La préparation des Jeux olympiques donne à voir les mêmes pratiques illégales qu’ailleurs dans le bâtiment : emploi de travailleurs sans-papiers, avec des conditions de sécurité déplorables et aucun droit pour ces travailleurs de l’ombre.
par Gurvan Kristanadjaja, le 5 décembre 2022
En 2021, l’heure était aux belles photos. Les chantiers en vue des Jeux olympiques (JO) de Paris 2024 étaient lancés en grande pompe. « Nous accueillons normalement les Jeux olympiques et paralympiques en France tous les cent ans, il vaut mieux, mes chers amis, être au rendez-vous du monde », déclamait l’ex-Premier ministre Jean Castex, appelant de ses vœux « des Jeux olympiques réussis, à la fois inspirateurs et illustrateurs des aspirations de notre société et des politiques publiques que nous conduisons pour y répondre et pour transformer notre pays ».
Un an plus tard, Moussa (1) et ses collègues, réunis dans les locaux de la CGT à Bobigny (Seine-Saint-Denis) qui les accompagne dans leurs démarches, réécoutent ces mots avec amertume. Ils sont dix, tous maliens et sans papiers. Depuis un, deux ou trois ans, ils travaillent pour une entreprise sous-traitante – dont le nom change souvent – de #Vinci GCC Construction ou #Spie_Batignolles, les mastodontes de la construction. « C’est du bouche à oreille, de copain à copain. Si je travaille quelque part et que je vois des amis qui ne travaillent pas au foyer, je leur donne le numéro de mon patron. Pour vivre ici quand tu n’as pas de papiers, ce n’est pas du tout facile alors on préfère travailler dans le bâtiment plutôt que de faire des choses pas bien [et risquer davantage la prison et l’expulsion] . Si le patron a du travail pour toi, il t’appelle et il t’envoie l’adresse », explique Moussa, porte-parole du groupe.
Nébuleuse d’entreprises
Depuis un an, les adresses ont presque toutes mené sur des chantiers des JO : l’immense village olympique à L’Ile-Saint-Denis ou la piscine Marville à Saint-Denis pour les entraînements de water-polo. Parmi les dix Maliens, il y a des manutentionnaires, chargés de porter des sacs de ciment de plusieurs dizaines de kilos sur treize étages. Il y a des bancheurs, spécialisés dans la construction en béton armé. Et puis des hommes à tout faire : ils piochent la terre, construisent les murs, font de la maçonnerie… Le tout pour un peu plus de 80 euros non déclarés par jour, peu importe les conditions météo, et sans jour de congé.
« On n’a aucun droit. On n’a pas de tenue de chantier, pas de chaussures de sécurité fournies, on ne nous paye pas le pass Navigo, on n’a pas de visite médicale et même pas de contrat », s’indigne Moussa. « Si tu tombes malade ou que tu te blesses, le patron te remplace le lendemain », dénonce Abdou (1), un de ses collègues. Le plus souvent, ils se présentent avec les papiers d’un ami ou d’un membre de la famille en règle sur le territoire. « Les Français ne veulent pas faire ce travail. Sur le chantier, il n’y a presque que des étrangers. Des Pakistanais pour l’électricité, des Arabes pour la plomberie, des Afghans pour la maçonnerie… Les blancs, ce sont ceux qui sont dans les bureaux », détaille Moussa.
« On retrouve sur les chantiers des JO des pratiques qu’on retrouve par ailleurs » dans le secteur du bâtiment, reconnaît #Bernard_Thibault, membre du comité d’organisation. « Mais on a un dispositif de surveillance un peu plus développé, avec un comité présent sur les chantiers, doté d’une permanence. Ça nous permet de repérer des cas », assure-t-il. L’ancien leader de la CGT fait aussi valoir que les syndicats ont été intégrés au conseil d’administration de Paris 2024 : « Des JO en France, ça ne s’organise pas comme une Coupe du monde au Qatar. » Des garde-fous qui n’empêchent pas certaines « entreprises de passer entre les mailles du filet », admet-il.
La société qui emploie Moussa et les autres Maliens est gérée par un ressortissant turc via une nébuleuse d’autres entreprises. Elles prospèrent grâce à la #sous-traitance. « Celle qui paye n’est pas forcément celle qui est sur le chantier. A tel point qu’il est impossible de s’assurer de quelle est la boîte qui les embauche vraiment », explique Jean-Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale CGT de Bobigny. Contacté, le patron n’a pas répondu à nos sollicitations.
« On les prend au mot »
En juin, une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny pour « emploi d’étrangers sans titre », « recours au travail dissimulé » et « exécution en bande organisée d’un travail dissimulé ». Plusieurs contrôles ont aussi été menés par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités Ile-de-France. Depuis le début de l’année, hormis Moussa et ses collègues, seize autres travailleurs sans papiers se sont plaints de leurs conditions de travail sur des chantiers des Jeux olympiques. Ils ont obtenu la régularisation, ce qu’espèrent aussi Moussa et les autres. « Le gouvernement français veut des Jeux olympiques propres, on les prend au mot », avance Jean-Albert Guidou à la CGT.
Les cas de ces travailleurs font écho au débat qui s’ouvre à l’Assemblée nationale ce mardi. Dans son projet de loi immigration prévu pour « début 2023 », le gouvernement envisage d’intégrer la possibilité pour les travailleurs sans papiers des « métiers en tension » d’obtenir un titre de séjour. Ce qui pourrait favoriser les conditions de régularisation de ces personnes. En attendant, quand il est question d’immigration, le débat se porte plus sur la question des expulsions que sur celle des régularisations. « Nous sommes sans papiers car la France ne veut pas nous régulariser mais les Jeux olympiques ne pourraient pas se faire sans nous », regrette Moussa, qui a vu plusieurs de ses demandes d’asile refusées. « Nous sommes venus ici comme tous les jeunes Africains qui rêvent d’Europe. On a vécu des choses horribles en Libye et on a traversé la Méditerranée. On ne pensait pas qu’ici on profiterait de nous. » Ni le parquet de Bobigny ni la Dreets n’ont répondu à nos sollicitations.
Respectabilité. Ici, un Thibault notabilité semble se porter garant d’un simulacre de mieux disant social