BDC : une entente avec McKinsey et autres dépenses contestées à l’interne

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  • Banque de développement du Canada : une entente avec McKinsey et autres dépenses contestées à l’interne Daniel Leblanc - Radio Canada avec des informations de Thomas Gerbet et Romain Schué

    Un contrat à la firme de consultants McKinsey pour une « revue stratégique » de 4,9 millions de dollars. Un chauffeur qui voyage deux fois de Montréal à Vancouver, au coût total de 8000 $, pour accompagner la présidente en Colombie-Britannique. Des frais de plus de 320 000 $ pour un événement d’une heure. Une vague d’embauches à la haute direction.

    Cette série de petites et de grandes dépenses a fait des vagues au sein de la Banque de développement du Canada depuis l’arrivée d’Isabelle Hudon à la présidence à l’été 2021, affirment plusieurs sources de Radio-Canada.

    Ancienne ambassadrice du Canada à Paris, Isabelle Hudon a été nommée par le gouvernement de Justin Trudeau à la tête de la société d’État qui offre des prêts, du capital de risque et des services-conseils aux petites et moyennes entreprises.


    Isabelle Hudon, alors ambassadrice du Canada à Paris, aux côtés de Justin Trudeau

    Isabelle Hudon a multiplié les décisions qui transforment l’organisation. Les cibles de croissance à long terme sont plus ambitieuses, la Banque de développement du Canada et elle occupent une plus grande place sur les réseaux sociaux, et il y a plusieurs changements au sein de la haute direction de la Banque de développement du Canada.

    “C’est sûr qu’il y a un choc dans l’organisation”, affirme une source qui a longtemps travaillé à la Banque de développement du Canada.

    Toutes les sources confidentielles qui ont parlé à Radio-Canada dans le cadre de ce reportage ont travaillé sous la direction d’Isabelle Hudon, quoique certaines ont depuis quitté la Banque de développement du Canada.

    Plusieurs sources ont requis l’anonymat, car elles n’étaient pas à l’aise de parler publiquement en raison des fonctions occupées.

    Isabelle Hudon n’a pas accepté notre demande d’entrevue. Nous avons posé une série de questions à la Banque de développement du Canada, qui nous a répondu par écrit.

    Qui est Isabelle Hudon
    Ambassadrice du Canada à Paris de 2017 à 2021, Isabelle Hudon a aussi conseillé Justin Trudeau sur la formation de son Cabinet, en 2019.
    Elle a fait partie de la haute direction de la Sun Life, à Montréal, de 2010 à 2017, en plus d’avoir été présidente et cheffe de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain entre 2004 et 2008.
    Isabelle Hudon est aussi cofondatrice de l’Effet A (“A pour ambition”), qui vise à favoriser le développement des femmes en affaires, mais elle n’y a plus d’actifs depuis 2017. _

    McKinsey et la “revue stratégique”
    Parmi ses premières décisions, Isabelle Hudon a décidé d’embaucher une firme de consultants pour réaliser une vaste revue stratégique du rôle et des objectifs de la société d’État pour les 10 prochaines années.

    Une source en place à l’époque dit qu’Isabelle Hudon voulait alors “repartir à zéro”.

    La Banque de développement du Canada confirme qu’Isabelle Hudon – avec l’appui de son conseil d’administration et de son équipe de direction – était derrière ce projet qui n’a pas fait que des heureux à la Banque de développement du Canada.

    “Tout nouveau PDG” doit, dès son entrée en fonction, évaluer la situation actuelle et définir la voie à suivre pour l’avenir de l’entreprise, ce qui, avouons-le, ne plaira pas forcément à toutes les parties prenantes”, explique le porte-parole de la Banque de développement du Canada
    , Philippe Taylor.

    La Banque de développement du Canada a invité cinq firmes de consultants à faire des propositions. Après un processus d’évaluation, la Banque de développement du Canada a opté, en août 2021, pour McKinsey, qui avait déjà travaillé pour la Banque de développement du Canada et qui accumule de plus en plus de mandats https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1945915/mckinsey-influence-canada-trudeau-immigration-conseils au sein de l’appareil fédéral.

    La Banque de développement du Canada a accordé un premier contrat à McKinsey de 2,8 millions pour ce projet, avant d’accorder une prolongation de 2,1 millions, en juin 2022, pour un coût total de 4,9 millions.

    Le cabinet-conseil McKinsey a obtenu des dizaines de millions de dollars de la part du gouvernement fédéral canadien dans les dernières années.


    À l’image d’employés d’autres agences fédérales qui ont travaillé avec McKinsey, des sources avec de longues feuilles de route au sein de la Banque de développement du Canada remettent en cause les résultats de l’exercice.

    On critique entre autres l’embauche de consultants externes qui exigent de grandes quantités d’informations et de travail de la part des équipes en place, tout en faisant des recommandations qui seront difficilement applicables.

    “Ce n’est pas réaliste”, lance une source, qui explique que McKinsey aide à établir des objectifs, mais pas à déployer des mesures pour les atteindre.

    Plusieurs sources affirment que l’embauche de McKinsey a nourri l’impression parmi les employés que la Banque de développement du Canada changeait sans cesse de vision stratégique, d’autant plus que des exercices semblables avaient été effectués avant l’arrivée d’Isabelle Hudon.

    Certains employés ont aussi senti que l’embauche reflétait un manque de confiance envers les équipes déjà en place à la Banque de développement du Canada.

    McKinsey n’a pas commenté son travail dans ce dossier, mais a récemment publié un communiqué pour répondre aux critiques de son influence croissante au sein de l’appareil fédéral.

    D’ambitieux objectifs
    La Banque de développement du Canada voit grand avec sa nouvelle vision stratégique. Trois fois plus grand, en fait. Selon un document confidentiel obtenu par Radio-Canada, la Banque de développement du Canadaveut tripler la taille de sa clientèle d’entrepreneurs d’ici 2032, passant de 73 000 clients à 230 000 en 10 ans. Elle cherche aussi à accroître la valeur de son portefeuille actuel d’environ 250 %, en passant de 38 à 95 milliards de dollars.


    La Banque de développement du Canada a des bureaux dans toutes les provinces et tous les territoires du pays.

    Pour y arriver, la Banque de développement du Canada explique qu’elle compte en grande partie sur son projet élaboré avec McKinsey.

    On parle entre autres de mieux desservir certaines clientèles traditionnellement négligées par le secteur financier au Canada, dont les entreprises dirigées par des femmes, des minorités visibles ou des Autochtones.

    La Banque de développement du Canada cherche aussi à aider les PME à se préparer “aux grands défis de notre temps” comme la lutte contre les changements climatiques.

    Parmi les projets en branle à la Banque de développement du Canada, il y a aussi l’automatisation des prêts en ligne aux PME.

    « Ce que vous voyez maintenant, c’est une accélération de l’ambition dans des domaines qui étaient déjà prioritaires pour Banque de développement du Canada. »
    -- Une citation de Philippe Taylor, porte-parole de la Banque de développement du Canada

    En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, Radio-Canada a obtenu trois présentations produites en lien avec le contrat de McKinsey, mais les informations clés dans les trois étaient majoritairement caviardées. De plus, les présentations contenaient les logos de la Banque de développement du Canada et aucune trace précise du travail de McKinsey.

    Certaines sources croient qu’il faut maintenant prendre les objectifs fixés lors de la revue stratégique avec un bémol étant donné qu’un grand nombre de tendances économiques sont à la baisse depuis l’embauche de McKinsey, en 2021.

    Le porte-parole de la Banque de développement du Canada explique que le conseil d’administration a approuvé le nouveau plan stratégique, qui demeure en évolution.

    “Le processus de planification d’entreprise se déroule chaque année [...] et examine les conditions du marché et économiques, parmi de nombreuses autres variables, et nous ajustons nos plans opérationnels en conséquence”, dit Philippe Taylor.

    L’évènement à 320 000 $
    Isabelle Hudon s’assoit sur un fauteuil gris dans le lobby du siège social de la Banque de développement du Canada sous les applaudissements de quelques dizaines d’employés sur place en ce 3 juin 2022.

    S’adressant à eux – et à des milliers d’autres employés en ligne à travers le pays – la présidente de la Banque de développement du Canada commence en badinant avec l’animatrice embauchée pour l’évènement, Rebecca Makonnen, qui travaille aussi à Radio-Canada.

    Un évènement organisé pour les employés de la Banque de développement du Canada est animé par Rebecca Makonnen qui s’entretient avec la pdg Isabelle Hudon Isabelle Hudon décrit Rebecca Makonnen comme son “amie”, avant que cette dernière ne précise qu’elles ne s’appellent pas “tous les week-ends”. Les deux se remémorent ensuite une escapade de shopping dans les brocantes de Paris, en 2017.

    Isabelle Hudon enchaîne avec une discussion sur le télétravail, l’importance des relations humaines en sortie de pandémie et le “nouveau chapitre” qui s’amorce à la Banque de développement du Canada sous sa direction, selon un enregistrement de l’évènement de 68 minutes obtenu par Radio-Canada.

    Plusieurs personnes qui ont assisté à cet évènement, présenté en format hybride le 3 juin, se demandent encore à quoi tout cela a servi. Surtout en considérant les coûts de 320 000 $ en frais externes pour la Banque de développement du Canada, en plus du salaire des employés qui y ont travaillé.

    Selon des données obtenues de la Banque de développement du Canada, il y a eu, entre autres, des frais de 146 000 $ en services audiovisuels (accordés sans appel d’offres, car le montant se situe sous la limite de 150 000 $ fixée par la Banque de développement du Canada), de 145 000 $ en scénarisation et production vidéo, et de 11 500 $ pour l’embauche de Rebecca Makonnen en tant que maîtresse de cérémonie à Montréal. (Le maître de cérémonie dans les bureaux de Toronto lors de l’évènement du 3 juin était un employé de la Banque de développement du Canada.)

    Selon nos sources, le ton familier de la PDG avec l’animatrice en début d’événement a créé un malaise parmi certains employés.

    La Banque de développement du Canada dit que Rebecca Makonnen a été embauchée à partir d’une liste préparée par l’équipe de communications. On précise à la Banque de développement du Canada qu’Isabelle Hudon et elle ont une relation “amicale”, mais pas une relation “proche ou personnelle”.

    Le porte-parole de la Banque de développement du Canada dit que la société d’État “gère ses coûts opérationnels de manière diligente et toutes les dépenses s’inscrivent dans les paramètres et politiques appropriés pour un évènement pancanadien de cette envergure”.

    Philippe Taylor ajoute que toutes les dépenses de la société d’État “sont payées à partir des revenus gagnés et ne sont pas des dépenses gouvernementales”.

    La Banque de développement du Canada confirme qu’il est inhabituel, au sein de la société d’État, de faire voyager le chauffeur en avion pour accompagner le président ou la présidente.

    Malgré tout, la Banque de développement du Canada a dépensé 8100 $, en 2022, pour deux voyages en Colombie-Britannique du chauffeur de la Banque de développement du Canada, qui a alors accompagné Isabelle Hudon lors de déplacements officiels.

    Les 25 et 26 octobre, Isabelle Hudon et le chauffeur de la Banque de développement du Canada ont fait un bref aller-retour en avion entre Montréal et Vancouver, dépensant respectivement 6510 $ et 2625 $ en frais de déplacement.

    Le voyage – tel que le démontre une vidéo mise en ligne sur LinkedIn et sur Instagram – a permis à Isabelle Hudon de faire une visite surprise à des employés réunis à Whistler.

    Selon les commentaires mis en ligne par les employés, la visite d’Isabelle Hudon a été appréciée par de nombreuses personnes sur place.

    Toutefois, des sources se posent des questions sur le besoin de faire voyager le chauffeur de la présidente pour un évènement si court. Des services de taxi entre l’aéroport de Vancouver et Whistler, par exemple, affichent en ligne un prix de 500 $ pour l’aller-retour.

    Le chauffeur a aussi accompagné Isabelle Hudon lors d’un voyage de quatre jours en Colombie-Britannique en juin 2022, qui a coûté 12 300 $ au total à la Banque de développement du Canada. Les frais de location du véhicule et d’essence ont atteint 1500 $ lors de ce voyage.

    La Banque de développement du Canada dit qu’elle considérait, dans ces deux cas, que de faire voyager le chauffeur offrait le meilleur rapport qualité-prix.

    “Nous avons choisi d’utiliser le chauffeur de l’entreprise pour ces deux voyages en raison de circonstances externes, d’un kilométrage important et de la nécessité de permettre à la PDG” de travailler, et ce, en toute confidentialité”, affirme Philippe Taylor. “Cela dit, il s’agit à ce jour des deux seules occasions où le chauffeur a voyagé en avion à un autre endroit pour conduire la PDG” .

    Vague d’arrivée et de départs
    Plusieurs sources ont noté un taux de roulement élevé au sein de la haute direction de la Banque de développement du Canada ces derniers mois, dont une dizaine de retraites et de départs touchant des postes importants.

    Selon nos informations, la Banque de développement du Canada a récemment embauché quatre anciens collègues d’Isabelle Hudon à la Sun Life, dont elle a dirigé les activités au Québec de 2010 à 2017.

    Un porte-parole de la Banque de développement du Canada confirme qu’Isabelle Hudon a participé à l’embauche de deux de ces anciens collègues de la Sun Life dans des postes de haute gestion.


    Isabelle Hudon, alors ambassadrice du Canada en France, lors du Sommet du G7 à Biarritz en France en août 2019 (Photo d’archives)

    Parmi les changements récents, la Banque de développement du Canada a affiché de nouveaux postes à l’interne de vice-président au marketing et vice-président aux relations publiques.

    Le porte-parole Philippe Taylor a expliqué qu’il s’agit de “remaniements de postes existants”, mais plusieurs sources affirment que cela fait partie d’un effort d’accroître la visibilité de la Banque de développement du Canada sous la gouverne d’Isabelle Hudon.

    Cette dernière est très active sur les réseaux sociaux et a accru les capacités de communication de la Banque de développement du Canada sur plusieurs plateformes au cours des derniers mois.

    Toutefois, des dotations en personnel ont fait des vagues à l’interne. Selon une source bien informée, au moins un plan de succession – selon lequel plusieurs employés ont été formés pour un poste névralgique – n’a pas été respecté au cours de la dernière année.

    La Banque de développement du Canada admet qu’il “est possible que certains plans de succession soient déployés, et que d’autres, non”.

    Les projets lancés sous Isabelle Hudon
    • Excelles : un programme de 500 millions de dollars visant à soutenir les entreprises canadiennes dirigées par des femmes.

    • Fonds Technologies pour le climat : un investissement de 400 millions de dollars qui vise la création d’entreprises dans le secteur des technologies propres.

    • +Impact : élaboré grâce à deux contrats de 4,9 millions au groupe de consultants McKinsey & Company, ce projet a redéfini la stratégie de la Banque de développement du Canada pour les 10 prochaines années.
    • Flex+ : une nouvelle politique de télétravail qui encourage la présence dans les bureaux de la Banque de développement du Canada à travers le pays, mais permet aux employés de travailler en tout temps de la maison.

    • « Banque d’ambition » : une nouvelle campagne de marketing dotée d’un budget de 13 millions pour l’année.


    L’opposition critique la direction de la Banque de développement du Canada
    Les partis d’opposition disent vouloir entendre Isabelle Hudon sur l’embauche de McKinsey et les autres dépenses qui ont fait des vagues à la Banque de développement du Canada. Un comité de la Chambre se penche déjà sur l’octroi de contrats fédéraux à la firme McKinsey par le gouvernement fédéral.

    “Ça semble être devenu une nouvelle culture au sein du gouvernement fédéral que de prendre les grandes orientations ou bien du gouvernement, ou bien de sociétés d’État qui ont un mandat public, et de les sous-traiter au secteur privé”, lance le député du Bloc québécois, Jean-Denis Garon. “C’est exactement ce qui nous, comme parti d’opposition, nous inquiète.”


    Le député conservateur Pierre Paul-Hus critique la Banque de développement du Canada.

    Le député conservateur Pierre Paul-Hus critique la Banque de développement du Canada pour ce qu’il qualifie de manque de rigueur en gestion financière, que ce soit en lien avec les déplacements du chauffeur de la Banque de développement du Canada ou de l’événement interne du 3 juin.

    “La Banque de développement du Canada, c’est une entité du gouvernement fédéral et je pense qu’il faut faire attention. Avec l’inflation et tout ce qu’on vit aujourd’hui, ces dépenses-là se doivent être justifiées”, avance-t-il.

    L’avenir de la Banque de développement du Canada
    Au sein du gouvernement Trudeau, on explique qu’après 78 années d’existence, la Banque de développement du Canada avait besoin de se moderniser.

    De même, certaines mesures annoncées par Isabelle Hudon, comme des fonds d’investissement dans le domaine des énergies propres (400 millions) et des femmes entrepreneures (500 millions), ont été bien accueillies.

    Une source gouvernementale explique qu’Isabelle Hudon a hérité du mandat de transformer la Banque de développement du Canada.

    “Elle est excellente et il fallait changer la culture”, affirme cette source libérale.

    Une autre source libérale affirme que le gouvernement s’apprête à lancer un examen législatif de la Banque de développement du Canada.

    “L’examen, initialement prévu pour 2020 mais retardé en raison de la pandémie, donnera lieu à un rapport au Parlement qui doit être déposé à la Chambre des communes un an après le lancement de l’examen”, explique-t-il.

    Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1949531/bdc-mckinsey-isabelle-hudon-depenses-contestees
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