en 2011 à proximité de la centrale nucléaire de Fukushima accueille de nouveau des habitants sur 10 % de son territoire. La levée de l’#interdiction_de_résidence, présentée comme un pas vers la #reconstruction, ne déclenche pas l’enthousiasme.

    Lorsque Shinichi Kokubun, 72 ans, emménagera dans son logement HLM tout neuf, il pourra apercevoir au loin les ruines de son ancienne maison, qui fut détruite à 80 % par le tremblement de terre de mars 2011. Devant l’ampleur des travaux, il a préféré la laisser pour s’installer dans un trois pièces du projet immobilier flambant neuf actuellement en construction près de la gare de Futaba.

    « Mon ancien voisin, lui, est retourné chez lui. Moi, je vais devoir attendre octobre 2023 pour rentrer mais je peux bien patienter un an de plus », dit en souriant le septuagénaire. Plus de onze ans qu’ils attendent. En mars 2011, les 7 000 habitant·es de Futaba ont fui leur ville, dans la peur et la panique, chassé·es par la menace de la centrale nucléaire de #Fukushima_Daiichi, qui se trouve à trois kilomètres de là. Maisons, affaires, souvenirs, ils ont tout abandonné, contraints de recommencer leur vie ailleurs.

    Mais depuis le 31 août dernier, 10 % du territoire de Futaba a été déclaré habitable par les autorités. Une décision qui entre dans le projet de #revitalisation de la région mis en place après le #tremblement_de_terre. La commune, sur laquelle se trouve en partie la centrale nucléaire endommagée, était la dernière des 11 municipalités évacuées en 2011 à être encore frappée, sur 96 % de son territoire, d’une interdiction totale de résidence. 

    Depuis la réouverture partielle, une vingtaine de personnes se sont réinstallées. Le 1er octobre, le lotissement de #Shinichi_Kokubun, baptisé « Le village de la communauté », a ouvert une première tranche de 25 logements qui a accueilli ses résident·es. D’ici à un an, il comptera 86 habitations, auxquelles s’ajouteront trois bâtiments de vie commune et un service de consultations médicales.

    « Nous voulons passer la barre des 2 000 habitants à Futaba dans les cinq ans », explique Naoya Matsubara, fonctionnaire qui s’attelle au projet de reconstruction de la ville. Un pari qui est loin d’être gagné : selon une enquête réalisée cette année, moins de 11 % des 5 562 ancien·nes résident·es toujours en vie se disent prêt·es à revenir vivre à Futaba. Il faut dire qu’au-delà des logements, il n’y a rien. Pas de commerces, de supermarchés, de médecins ni d’écoles…

    En guise de restauration, une camionnette vient le midi, en semaine, pour proposer quelques plateaux-repas et snacks. La ville vit au rythme des engins de chantier. En plus d’être aux portes de la #zone_interdite, celles et ceux qui viendront vivre ici seront cerné·es d’immeubles et d’habitations toujours en cours de #décontamination et de démolition, qui ponctuent le paysage.

    Fin août, le gouverneur de Fukushima, Masao Uchibori, déclarait que « les étapes du chantier de décontamination à venir, ainsi que le traitement des maisons et des terres de ceux qui ne souhaitent pas rentrer, n’ont pas encore été définis ». 

    Le retour n’est-il pas prématuré ? « Au Japon, lorsqu’il s’agit de construire des bâtiments, ils sont très efficaces, explique Trishit Banerjee, étudiant à l’université du Tohoku, investi dans le tourisme dans la préfecture de Fukushima, en particulier Futaba. Mais l’aspect communautaire n’est pas suffisamment réfléchi. C’était la même chose en 1995, après Kōbe. » 

    Les beaux bâtiments donnent « l’impression que la reconstruction va vite. Mais lorsque l’on creuse, on se rend compte que les besoins des résidents n’ont pas été pris en compte ». À une heure d’ici, dans le quartier de #Nakoso, dans la ville d’#Iwaki, 237 personnes évacuées, parmi lesquelles 131 venaient de Futaba, vivent dans une HLM.

    Shinichi Kokubun y réside depuis quatre ans. Lors d’une réunion de consultation tenue en 2020, les personnes évacuées avaient émis de nombreuses inquiétudes à propos du « village de la communauté », par exemple son manque d’accessibilité.

    « Beaucoup d’anciens résidents sont âgés aujourd’hui. Les allées sont trop étroites dans le nouveau lotissement », se désole Shinichi Kokubun. Il bondit à la sirène de l’ambulance. « Les secours viennent souvent ici. Je vais vérifier si quelqu’un a besoin d’aide », dit en s’éclipsant quelques minutes celui qui prête volontiers main-forte à la communauté.

    L’abnégation de Shinichi Kokubun est désarmante : « Il ne me reste plus beaucoup d’années à vivre : autant me rendre utile. » Dans le nouveau lotissement, il espère simplement pouvoir aider. « Je n’ai pas besoin de grand-chose, confie-t-il. Je suis veuf, mes deux fils sont grands. Mes parents sont décédés. Je n’ai pas de petits-enfants. Je peux vivre n’importe où et je ne pense pas aux risques pour ma vie. » 

    Une population discriminée

    Né à Motomiya, un peu plus au nord de la préfecture, il s’installe à Futaba, à l’époque pour travailler dans la centrale. En 2011, il s’apprêtait à prendre sa retraite quand la catastrophe frappe. Ce jour-là, comme les 165 000 personnes évacuées de la préfecture de Fukushima, il ne l’oubliera jamais. Il était à Tokyo – « c’était la panique ». Il remue alors ciel et terre pour rentrer chez lui et retrouver sa famille.

    Une fois à Futaba, l’ordre d’évacuer tombe : les heures de bouchons sur les routes pour fuir la radioactivité, les nuits en centres d’évacuation. « C’était le chaos, la nuit on ne pouvait pas dormir. » De cette expérience tragique, il veut en tirer un enseignement pour l’avenir : « Je suis sûr que je peux aider à la prévention de catastrophes. »

    Le 11 mars 2011, le tremblement de terre du Tohoku fait près de 20 000 morts, dont 1 614 dans la préfecture de Fukushima, auxquels s’ajoutent 196 personnes disparues. Depuis, la préfecture a déclaré 2 333 décès supplémentaires parmi les personnes évacuées (chiffre de mars 2022), dus aux conséquences de la catastrophe.

    La femme de Shinichi Kokubun, décédée en 2015, en fait partie, confie-t-il sans s’étendre. Problèmes de santé mais aussi suicides sont élevés chez les évacué·es : comme les hibakusha, les survivants de la bombe atomique avant eux, ils ont souffert et souffrent toujours d’une #discrimination sévère.

    On ne veut pas d’eux en ville, on ne veut pas leur dire bonjour. Comme si l’exposition à la #radioactivité était honteuse, voire contagieuse. Dans le nouveau Futaba, « va-t-on devenir une attraction ? », s’inquiète Shinichi Kokubun, qui craint l’étiquette de village de la zone interdite. « À Tchernobyl, on ne peut pas approcher si près. Futaba va attirer du tourisme macabre, je le crains. » 

    Pour Katsuyoshi Kuma, 71 ans, rentrer à Futaba dans les conditions actuelles, c’est hors de question. « Ce n’est pas que l’on ne veut pas rentrer, c’est plutôt que l’on ne peut pas décemment le faire. » Pour cet enfant du pays, l’ensemble est pensé à l’envers : avant d’installer des gens, il faut d’abord réfléchir à leurs conditions de vie. « Comment va-t-on survivre ? Et ceux qui ne veulent pas d’une HLM, où vont-ils aller ? » 

    La maison de Katsuyoshi Kuma se trouve dans la partie de la ville où l’interdiction de résider n’a toujours pas été levée. Sa maison risque de rester inaccessible encore un certain temps, si ce n’est toujours. « La zone qui a été rouverte concentrait autrefois plus de 60 % de la population. Nous, nous vivions dans la montagne. » Futaba, c’était le quotidien d’une « petite ville de campagne ». « Il y avait pas mal d’agriculteurs. » 

    Les habitant·es qui travaillaient la terre « ne veulent plus revenir ». Désabusé, Katsuyoshi Kuma rêve néanmoins de « rentrer un jour pour cultiver des légumes et du riz sur [s]on lopin de terre ». En attendant, il ne retournera pas vivre à Futaba. « Si je ne peux pas retourner dans ma maison, cela ne m’intéresse pas. » 

    Il vit aussi à Nakoso, mais pas dans le quartier des personnes évacuées. Il préfère s’en éloigner un peu mais pas trop : comme autrefois, lorsque du haut de ses montagnes il continuait de garder un œil bienveillant sur sa communauté, sans trop s’y mêler.

    La zone devrait-elle rester condamnée ? La menace de la radioactivité est-elle pleinement levée ? Cette ville dont la centrale assurait autrefois l’emploi d’une grande partie des habitant·es parviendra-t-elle à recréer un bassin économiquement viable ?

    Dans la mairie, une centaine de fonctionnaires travaillent à relancer la machine. Ils comptent aussi sur de nouveaux arrivants, originaires d’autres régions du Japon, qui veulent participer à l’effort de reconstruction. Sur la question de la radioactivité, les autorités locales se veulent rassurantes.

    « Je comprends la peur, avoue Naoya Matsubara. Mais en 2011, les doses de radioactivité étaient très élevées, cela n’a plus rien à voir avec aujourd’hui. » Shinichi Kokubun et Katsuyoshi Kuma ont décidé de faire confiance. Malgré ce qu’ils ont vécu, ils ne sont pas contre le nucléaire. Pour eux, la décontamination est « un chantier qui fonctionne et il n’y a pas de raisons de croire que l’on nous ment ».

    Trishit est plus tourmenté. « C’est une peur que je garde dans un coin de ma tête… Mais que faire ? Abandonner ? Est-ce que l’on devrait empêcher les gens de rentrer chez eux si c’est leur vœu le plus cher ? » Il poursuit : « Il faut garder espoir. » 

    Ce redémarrage à zéro, l’étudiant, débordant d’optimisme, le perçoit aussi comme une « occasion de réfléchir à notre lieu de résidence, de repenser la ville selon les besoins des citoyens, de façon durable ». Si la communauté se reconstruit ainsi, « ce sera une expérience humaine incroyable ».

    Katsuyoshi Kuma boit son café glacé. Il se redresse et sans un mot, il tire sur son tee-shirt, découvrant sa gorge et une large cicatrice. « J’ai été opéré de la thyroïde il y a quatre ans. Tout de suite, j’ai pensé à la centrale. Y a-t-il un lien ? » À l’époque, il contacte Tepco. « Un employé, qui est resté anonyme, m’a dit d’aller au tribunal. » 

    Pourtant, Katsuyoshi Kuma ne fera rien. « C’est compliqué pour moi, ce type de procédure. Je me suis résigné. La cause, je ne la connaîtrai jamais... » Mais il affirme : « Je ne suis pas le seul. D’autres ont vécu la même chose que moi. On ne saura jamais vraiment à quelles doses nous avons été exposés lorsque nous avons évacué. C’est vrai que nous aussi nous sommes des #hibakusha. » Depuis le 11 mars 2011, « nos vies ont été bien sombres ».

    https://www.mediapart.fr/journal/international/041222/rentrer-ou-pas-futaba-pres-de-fukushima-le-dilemme-des-anciens-habitants#a

    #nucléaire #retour #catastrophe_nucléaire #IDPs #déplacés_internes #habitabilité

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    voir aussi ce fil de discussion, qui traite aussi des questions des retours :
    https://seenthis.net/messages/767195