• https://aoc.media/opinion/2023/02/15/hors-sujet-theorie-de-ma-situation-climatique

    Chaque individu contribue, en dépit de ses efforts éventuels, à la dégradation de la planète. Pourtant la référence à une crise écologique ne suffit jamais à provoquer dans la vie individuelle une réponse cohérente et appropriée. Pour le dire autrement : ce qui se passe éventuellement du point de vue du sujet, dans les termes de la conscience, de la volonté, de la raison, de l’engagement, est hors sujet par rapport aux processus de dégradation environnementale.

    Dans la première conférence de son livre Face à Gaïa, le très regretté Bruno Latour passe en revue une série de « rapports » des sujets aux mutations écologiques du monde, dont le changement climatique est le paradigme. Il est intéressant de revenir à ses réflexions à l’heure où des militants écologistes prônent un mode d’action radicale, que l’ADEME publie son 23e rapport sur les représentations sociales du changement climatique, et que la COP 27 a suscité les commentaires de défiance bien connus.

    Les climato-sceptiques n’ont pas complètement disparu : ils entretiennent encore l’idée que les chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne sont pas fiables. Un autre rapport à la crise écologique, beaucoup plus répandu, prend la forme du quiétisme. On ne se précipite pas dans le catastrophisme, on n’enquiquine pas les autres avec toutes les urgences auxquelles ils devraient réagir. Et puis il y a ceux qui ont été sensibles aux alertes et qui prétendent sortir des problèmes par un surcroît d’ubris technologique, géo-ingénierie et autres moyens de contrôler l’écosystème terrestre dans sa totalité. La conscience de la crise écologique en déprime d’autres, qui savent ce qui se passe mais savent aussi à quel point ils sont démunis. Les militants ou les porteurs de bonne parole institutionnelle continuent à y croire. Ils font la promotion de la panoplie des solutions. Quelques-uns, plus rares, se sont retirés dans l’isolement de leur activité et, sans prétendre résoudre la crise écologique, surmontent les angoisses qu’elle suscite en eux. Aujourd’hui surgissent les radicaux lanceurs d’alertes, qui espèrent faire bouger les foules et surtout les médias en lançant de la sauce tomate sur des œuvres d’art.

    Cette liste de postures pourrait fonctionner comme une injonction adressée au lecteur. Vous, oui, vous, où vous situez-vous ? Dans quel rapport concret, pratique, intellectuel, moral êtes-vous avec le monde que des mutations écologiques sont en train de bouleverser ? En acceptant une telle question, on valide les différences qui existent entre les postures mentionnées, entre les choix qu’elles expriment et entre les conséquences qu’elles induisent. De ce point de vue, cela fait bien une différence d’être climato-sceptique, militant environnementaliste, quiétiste anti-catastrophisme ou encore grand sage de la cause éco-systémique. L’intention de Latour n’est pourtant pas de provoquer son lecteur par ce genre d’interpellation. Bizarrement, par l’énumération de ces différentes postures, il souhaite montrer en réalité qu’elles sont équivalentes relativement à ce qu’il nous faut comprendre de Gaïa et de l’ère géologique (anthropocène) dans laquelle nous sommes désormais entrés. Doute, cynisme, espoir militant, engagement désespéré, quiétisme as usual, sagesse « bio » ou écologique, tout n’est que folie. Voilà le point de départ qui permet « d’aller au fond de la situation de déréliction dans laquelle nous nous trouvons ».

    Pourquoi ce jugement sur la folie des hommes et sur la déréliction à laquelle nous sommes condamnés ? Cette rhétorique quasi prophétique dit en fait que le sujet humain est HS (hors-sujet).

    #écologie #activisme #quiétisme #capitalocène #crises_systémiques #effondrements

    https://justpaste.it/b3f1n

  • https://aoc.media/opinion/2023/02/01/et-surtout-une-bonne-sante

    Trois ans après le Covid-19, le Roi est nu. Dans ses vœux aux professionnels de santé, le président Macron a annoncé une énième réforme de santé, censée être « disruptive ». On peine à y croire. Pourtant des solutions existent, parmi lesquelles de faire du service territorial de santé, un commun.

    [...]

    Oui, le soin c’est l’école de la modestie, tout médecin ou infirmière vous le dira. La T2A envisageait l’hôpital comme une industrie automobile qui produit une gamme de séjour. Sauf qu’entre soigner, surtout des maladies chroniques, et produire une voiture, il y a une petite différence : le soin est une coproduction : la réussite d’une relation thérapeutique dépend autant de la qualité du médecin que de la singularité, de l’idiosyncrasie et des aléas du patient. On aurait presque honte à rappeler une telle évidence. Mais il est certain que chez McKinsey, ce type de subtilité ne passe pas la rampe du Powerpoint.

    Finalement, l’effondrement de notre hôpital est le symptôme de l’inanité de la « pensée » McKinsey. Piloter l’offre de soins avec des recettes tout terrain, des power-points, des consultants avec des chaussures à bout pointu, ça ne fonctionne pas. La santé n’est pas et ne sera jamais une industrie. Certes, on peut rationaliser jusqu’à un certain point la « production de soins », mais l’exercice trouve vite ses limites. L’humain est source d’incertitudes, d’aléas, de complexité. Le grand sociologue Anselm Strauss et son équipe avait démontré cela dès les années 1950, dans un livre fameux La trame de la négociation. Tout est négocié dans le système de santé : entre le patient et son médecin, entre le médecin et son équipe, entre le patient et sa famille, entre l’équipe et la direction, etc. Vous pouvez rationaliser, au sens industriel, des bouts de trajectoire, mais la rationalisation complète de cette dernière est une chimère d’ingénieur.

    https://justpaste.it/2r16l