Il y a près d’un demi-siècle, l’Hexagone est passé maître dans l’analyse de ces phénomènes. Alors que le gouvernement américain s’est saisi récemment de ce sujet, un congrès international, Echo Event, sera organisé les 4 et 5 novembre, à Paris.
Quand on lui apprend qu’aucune personnalité politique ne parle d’ovnis en France, Leslie Kean s’étonne : « Je suis désolée d’entendre ça. » Et la journaliste américaine de chercher une explication : « Je pense qu’à un moment, la France était en avance sur nous, mais que ce n’est plus le cas, car les choses ont tellement changé ici. »
Changé ? C’est peu de le dire ! Ces dernières années, les États-Unis ont brisé le tabou de l’observation de « phénomènes anormaux non expliqués » (PAN). La question peut désormais être abordée librement par des pilotes de l’armée, d’anciens responsables de la CIA ou Barack Obama. Dans une réunion organisée par la Nasa, le responsable du bureau dédié au Pentagone (AARO) a même déclaré récemment qu’on en repérait partout autour du globe.
Maintenant, un projet de loi réclame des informations sur de supposés « matériaux d’origine non terrestre », après des affirmations retentissantes en ce sens émanant d’un ancien agent du renseignement, David Grusch. Est-ce le seul ? Des sénateurs à l’initiative du texte auraient interrogé d’autres témoins, dont certains « travaillent encore au gouvernement », selon Marco Rubio, vice-président du comité du renseignement du Sénat. Et d’autres auditions pourraient suivre dans les prochaines semaines…
Un rapport qui inspire
Aux prémices de ce remue-ménage, la divulgation en 2017 de l’existence d’un programme secret d’analyse des ovnis (AATIP) et une poignée de vidéos rendues publiques montrant ce qui ressemble à des engins opérant des manœuvres inhabituelles. Parmi les journalistes qui ont participé à ces révélations dans The New York Times, Leslie Kean : « Cet article a été un tournant qui a fait décoller tout ça. La stigmatisation a diminué… Le Congrès a été impliqué… Les États-Unis ont cassé une barrière, ce qui fait que les politiciens se sentent plus à l’aise pour en parler. »
À titre personnel pourtant, celle qui a également contribué à faire connaître David Grusch assure qu’elle ne se serait jamais investie sur ce sujet si un confrère français ne lui avait pas fait parvenir un rapport par e-mail en 1999. Son nom : Cometa. Passant au crible de multiples cas d’observations dans le monde, y compris par des pilotes, il est dirigé par le général de l’armée de l’air française Denis Letty et compte une vingtaine de contributeurs, parmi lesquels plusieurs haut gradés, des ingénieurs, un commissaire de police…
« Cela m’a vraiment beaucoup impactée à cause du calibre des auteurs, assure Leslie Kean, qui a raconté cette histoire dans le livre OVNIs - Des généraux, des pilotes et des officiels parlent (Éditions Dervy). Le rapport Cometa a en quelque sorte changé ma vie. »
« Pas le truc de Chirac »
« Que des gens de ce niveau, à la défense et dans l’administration, se réunissent pour travailler pendant six mois sur un rapport disant qu’il y a des choses qui nous échappent, c’était révolutionnaire », approuve Alain Juillet, ancien directeur du renseignement au sein de la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE). Remis à Jacques Chirac et Lionel Jospin, respectivement président et Premier ministre, le document, qui privilégie l’hypothèse extraterrestre, n’aurait pourtant guère fait sourciller en haut lieu.
D’après le livre « OVNIS 1947-2017 » (Éditions L’Harmattan) du journaliste Robert Roussel, l’hôte de Matignon l’aurait annoté pour « marquer son intérêt » — une confidence qu’aurait faite son directeur de cabinet à un visiteur, selon le général Letty. Mais Olivier Schrameck dit aujourd’hui n’avoir « aucun souvenir de cet entretien pas plus que de son objet ». « Non, non, Lionel Jospin n’a jamais apprécié ce genre de choses et ce n’était pas non plus le truc de Jacques Chirac », tranche Alain Juillet. Nous avons tenté de joindre l’ancien Premier ministre, sans succès.
Paradoxalement, si le monde politique s’est constamment désintéressé de la question, la France est depuis longtemps en pointe dans l’analyse des PAN. Créé en 1977, au sein du Centre national d’études spatiales (Cnes), le Geipan (anciennement Gepan, puis Sepra) recense et enquête sur les observations de phénomènes aériens inexpliqués.
Le Geipan, unique au monde
« Il n’y a pas d’autres structures publiques équivalentes dans le monde qui, depuis 45 ans, recueillent et traitent les témoignages », affirme Jacques Arnould, expert éthique du Cnes. Une approche unique qui suscite le respect outre-Atlantique, toujours selon ce membre du comité de pilotage du Geipan : « L’an dernier, la Nasa a consulté nos collègues pour en savoir plus sur leur expérience. »
C’est dans un souci de transparence que le bureau a mis ses dossiers en ligne en 2007. « Le site a été débordé. Le monde entier a voulu se connecter. Il aura fallu quelques jours pour tout remettre d’aplomb, se souvient Michaël Vaillant, consultant indépendant pour le Geipan pendant une quinzaine d’années. L’impact a été historique. À partir de là, le poste de responsable du Geipan, qui s’adressait aux cadres en fin de carrière, a été très demandé. Quelque part, on ne s’en moquait plus. On l’a pris au sérieux. »
Deux témoins racontent ce qu’ils ont vu à Gilles Munsch et Antoine Cousyn, deux enquêteurs bénévoles du Geipan, une cellule du Centre national d’études spatiales (Cnes) créée en 1977.
« Le Geipan anime un véritable réseau », explique Jacques Arnould, qui cite l’Armée de l’air, la gendarmerie, la police, le CNRS, Météo France… « Aujourd’hui, nous disposons de beaucoup plus de données qu’auparavant. Nous pouvons reconstituer la scène, grâce à des indications fournies sur l‘endroit et sur l’heure, avec des sites de météo, des cartes du ciel… Les passages d’avions sont plus faciles à repérer qu’il y a vingt ans. Ainsi sommes-nous capables d’aller plus loin dans les enquêtes, d’offrir davantage d’explications. Le nombre de cas inexpliqués a diminué de manière très importante. »
Vitalité de la thématique
« Mais le Geipan fait de l’investigation, pas de la recherche scientifique », observe Michaël Vaillant qui, depuis l’an dernier, ne collabore plus avec le service du Cnes qu’en tant que membre du comité d’experts. Cet analyste de données se consacre désormais à un autre projet, UAP Check. Outre la sensibilisation du grand public, il souhaite créer un pont entre les spécialistes des différentes disciplines pour faire avancer la connaissance.
« Cela se veut complémentaire avec ce que fait le Geipan. On travaillera avec d’autres institutions, d’autres projets dans le monde, qui vont avoir le même objectif que nous : publier des travaux de recherche dans des revues scientifiques. »
UAP Check veut également permettre aux utilisateurs de vérifier immédiatement sur la plate-forme si leur observation ne correspond pas à quelque chose de connu et d’identifiable. De son côté, la commission Sigma2 de l’Association aéronautique et astronautique de France (3AF) continue d’analyser techniquement des cas inexpliqués survenus en France et à l’étranger, en agrégeant le maximum de données.
L’équipe d’experts, qui comprend notamment l’ingénieur aéronautique Luc Dini et l’astronaute Jean-François Clervoy, étudie actuellement une observation réalisée en 2007 par un pilote britannique au large de l’île de Guernesey.
Autre signe de la vitalité de la thématique, le réalisateur de documentaires Dominique Filhol a récemment achevé son premier long-métrage, Valensole, pour lequel il a disséqué la rencontre du troisième type qui serait survenue en 1965, dans ce village des Alpes-de-Haute-Provence, entre un agriculteur et deux prétendus aliens. Sortie attendue en salles : fin 2023 ou début 2024.
Tout ce petit monde se réunira les 4 et 5 novembre prochains, à la Sorbonne, à Paris, lors d’un congrès consacré aux ovnis, Echo Event. Ouvert au public, mais avec des places limitées accessibles en prévente, l’événement accueillera également un professeur de Harvard, Avi Loeb, et l’ancien sous-secrétaire adjoint à la Défense américain Christopher Mellon. Le but de cette « première », selon son organisatrice, Sarah Witeneim : « Démocratiser le sujet des PAN, que les gens le prennent au sérieux ! »